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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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1 septembre 2024

Témoignage de Jacques Breton sur l’accompagnement spirituel de personnes en 2004

Jacques BRETON (1925-2017) est le prêtre fondateur du Centre Assise fondé vers 1989. Il en était le responsable spirituel. Voici un témoignage qu'il a donné en novembre 2004 au Forum 104. La transcription a gardé le style oral.

Vingt ans après les choses ont évolué, par exemple le rôshi dont il parle ne vient plus animer de session en France, mais envoie un moine pour le faire. La prochaine sesshin vient d'avoir lieu (fin août 2024).

 

 

L’accompagnement spirituel de personnes

Par Jacques Breton

 

Le Centre Assise est un centre de cheminement, où des personnes viennent chercher un chemin d’ouverture, de présence, de réalisation – sans avoir à appartenir à une tradition. Je leur précise cependant qu’il s’agit d’un centre spirituel et que le zen fait partie intégrante du cheminement. Le travail proposé s’inspire aussi de l’esprit de K. Dürckheim qui, par différentes méthodes, propose de réaliser une unité entre le corps, le psychique et le spirituel[1]. Et, troisième point, ma qualité de prêtre catholique apporte une sécurité - on n'entre pas dans une secte ! - et une tonalité chrétienne.

Les activités sont diverses. Certaines plus chrétiennes, d’autres plus zen, d’autres plus inspirées de l’esprit de Dürckheim, et tous les mois a lieu un sesshin zen qui peut durer de 2 à 7 jours.

 

Quelles sont les personnes venant au Centre ? Elles sont de toutes sortes. Il y a des chrétiens – pratiquants et non-pratiquants (la plupart) – qui viennent approfondir leur foi, dans une recherche d’intériorité. Les non-pratiquants ont une certaine culture chrétienne, mais je suis bouleversé par leur ignorance du christianisme. Certains sont aussi en réaction contre l’Église, pour des raisons différentes, souvent justifiables. D’autres sont en recherche, à travers l’hindouisme, le bouddhisme, ou d’autres traditions. Quelques-uns se disent athées, agnostiques …

Dans les sesshins, on trouve environ moitié d’hommes, mais dans les sessions d’approfondissement spirituel, ce pourcentage diminue. Certains hommes viennent pratiquer le zen surtout pour développer en eux l’énergie, la force, ce qui leur permet d’être mieux dans leur travail et dans leurs activités : leurs motivations ne sont pas toujours très justifiées. Ils en restent à un certain niveau d’intériorité, et mon travail est alors de les aider à aller plus loin dans leur cheminement.

Un Rôshi, maître spirituel bouddhiste zen, vient du Japon une fois par an animer un sesshin de 7 jours. C’est un homme très cultivé, sortant de la meilleure université du Japon et connaissant les philosophes occidentaux[2].

Dans l’école rinzaï dont fait partie ce Rôshi, les kôans sont utilisés pour aider les participants les plus avancés[3]. Leur approfondissement fait entrer vraiment dans le bouddhisme, et beaucoup de questions apparaissent. Certains participants réagissent parfois vis-à-vis de ces kôans. Par ailleurs quelques-uns regrettent l’absence de partage, et se retournent vers le christianisme.

 

Je crois que le bouddhisme zen est un bon chemin, en particulier pour les personnes qui sont très en réaction contre l’Église. Le Zen leur permet de lâcher leurs idées sur Dieu, leur passé ecclésial… et de faire en eux un bon travail de nettoyage et de purification. Encore faut-il qu’ils poursuivent ce chemin.

À ce sujet, le Rôshi qui vient régulièrement chez nous me dit : « Ce qui est terrible au Japon, c'est que, lorsque les bouddhistes arrivent à un certain niveau, ils s’arrêtent. L’idéal du boddhisattva reste très éloigné. »

À mon avis, ce Rôshi est d’une grande sagesse. Son regard est pénétrant. Il éclaire bien les personnes pour ce qui concerne le zen. Un jour il m'a fait remarquer : « Quand les gens viennent m’exposer leurs problèmes personnels, je leur dis d’aller voir Jacques Breton… » Dans le zen, il y a une part de l’homme qui n’est pas prise en compte, alors je prends le relais. Aussi ma principale préoccupation est d’accompagner les personnes tout en respectant profondément ce qu’elles sont. Je n’essaie pas d’imposer le christianisme, mais j’aide à cheminer.

