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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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1 juillet 2024

Le rituel zen par Bernard Faure

Pour beaucoup d'Occidentaux le zen est surtout constitué de l'assise méditative. Mais pour qui va au Japon, la réalité est très différente et le rituel occupe une place énorme. Comme le disait Jacques Breton qui est souvent allé au Ryutakuji (le présent blog lui est en partie dédié)

« J'ai été étonné de leur dévotion au Bouddha. Toutes sortes de rites émaillaient la journée pour rappeler cette présence : rite de l'encens, rite de l'offrande de nourriture avant chaque vrai repas, récitation des sutras… Une fois par mois nous allions en "pèlerinage" devant toutes les statues du Bouddha réparties dans le monastère pour réciter un sutra devant chacune. »

"Le rituel zen" est extrait du livre Shôkokuji, pavillon d'Or, pavillon d'Argent, Ed. Paris-Musées, 2008 (pp. 70-80)[1]. Cet article est écrit par Bernard Faure, auteur spécialiste du zen. Il a vécu un certain temps dans un monastère zen. Il a écrit de nombreux livres[2].

B. Faure fait ici allusion à des choses qui ont fait l'objet de messages sur le présent blog[3]. Il s'appuie sur des photos qui sont dans le livre, d'autres photos ont été mises ici.

Certains mots ont été mis en gras pour indiquer le sujet, mais ce n'est pas dans le texte d'origine.

 

Le rituel zen

 

Bernard Faure

 

À première vue, la primauté accordée dans le zen à l’expérience immédiate, spontanée, implique un rejet de tout ritualisme. En réalité, malgré son antiritualisme affiché, le zen est essentiellement une pratique rituelle. Tout comme leurs homologues des sectes bouddhiques dites « traditionnelles », les moines zen vivaient dans une atmosphère saturée de rituel, et c’est en fonction de cet arrière-plan que leurs prises de position radicales et « spontanéistes » peuvent – et doivent – se comprendre. Pour saisir cette évolution paradoxale, il faut donc se défaire de la conception traditionnelle du zen telle qu’elle a été vulgarisée en Occident. Selon cette conception, que l’on pourrait presque qualifier de « protestante », le zen serait un enseignement radicalement libre de tout formalisme ou ritualisme.

Dans la littérature du zen, on souligne l’entière liberté et le caractère parfois conflictuel des dialogues (mondō) entre maître et disciple. C’est cet idéal que représentent des peintures comme celles montrant Juzhi et Mingtsan. Dans la réalité, cependant, ces « dialogues » étaient pour l’essentiel des rituels parfaitement orchestrés.

Le dialogue entre Juzhi (un moine chinois du IXe siècle mieux connu dans le zen sous le nom japonisé de Gutei) et son disciple est resté célèbre dans les annales de cette école, car il illustre à merveille la violence didactique qui caractérisait certaines de ces rencontres. Gutei, lorsqu’on l’interrogeait sur la vérité ultime, se contentait de lever le doigt. Lorsqu’un de ses acolytes eut la mauvaise idée de l’imiter, Gutei lui coupa le doigt. L’acolyte s’enfuit, et Gutei l’appela. Lorsque l’acolyte se retourna, Gutei leva le doigt, et l’acolyte réalisa soudain l’éveil. L’épisode est souvent interprété comme une illustration de l’idée que le doigt qui montre la lune ne doit pas être confondu avec celle-ci, autrement dit, que la doctrine bouddhique qui pointe vers l’absolu n’est pas l’absolu.

 

Mingcan est surnommé « Can le Rebut » (Lan Tsan) ou « Can le Paresseux » parce que, refusant de se conformer aux règles monastiques, il vivait dans l’oisiveté et se nourrissait de restes. C’est le type même de ces personnages excentriques qui deviendront emblématiques du zen. Mais précisément, ils n’acquièrent une telle importance dans l’imaginaire zen que parce que, dans la réalité, la vie dans les monastères zen était entièrement codée et ritualisée.

