Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 104 081
Archives
11 novembre 2024

Les thérapeutes d'Alexandrie présentés par Jean-Yves Leloup

Selon Philon, « on les appelle thérapeutes soit parce qu'ils font profession d'une médecine supérieure à celle qui a cours dans nos cités, celle-ci ne guérit que le corps tandis que la leur soigne aussi le psychisme en proie à ces maladies graves et rebelles que sont les voluptés, les désirs, la tristesse, les phobies, les envies… ; soit parce qu'ils ont appris par l'étude de la nature et des saintes lois à prendre soin de l'Être, qui est meilleur que le bien, plus pur que l'Un, antérieur à la monade.»

L'article précédent du blog portait sur le travail de thérapie initiatique selon Graf Dürckheim. Voici un article qui nous présente les thérapeutes d'Alexandrie. La référence est ici le livre De la Vie contemplative écrit par Philon, un philosophe juif de culture grecque qui vivait à Alexandrie au début de l'ère chrétienne. Ce livre a sans doute inspiré les Pères du désert.

On trouve une traduction de ce livre sur internet (remacle.org/philon/contemplative). Jean-Yves Leloup l'a traduit et commenté dans Prendre soin de l’Être paru aux Éd. Albin Michel en 1999. Chez le même éditeur, il a publié en 2015 La Sagesse qui guérit où il poursuit ses réflexions sur les Thérapeutes d'Alexandrie, il y a d'ailleurs tout un chapitre sur "L’école de Todtmoos-Rütte" fondée par Graf Dürckheim et Maria Hippius que Jean-Yves Leloup connaît.

Dans divers endroits il a présenté les thérapeutes d'Alexandrie d'une façon plus ramassée, que dans ses livres, c'est le texte qui figure ici. Il se trouve dans plusieurs recueils publiés par "Terre du ciel", par exemple dans Santé globale, médecine plurielle, Ed. Jouvence 2008. Il est également sur internet, en plusieurs endroits (par ex. sur les-therapeutes-dalexandrie-terre-du-ciel).

 

 

Les thérapeutes d'Alexandrie

 

Jean-Yves Leloup

 

 

Il n'est pas inutile de s'intéresser aux thérapeutes d'Alexandrie, ces hommes et ces femmes du premier siècle de notre ère, pour nous aider à clarifier ce que l'on met derrière ce mot de thérapeute.

 

Qu'est-ce qu'un thérapeute ?

Le mot thérapeute, en grec, signifie d'abord soigner, prendre soin. Le thérapeute ne guérit pas, il soigne. C'est la nature qui guérit, et c'est la Vie qui guérit. Le rôle du thérapeute est de créer ou de permettre les meilleures conditions pour que la guérison puisse advenir. Le thérapeute ne guérit pas mais il crée le lieu, le milieu, l'atmosphère, les conditions favorables pour que la guérison ait lieu. Le Médecin, au sens majuscule du terme, c'est la nature, et le thérapeute est là pour collaborer avec elle. Le thérapeute ne guérit pas, il "prend soin".

 

Le thérapeute est un cuisinier.

Philon cite souvent le Gorgias de Platon où le thérapeute apparaît comme celui qui sait faire la cuisine. Le thérapeutès somatos est un cuisinier. Chez les thérapeutes, le premier soin du corps était de "soigner sa nourriture". On sait d'après Philon que cette nourriture était extrêmement simple : beaucoup de céréales, de l'eau pure, du sel, quelques condiments. En fait il ne donne pas beaucoup de détails ; la thérapie ce n'est pas tant la nourriture que l'on mange que la façon dont on la mange – la façon dont on la prépare. Je pense souvent à un ami qui, lorsque je lui demandais : « qu'est-ce que tu aimes ? Quel genre de soupe aimes-tu ? », Répondait : « La soupe, je l'aime quand elle est chaude et qu'elle est servie avec amitié. » Quand les aliments sont préparés par une personne qui a une certaine affection, amitié pour nous, ils vont avoir des effets positifs alors que, dans le cas contraire, ils peuvent nous rendre malades.

La façon de préparer les aliments fait partie de la thérapie. De même, la façon de les recevoir. On peut être végétarien dans son assiette et carnivore dans son esprit, avoir de la salade dans la bouche et du sang dans la tête. On peut ne pas arrêter de mâcher, de dévorer de la réputation du voisin, tout en mangeant des petits pois ou de la salade…

La question pour les thérapeutes peut se résumer en deux mots : consommer ou communier ? Il y a une façon de se nourrir qui est communion. On communie à travers les choses du monde, la nourriture, le paysage, avec l'Être qui fait être les choses. Chaque chose est perçue dans sa transparence et est un lieu de communion, de communication avec l'Être qui fait être ce qui est. La chute est de passer d'un état de communion à un état de consommation. On ne communie plus avec l'Être à travers les êtres, mais on consomme les êtres, on consomme les choses, on consomme la nourriture. On la consomme et on la consume, et on consume le monde.