Le Rôshi lui-même est d’une très grande qualité humaine. Nous avons une très bonne entente, au point que je descends chez lui lorsque je vais au Japon, et je suis le seul à partager sa vie de famille. Entre nous, il y a un échange très fort, une communication extraordinaire. Quelque chose se passe, se vit. La première fois que j’ai mentionné ce sentiment, il a répondu : « Oui, nous sommes un ». Il y a deux ou trois ans, il m’a dit : « Au fond, je crois que nous sommes liés pour l’éternité ». Il découvre qu’il y a quelque chose qui va au-delà de cette unité. Maintenant, il dit que nous sommes frères. À travers ce cheminement – car, lui, accepte de cheminer – il vit la relation.

Le précédent Rôshi avec lequel j'étais en contact, Soshu Rôshi, décédé il y 10 ans, avait certainement une relation avec le divin, au point que, lorsque j’étais avec lui, j’avais envie de prier. Il me disait à chaque fois : « Au fond, ce qui est important, c’est de découvrir et de libérer la source intérieure ».

Il est évident qu’ils vivent une relation, au Bouddha en particulier. Cette relation est extrêmement forte, plus que nous. La relation de maître à disciple existe aussi. Je pense toutefois que pour eux elle fait partie de notre monde relatif.  Cela dit, la relation que j’ai avec le Rôshi, avec les moines est étonnante. Ils m’ouvrent les bras quand j’arrive au monastère.

 

Dans le zen rinzaï, pendant le sesshin, le Rôshi vous reçoit obligatoirement trois fois : au début, au milieu et à la fin. Les autres jours, c’est libre, on peut y aller matin et soir, on appelle cette entrevue un dokusan. Quand c'est moi qui anime un sesshin, j’assure aussi des entretiens, mais, comme je ne suis pas rôshi, je ne les appelle pas dokusan. Ils sont obligatoires au début et à la fin. Les participants sont habitués. Je les reçois individuellement. Cela leur permet d’exprimer les difficultés rencontrées, les problèmes qui se posent à eux … Parfois, cela dure une demi-heure, parfois plus, parfois moins. L’entretien est donc très important.

Les sesshins de sept jours avec le Rôshi sont très intensifs. Un état de disponibilité est créé. Tout le monde vient à la messe que je célèbre le dernier jour. Ce sont les messes les plus fortes que j’ai vécues. Quelque chose se passe et, extraordinaire, pas besoin de préparer à l’avance, les gens sont en état de disponibilité. Il y a une écoute très grande, même de la part des non-chrétiens. Et je crois que le Christ se rend réellement présent. Une fois même en sortant le Rôshi m’a dit : « Ah ! L’Esprit Saint a soufflé », tellement il était pris.

Certains chrétiens retrouvent le chemin de l’Église[4]. Ils s’ouvrent à la réalité, alors qu’ils avaient le souvenir de messes ennuyeuses. Le travail du zen a permis de décanter, de se mettre en position d’ouverture.

 

Quand j'anime un sesshin, une part importante de mon travail consiste à faire entrer les personnes dans une relation plus profonde à travers l’enseignement des symboles.

  • Un premier point concerne le souffle, n’est-il pas le grand symbole de l’Esprit ? – « Quand vous respirez, c’est le souffle qui respire en vous.» – J’insiste sur l’importance de sentir ce mouvement dans la méditation zazen.
  • Un deuxième point sur lequel j’insiste porte sur les attitudes : Qu’est-ce qu’expirer ? Qu’est-ce que lâcher prise ? Qu’est-ce que l’accueil ?
  • Troisième point : l’attention. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? J’insiste aussi pour faire découvrir la vigilance chrétienne.

Un autre aspect de l’enseignement consiste à aborder de grands thèmes, comme celui de la mort, de la souffrance, de la vie…

Dans mes enseignements, je travaille beaucoup sur l’ouverture : apprendre à ouvrir le cœur, l’esprit. Pour moi, le chemin spirituel est essentiellement un chemin d’ouverture. J’essaie de parler au cœur pour aider chacun à avancer, à progresser. Là, je me sens vraiment prêtre, le porte-parole d’une Réalité qui me dépasse. Moi aussi je chemine. Ma propre quête cherche à aider les gens à découvrir la vérité sur eux-mêmes, à découvrir ce qui a un sens pour eux.

 

[2] En fait Eizan Rôshi est venu une fois par an jusqu'en 2006, puis à partir de 2012 il a envoyé l'un de ses disciples, Ryôsan pour animer le sesshin de fin d'été (sauf en 2020 et 2021 à cause du virus). Cf. Les relations entre Eizan Rôshi du Ryutakuji et le centre Assise de 1986 à 2018

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