Le cas le plus connu de ces « fous du chan » est sans doute le couple que forment Hanshan et Shide (japonais : Kanzan et Jittoku), bien que ceux-ci n’aient jamais été à proprement parler des adeptes du zen, mais relèvent de l’école du Tiantai (qui deviendra au Japon le Tendai). Ils n’étaient d’ailleurs pas des moines non plus, comme le montre leur chevelure hirsute. On ne sait pratiquement rien d’eux, bien que le personnage de Hanshan (« Montagne froide ») ait peut-être été inspiré par le poète chinois du même nom. Dans la religion populaire chinoise, ils deviennent des divinités de l’union sexuelle (parfois homosexuelle). Ces deux personnages hilares sont souvent rejoints par un troisième comparse, Feng Kan, que l’on voit mis en scène accompagné d’un tigre. Ce trait l’apparente aux arhat (japonais : rakan), ou disciples du Buddha, tels qu’on les représente dans la tradition sino-japonaise.

 

 

Ces tricksters ne doivent cependant pas faire illusion : le zen éminemment libre et insouciant qu’ils représentent n’est qu’un idéal, dans la réalité il s’agit d’une liberté étroitement surveillée. Elle ne peut se manifester qu’à l’intérieur d’un cadre hautement ritualisé. Telle qu’elle s’exprime entre autres dans la calligraphie dite « cursive folle » ou dans les peintures au lavis, aux lignes comme des volutes de fumée, cette liberté du zen n’est possible que parce qu’elle s’inscrit dans les structures cristallines du rituel – pour reprendre en la modifiant la métaphore d’Henri Atlan dans Entre le cristal et la fumée. En d’autres termes, sans cristal, pas de fumée ; sans rituel, pas de spontanéité.

 Le zen, par sa simplicité et son goût du concret, s’oppose en apparence aux tendances métaphysiques du bouddhisme traditionnel. C’est ainsi par exemple qu’il redéfinit dans un sens résolument terre à terre les fameux « pouvoirs supranormaux » des bodhisattvas du Grand Véhicule (Mahāyāna) : « Merveilleuse activité surnaturelle, puiser de l’eau et ramasser du bois. » Mais il ne faut pas se méprendre sur le sens de ce poème. Cela signifie que même les activités quotidiennes les plus humbles ou prosaïques sont en réalité des expressions de la réalité ultime, des événements du monde du Buddha. Avec le zen, la sphère du profane disparaît pour faire place à celle du sacré, le rituel imprègne le quotidien et tend à le remplir.

L’importance des « arts » zen relève aussi de ce qu’on pourrait appeler le zen « littéraire », et, si elle marque une avancée sur le plan esthétique, elle n’en constitue peut-être pas moins sur le plan idéologique un certain recul par rapport au chan « rustique » et « provincial » des débuts. On sait que le premier zen (chan), importé de Chine dès le IXe siècle, ne trouva guère d’écho dans la société aristocratique de Heian. Il fallut attendre quatre siècles de plus pour que le chan des Song, devenu une doctrine de lettrés sous l’influence du confucianisme, s’accorde avec le nouvel esprit – plus rustique – de la nouvelle classe dirigeante, celle des guerriers du Nord, établis dans la nouvelle capitale Kamakura. L’essor du zen est d’abord celui des nouveaux temples Rinzai de Kamakura, ou du grand monastère Sōtō, l’Eiheiji, fondé par Dōgen dans la province d’Echizen. Ce n’est que progressivement que le zen Rinzai, en s’implantant à Kyōto et en s’adaptant aux goûts de la noblesse, devint de plus en plus esthétique et « confucianiste » – avec notamment l’élaboration de l’idéologie guerrière qui deviendra le bushidō, ou « voie des guerriers ». On a voulu voir dans cette tendance l’« esprit du zen », mais la réalité est un peu différente.