Chez les thérapeutes, la cuisine est un lieu important. Comme dans la tradition zen le Maître n'est pas toujours celui qui est sur l'estrade en train de parler, de méditer sur les soutras. Le Maître est souvent dans la cuisine.

 

Le thérapeute est un tisserand

Chez les thérapeutes, on change de vêtements. Et cela est important. Le simple fait de changer de vêtements nous fait changer d'atmosphère, de climat ; cela modifie notre esprit. Encore aujourd'hui, au Japon, quand un chef d'entreprise rentre chez lui, il peut quitter son complet-cravate et mettre un kimono traditionnel. Changer d'habit, c'est changer d'état de conscience. Certes l'habit ne fait pas le moine, et comme on dit au mont Athos, « s'il faut cinq minutes pour changer de vêtements, il faut toute une vie pour changer de cœur ». On est bien d'accord. Cependant l'habit peut quelquefois aider le moine. Changer de toilette, de vêtement peut aider à une transformation à l'intérieur de nous. Les thérapeutes donnent quelques détails concrets. Ils mentionnent l'importance du lin, de la coupe ample des vêtements pour que l'on puisse respirer.

 

Le thérapeute prend soin des dieux.

Prendre soin des dieux, c'est prendre soin des grandes images qui nous habitent, prendre soin des archétypes. Quelle est notre image de l'homme ? Quelle est notre image de la femme ? Quelle est notre image de la santé, notre image de la sainteté ? Pour les anciens chaque dieu était un état de conscience. Les dieux étaient des façons d'extérioriser, de symboliser les plans de l'être que l'on avait à visiter à l'intérieur de soi-même. Donc, prendre soin des dieux, c'est être attentif à ces images qui nous guident, qui viennent nous visiter dans nos rêves ; ces images de la perfection, ces images qui nous inspirent.

Les dieux sont les Valeurs qui vont orienter notre désir. La maladie pour les thérapeutes vient de ce que l'on a perdu l'orientation juste de son désir. Être malade, c'est être à côté de son vrai désir, et la santé c'est être proche de son désir le plus intime, le plus essentiel. Ce n'est pas évident de découvrir notre véritable désir, de le désidentifier du désir de notre environnement, de notre père, de notre mère, de tous ceux qui ont marqué et marquent encore notre existence. Qu'est-ce que je désire vraiment ? Qu'est-ce que je veux vraiment ? Si l'on peut répondre à cette question, on ne se porte pas si mal. On va chez les thérapeutes pour arrêter de désirer du désir des autres, pour sortir des désirs de l'environnement qui nous manipule, des désirs qui dans notre inconscient agissent à notre place, ce qui nous déséquilibre, nous rend plus ou moins schizophrène, c'est-à-dire nous sépare de notre être et de notre désir essentiel. Chez les thérapeutes, il nous est offert un lieu, un espace où l'on peut se poser la question : « qu'est-ce que je désire vraiment, quelles sont les valeurs qui orientent ma vie ? »

 

Le thérapeute veille sur ses émotions.

Il veille, littéralement, sur ses pathé qui vont donner en français le mot "pathologie" et dans la tradition chrétienne le mot "passion". On est dans une démarche où il s'agit d'observer les passions, les émotions, les impulsions qui nous habitent. Pas pour les détruire, pas pour les nier, mais d'abord pour les observer et pour s'en désidentifier. Il peut y avoir de la colère en nous, mais nous ne sommes pas cette colère. Il peut y avoir de la jalousie, mais nous ne sommes pas cette jalousie. Il s'agit d'observer les émotions, les pulsions, les passions qui nous animent et qui peuvent provenir d'événements du passé qui se projettent sur le présent, et d'être libres de ces émotions, de ces pulsions, de ces passions. Le thérapeute appelle cela "soin éthique". Prendre soin de son éthique, c'est prendre soin de sa liberté, prendre soin de ce qui, en nous, est libre des émotions et des passions – c'est-à-dire prendre soin de son Être. C'est prendre soin de la liberté qui est en nous, liberté à laquelle nous ne croyons d'ailleurs plus tellement, tant nous sommes conditionnés par notre passé, nos mémoires, notre environnement, la société dans laquelle nous vivons. C'est prendre soin de ce qui en nous est inconditionné. C'est à partir de cette liberté que la guérison va peut-être pouvoir opérer.

