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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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6 septembre 2018

Psychique et spirituel, article de Benoît Bourguignon paru dans le bulletin de la Voix d'Assise d'avril 2016

Voix d'Assise n° 57Comme le disait Jacques Breton, le fondateur du Centre Assise, « l'homme est un tout : il n'y a pas d'un côté le corps, de l'autre le psychique et d'un autre encore le spirituel. » Un des problèmes est que tout le monde ne met pas la même chose sous ces trois mots : corps, psychê (âme, cœur…) et esprit, en particulier pour beaucoup d'entre nous  la distinction entre psychique et spirituel n'est pas claire !

Un message a déjà traité du "spirituel", c'est Jacques Breton qui avait la parole : Que veut dire qu'Assise est un centre "spirituel" ? Dans le présent message c'est Benoît Bourguignon, l'actuel président du Centre Assise qui essaie de mettre en mots ce qu'il entend par "psychique" et par "spirituel". Psychanalyste exerçant en Belgique, il participe à différentes activités du Centre, en particulier comme il le dit lui-même, il participe à l'assise zen qui est l'un des trois piliers du Centre (cf. Accueil du blog Voies d'Assise). Cet article est paru dans La Voix d'Assise n° 57 (avril 2016) qui est le dernier numéro du bulletin interne au centre Assise, la parution du numéro suivant étant reportée à plus tard... Les titres ont été ajoutés pour parution sur le blog.

 

 

 

 

 

Psychique et spirituel

Benoît Bourguignon

 

Mes pas m'ont mené à devenir psychanalyste parce que, depuis longtemps, j'ai été travaillé intérieurement par un questionnement sur ce qui m'habitait, sur ce que j'éprouvais. On ne devient pas psy pour rien ! Au fils de ce parcours, mon expérience de la foi était fréquemment balayée par les « bonnes raisons » de croire rencontrées dans les découvertes que je faisais sur moi-même. Cet antagonisme était douloureux, comme deux dimensions de mon expérience intérieure s'excluant l'une l'autre. Depuis quelques années, il en va autrement et j'en suis très heureux. Je ne pourrais vous expliquer comment ça s'est passé ; c'est probablement le fruit de tout un processus de maturation intérieure où l'assise occupe, je le sais, une place importante.

 

La dimension psychique de notre être

 

Je vais commencer par quelques réflexions sur la dimension psychique de notre être, celle où me viennent plus facilement les mots pour la décrire.

L'être humain n'arrive pas à la naissance avec un psychisme tout développé, cela va de soi. N'étant au départ qu'un magma d'explosions pulsionnelles et de bombardements sensori-moteurs déjà dans la vie intra-utérine, le psychisme proprement dit va se développer dans un bain de soins et d'amour après la venue au monde, à la lumière. Cette rencontre avec le monde extérieur prend forme dans l'investissement et l'attention d'une personne secourable, généralement la mère, mais aussi le père, qui, par leur amour, vont essayer de pressentir les besoins vitaux du tout petit et d'y répondre au plus près. Le psychisme naît dans le lien à l'autre parlant et au corps parlé, ses deux appuis. Alors que cette période de la vie nous a fait les plus fortes impressions parce que nous sommes alors à la fois hyper curieux et hyper vulnérables, nous n'en aurons aucun souvenir conscient. Mais les traces restent là, dans le corps, dans le psychisme, deux voies privilégiées pour la rencontre ultérieure d'un adulte avec l'enfant qu'il a été et qui reste vivant en lui. Nous sommes tout ce que nous avons été.

 

Le développement psychique a été exploré et conceptualisé sur différents versants : sensori-moteur, cognitif, affectif, neuronal… C'est la dynamique du développement psychoaffectif qui est particulièrement visée par la psychanalyse. Le magma initial de sensations et de mouvements du tout petit va s'organiser et se coordonner peu à peu sous l'égide du développement du Moi.