Dans la pratique, le zen, comme toutes les formes du bouddhisme japonais, s’est fortement teinté d’ésotérisme sous l’influence des écoles du Shingon et du Tendai, et aussi sous celle du Shugendō, ascétisme centré sur la pratique en montagne. Ce zen « syncrétique » et fortement ritualisé n’a pas jusqu’ici été étudié comme il le mérite, tant est forte l’idéologie d’un zen « pur », uniquement axé sur la recherche de l’éveil, et libre de toute attache institutionnelle. Cette idéologie, comme toutes les idéologies, occulte les réalités plus humbles de la vie monastique, les « travaux et les jours » de moines dont la pratique est essentiellement routinière, et passablement rude.

 

De même, la méditation zen, telle qu’elle se pratique notamment dans l’école Rinzai, est fondée en principe sur la notion d’un éveil subit, détaché de toute médiation (telle que le rituel, précisément, ou le culte des icônes). Malgré son nom, dérivé du sanskrit dhyāna (« méditation »), le zen a cherché à se démarquer du dhyāna à l’indienne. Loin de s’opposer au rituel, comme on le pense souvent, la méditation assise (zazen) constitue une sorte de rituel par lequel le pratiquant cherche à s’identifier au Buddha, en imitant la posture paradigmatique de ce dernier.

Dans la pratique, la méditation zen est foncièrement gradualiste – comme le suggèrent les Dix Tableaux du dressage du buffle (et non de la vache, comme on le dit parfois). Ces dix images sont censées représenter la domestication progressive de l’esprit indocile du pratiquant (symbolisé par le buffle) par la conscience (symbolisée par le berger) – le buffle est d’abord introuvable, puis rétif, enfin docile, retournant au bercail tandis que le berger, juché sur son dos, peut maintenant se distraire en jouant de la flûte. L’aspect gradualiste de la métaphore est au fond assez contraire à l’esprit (sinon à la pratique) du premier chan. On retrouve d’ailleurs dans le bouddhisme indien – gradualiste – une métaphore très voisine, celle des Dix Tableaux du dressage de l’éléphant.

Les kōan (ou « cas», sortes d’énigmes propres au zen) jouent aussi un rôle important dans ce processus rituel. Dans les monastères de la secte Rinzai, comme le Shōkokuji, les moines sont censés avoir une entrevue deux fois par jour avec leur maître (rōshi), et lui présenter les résultats de leur méditation sur un kōan particulier, lui donner une réponse personnelle à cette énigme. Mais là encore, tout est parfaitement ritualisé, même la spontanéité du disciple. Peut-être les choses en allaient-elles autrement dans les premiers temps, mais très vite, les comportements des uns et des autres deviennent fortement codés. Dans le Japon médiéval, les moines des Cinq Montagnes (Gozan), nom donné aux cinq grands monastères de Kyōto (dont le Shōkokuji faisait partie), apprenaient par cœur les réponses stéréotypées aux kōan classiques dans des manuels rédigés à cet effet.

Le zen se définit avant tout par sa tradition patriarcale. Cette nouvelle doctrine, issue selon la légende du moine indien Bodhidharma (japonais : Daruma), apparaît en Chine au début du VIe siècle de notre ère. La première école japonaise du zen s’appelait « école de Bodhidharma » (Darumashū). Bodhidharma est considéré comme le vingt-huitième patriarche indien du chan/zen, et comme son premier patriarche « chinois ». La tradition chinoise fait état de six patriarches, le sixième étant Huineng (mort en 713). Bodhidharma et Huineng sont souvent représentés côte à côte dans des rouleaux peints montrant trois personnages, le troisième étant l’abbé actuel du monastère – qui établit ainsi la légitimité de son lignage.

On admire souvent le « réalisme » des portraits de maîtres zen (au sens de représentation des patriarches). En fait, ces portraits peints ou sculptés sont en général des effigies funéraires, et constituent l’équivalent fonctionnel des reliques et reliquaires (stūpa) du Buddha et des patriarches. Les personnages qu’ils représentent ne sont pas simplement « réalistes », ils sont à proprement parler « réels » – en ce sens qu’il ne s’agit pas d’une « représentation », mais d’une « mise en présence ». L’image, dans la mesure où elle a une fonction essentiellement rituelle, et où elle sert de réceptacle à l’esprit du maître qu’on invoque au cours du rituel, « rend présent » le personnage qu’elle montre.