Donc le thérapeute prend soin du désir, des valeurs qui orientent le désir, sachant que le malaise, la souffrance viennent de ce qu'on est coupé de son désir, coupé de son être essentiel. Le malheur c'est d'avoir perdu cet espace de silence et de liberté à l'intérieur de soi.

 

Peut-être vivons-nous dans l'espace-temps pas seulement pour "faire", pour produire, pour agir, mais aussi pour prendre conscience de cet espace intérieur, de cette liberté. Pour savoir qu'il y a en nous une issue à « l'être pour la mort ». Les thérapeutes disent que guérir un corps c'est bien, mais c'est guérir un corps mortel, et c'est la mort qui aura le dernier mot. Guérir un psychisme, remettre de l'ordre dans mon désir, dans mes idées, dans mes émotions, c'est très bien, mais le psychisme, comme tout ce qui est composé, sera décomposé. Il est appelé à une subsistance plus ou moins longue. Peut-être aura-t-il à subsister dans des mondes intermédiaires, mais, même là, il est toujours dans le monde du temps, pas encore dans le monde de l'éternité. Au cœur de cet "être pour la mort" que nous sommes, il faut découvrir qu'il y a aussi en nous de l'être qui n'est pas pour la mort, un être qui est non-temps, non-espace, de l'Incréé. Et c'est là qu'il faut chercher la véritable identité de l'être humain. Se connaître soi-même, c'est connaître l'Autre, l'Être qui Est et par lequel nous sommes.

 

Le thérapeute sait prier.

Prier ce n'est pas réciter des prières. C'est trouver la posture, l'attitude par laquelle on est relié à la source même de notre être. C'est l'étymologie même du mot religion : religare, être relié. Être relié à la Source, au principe même de notre être. Le thérapeute va être attentif au souffle qui anime ce corps et à la source même du souffle. Relié à cette source de vie, en résonance avec le principe de son être, il va pouvoir appeler l'énergie même du vivant sur la personne qu'il accompagne.

Le thérapeute est celui qui invoque le Nom. Dans la tradition sémite, le nom n'est pas seulement un mot. Prononcer le nom de Dieu sur quelqu'un, le nom de "Celui qui est", c'est appeler une énergie, accueillir une Présence.

Le thérapeute n'est pas celui qui récite des prières, mais celui qui, dans une certaine attitude et avec tout son être, invoque le Nom. Il appelle cette énergie pour qu'elle agisse du dedans de la personne qu'il accompagne. Pour les Anciens, on ne peut être thérapeute si on ne sait pas prier.

Le thérapeute n'est pas "neutre". Il a lui aussi un inconscient – son énergie va se communiquer à son insu à la personne qu'il accompagne. D'où l'importance de la prière. Ce qu'il va transmettre à la personne ne sera pas seulement un état de son moi, de son ego, de son ego de thérapeute, mais ce sera quelque chose de plus profond s'il est centré dans le Soi. C'est du Soi qu'il va agir. On peut dire qu'il y a un transfert d'énergie ou une transfusion de sérénité. Cette sérénité n'est pas la sérénité psychologique du thérapeute, mais la sérénité de l'Être dans laquelle le thérapeute est censé se tenir au moment de la prière. Il y a une communication d'énergie qui peut opérer. C'est un art, et il fait partie de l'art du thérapeute. L'important chez lui est non seulement sa façon d'écouter, d'interpréter les symptômes, mais sa qualité d'être. La guérison se fait d'être à être. « De mon cœur à ton cœur », disent d'autres traditions.

Si savoir ce qu'on désire, retrouver son désir le plus essentiel, le plus intime est important, il y a aussi dans l'homme un désir qu'aucune chose désirable ne peut combler. La guérison sur ce chemin – si on peut parler de guérison – est d'assumer le manque, d'accepter qu'il y ait en nous un désir qui ne sera jamais comblé. Il y a en nous un désir d'infini qui est fait pour l'infini. Et il faut cesser de demander l'infini aux êtres finis, cesser de demander à cet homme, à cette femme, d'être tout, parce qu'ils ne sont pas tout. Être adulte, c'est assumer le manque. Non pas chercher à le combler, mais savoir que, si on le comble, on risque d'être dans une illusion, et plus tard de souffrir d'amertume et de déception lorsqu'on découvrira l'illusion.

