KG Dürckheim : Le cœur comme centre de l'être et comme lieu du divin en nous ; chakra du cœur et symbolisme de la croix
Graf Dürckheim insiste beaucoup sur le centre vital de l'homme qu'est le hara mais il dit aussi que son centre vrai reste le cœur.
Voici des extraits de deux livres où il aborde cela en réponse à des questions qui lui ont été posées
Dans La Voie initiatique il évoque le Sacré-Cœur : « Vous connaissez la représentation du cœur de Jésus qui est figuré au centre et non pas à gauche : c'est là le centre ultime » et ensuite il parle du chakra du cœur, puis donne des éléments concrets à propos des étapes de la voie qui vont vers ce centre qu'est le cœur
Dans Dialogue sur le chemin initiatique, il répond entre autres à la question « Pour celui qui a la foi, la force du hara peut-elle être assimilée à la présence divine ? » Dans sa réponse il parle entre autres du symbolisme de la croix.
D'autres textes figurent dans le tag Textes de Dürckheim, en particulier Par K. G. Dürckheim : Le symbolisme de la croix, Le coeur comme centre - extraits de "Sagesse et amour" et du "Maître intérieur" qui traite du même sujet et complète ce qui est mis ici.
I – Extrait de La Voie initiatique
Ed. du Rocher, 1997, p. 333-335
J'ai du mal à ressentir le ventre comme centre. Entre la tête et le bassin, n'est-ce pas la région du cœur qui est le vrai centre à partir duquel tout se détermine ?
En un certain sens, vous avez raison. Le centre de l'homme est, et reste le cœur.
Vous connaissez la représentation du cœur de Jésus qui est figuré au centre et non pas à gauche : c'est là le centre ultime.
Mais vous pouvez assurément empêcher l'épanouissement du chakra du cœur par manque de concentration. Le préalable pour que s'ouvre le cœur de l'homme - en tant que centre - est que vous commenciez par tout relâcher en haut, tout rendre.
Il ne faut pas voir cela de manière statique mais processuelle.
Le centre est le ventre dans la mesure où c'est toujours à partir de là que nous retrouvons notre ordre, c'est-à-dire dans un chemin de mouvement. Le ventre est le centre terrestre à partir duquel nous nous mouvons en tant qu'hommes, en direction du cœur, là où l'amour n'est plus une fixation qui cherche à posséder et à garder.
La voie vers le centre qu'est le cœur se parcourt en cinq étapes qu'il faut toujours et sans cesse parcourir de nouveau en abandonnant une disposition qui a son centre dans le "moi" pour entrer dans une disposition qui a son centre dans le hara.
Comme nous cherchons à le faire dans l'exercice, il faut commencer par s'abandonner en tant que moi, se donner et se livrer, ne pas ceinturer la région du bassin mais l'ouvrir. C'est ce qui nous conduit vers le centre terrestre, vers le Yin. Que l'homme commence donc par restituer au hara qui nous accueille comme une grande coupe, tout ce qu'il retient en haut.
C'est seulement sur cette base d'un bassin vraiment ouvert que s'ouvre aussi de manière juste le centre céleste.
Fort de cela, l'homme sera en mesure de percevoir quelque chose du logos et de ne plus confondre ses propres forces avec des idées bienveillantes sur le beau, le vrai et le bon qui sont situées bien au-dessus du monde méchant.
C'est dans le dialogue entre la terre et le ciel (le bassin et la tête) que s'ouvre le centre : l'homme dans sa possibilité la plus profonde, le cœur. Lorsque cela arrive et que tout participe de ce mouvement, l'homme se sent comme au ciel.
Il faut ensuite risquer de mettre en jeu dans ce monde trouble et déformé de l'espace-temps ce qui a été ainsi acquis. Il faut sentir le quotidien, dans toutes ses difficultés et ses peines. Nous sommes alors confrontés au dragon de la vie. Ce n'est que dans la mesure où l'on peut se baigner dans son sang, comme celui qui a atteint son centre, que peut s'offrir la chance du pas suivant :
Être à nouveau centré dans le cœur, mais avec un épiderme désormais capable d'affronter le monde. Voilà l'homme qui est l'enfant du ciel et de la terre, qui ne craint pas la rencontre avec le monde, et qui est capable de témoigner du divin dans le monde.
Le noyau de cet exercice est de se rendre apte à faire la distinction entre un sens superficiel que comprend tout un chacun, et un sens plus profond, caché, mais qui est proprement ce qui est visé.
On peut en prendre pour exemple les paroles du Christ dans le Nouveau Testament, dont le sens authentique devient plus clair à mesure qu'est plus profond le niveau d'où nous les considérons.
II – Dialogue sur le chemin initiatique
Dervy-Livres[1], 1988, p. 94-97
Alphonse Goetmann. Quand les conditions essentielles d'une technique sont réunies : tension juste – respiration – enracinement, et que le processus de la transformation est ininterrompu, « la technique devient Tao » et le chercheur entre dans une attitude que le zen appelle hara. Il s'agit du centre de gravité localisé dans l'abdomen et le bassin, mais qui est en fait une disposition de l'homme tout entier exprimé à travers le corps qu'il est. Devant lui s'ouvrent les étapes de la maturité sur un chemin sans limites. Mais quel est cet homme ?
