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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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11 octobre 2024

Les trois corps du Christ en christianisme

Dans le dernier article du blog nous avons vu "les trois corps du Bouddha", et maintenant nous allons voir les trois corps du Christ ! Bien évidemment il n'est pas question de faire des comparaisons.

À propos du "Corps du Christ", disons en gros qu'il y a le "corps historique", le "corps eucharistique" (appelé "corps mystique" au Moyen Âge) et le corps ecclésial (appelé "corps vrai" au M. Â.). Ce sont des notions qui commencent un peu à être mises en valeur aujourd'hui.

 

 

Les trois corps du Christ

 

Déjà saint Paul disait d'une part que nous sommes le corps du Christ (1Cor 12), et d'autre part que l'Église est le corps dont le Christ est la tête. Mais une des difficultés est celle du vocabulaire. D'abord le mot "Église" tel qu'employé par Paul est à entendre au sens de "toute l'humanité convoquée", pas au sens d'une institution. Ensuite le mot "corps" a plusieurs sens.

Signalons simplement que chez saint Paul il y a deux origines différentes à l'expression "Église corps du Christ" qui se cumulent mais ne s'égalent pas, et bien souvent on ne retient que la première : 1/ une qui est liée à l'idée de "faire corps", c'est une expression qui existe dans notre langue : la diversité des membres pour l'unité d'un corps. 2/ une où le corps est mis en rapport avec la tête. Par exemple : « et lui (le Christ) est la tête du corps qui est l'Église. » (Col 1, 18), le mot "église". Cela se réfère au début de la Genèse car le premier mot de la Bible, be-reshit, en hébreu a pour racine le mot rosh (tête) et d'ailleurs Chouraqui le traduit par "en-tête".

 

On peut dire de façon schématique qu'on a une triple référence pour l’unique corps du Christ, et que le site concerné est celui de la messe.

 

1) Extrait d'un sermon de saint Augustin

Dans le sermon 272 sur les sacrements, saint Augustin s'adresse aux nouveaux baptisés. Voici un passage qui concerne la messe. Les trois "corps du Christ" sont indiqués : dans le 1° il s'agit du corps eucharistique, dans le 2° du corps historique, dans le 4° du corps ecclésial, et le 5° identifie corps eucharistique et corps ecclésial :

« 1. Ce que vous voyez sur l’autel de Dieu, c’est le pain et la coupe : c’est cela que vos yeux vous signalent. Mais ce dont votre foi veut être instruite, c’est que ce pain est le corps du Christ, que cette coupe est son sang. Cela tient à une brève formule, qui peut suffire à la foi. Mais la foi cherche à s’instruire. Car vous pourriez me dire un jour : « Vous nous avez ordonné de croire. Donnez-nous une explication qui nous fasse comprendre. »

2. En effet, chacun de nous peut avoir cette pensée : Notre Seigneur Jésus Christ, nous savons d’où il tient sa chair, de la Vierge Marie. Enfant, il a été allaité, nourri, il a grandi, il est parvenu à l’état d’homme jeune. Il est mort sur la croix, puis il en a été détaché pour être enseveli. Il est ressuscité le troisième jour, et Il est monté au ciel le jour qu’il a voulu. C’est au ciel qu’il a élevé son corps, c’est de là qu’il viendra juger les vivants et les morts, c’est là qu’il réside présentement à la droite du Père. Alors, comment ce pain est-il son corps, et cette coupe, ou plutôt son contenu, peut-il être son sang ?

3. Mes frères, c’est cela que l’on appelle des sacrements : ils montrent une réalité, et en font comprendre une autre. Ce que nous voyons est une apparence corporelle, tandis que ce que nous comprenons est un fruit spirituel.

4. Si vous voulez comprendre ce qu’est le corps du Christ, écoutez l’Apôtre, qui dit aux fidèles : 'Vous êtes le corps du Christ, et chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce corps' (1 Co 12,17). Donc, si c’est vous qui êtes le corps du Christ et ses membres, c’est votre mystère qui se trouve sur la table du Seigneur, et c’est votre mystère que vous recevez. A cela, que vous êtes, vous répondez : "Amen", et par cette réponse, vous y souscrivez. On vous dit : "Le corps du Christ", et vous répondez "Amen". Soyez donc membres du corps du Christ, pour que cet Amen soit véridique.