Le Moi, dit Freud, est avant tout un moi corporel. Il est chevillé dans l'expérience de la rencontre avec le monde extérieur (sa beauté, ses stimulations mais aussi parfois ses effractions) d'un côté et, avec ce qui surgit de l'intérieur du corps (les pulsions, les fantasmes, issu du Ça) de l'autre côté. Il a pour vocation de concilier, de mettre en lien, de faire cohabiter ce qui vient de l'extérieur et ce qui vient de l'intérieur. À cette occasion, le Moi devra bien refouler quelques désirs inconciliables et parfois, effracté par ce qui lui arrive de l'extérieur, il devra même se cliver, se couper d'une partie de lui-même pour survivre à une expérience traumatique. Pour compléter le tableau, je dois bien évoquer aussi le Surmoi, l'idéal du Moi et le Moi-idéal mais, je ne les développerai pas ici.

 

Le Moi est habité par des sensations perçues, des sentiments, des images, des pensées, des idées qui le traversent et correspondent à des niveaux de symbolisation différents, du moins élaboré (sensations perçues) au plus élaboré (enchaînement d'idées). C'est ce à quoi nous avons accès lorsque nous cherchons à prendre conscience de ce que nous vivons grâce à une cette capacité réflexive qui est le propre de l'homme.

Le Moi est donc un organe de synthèse. D'un côté, il est tourné vers le monde extérieur, vers la rencontre avec celui-ci via les perceptions et les organes des sens, et d'un autre côté il reçoit ce qui vient de l'intérieur sous la forme d'images, de pensées, de fantasmes, de motions pulsionnelles. Il lui faut concilier tout ce qui lui arrive ! Et il ne peut se protéger de ce qui remonte de l'intérieur car là, la fuite est impossible. Le refoulement de désirs inconciliables et de sensations brutes impensables correspond donc bien à un mécanisme inévitable, une nécessité. Mais l'important c'est de savoir que ces événements n'en finiront pas de pousser pour revenir dans le Moi. En effet, l'expérience refoulée ou expulsée comme un corps étranger, seule solution pour un psychisme qui ne pouvait l'assimiler, va chercher à revenir pour trouver une place d'hôte là où elle est née, là où elle a surgi un jour. Ce retour peut prendre la forme de sensations ressenties comme incompréhensibles, de fantasmes bizarres, d'un acte manqué ou encore de situations qui se répètent.

    

Rencontrer ce qui peut surgir à l'intérieur de nous-mêmes.

Nous avons peur de ce qui peut surgir à l'intérieur de nous-mêmes. Ce qui fait retour – sensations, images, fantasmes – revient sous une forme éloignée de l'expérience qui a fait problème, souvent méconnaissable telle quelle, reliée à elle par de petits détails. Ces situations sont alors ressenties comme dangereuses, et elles nous feront peur tant que nous n'aurons pas pu les rencontrer, en comprendre un tant soit peu le sens.

Je parle de "rencontre" car nous savons par expérience qu'un savoir intellectuel sur nous-mêmes peut porter des fruits, certes, mais pas dans la profondeur. Ici, il s'agit d'une rencontre avec soi qui passe par une rencontre avec un autre, par le corps et/ou par la parole, dans une recherche partagée de parole vraie sur ce qui se passe, ce qui est ressenti, ce qui est là.

Il existe de nombreuses voies selon le média utilisé et le niveau de symbolisation mis au travail (argile, dessin, danse, toucher, psychodrame, psychothérapie etc…) en individuel ou en groupe[1]. À chacun et chacun de trouver par l'expérience celle qui lui convient en veillant toujours à l'éthique du thérapeute, une dimension capitale. Le corps, pour moi psychanalyste, il est toujours là, source de découverte, même dans la cure de parole où il n'est pas touché.

 

Différence entre Moi, petit moi et moi profond.