À la mort d’un maître zen, un aspect important du rite funéraire consistait à accrocher son portrait près du cercueil, sur un « siège de la Loi ». C’est devant ce portrait que se déroulait la cérémonie. Après les funérailles, il était accroché pour un temps dans la salle de la Loi, où il recevait des offrandes de nourriture deux fois par jour. Pendant tout ce temps, il servait de support à l’esprit du défunt, que les moines venaient consulter rituellement, comme ils consultaient leur maître de son vivant.

 

Quoiqu’elles soient à certains égards semblables au portrait funéraire du maître zen, les icônes des divinités bouddhiques qui font l’objet d’un culte dans les monastères zen en diffèrent par leur fonction rituelle, qui est surtout de protéger le monastère dans son ensemble, ou l’une de ses parties : la salle de méditation, la salle du Dharma, les cuisines, la salle de bain ou les latrines. Tous ces lieux sont le cadre de rituels appropriés. Un certain nombre d’entre eux prennent pour objet des personnages mythiques comme les bodhisattvas Kannon (sanskrit : Avalokiteśvara), Monju (Mañjuśrī) et Fugen (Samantabhadra), les seize ou dix-huit arhat, et le patriarche Bodhidharma – ce dernier parfois considéré lui-même comme un des arhat. Tous ces rituels impliquent une « métaphysique de la présence », autrement dit, la croyance que la divinité invoquée est présente dans et par le rituel.

Le type même du rituel de « descente » bouddhique est l’invitation de l’arhat Pindola (japonais : Binzuru) lors des assemblées monastiques ou du bain rituel. C’est à cet arhat, en effet, que revient l’honneur d’inaugurer ces cérémonies, et d’attester par sa présence la pureté d’esprit des pratiquants et le caractère régulier de la cérémonie. Selon la tradition, sa présence invisible est signalée par l’empreinte de son corps sur le coussin qui lui est réservé, ou par les traces de ses pieds mouillés dans la chambre du bain.

Kannon, le bodhisattva de la Compassion, est une figure extrêmement complexe, dont les multiples manifestations constituent à elles seules un panthéon. Il existe diverses formes, ésotériques et exotériques, de ce bodhisattva. Au Japon, on vénère en particulier six formes ésotériques de Kannon – dont celle à mille bras (Senju), à onze faces (Jūichimen), ou à tête de cheval. Dans le zen en revanche, c’est en général une forme exotérique, dite « Kannon à la robe blanche » (Byakue), qui est mise en avant.

L’autre grand bodhisattva du zen est sans doute Monju, dont la statue est dans toutes les salles de méditation. En fait, sans la présence invisible de ce bodhisattva, la méditation assise (zazen) serait en principe sans valeur. Car, à la différence de l’image du zen qui a cours en Occident, la méditation, avant d’être une forme d’introspection, est surtout une activité rituelle. Il s’agit en quelque sorte, sous la direction de Monju (qui est le « double » symbolique du pratiquant), de reproduire en soi la posture et l’activité mentale du Buddha, et donc de s’identifier à celui-ci. Monju est d’ordinaire représenté assis sur un lion, faisant pendant à Fugen sur son éléphant ; ou seul, debout, tenant à la main un sūtra. Il est aussi souvent représenté en adolescent dont la coiffure s’orne, selon les cas (c’est-à-dire, selon les rituels) d’un ou plusieurs chignons – leur nombre ayant une valeur symbolique. Le zen connaît par ailleurs une forme spécifique, le Monju dit « Monju à la corde » (Nawa Monju), personnage étrange, aux cheveux défaits, vêtu d’une robe de corde, qui fait penser à un immortel taoïste. Monju est aussi, sous la forme de Chigo Monju (« Monju en novice »), une référence oblique à la « voie des éphèbes », forme d’homosexualité masculine extrêmement répandue dans les monastères bouddhiques. À l’époque Muromachi, le shōgun dut même intervenir au Shōkokuji pour régler une querelle de moines à propos d’un de ces jeunes novices.