5. Pourquoi donc le corps est-il dans le pain ? Ici encore, ne disons rien de nous-mêmes, écoutons encore l’Apôtre qui, en parlant de ce sacrement, nous dit : Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps (1 Co 10,17). Comprenez cela et soyez dans la joie : unité, vérité, piété, charité ! Un seul pain : qui est ce pain unique ? Un seul corps, nous qui sommes multitude. Rappelez-vous qu’on ne fait pas du pain avec un seul grain, mais avec beaucoup. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. Voilà ce que l’Apôtre dit du pain. »

 

Précision[1]. Dans le récit de l'institution, il faut faire attention que quand Jésus dit à ses apôtres : “Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi.”… » le "ceci" de ne désigne pas le pain qu'il vient de rompre, l'accent du "ceci" n'est pas mis sur la substance, sur la corporéité, mais sur le fait de l'action qui est indiquée. En effet, dans le grec, "ceci" (touto) est un neutre, donc il ne désigne pas le pain, ou plutôt il désigne ce pain transfiguré par l'Esprit, transfiguré par la Résurrection. Si le sang indique le don de soi, le pain indique la nécessité de la solidarité dans la communauté, la nécessité d'être vraiment en action. Si bien que le mot de "corps du Christ" ne désigne pas une substance comme le pain, et jamais Paul ne pose le problème d'une transsubstantiation. Le corps ici est un nom d'action, c'est un nom de réalisation : c'est l'action qui s'est passée sur la croix qui est réactualisée ; le corps crucifié du Christ est réellement présent dans la mémoire de la communauté ; et quand la communauté se souvient, le Christ crucifié est là présent, et en même temps, c'est là qu'il ressuscite. Et alors, c'est là le lieu de la libération, le lieu de la bénédiction, le lieu de la communion. C'est ce qui permet à Paul de dire : « Vous êtes le corps du Christ ».

 

2) Les trois "corps du Christ" sont l'œuvre de l'Esprit-Saint

L’unique Corps du Christ se manifeste sous trois modalités qui font système, indissolublement, et les Pères de l’Église ont déployé la richesse de cette considération.

Et si l'on peut dire, ces trois corps sont l'œuvre de l'Esprit-Saint :

– C'est le cas pour le "corps historique" puisque le Christ est « conçu de l'Esprit-Saint… »

– C'est le cas pour le "corps eucharistique" comme le souligne la 1° épiclèse faite sur le pain et le vin : « Dieu notre Père, nous te prions : Sanctifie ces offrandes en répandant sur elles ton Esprit ; qu’elles deviennent pour nous le corps et le sang de Jésus, le Christ, notre Seigneur » (Prière Eucharistique n° 2).

– C'est le cas pour le "corps ecclésial" comme le souligne la 2°épiclèse faite sur l’assemblée (sur l’Église) : « Humblement, nous te demandons qu’en ayant part au corps et au sang du Christ, nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps » (PE n° 2).

 

2) Les trois corps selon Guillaume de Saint-Thierry (XI°-XII° siècles) :

« Chaque fois que le prudent lecteur trouvera dans les livres quelque chose concernant la chair ou le corps du Dieu Jésus, qu’il ait recours à cette triple définition de sa chair ou de son corps, telle que je ne l’ai pas trouvée dans ma présomption ni forgée par mon sens propre, mais telle que je l’ai tirée des sentences des Pères… Il faut en effet se représenter

autrement cette chair ou ce corps qui pendit au bois et est sacrifié sur l’autel,

autrement sa chair ou son corps qui est Vie demeurant en celui qui l’a mangé,

autrement enfin sa chair ou son corps, qui est l’Église : car l’Église est dite la chair du Christ… […]

Cette trinité du Corps du Seigneur ne doit pas être comprise autrement que comme le Corps lui-même du Seigneur, considéré soit selon l’essence, soit selon l’unité, soit selon l’effet. Car le Corps du Christ pour autant qu’il est en lui, se livre à tous en nourriture de vie éternelle, et il fait que ceux qui le reçoivent fidèlement vivent en unité avec lui, et par l’amour spirituel et par le partage de sa propre nature, à lui qui est la Tête du Corps de l’Église. »[2]

