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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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3 février 2018

Les textes sacrés nous parlent-ils ? Par Ghislaine Régent

Comment lire un texte sacré alors que toute l'éducation reçue nous impose des présupposés de lecture ? Voici le témoignage de Ghislaine Régent paru dans la Voix d'Assise n° 20 de juillet 2002, le bulletin de liaison interne au centre Assise.

Publier sa démarche, au-delà de l'intérêt qu'elle présente, est l'occasion de lui rendre hommage. Elle a pris en charge pendant des années (jusqu'en 2010) les bulletins de la Voix d'Assise. Faire ce blog des Voies d'Assise est rendu en partie possible parce que patiemment Ghislaine a recueilli et publié des échos, témoignages de ce qui se vivait au centre Assise. Qu'elle en soit remerciée. Merci aussi à son mari Léon qui a été président d'Assise pendant plusieurs années et qui a fourni des documents et des photos pour ce blog.

 

Comme un souffle fragile
ta parole se donne
comme une rose d'argile
ton amour nous façonne.

Les textes sacrés nous parlent-ils ?

 

Ghislaine Régent en 2004Bien des fois je l'ai lu ou entendu dire : se réclamer d'une tradition religieuse implique d'en connaître les textes fondateurs et de les "fréquenter" régulièrement : ils éclairent le sens de la vie, aident à progresser sur le chemin spirituel. Sur le principe, j'ai toujours été d'accord. Mais, dans la pratique, ma fréquentation des "textes sacrés" est restée longtemps plus que déficiente.

 

Vérité imposée, parole muselée

 

Toute mon enfance et ma jeunesse ont été imprégnées de culture et de langage religieux. Mon horizon, l'air que je respirais étaient chrétiens. J'étais cernée de tous côtés (famille, école, amis…) par une vision du monde, une manière de vivre et de penser qui reposaient sur notre foi catholique. Celle-ci allait de soi. Le doute et le questionnement étaient impensables, sinon interdits. Du moins je le percevais ainsi. Soumise et scrupuleuse, je ne me serais jamais permis de contester ce qui m'était présenté comme la seule vérité. Cette vérité, me disait-on, était la Parole même de Dieu, révélée une fois pour toutes dans l'Écriture Sainte, la Bible. Donc irréfutable, définitivement close. L'expression "parole d'évangile" ne désigne-t-elle pas une chose sûre qu'il faut admettre sans réserve ?

Les textes sacrés étaient intouchables comme les "vases sacrés" (les calices), que l'on n'avait pas le droit de toucher sans autorisation spéciale, sous peine de péché mortel. A la messe, le sermon qui suivait et commentait la lecture de l'Évangile, souvent de manière abstraite et désincarnée, recueillait toujours un silence respectueusement approbateur : on ne pouvait pas contredire un prêtre, dépositaire officiel de la vérité de l'Église. La plupart du temps mon adhésion était purement formelle. En réalité, cette Parole de Dieu censée transformer ma vie ne me "parlait" guère !

Parfois, tout de même, j'étais frappée par le témoignage d'une personne qui, tombée par hasard sur une page de la Bible, avait été bouleversée, sauvée du désespoir, ou inondée d'une joie inimaginable. À moi il n'arrivait jamais rien de semblable. Au contraire, je finissais par n'éprouver qu'ennui et lassitude à force de réentendre certains "morceaux choisis" que j'avais l'impression de connaître par cœur. Au lieu d'une parole vivante, ils étaient pour moi lettre morte.

Le texte parle à un "je" qui écoute

 

Après un certain parcours, j'ai compris qu'un texte, même essentiel, ne me parlera jamais si je n'existe pas comme sujet capable de l'écouter, de l'assimiler, de se confronter à lui en toute liberté. Quand l'écoute et le regard ont été racornis, atrophiés par trop de prescriptions et d'interdits, quand ils n'ont pas été stimulés ni encouragés à s'ouvrir, il est clair que rien ne peut (se) passer. Pour entrer en résonance avec un texte sacré, un minimum de conscience de soi me semble nécessaire : ne serait-ce qu'un peu d'élan, de curiosité, peut-être de désir d'une rencontre.

À vingt-huit ans, grâce à un groupe que je venais de rejoindre, une "révélation" décisive allait me mettre en route : celle de l'intériorité. Pour la première fois, je découvrais en moi la réalité d'une dimension de l'être, profonde et authentique, et d'une expérience intime, personnelle, plus précieuse que tous les droits chemins tracés par d'autres.

Ce fut une deuxième naissance, qui eut pour effet presque immédiat que des textes bibliques "archi-connus" m'ont paru soudain vrais, d'une vérité non plus figée mais vivante, très humaine et qui, chose inédite pour moi, correspondait à ma propre existence. Ces textes sacrés, ces pages d'Évangile que je respectais mais ne pouvais considérer comme une "bonne nouvelle", je commençais à les entendre "dans ma propre langue". Des paroles du Christ telles que "Lève-toi et marche" (au paralytique), ou "Celui qui fait la vérité vient à la lumière" (à Nicodème) sont devenues des appels, des encouragements sur mon chemin. Et je comprenais peu à peu la portée immense de phrases capitales, reçues pourtant dans l'indifférence née de l'habitude : Et le Verbe s'est fait chair… Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie…

Ce n'était plus une affaire de soumission, de conformité au moule d'une vérité unique. Mais plutôt la survenue d'une attirance, d'un intérêt spontané pour des textes qui, en rejoignant ma vie, lui donnaient une valeur et la nourrissaient. C'était bon de sentir que cela se mettait à sonner vrai, à parler en moi ! N'était-ce pas, tout simplement, le signe que je commençais à vivre ?