Graf Dürckheim. Si quelqu’un réduit le hara au sens littéral de « ventre », il n’a encore rien compris car il s’agit en effet de la constitution de l’homme entier grâce à laquelle il se débarrasse de la prédominance du petit moi méfiant et crispé. L’homme qui est dans son hara n’est pas situé dans ses épaules mais dans son bassin, il est dans son « assiette », repose sur il peut accepter le monde et la vie tels qu’ils sont, dans une confiance profonde.
Le hara est le centre vital de l’homme ; cependant son centre vrai restera toujours le cœur. Pour garder le cœur ouvert il ne faut jamais s’y concentrer de façon objectivante mais se sentir tout d’abord dans son centre vital, qui est le bassin entier, afin d’entrer en contact avec la force universelle qui l’habite. Comme vous le savez, il y a en nous deux forces : celle de la volonté que nous "faisons" et la force universelle à laquelle nous participons et qu'il faut savoir admettre. La force qu'on trouve à travers le hara est une manifestation individuelle de cette force universelle, appelée ki. […]
A. G. : Le psalmiste crie souvent : « Seigneur, tu es ma force, en toi j'ai mis ici ma confiance… Je m'appuie sur toi… » Pour celui qui a la foi, la force du hara peut-elle être assimilée à la présence divine ?
G. D. : Attention ! La façon dont vous posez la question risque de faire du divin une réalité plus ou moins close. Je dirais plutôt : « Qu'est-ce qui n'est pas manifestation de la force divine ? » C'est dans l'être divin que nous avons « la vie, le mouvement et l'être », comme dit saint Paul. C'est donc Lui le véritable centre de tout ce qui existe, et tout ce qui existe réalise sa vérité intérieure en permettant à l'Être de se manifester dans sa forme particulière. On peut dire que l'homme est vraiment dans son centre quand il a pris conscience de son chemin propre comme d'une vérité innée et d'un appel personnel, et qu'il est capable de le réaliser consciemment à travers le moindre geste du quotidien. […]
Être centré se traduit par une sensibilité extrême à tout ce qui empêche la transparence et à tout ce qui la favorise. C'est un état de veille-critique permanent qui mobilise l'homme dans sa totalité.
Ici le corps dans sa forme, son attitude et toute sa dynamique est l'expression du devenir de la personne, toujours en voie de transformation. Celle-ci évolue entre le haut et le bas, entre ciel et terre, et restitue progressivement l'homme à sa double origine : terrestre et céleste ; l'ouverture au hara l'enracine dans les forces cosmiques et le libère de l'esclavage du petit moi, tandis que l'ouverture vers la partie supérieure du corps : poitrine – cou - tête, le branche sur les forces spirituelles. Mais ce n'est que lorsque l'intégration se fait entre ciel et terre que l'homme trouve son vrai centre qui est le cœur d'où jaillit la personne.
A. G. : Finalement, ce n'est ni le hara ni la tête, mais le cœur qui est le centre de l'homme ?
G. D. : Oui, « cœur » non comme siège de nos sentiments mais comme le centre précisément qui s’ouvre lorsque le moi a tout abandonné et que, ouvert au ciel et à la terre, il s’ancre dans ce point névralgique qui relie les deux. Physiquement ce point se trouve au niveau du plexus solaire.
C’est là que se croisent l’horizontale et la verticale ; la vie terrestre, conditionnée par tout le poids de l’histoire et la vie céleste, non conditionnée, au-delà de l’espace et du temps, l’Être divin. C’est seulement dans le champ de cette tension que se forme le centre personnel de l’homme ; quand il permet à l’inconditionné de se manifester dans le conditionné et que s’éclot la force dans la faiblesse, le sens dans le non-sens, l’amour dans la cruauté du monde ; quand l’homme sait qu’il ne peut vivre que par l’Être, pour Lui et avec Lui, et que sans cesse il accepte la responsabilité de ne pas le trahir par une fuite dans l’horizontale. Au cœur de cette tension, et animé par ce mouvement incessant entre horizontale et verticale, l’homme est en croix. Mais de son centre jaillit la lumière de la personne qui naît et renaît. La mort par la croix est inséparablement toujours résurrection, nouvelle vie. Le symbole de la croix est aussi celui de la situation universelle de tout ce qui est vivant, contenant la tension entre la réalité supranaturelle de l'image de sa semence et des conditions spatio-temporelles qui lui permettent de manifester cette image dans une forme conditionnée. Ainsi toute la création est, elle aussi, en croix.
Mais il y a plus : ce croisement qui révèle le centre de l’homme et de toutes choses est également le centre incandescent d’une rencontre, celle du Christ. Il est, Lui, le Centre de tout centre et le Principe de toute forme, le Verbe par qui tout subsiste, Celui qui réunit ciel et terre. On doit donc dire que l’homme est dans son centre là où il se sent un avec le Christ et entend son appel comme d’un Maître intérieur. Toute sa vie alors sort du Christ.
Dire cela n’aurait évidemment aucun sens et ne serait qu’une croyance pieuse sans grande valeur s’il ne s’agissait d’une expérience effective et d’une transformation, d’un chemin concret qui traverse les affres de la mort vers une autre vie !
[1] Il a été réédité en 1993 chez Albin Michel.