Les trois Corps du Bouddha, par Dennis GIRA
“Pour rendre compte de l’essence même du Bouddha au-delà de sa figure humaine, le Mahâyâna a élaboré la doctrine des ‘trois corps’ du Bouddha'.” nous dit Dennis Gira dans Le Bouddhisme en 50 clés.
Le bouddhisme présent aujourd'hui est pluriel, et on a coutume de le diviser entre Theravâda et Mahâyâna (qui inclut le Vajrayana ou Bouddhisme Tibétain) On sait qu'au Japon le bouddhisme est majoritairement celui du Mahâyâna, l'école zen n’étant qu’un des courants puisqu'il y a d'autres écoles sino-japonaises : Tendaï, Shingon, sectes de la Terre Pure. Or, qui va dans les temples et dans les monastères bouddhistes au Japon est frappé par la présence de tout un panthéon de bouddhas et de bodhissatvas. En effet, comme le dit Bernard Faure, spécialiste du bouddhisme, « les rituels majeurs du bouddhisme Mahâyâna - prédication, méditation, ordination et confession - sont étroitement liés à la présence des icônes et à la visualisation des buddha et des bodhisattva.[1] »
Le Theravâda (l’École des Anciens) est surtout présent en Asie du Sud-Est (Birmanie, Thaïlande, Laos, Cambodge), et là-bas, comme le dit D. Gira, c’est le ‘Bouddha historique’ Shâkyamuni qui est au centre.
Dans son livre Le Bouddhisme en 50 clés (Bayard, 2009) p. 104-105, Dennis Gira explique que c'est la théorie des trois Corps de Bouddha élaborée par le Mahâyâna qui est en partie à l'origine du panthéon du Mahâyâna. C'est le texte qui est publié ici.
En novembre un message du blog portera sur l'historicité du Bouddha Shâkyamuni qui est déjà sérieusement remise en question par le Bouddha lui-même dans le Sûtra du Lotus. Le texte sera tiré de l'excellent petit livre Idées reçues sur le bouddhisme de Bernard Faure.
La doctrine des ‘trois Corps’ du Bouddha
Dennis GIRA
« Celui qui a eu la chance de voyager dans les pays d’Asie et de visiter leurs nombreux sites bouddhiques sait que dans les temples du Theravâda (en pâli, ‘l’École des Anciens’), c’est le ‘Bouddha historique’ Shâkyamuni qui est au centre. C’est lui qui, en tant qu’homme, a trouvé la vérité, et tout homme est invité à suivre ses traces. Aucun autre bouddha n’est nécessaire ni utile. C’est pourquoi il n’y a pas de ‘panthéons’ bouddhique installés dans ces centres.
En revanche, ce sont précisément ces ‘panthéons’ qui frappent les visiteurs des temples du Mahâyâna, né cinq siècles après la disparition du ‘Bouddha historique’.
La doctrine des ‘trois corps’ du Bouddha
Comment cette différence fondamentale s’explique-t-elle ? D’abord, il faut savoir que les textes les plus anciens, tout en affirmant que le Bouddha Shâkyamuni était le bouddha pour notre monde et notre époque, reconnaissaient l’existence d’autres bouddhas : des bouddhas du passé et de l’avenir, ainsi que d’innombrables bouddhas qui ‘peuplent’ les myriades d’univers parallèles dont parle la cosmologie bouddhique. Les mahayanistes ont donc voulu comprendre ce qu’était la véritable nature du Bouddha.
Pour rendre compte de l’essence même du Bouddha au-delà de sa figure humaine, le Mahâyâna a élaboré la doctrine des ‘trois corps’ du Bouddha.
Pour rendre compte de l’essence même du Bouddha au-delà de sa figure humaine, le Mahâyâna a élaboré la doctrine des ‘trois corps’ du Bouddha.
- Shâkyamuni n’était qu’une manifestation de ce qu’on appelle ‘le corps de la loi’ (Dharmakâya), la nature parfaite et inconditionnée du Bouddha.
- Les hommes, imparfaits et conditionnés, ne peuvent y accéder qu’à travers une manifestation, une apparition, appelée le ‘corps de métamorphose’ (nirmâna-kâya).
- Enfin, un troisième corps du Bouddha, le ‘corps de jouissance’ (sambhoga-kâya), rayonnant de lumière, exprime, à travers diverses marques représentées dans l’iconographie bouddhique, le fruit des actes méritoires accomplis par un bouddha au cours de toutes ses vies antérieures.
Au-delà des divergences…
Cette théorie des ‘trois corps du Bouddha’, très complexe, a entraîné une quantité de spéculations, parfois très abstraites, sur la nature du Bouddha. Ici, pour nous, l’essentiel est de montrer comment, avec ces distinctions, les mahayanistes ont pu commencer à intégrer des ‘panthéons’ bouddhiques à leur pratique, tout en affirmant qu’ils étaient en continuité avec l’ancienne tradition dans laquelle de tels ‘panthéons’ n’ont pourtant aucun sens. C’est pourquoi on peut, par exemple, trouver de nombreux ‘temples des Mille Bouddhas’ dans les pays où le Mahâyâna est présent (y compris en France). Selon les mahayanistes, il s’agit simplement de rendre plus explicite la véritable nature du Bouddha Shâkyamuni, sans nier l’importance de son existence humaine, ni celle de ses enseignements.
Mais le bien-fondé de cette démarche n’est pas évident pour tout le monde, et surtout pas pour ‘l’École des Anciens'.
Parole à méditer
Derrière le corps humain de Shâkyamuni.
Voici un texte d'Édouard Conze, spécialiste renommé du bouddhisme, qui explique la différence entre le "corps de métamorphose" du Bouddha historique et le "corps de jouissance".
« Comme il circulait comme un être humain, Shâkyamuni naturellement ressemblait à tout être humain. Mais ce corps humain ordinaire du Bouddha (c'est le nirmâna-kâya) n'était rien d'autre qu'une manière de revêtement extérieur qui cachait et enveloppait à la fois sa vraie personnalité, et qui était tout à fait accessoire et quasi négligeable. Ce n'était nullement l'expression adéquate de l'être propre du bouddha. Caché derrière cette coquille extérieure, il y avait une autre espèce de corps (le sambhoga-kâya) différent à beaucoup d'égards de celui du commun des mortels et visible seulement à l'œil de la foi.
(Édouard Conze, Le bouddhisme dans son essence son développement, Payot (Petite Bibliothèque n° 187, première édition, 1951, p. 41)
[1] Bouddhisme, Bernard Faure, éd. Liana Levi, Paris, 1997.