 

Quand on va voir aujourd'hui un thérapeute, on peut se demander s'il prend soin comme ceux d'Alexandrie du désir, des images, de l'être. On connaît des thérapeutes qui prennent soin de notre corps, de notre psychisme, qui seront attentifs à notre désir, et qui seront peut-être dans une attitude d'attention à l'égard de notre quête intérieure. Mais c'est rare de trouver dans un même lieu, une seule structure, des thérapeutes qui prennent soin de toutes ces dimensions. C'est rare de trouver un lieu où l'organisation des journées, l'organisation des bâtiments, etc. soient conçues pour une prise en compte de toutes les composantes de l'être.

Avec les thérapeutes d'Alexandrie nous sommes en présence d'une anthropologie extrêmement riche. L'être humain n'est pas seulement un corps, pas seulement un psychisme, mais aussi un être spirituel, un désir d'autre chose que ce qui doit mourir, et le thérapeute doit prendre soin de tout cela en même temps, sinon il ne soignera pas l'homme dans son entièreté.

 

Une approche par le concret.

Nous sommes dans une vision de l'être humain abordé et écouté dans son entièreté. La façon de manger, de s'habiller, c'est du concret. En même temps, les grands archétypes, les moments de prière, c'est aussi très concret. Voici la définition que nous donne Philon de ces thérapeutes :

« L'option de ces philosophes se marque aussitôt par le nom qu'ils portent : thérapeutes est leur vrai nom. D'abord parce que la thérapeutique dont ils font profession est supérieure à celle qui a cours dans nos cités. Celle-ci ne soigne que les corps, alors que les thérapeutes soignent aussi les psychés en proie à ces maladies pénibles et difficiles à guérir que sont les plaisirs, les chagrins, les craintes, les cupidités, la bêtise, les injustices, la multitude infinie des pathologies qui s'abattent sur l'être humain. S'ils s'appellent thérapeutes, c'est aussi parce qu'ils ont reçu une formation conforme à la nature, conforme aux Écritures, et à l'écoute de l'être, c'est être qui est meilleur que le bien, plus pur que l'un, plus primordial que la monade. »

Vous remarquerez que ce sont des philosophes. Toutefois pour eux le philosophe n'est pas quelqu'un qui spécule mais quelqu'un qui se transforme. Les pseudo-philosophes sont ceux qui parlent bien, qui ont des idées sur les choses, et en mêmes temps qui sont bien loin de ce qu'ils disent. Les vrais philosophes sont ceux qui vérifient dans leur vie ce dont ils parlent. Être philosophe, c'est réduire l'écart entre ma parole et ma vie, entre ma pensée et ma parole, entre mon être et mon agir. Cette transparence est un travail de chaque instant. Le philosophe aime et recherche la sagesse, chemine vers la sagesse, ce n'est pas un sage, ce n'est pas un être arrivé, parfait. Il est en chemin vers son entièreté, vers l'intégration de tous ses composantes.

 

Ce mot philosophe nous indique aussi que la thérapie est une voie de connaissance, une gnose. La cause de la maladie est fondamentalement l'ignorance, et c'est pourquoi la bêtise est une maladie si grave. Quand je dis bêtise, je ne fais pas référence aux gens qui n'ont pas fait d'études, car on peut être diplômé et stupide. On connaît tous des personnes qui ont des doctorats, des agrégations et qui, dans leur vie, ne sont pas intelligents. Et, inversement, on connaît aussi tous des personnes qui ont beaucoup moins de références universitaires et sociales, et qui ont une intelligence du quotidien, qui ont le sens de la réalité des choses. Le mot vérité, alêtheia, veut dire littéralement sorti de la lethé, sorti de la léthargie. Sortir du sommeil, c'est entrer dans la vérité, c'est avoir une attitude de vigilance, d'attention à ce qui est.

La thérapie est donc une voie de connaissance. Nous avons perdu la connaissance de la réalité parce que, sur cette réalité, nous projetons sans cesse notre mémoire, notre passé, et nous ne voyons pas les choses telles qu'elles sont. Le thérapeute a pour fonction d'aider la personne souffrante à retrouver la vision juste des choses, à voir clair. Lorsque nous sommes malades et malheureux nous ne voyons pas le sens de ce qui nous arrive. On peut souffrir, on peut avoir mal, mais, si on peut donner du sens à cette souffrance, on souffre moins. À travers les expériences de la maladie, les expériences de la souffrance physique ou psychique, il peut y avoir un travail intérieur qui se fait, et cela doit être écouté et accueilli.

Le thérapeute a en lui un certain goût, une certaine saveur de l'Être. Même au cœur des situations les plus difficiles, dans les eaux les plus boueuses, il discerne la proximité de la source, la fraîcheur de la source. On va le voir pour retrouver la fraîcheur perdue du cœur intelligent, capable d'accueillir la présence de l'être en toute chose.