Un tel changement se préparait sans doute secrètement depuis longtemps. Il marqua aussi le début d'une passionnante aventure…

 

"Correspondance" prolongée avec une parabole

 

Fils prodigue, icônePrès de vingt ans plus tard, j'ai "rencontré" la parabole du Fils Prodigue. Jamais elle ne m'avait réellement concernée et je ne l'aimais pas. Mais un jour, deux pages dans un livre ont soudain modifié ma perspective. Ce mauvais garçon (ainsi l'avais-je catalogué depuis mon enfance) avec lequel je n'avais rien de commun, autant que son frère aîné auquel je ne voulais pas m'identifier… tout à coup je commençais à voir en quoi leur histoire était proche de la mienne, et inversement.

Depuis quelques années l'écriture m'aidait à poursuivre mon "travail d'enfantement". Assez naturellement, le désir m'est venu d'entreprendre un voyage par l'écrit avec les deux fils et leur père, et de les suivre, plutôt de les accompagner pas à pas en laissant s'exprimer ce que le texte m'inspirait. À un rythme assez lent il est vrai, souvent interrompu, j'ai appris à me laisser surprendre par chaque phrase, chaque mot, même les plus anodins en apparence, et cela m'a entraînée bien au-delà de ce que j'aurais pu imaginer.

La Parabole est devenue un soutien privilégié, un fil conducteur sur mon chemin de libération. Avec le fils cadet, le Prodigue, elle m'aide à quitter les rivages trop connus, à dé-penser l'héritage d'une éducation restrictive en risquant une "lecture" personnelle de ce texte majeur du patrimoine chrétien. Avec le fils aîné, elle m'offre une occasion de clarifier certaines causes anciennes de ma difficulté de vivre, liées au fait que je suis, moi aussi, une fille aînée. Cette approche, plus psychologique (ou psychanalytique) que spirituelle, m'a été nécessaire, dans un premier temps, pour entrer en communication avec la Parabole. C'est d'abord à ce niveau que j'ai pu me sentir interpellée par l'histoire individuelle des deux frères, et qu'une complicité avec eux, puis une confiance ont pu grandir et, je l'espère, une écoute plus juste de ma voix intérieure.

 

Quand le texte sacré laisse entrevoir sa grandeur

 

Chemin faisant, des portes s'ouvrent sur des profondeurs inconnues. Je comprends mieux en quoi la Parabole du Prodigue, n'est pas seulement le miroir de ma petite existence, mais réellement un texte sacré. Notre compagnonnage prolongé me conduit à certains moments au seuil d'une grandeur du texte qui dépasse toute possibilité d'analyse. Est-ce l'émerveillement devant ce qui surgit sous ma plume et me semble donné par la Parabole elle-même ? S'agit-il d'une expérience propre à l'aventure de l'écriture, de l'art en général ? Suis-je en présence de l'acte créateur, inouï, mystérieux, déjà marqué du sceau de la transcendance ?

En tout cas, il s'agit d'une expérience de vie. J'en veux pour preuve ces coïncidences entre certains événements de ma vie intérieure et les passages du texte que je suis précisément en train de "visiter". Et aussi la transformation qui s'opère, le sentiment d'une liberté qui s'affirme, un lâcher-prise plus facile, une joie qui s'installe en profondeur, l'intime certitude d'être conduite dans une démarche juste.

En corrélation avec tout cela émerge l'évidence qu'un texte est sacré, non parce qu'il serait drapé dans une majesté et une vérité intangibles, mais parce qu'il est vivant, d'une Vie qui se fait proche en s'offrant à mon ouverture et à ma faim, mais aussi en se laissant toucher par mon questionnement et mon manque. Dans ce mystérieux contact, cette correspondance avec mon humanité (et tout ce qui la constitue), il devient pleinement un Texte-Parole, un verbe qui se fait chair dans mon expérience singulière.

Aujourd'hui, un certain nettoyage psychique étant bien engagé par le travail d'écriture, je peux m'intéresser davantage à cette mystérieuse grandeur du texte sacré. Tenter de dé-couvrir ce que (me) dit la Parole de Dieu, au-delà des représentations fausses ou réductrices qui, en la rendant intouchable, m'ont empêchée d'être touchée par elle. Et peut-être, vivre une rencontre avec Celui qui (me) parle, dans la Parabole et dans n'importe quel autre texte de l'Écriture.

 

Une tonalité propre à chaque "rencontre"

 

Bien sûr, le lieu, le temps, les modalités de cette rencontre sont particuliers à chacun. Il existe de nombreuses voies pour s'y préparer. Pour certaines personnes, "vierges" de toute (dé)formation religieuse, le contact peut se faire d'emblée d'une manière intense. Pour d'autres comme moi, il faut un long et patient déconditionnement avant que l'écoute vraie soit possible. Pour les uns, la réceptivité est meilleure dans l'échange au sein d'un groupe. Personnellement, j'ai préféré jusqu'à présent le tête-à-tête dans le silence et le retrait. Je m'y sens plus libre, moins distraite ou influencée par le regard d'autrui. Mais rien n'est défini une fois pour toutes !

La relation unique de chacun d'entre nous aux textes sacrés peut devenir une véritable histoire d'amour. À deux conditions au moins, cependant : que nous puissions la vivre avec une totale liberté intérieure, et qu'elle soit conduite, pulsée par un élan profond de notre être.

 

Ghislaine Régent

 

 

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