L'enfant, la mort et l'au-delà. Entretien avec François Bousquet
En ce temps qui précède la Toussaint, on aborde assez facilement le thème de la mort, et on parle alors de la résurrection, mais c'est un discours risqué, et il est bon d'avoir des repères.
Voici un entretien avec François Bousquet réalisé par Yves de Gentil-Baichis et publiée sur La Croix du 25 octobre 1996.
Mgr François Bousquet est l'un des référents du centre Assise, il représentait le diocèse de Pontoise lors de la dernière visite canonique qui a eu lieu récemment, les 27-28 septembre 2024.
L'enfant, la mort et l'au-delà. "
Entretien avec François Bousquet
La résurrection n'efface pas le caractère absurde de la mort " Un discours trop pressé de consoler risque de court-circuiter le scandale de la mort. Mais les chrétiens croient que la mort n'a pas le dernier mot.
► En présence d'une famille qui vient de perdre un être cher, certains chrétiens évoquent tout de suite la résurrection. Est-ce le meilleur moyen de l'apaiser ?
François Bousquet : Je voudrais d'abord dénoncer quelques sottises du genre "Dieu aime ceux qu'il éprouve". Cette formule est catastrophique car elle présente Dieu comme un pervers qui tiendrait dans ses mains la vie et la mort et choisirait de faire mourir tel ou tel.
Quant à la résurrection, elle fait partie de notre espérance fondamentale et si on enlève aux chrétiens cette foi en une vie avec Dieu après la mort, ils n'ont plus de raison d'être. Mais parler de résurrection à une famille qui perd l'un des siens ne doit pas être une affirmation incantatoire qui effacerait magiquement le caractère absurde de la mort.
► Alors que doit faire et dire le chrétien dans ces circonstances ?
F B : Pour moi, témoigner de la résurrection ne passe pas par des mots mais par une attitude : dans la peine, on se tient auprès de ceux qui souffrent. La proximité bienveillante de Dieu envers les hommes et les femmes éprouvés se manifeste d'abord par la solidarité avec les personnes meurtries.
► Dans le film Ponette, la petite fille qui a perdu sa mère pense que, si sa maman est ressuscitée, comme le dit sa tante, elle devrait lui parler. Et cette attente n'est pas propre aux enfants car, après certains deuils, des adultes pensent que leurs morts vont se manifester à eux. Bien sûr ils sont très déçus de voir qu'il n'en est rien.
F B : La rupture de la communication constitue la manifestation la plus scandaleuse de la mort : celui qui est décédé ne communique plus avec les vivants. Aussi je crains qu'un discours chrétien, pressé de consoler, ne court-circuite le scandale et l'absurdité de la mort en annonçant qu'en fin de compte, tout se finit bien dans une autre vie. Parfois on veut donner trop vite un sens positif à ce qui est absurde. Or, si la mort a des causes, elle n'a aucune signification qui permette de la valoriser, et la mort du Christ sur la croix, comme la mort de tout innocent, est scandaleuse.
Quand un enfant disparaît, surgit une question inévitable : où donc est Dieu ? Mais la foi chrétienne nous révèle, par la croix du Christ, à quel point Dieu fait corps avec l'innocent qui meurt et avec l'homme qui souffre. Quand Jésus meurt, Dieu n'est pas au balcon pour regarder le spectacle de loin. Lui-même est totalement impliqué dans cette mort.
► Certains se raccrochent à des images empruntées au cycle de la nature pour évoquer le passage de la mort à une vie nouvelle. Mais l'espérance chrétienne en la résurrection ne s'appuie sur aucune expérience sensible.
F B : Oui, on entend des formules du genre "après l'hiver arrive le printemps", "la chrysalide devient papillon", celui qui meurt "retourne à la terre pour nourrir les fleurs"... Du paganisme à l'état pur. En invoquant les explications naturelles telles que la réincarnation ou le retour au grand cycle de la nature, on se prémunit à bon compte contre le tragique de la disparition des proches mais on ne saisit pas la force de la victoire sur la mort manifestée par Dieu. Ces images nous empêchent de mesurer à quel point Dieu lui-même était concerné par cette épreuve, avec nous et pour nous, quand le Christ mourait sur la croix. Car Jésus n'est pas venu changer notre idée sur la mort, ni apprivoiser une réalité qui fait peur. Il a voulu nous sauver.
Croire que la mort n'a pas le dernier mot ne s'appuie sur aucune expérience humaine. Une seule certitude : Dieu nous a dit que nous vivrons avec lui et il ne renie pas sa parole. Seule sa promesse nous permet d'affronter la mort car nous savons, grâce à lui, qu'il s'agit d'une traversée, non d'un point final.