Deux témoignages d'Irina (Rencontre avec le sage de la Forêt Noire ; Retrouvailles) suivis d'un poème, parus dans Voix d'Assise
Dans le message précédent du blog figure l'hommage rendu par Claude Mettra à Graf Dürckheim, ainsi qu'un lien[1] vers une des émissions de radio réalisé par C. Mettra, « Le mot qui vient du silence » transmise sur France Culture au début des années 1980, où C. Mettra s'entretient avec G. Dürckheim.
Voici maintenant deux témoignages d'Irina R. parus sur deux numéros du bulletin interne au centre Assise suivis d'un poème paru dans un autre numéro :
- Dans le premier témoignage, Irina raconte ce qui lui est arrivé la première fois où elle a entendu la voix de G. Dürckheim dans une des émissions de C. Mettra, il semble que ce soit en 1986 d'après le deuxième texte.
- Dans le second elle retrace les grandes lignes de sa vie dans son pays natal[2] puis son exil en France et les étapes de son cheminement.
Ma rencontre avec le sage de la Forêt Noire
Voix d'Assise n° 6, novembre 1995
Il a suffi de peu pour qu'un jour tout bascule dans ma vie. Mais qui pourrait penser ce "petit peu", compter les grains de sable des déserts que j'ai eu à traverser vaillamment, avec une patience sans cesse renouvelée ? Peut-être celui qui a fait basculer le plateau de la balance, ou sa voix perméable à la Voix.
Mais qui était cet homme ? Un être né de l'Esprit en lui, translucide à son être. Et d'où venait sa voix ? D'un si lointain espace qu'il a fallu des milliers d'années pour que sa lumière lui parvienne.
Ce fut le soir, après une rude journée de travail, lorsque l'on songe avec plaisir à regagner ses pénates. Il était tard, et je venais juste de rentrer. Avant même de me débarrasser du manteau, j'ai traversé la pièce en me dirigeant droit comme une flèche, mue de l'intérieur par une force inconnue, vers le fond où se trouvait le poste de radio. Je vois encore mon bras tourner d'une main étrangère le bouton, couleur foncée.
Une voix a explosé dans l'espace. Je n'ai pas eu le temps de réfléchir pour comprendre ce qui venait de se passer. J'ai eu juste le temps de m'allonger. Mon corps vibrait. Il avait reçu comme une décharge électrique. Il a répondu à cette onde puissante, vertèbre après vertèbre, tout le long de la colonne.
Depuis combien de temps mon arbre de vie attendait-il que la vraie, pure joie le saisisse ainsi ? La profondeur était là, faite chair, car il s'agissait bel et bien de ce que l'on ne peut nommer autrement. Et ce sont les profondeurs de l'âme qui sont le siège du vrai contentement.
Profond fut le message, profonde la voix chargée de le transmettre. Légère et discrète, cependant, elle laissait entrevoir à l'autre bout une rive lointaine, un point d'ancrage à peine voilé.
Très jeune encore, j'avais l'habitude de regarder les ponts, de les contempler. Leur ligne me semblait belle et fort élégante. Je ne me lassais point de la regarder, toute émerveillée. Mes yeux suivirent ainsi, sans jamais se soucier du temps qui s'écoulait, l'arc qui unissait les deux rives. La contemplation me plongeait la plupart du temps dans une nostalgie ressemblant à un rêve prometteur de splendeurs cachées. Oh ! Je m'en souviens si bien !
Et maintenant, grâce à la voix naturelle et surnaturelle à la fois qui avait rempli l'espace, l'autre rive sortait des brumes lointaines. La gaze précieuse était enfin déchirée. L'idéalisme à outrance devenait de l'idéalisme tout court.
Allongée sur le divan, immobile et le souffle presque coupé, j'ai écouté la voix raisonner en moi. Je ne voulais pas que la moindre petite inflexion ou le moindre petit détail m'échappent. Je voulais tout entendre, tout saisir. La voix était bien réelle, bien incarnée. Seul le fil la reliant à l'autre rive restait invisible. Mais la rive et son pays d'origine n'étaient plus de l'imagination, ni du romantisme adolescent.
Peu à peu, ma respiration est devenue calme, telle la mer après la tempête. Le mot venant du silence l'avait apaisée. Il l'avait rendue à elle-même, au repos qui ressemble à celui du sable au fond des mers profondes. Mes intuitions de jadis s'avéraient ainsi plus réelles que la réalité elle-même.
« Oh ! si j'avais entendu cela plus tôt, au moment des grands tourments, j'aurais pu épargner beaucoup de souffrance dans ma vie ! » me suis-je exclamée des années plus tard, en présence de celui qui allait m'accompagner sur le chemin du salut.