Au Japon, Kannon et Monju sont souvent associés au culte des reliques du Buddha. Ce culte est une des composantes fondamentales du bouddhisme, en Inde comme dans le reste de l’Asie. A priori, on ne s’attendrait pas à le trouver dans le zen. Pourtant, la plupart des maîtres chinois ou japonais du zen semblent avoir attaché une grande importance aux reliques du Buddha et des saints, et nombre d’entre eux semblent avoir espéré que leur propre crémation, en produisant de semblables reliques, attesterait par-delà la mort leur sainteté.

De nombreux monastères zen comportent une salle des Reliques (Shariden). Ce culte semble avoir été particulièrement en vogue dans la première école du zen, l’école de Bodhidharma – comme l’atteste la découverte récente d’un document qui retrace la transmission des reliques des six patriarches chinois du zen et de celles du bodhisattva Fugen au sein de cette école. Cette transmission se poursuivit apparemment jusqu’au XVe siècle. Ce document rapporte également la tradition selon laquelle le fondateur de cette école, Dainichi Nōnin, qui vécut dans la seconde moitié du XIIe siècle, était monté en rêve au ciel Tushita, et y avait reçu du bodhisattva Maitreya une relique du Buddha. Cette école de Bodhidharma était réputée pour son caractère éminemment « libre », ce qui lui attira les critiques des fondateurs des deux autres écoles du zen médiéval, Eisai (1141-1215) et Dōgen (1200-1253).

 

Les reliquaires portatifs constituent l’un des objets rituels les plus importants du bouddhisme japonais à l’époque médiévale. D’autres objets rituels saturés de symbolisme permettent de se faire une image plus précise de cette ritualisation de la pratique quotidienne dans le zen. Parmi ceux-ci, on retiendra la robe de la Loi (sanskrit : kashāya, japonais : kesa), et le chasse-mouches (japonais : hossu).

– La robe monastique a joué dans le zen un rôle crucial comme symbole et gage de la transmission de maître à disciple. Tout comme l’habit fait le moine, c’est la possession de la robe patriarcale qui fait le patriarche zen. Les différents types de robe font par ailleurs l’objet d’une exégèse numérique : par exemple, la robe à cinq bandes symbolise les cinq Buddhas et les cinq sagesses du Buddha cosmique Vairochana. C’est pourquoi elle écarte les cinq désirs, les cinq passions, et permet d’obtenir les cinq pouvoirs et les cinq sapiences. Dans certains documents ésotériques, cette robe est assimilée à un mandala, et symbolise l’univers métaphysique, avec ses Buddhas, bodhisattvas, et divinités protectrices aux quatre orients. À ce symbolisme spatial vient s’ajouter un autre, temporel et embryologique, selon lequel la robe symbolise la gestation du fœtus dans la matrice maternelle. Ainsi, la robe rouge du patriarche Bodhidharma ne serait autre que le placenta, et les neuf années que le maître indien aurait passé en méditation dans une grotte sont censées symboliser les neuf mois de vie fœtale. En d’autres termes, le processus de maturation spirituelle qui mène le pratiquant à l’éveil est interprété comme un processus de gestation débouchant sur la naissance (ou plutôt renaissance).

– Le hossu est un instrument constitué d’un court manche en bois sur lequel est montée une queue de cheval ou de yak. Il ne sert pas qu’à chasser les mouches : c’est avant tout un sceptre, un insigne d’autorité, qui exprime la dignité spirituelle du maître zen. Tel le balai des sorcières, il sert même parfois de monture magique au pratiquant. En témoigne un paravent de l’Eiheiji représentant des arhat en train de chevaucher leur hossu à travers les airs. On le voit, la valeur d’usage de ces instruments est largement dépassée par leur valeur symbolique. Le chasse-mouches devient aussi le symbole de ce qui transcende le symbolique. C’est après avoir vérifié que le disciple a intuitivement compris la réalité profonde que le maître lève son chasse-mouches en signe d’attestation.