 

4) Les trois corps selon Bernard Sesboüé, Comprendre l’eucharistie. Salvator, 2020,

p. 50. « Il y a trois modalités d’expression et de réalité du Corps du Christ ou trois formes du corps du Christ :

  • le corps historique de Jésus, c’est-à-dire le corps physique du Jésus pré-pascal, né de la Vierge Marie, mort sur la croix et qui est désormais ressuscité.
  • Le "corps eucharistique" du Christ, corps sacramentel dont le mode d’être est original par rapport au corps historique et qui ne s’identifie pas immédiatement à lui. Cette époque parle à son sujet de "corps mystique".
  • Enfin le "corps ecclésial" du Christ, celui du Christ total, qui est fait de tous ceux qui participent au même pain. Ce corps est appelé le "corps vrai". Car la construction de ce corps ecclésial est le but et le terme de toute l’économie du salut… »

p. 54 « Le problème est de rendre compte à la fois de cette distinction et de l’unité entre ces trois ‘’modalités’’ de l’unique corps du Christ. Le sens de cette trilogie est de souligner l’organicité du mystère qui va de l’incarnation au salut de toute l’Église (et de l’humanité en elle), via la célébration eucharistique »

p. 96. « La visée ultime de l’Eucharistie n’est pas le changement du pain et du vin au corps et au sang du Christ, mais l’accès de toute l’assemblée au statut de corps du Christ par le don de l’Esprit »

 

5) Du corps historique au corps ecclésial moyennant le corps eucharistique : trajet mis en œuvre dans la Prière Eucharistique. Par Louis-Marie Chauvet

(Ce texte est tiré de la 3° homélie-enseignement donnée en 2023, publiée sur La Prière eucharistique, vous l'avez en plus développé dans son dernier livre La messe autrement dit, Salvator 2023, p.81-95)

 

Une prière eucharistique, puis-je dire en un raccourci extrême, se compose de deux mouvements en trois parties. Deux mouvements dans l’espace : ascendant et descendant (« pour ta gloire et pour notre salut »), soit : une action de grâce et une supplication. Et trois parties dans le temps : passé, présent, avenir. Évidemment, il faut que je m’explique !

L’englobant de tout l’ensemble est l’action de grâce, expression que justement signifie le terme d’« eucharistie ». Tel est en effet le programme qui est donné à l’Église (le « nous » que forme l’assemblée présente, ainsi que je l’ai souligné dans la première homélie-enseignement) et qui déclenche la prière : « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu ». Voilà donc ce qui traverse tout l’ensemble. Effectivement, de manière tout à fait logique, la prière s’arrête lorsque ce programme est déclaré réalisé dans la doxologie (louange) finale : « Par lui, avec lui…. Tout honneur et toute gloire ».

 

Le don du Christ au passé : son "corps historique"

Cette action de grâce se déploie particulièrement dans la première partie, celle qui recouvre ce qu’on appelle la « Préface » et le point culminant de celle-ci qu’est le Sanctus, et qui continue parfois après (comme notamment dans notre longue PE n° 4). L’objet ou la matière de cette action de grâce est au passé. L’Église rend grâce à Dieu pour l’univers qu’il a créé en vue d’en faire don à l’homme, et surtout pour la longue histoire que nous raconte la Bible, histoire appelée à juste titre « histoire du salut ». Évidemment, cette histoire est résumée de manière hyper concentrée. Tellement concentrée même que l’on se contente bien souvent de ne focaliser l’attention que sur Jésus le Christ et même uniquement sur sa mort et sa résurrection… Si bien que l’on peut synthétiser l’objet de l’action de grâce dans le don que Dieu a fait aux hommes de son Fils Jésus, don qui culmine dans la livraison par ce dernier de sa propre vie en faveur de tous les hommes et dans l’approbation par Dieu le Père de cette livraison motivée par l’amour, approbation que signifie la résurrection de Jésus. Ainsi, l’objet de notre action de grâce, c’est le don de Jésus. Pour une raison que vous allez comprendre rapidement par la suite, je nomme cet objet : le don du Christ en son corps historique (je souligne ces deux derniers mots).