Face à une difficulté, le Moi tente volontiers de reprendre la main en contrôlant la situation, manœuvre souvent nécessaire et suffisante. De là à se croire aux commandes, il n'y a qu'un pas. Or, ce Moi que je transcris ici avec une majuscule en tant que concept psychanalytique, je l'ai appelé le « petit moi » lors de ma présentation. Oui, il n'y a pas d'erreur, cela tient au fait que ce Moi qui se prend généralement pour un capitaine donnant ses ordres avec un grand M est bien davantage un conciliateur de courants opposés gardant cohérence d'ensemble, et dans ce sens il est bien un « petit moi ». À un autre niveau, il est aussi un « petit moi » parce que dans l'expérience spirituelle, dans l'assise, il se découvre habité par un « moi profond » dont la rencontre a quelque chose d'indicible tant elle échappe à toute saisie. Cette rencontre-là a de quoi susciter l'effroi et/ou l'émerveillement, elle met ce « petit moi » en partage de la Vie qui le traverse.

 

 

Le versant de la rencontre spirituelle

 

Mais voici passé sur l'autre versant, celui de la rencontre spirituelle. Ici, les mots me manquent.

La pratique de l'assise quotidienne est devenue pour moi le terreau de cette rencontre – ça je peux le formuler –, l'expérience quotidienne d'un terreau fertile qui se transforme, s'affine, s'allège. C'est là que peu à peu les racines creusent et trouvent leur chemin vers la profondeur, et par là vers le ciel.

Ici, tout est paradoxe, l'Au-delà de tout se découvre au-dedans de nous, l'extérieur est à l'intérieur, et l'intérieur est à l'extérieur.

Le « petit moi » est alors appelé à lâcher prise, à se tenir dans cette simple attention à une attitude, une respiration et une tension juste, comme le dit Dürckheim[2]. Sacré programme car, ce seront parfois autant de portes entrouvertes par ces images, ces fantasmes et ces pensées qui reviennent chercher une place pour pouvoir s'intégrer en nous.

La rencontre spirituelle viendra toujours répondre à nos blessures d'enfance et de vie, en prendre soin, mais c'est autre chose lorsque, malgré moi, j'utilise cette rencontre et dimension spirituelle pour ne pas les voir. La piété se fait alors refuge, la foi devient vicariante. À ce niveau, l'assise est impitoyable car, pour autant qu'on ne la cultive pas dans une démarche de maîtrise comme cela arrive parfois, elle nous renvoie à ce que notre « petit moi » n'a pas encore pu rencontrer de ses blessures, de ses refoulements et des parts de lui dont il a dû se couper.

L'expérience de l'assise nous plonge ainsi aux portes communes de la rencontre spirituelle et de la rencontre psychique mais elles ouvrent sur des chemins qui n'en sont pas moins distincts. Progresser sur le chemin spirituel par l'assise demande un moi "fort" comme disent les psychanalystes, c'est-à-dire non pas fort en contrôle de lui-même mais, fort en souplesse et en étendue, large, capable alors d'être bousculé sans perdre son axe et son ouverture.

 

Dans la pratique répétée de l'assise, dans ce terreau, cet humus, nous vivons la découverte et l'expérience de l'humilité. Elle vient nous mettre à notre place de réceptacle de Vie et d'Amour, héritier de ce que nous en avons reçu par l'amour d'autres humains, temple de l'Esprit qui nous habite et nous anime.

 

Dans temple bouddhiste au Vietnam



[1] Par exemple  Graf Dürckheim a proposé un cheminement initiatique à partir de l'argile, du dessin, de la danse etc… Des thérapeutes formés dans son centre à Rütte en Allemagne proposent ce genre de travail au centre Assise. Voir par exemple : "Le Champ d'argile, chemin de transformation" par Bénédicte de Nazelle, suivi de témoignages et Thérapie initiatique et dessin méditatif, Marie-Aleth Lagente.

[2] La « juste tension du corps » est une expression tirée du très beau livre Sagesse et Amour (Ed. du Rocher, 2003, Ed. Alphée Monaco, 2005). Il s'agit de K Graf Dürckheim, voir note précédente et les messages de la catégorie V. Cheminement selon Graf Dürckheim

 

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