 

Quelle formation recevaient les thérapeutes ?

 

Leur formation est avant toute une formation à l'écoute. Le thérapeute n'est pas "un sujet supposé savoir", mais "un sujet supposé écouter", et toute sa formation va consister à apprendre à écouter.

Il va d'abord apprendre à écouter la nature, et pour cela il passera beaucoup de temps seul avec elle. Le thérapeute est un solitaire. Il doit savoir être seul car, pour pouvoir entrer en relation avec l'autre, il faut être soi-même. Dans les lieux qu'ils habitaient près du lac Mariotis, à 400-500 mètres d'altitude, on pouvait être seul dans la nature – et en même temps accompagné. Ainsi la parole dite à Abraham : « Va vers toi-même, vers le pays que je te montrerai. » Va vers toi-même, deviens ce que tu es – mais en même temps, je t'accompagne, je suis avec toi. Le thérapeute n'a pas à imposer son savoir, à plus forte raison ses croyances. Donc chacun demeure seul, et on est pourtant accompagné car, pour aller vers soi-même, on a besoin du regard de l'autre. On ne se voit pas dans ses propres yeux. Le thérapeute-miroir sera d'une qualité d'écoute capable d'entendre – au-delà des symptômes du corps, des malaises psychiques – la présence de l'Être qui se fraye un chemin à travers les méandres de l'inconscient.

Le thérapeute apprend à écouter dans la nature, il apprend à écouter le vent, la sève, le logos qui fait vibrer les mille et une choses du monde. Il apprend à écouter la nature, avant d'écouter la personne qui vient le voir.

Le thérapeute est aussi à l'écoute des Écritures, de ce que disent les sages et les prophètes dans les Textes sacrés. Ce faisant, il se rapproche de son propre inconscient. Par la méditation des Écritures nous développons une qualité d'écoute qui nous permet de mieux comprendre nos rêves. Le livre des Écritures et le livre de la nuit, c'est le même livre, ce sont les mêmes images, les mêmes symboles. Il faut apprendre ce langage des images, qui est d'ailleurs le langage le plus archaïque. L'enfant pense en images, nous rêvons en images, la Bible est un livre d'images. Écouter les Écritures nous rapproche donc de notre inconscient collectif. Pour connaître l'attention d'une personne, il faudrait connaître tous les grands archétypes qui ont structuré notre inconscient en Occident…

L'étude des Écritures nous fait entrer en résonance avec les grandes images qui ont structuré notre passé, et qui sont en nous, dans notre corps, dans nos cellules. Ces images viennent nous visiter chaque nuit. Le thérapeute écoute les rêves. Et dans ce travail sur les rêves, il y a quelque chose dont on parle peu aujourd'hui. C'est la production de rêves salutaires, positifs. Il faut se préparer au sommeil, aux rêves "enseignants". Les thérapeutes demandaient de ne pas encombrer l'esprit, de développer le calme, et alors d'interroger notre maître intérieur sur les questions qui peuvent nous agiter. Il peut nous répondre la nuit à travers un songe.

 

Dans les songes, c'est le même logos, cette intelligence créatrice qui parle dans le cosmos, qui parle dans les Écritures, qui nous parle. Philon fait bien la différence entre les songes et les rêves. Les rêves peuvent être des résidus de ce qu'on a vécu, des remontées d'un passé proche ou lointain enfoui en nous. Le songe est un message, un enseignement. Certains songes nous indiquent la voie, provoquent notre décision, ils sont thérapeutiques, c'est-à-dire nous soignent.

 

Le thérapeute prend soin de l'Être.

Le thérapeute prend aussi soin de l'Être en nous, c'est-à-dire de ce qui en nous n'est pas malade.

C'est un point intéressant. Soigner quelqu'un, ce n'est pas seulement prendre soin de sa maladie, mais aussi prendre soin de sa santé, de ce qui va bien en lui. Car c'est en s'appuyant sur ce qui va bien qu'il va pouvoir guérir. Prendre soin de l'Être, du divin en nous, va peut-être rétablir l'équilibre dans un corps désaccordé, désordonné, qui a perdu son axe et son enracinement profond.

 

Le thérapeute prend soin de la santé.

Seul ce qui est sain en nous peut nous guérir. En tout être il y a une oasis, un espace de paix, de silence et de sérénité. C'est à partir de cette dimension spirituelle de l'être humain plus profonde que sa dimension psychique et corporelle, plus ou moins perturbée, que les anciens thérapeutes "opéraient" afin d'amener dans ce corps et ce psychisme un écho de cette "paix inconditionnée" – signe serein de la Présence.

 

Commentaires