Un autre objet important est le bol à aumônes, dont la forme sphérique symbolise l’esprit du pratiquant, et la forme véritable du Buddha Śākyamuni. Comme la robe, il est gardé par quatre dieux protecteurs, et représente donc le centre et les quatre points cardinaux.

Mentionnons enfin le vase que le moine utilise pour boire et se laver les mains. Comme on pouvait s’y attendre, le symbolisme du transvasement évoque la transmission « d’esprit à esprit » qui est la caractéristique du zen.

 

Au bout du compte, les rituels du zen ne diffèrent guère de ceux des autres écoles bouddhiques. Par ailleurs, en dépit de la revendication zen d’une « transmission spéciale en dehors des Écritures », la récitation et l’exégèse des textes canoniques, mais aussi bien l’étude des textes non canoniques, en vinrent à constituer une part importante de la vie monastique.

C’est paradoxalement par l’intermédiaire des monastères zen des Cinq Montagnes que les classiques confucéens se sont transmis au Japon, sans doute parce que ces monastères, en dépit de leur idéal de spontanéité, étaient déjà fortement imprégnés d’éthique confucéenne. Le système hiérarchique des Cinq Montagnes, étroitement contrôlé par l’État, a joué un rôle essentiellement éducatif et culturel. Les monastères qui en dépendaient étaient devenus des centres artistiques et littéraires, où fleurissaient notamment la poésie et la peinture à l’encre de Chine. Cet essor culturel ne se traduisit pas toujours par un déclin de la pratique, mais il entraîna en tout cas une certaine sécularisation de la doctrine.

Au demeurant, les Cinq Montagnes perdirent leur influence avec la guerre civile d’Ōnin (1467-1477). En s’adaptant aux nouvelles conditions politiques et sociales, le zen finit par devenir une forme de bouddhisme funéraire, centrée sur les funérailles des laïcs et sur le transfert des mérites permis par le rituel – plutôt que sur la recherche personnelle de l’éveil.

 

Le rituel zen ne se limitait pas à la performance des cérémonies annuelles, mensuelles et quotidiennes. La ritualisation finit par gagner tous les aspects de la vie monastique. La règle monastique redéfinit toutes les actions quotidiennes comme sacrées, et élabora des règlements stricts même pour les fonctions corporelles les plus triviales.

À titre d’exemple, voici quelle était la routine quotidienne dans un monastère zen au XIXe siècle : lever à cinq heures du matin, méditation jusque vers huit heures, puis ablutions rapides. De huit à dix heures : petit déjeuner, gruau, récitation de sūtras. De dix heures à midi : méditation. De midi à quatorze heures : déjeuner, puis récitation de sūtras. De quatorze à seize heures : sermon de l’abbé et étude des « recueils de propos » des maîtres ; de seize à dix-huit heures : méditation ; de dix-huit à vingt heures : conclusion du sermon de l’abbé, puis repas du soir (« gruau ») et récitation de sūtras ; de vingt à vingt-deux heures : méditation ; à vingt-trois heures : extinction des feux ; de minuit à cinq heures du matin : repos – bien gagné.

 Quelques grands monastères comme le Shōkokuji continuent de nos jours à former de nouvelles recrues, destinées en principe à l’éveil. Bien qu’ils se soient transformés, par la force des choses – notamment le besoin de suppléer à une aide étatique défaillante –, en lieux de tourisme encombrés, ils se font les gardiens d’une pratique rigoureuse, et restent les témoins d’un passé culturel prestigieux. Mais les novices qui y font leur apprentissage – rituel et spirituel – les quittent en général bien avant d’avoir atteint l’éveil, le plus souvent pour devenir prêtres de petits temples provinciaux, où l’essentiel de leurs fonctions consistera à pratiquer les rites funéraires pour leurs ouailles. Car le bouddhisme zen, comme la plupart des écoles du bouddhisme japonais, n’a pu survivre qu’en répondant aux besoins de ses fidèles, plus préoccupés de la mort et d’un éventuel au-delà que d’un éveil spirituel décidément trop vague et lointain.

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