« Mais êtes-vous sûre, m'a-t-il répondu, que dans le brouhaha des orages vous auriez entendu de la même oreille ? »
« Personnellement je n'en sais rien, mais vous, c'est vous qui le savez mieux que moi.»
« J'avoue, docteur, lui ai-je dit la fois d'après, que j'ai beaucoup réfléchi à ce que vous m'avez suggéré la semaine dernière. »
« Ah bon ! » s'est-il exclamé avec un petit sourire à la commission des lèvres.
« Oui, et je vous en remercie, votre question m'a incité à creuser davantage en moi. Toute ma vie je me suis considérée comme victime innocence de la vie, et je lui en ai voulu à mort. Plus maintenant. Je sais aujourd'hui que le communisme, ce terrible fléau de la providence, a élagué ma vie intérieure de plusieurs coups de sécateur pour mon plus grand bien. Privée de la lumière et la chaleur du soleil, celle-ci n'aurait pas pu mûrir, et son fruit serait resté aujourd'hui encore vert.»
Les retrouvailles
Voix d'Assise n° 10 de janvier 1998
La Toussaint 1997. Il y a tout juste vingt ans depuis… « Oh, c'est beaucoup ! » diront certains. « Mais non, c'est peu de temps », diront certains autres. « C'est ! », je dirais tout court. C'est le temps qu'il a fallu à mon cœur pour retrouver consciemment son Maître.
Ce jour-là, comme par hasard, mes yeux se promenaient, un peu distraits, tout au long des étagères de la bibliothèque d'une amie qui me logeait dans une chambre de son grand appartement parisien. Brusquement, mon regard noyé s'est arrêté sur le rebord d'un livre. Carl Gustav Jung : L'homme à la découverte de son âme.
Il a suffi d'un instant pour que mon index droit tire le bouquin de sa place, que le livre se trouve ensuite ouvert entre mes mains que le compte à rebours de ma vie se mette en marche, comme sous le coup d'une baguette magique.
En effet, la fée fut de nouveau présente ce jour-là dans ma vie, comme elle l'avait déjà été jadis quand, penchée au-dessus de mon berceau blanc, elle m'avait vouée en tant que messagère de la fécondité à ce qu'elle seule savait. Des années difficiles de guerre, de révolution, de misère, persécutions ou frustrations de tous genres devaient s'enchaîner sans merci mais non sans larmes, cris et gémissements. Oh la révolte d'une femme seule et abandonnée au milieu des tourments d'une mer démontée jusqu'au ciel ! Ou tout au moins qui se croyait ainsi.
Ensuite, un jour, l'impensable miracle. La France, la Toussaint chez Jeanne, et mon âme à la découverte du soleil qui la sous-tendait et l'élevait depuis longtemps à son insu, tel un mystérieux attracteur cosmique.
Neuf années plus tard, le 21 octobre 1986, la fée me rendait à nouveau visite en me donnant comme deuxième outil de travail, après une première étape considérée révolue, la clé qui devait ouvrir un autre portail du royaume. C'est à ce moment-là que la prière est entrée dans ma vie vêtue à tour de rôle de ses trois robes en or, en argent et en nacre étoilée, que la petite princesse avait gardé précieusement entassées au fond d'une coquille de noix, le jour de son départ en exil.
Depuis, de fil en aiguille, de chapelet en prière du cœur, d'une graine à l'autre, le pont qui m'avait séparé de l'autre rive de la vie, de la Grande Vie, ne cesse de se rebâtir comme un arc-en-ciel toujours plus ample, plus haut en couleur. L'alliance se renforce jour après jour, épreuve après épreuve, sans que pour autant mes yeux puissent la voir. Mais mon cœur, lui, entend les pas calfeutrés de son Maître qui avance, la face voilée, et lui parle tout bas, d'une voix parfois odoriférante : « N'aies pas peur, ma petite, tu n'es plus seule, plus jamais seule. »
Le trèfle
Voix d'Assise n° 42, Octobre 2008
Un jour,
le vent ou un oiseau,
je n'en sais rien,
a porté sur les ailes
ou dans le bec
une graine.
Semée dans la terre noire,
nue
et encore froide de l'hiver,
la graine a pris racine
au cœur même du jardin.
Des mois plus tard,
de petites pousses
et quelques feuilles trifoliées
ont recouvert peu à peu
le jardin tout entier.
Plusieurs fleurs blanches,
petites boules insignifiantes,
habillent elles aussi
aujourd'hui
la même terre humide,
si effrayée jadis par sa nudité.
Mais qui d'entre nous parvient
à prolonger un peu sa vie
par le souci qu'il se fait ?
[1] Le voici de nouveau : Lien vers une émission de Claude Mettra avec Graf Dürckheim en 3 fichiers audios : http://salilus.unblog.fr/2010/11/12/karlfried-graf-durckheim-le-mot-qui-vient-du-silence/
[2] Peut-être la Roumanie.