 

Le don du Christ au présent : son "corps eucharistique"

Mais cela, c’est du passé. Or ce passé ne nous concernerait aucunement s’il ne pouvait être actualisé… Raison pour laquelle nous demandons à Dieu de nous rendre présent ce passé. Telle est la visée de la deuxième partie, celle qui, après le Sanctus, s’étend depuis la première « épiclèse » (la demande de l’Esprit Saint pour la sanctification du pain et du vin) jusqu’à l’acclamation de l’anamnèse (la mémoire de la mort et de la résurrection de Jésus). Mais l’histoire ne se répète pas. Ce qui est passé est passé. On ne peut revenir en arrière. C’est donc sous un autre mode que le mode historique que le passé dont on vient de rendre grâce peut nous advenir au présent (et, ajouterais-je, en présent). Cet autre mode est celui du sacrement de l’eucharistie. L’Église demande donc à Dieu d’envoyer l’Esprit Saint, le même que celui qui a donné corps historique à son Fils Jésus en Marie, sur le pain et le vin pour en faire le corps et le sang de celui-ci. L’objet de cette seconde partie peut donc se résumer dans le don du Christ comme corps eucharistique.

 

Le don du Christ en devenir : son "corps ecclésial"

Mais la PE ne s’arrête pas là. Cela signifie que sa visée n’est pas simplement de réaliser la consécration du pain et du vin. Il s’agit, moyennant la communion au corps eucharistique du Christ de devenir, comme le dit saint Paul, son « corps ecclésial », dès maintenant dans notre histoire et « jusqu’aux siècles des siècles » … La troisième partie nous tourne donc vers l’avenir. Elle commence avec la seconde épiclèse (« qu’en ayant part au corps et au sang du Christ nous soyons rassemblés par l’Esprit Saint en un seul corps ») et se termine par la prière de demande de la vie éternelle… Son objet est donc de demander à Dieu que l’Esprit Saint, moyennant la communion au corps eucharistique du Christ qu’il a réalisé, nous fasse devenir le corps ecclésial de ce même Christ (son corps d’humanité), dès maintenant et jusqu’à l’accomplissement final dans le Royaume achevé.

 

Tel est donc le parcours que nous fait faire la prière eucharistique : une action de grâce pour le don de Dieu, don sous le triple mode du corps historique du Christ, de son corps eucharistique en vue de devenir son corps ecclésial.

(…)

Double est cette prière dite d’épiclèse : avant et après le récit la dernière Cène. Dans les deux cas, l’Église demande à Dieu le Père d’envoyer l’Esprit-Saint :

  • pour sanctifier le pain et le vin, dans la première ;
  • pour sanctifier l’assemblée dans la seconde.

Ce point est évidemment très important, puisqu’il nous signifie deux choses.

          - D’abord, il nous signifie que l’Église assemblée ne peut réaliser, à travers le prêtre qui la préside au nom du Christ, le corps et le sang du Christ que moyennant l’action de l’Esprit Saint. Le corps eucharistique du Christ n’est donc pas un corps physique qui demeurerait caché (comme, me semble-t-il, trop de chrétiens semblent se le représenter), mais qu’il est, comme le dit saint Paul à propos du Christ ressuscité, un « corps spirituel », un corps réalisé par l’Esprit Saint. Cela n’enlève évidemment rien à la réalité de sa présence. La présence du Christ dans l’eucharistie est une présence bien réelle, mais cette réalité est « sacramentelle » et « spirituelle », et non pas physique évidemment.

          - Ensuite, cette double invocation de l’Esprit Saint nous signifie que si le Christ se donne en son corps eucharistique ce n’est pas pour être adoré (même si, bien sûr, son adoration n’est pas exclue), mais pour être mangé. C’est en vue de la communion, communion qui vise elle-même la réalisation de son corps ecclésial que le Christ se donne. »

 

[1] Ceci est extrait d'un enseignement oral de Joseph Pierron, prêtre des Missions Étrangères et professeur d'Écritures Saintes. Il est décédé en 1999. Joseph parlait sans notes.

[2] Guillaume de Saint-Thierry (XII° siècle), Sur le sacrement de l’Autel, ch. 12 (PL 180, 361-362) in Catholicisme, Les aspects sociaux du dogme, Œuvres complètes VII, pp. 345-346, Cerf, Paris, 2003

 

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