Place de la Vierge Marie dans notre cheminement. Extraits du livre de Jean Marchal "Contempler, réfléchir et aimer"
La Vierge Marie tient une place privilégiée dans la foi chrétienne et dans l'iconographie occidentale mais il n'est pas toujours facile de l'aborder de bonne façon. Par exemple, comment entendre les divers noms qui lui sont attribués : Mère de Dieu, Rose mystique, Immaculée Conception, Reine des cieux, Reine des anges… Où trouver des représentations porteuses de sens et nourrissantes pour l'esprit ? Qui trouver qui nous guide dans l'esprit d'Assise ?
Le présent blog des Voies d'Assise est dédié au centre Assise et à Jacques Breton qui l'a fondé, et pour présenter Marie, nous avons la chance d'avoir trouvé Jean Marchal, docteur en médecine, qui s'appuie lui-même sur les trois piliers du centre que sont le zen, le cheminement selon Graf Dürckheim et la voie chrétienne. À la demande de Jacques Breton qui était son ami, il est d'ailleurs venu en 1991 faire deux conférences à 15 jours d'intervalle sur le thème "Jamais deux sans trois, l'Esprit comme Grand Troisième» (cf dans le tag Jean Marchal), thème qui est d'ailleurs devenu un livre en 1995. Vous trouverez une présentation de Jean Marchal ainsi que sa biographie à la fin de ce message.
Ce qui figure ici est extrait de son livre Contempler, réfléchir et aimer - Les trois voies d'accès à la Connaissance, paru aux éditions ALTESS en 2008 et épuisé (N B : titres et notes ont été ajoutés).
Quatrième de couverture de Contempler, réfléchir et aimer:
« Des trois formes d'intelligence dont l'être humain dispose pour accéder à la Connaissance, seules deux sont d'usage constant chez l'homme moderne : l'intelligence rationnelle et l'intelligence affective.
La première permet l'organisation de l'existence et, à un degré plus évolué, le développement de la science.
La seconde est nécessaire à la connaissance des êtres humains et aux relations entre eux.
Un troisième mode est perdu depuis la faute originelle que décrit la Genèse et l'expulsion du paradis qui en fut la conséquence : l'intelligence contemplatrice dont l'activité nécessite l'activation de zones inactives du cerveau et l'extinction provisoire du langage intérieur ininterrompu par lequel « nous passons notre existence à nous raconter à nous-même notre propre histoire. »
Le réveil de cette intelligence contemplatrice donne accès à une conscience infiniment plus profonde et heureuse que notre conscience ordinaire enfermée dans les étroites limites de l'ego et à une vision du monde incomparablement plus vaste que celle d'un monde compact, opaque, destructible et menaçant, à laquelle nous enchaîne cet ego.
Ce livre tente de nous donner les clés pour ouvrir l'accès à cette intelligence contemplatrice sans laquelle il n'y a pas de vie intérieure authentique possible. Il nous amène en outre à comprendre comment sa perte s'est produite depuis les origines. Il nous montre aussi comment la mémoire en subsiste dans les grandes traditions religieuses sous le masque des symboles et des mythes, tels la quête du Graal ou l'éveil de la Belle au Bois Dormant, par exemple. »
La Vierge Marie et l'intelligence contemplatrice
Extraits de Contempler, réfléchir et aimer
La graine prête à germer portée par la Vierge Marie, celle de l'intelligence contemplatrice (p. 61-62).
Éclairant le transept sud de la cathédrale Saint-Jean à Lyon se trouve une très belle rose du XIIIe siècle, dans le centre est occupé par l'image de la colombe du Saint Esprit. Les médaillons figuratifs qui occupent sa circonférence se lisent dans le même sens que l'heure sur une montre. Descendant du sommet sur la moitié droite de la circonférence, donc en chute, se succèdent en six médaillons les images relatant la chute originelle : Dieu crée Adam et Eve qui, ensuite, transgressent l'ordre de ne pas toucher au fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Ils sont alors chassés du paradis qu'était l'intime union contemplative avec Dieu, dans laquelle tout leur était donné. Exilés sur la terre, ils découvrent le travail, la souffrance et la mort. […] L'histoire se déroule en six médaillons auxquels font suite les 6 images de la Rédemption qui remontent la moitié gauche de la circonférence, de la base au sommet. Ceci raconte la naissance du Christ, l'adoration des mages, la passion et la résurrection de Jésus venu apporter à l'humanité la rédemption, par l'incarnation du Verbe divin, de la faute originelle et de ses conséquences mortifères.
Ce qui nous est donné à contempler sur cette rose c'est que, dans l'histoire de l'humanité, à la chute succède une remontée et qu'à la perte de l'intelligence contemplatrice succède sa résurrection. […]
Ce qui est promis, d'un point de vue global, à l'ensemble de l'humanité, peut l'être aussi à chacun d'entre nous : tous nous portons en nous la trace, le reliquat atrophié de cette intelligence contemplatrice donnée à l'être humain originel, l'Adam paradisiaque, et perdu ensuite par la "Chute" au cours des quatre âges. Tout se passe comme si cette atrophie l'avait réduite à l'état de graine, et que, comme toute graine, celle-ci pouvait germer à nouveau et épanouir dans notre vie psychique les possibilités spirituelles dont elle est virtuellement porteuse.
Note de bas de page (Une illustration de ce qui suit figure au centre du livre, photo d'un vitrail de la cathédrale de Fribourg en Brisgan, XIVe siècle) : Ce symbolisme de la graine d'intelligence spirituelle, prête à germer si des circonstances favorables lui sont ménagées, a souvent été employé au Moyen Âge dans les représentations de la Vierge Marie. Elle porte l'enfant Jésus sur son bras gauche et dans sa main droite tient un fruit évoquant une grosse graine, le fruit étant d'ailleurs le lieu d'élaboration de la graine, dans lequel elle mûrit les potentialités dont elle est porteuse. Souvent sur ces images, l'enfant bénit la graine ou la couvre de sa main, comme pour lui transmettre l'influence vitale qui va déclencher sa germination.
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Comme Marie, se mettre à l'écoute de l'Ange ; Les trois rappels journaliers de l'Angélus. (p. 67-68 et 133).
Dürckheim insistait sur la nécessité de donner place dans notre vie quotidienne à un exercice particulier répété avec constance jour après jour. […]
Tout d'abord, certains actes qui rythment nos journées de façon régulière peuvent être vécus comme un rite au service de la grande Vie, c'est-à-dire dans une conscience qui demeure centrée sur l'Être et non de façon mécanique dans l'absence à soi-même : ainsi les repas et les évacuations. […] De façon plus banale mais intégrée à la vie quotidienne, il est possible de conduire sa voiture en dépassant l'état quasi paranoïaque dans lequel se trouvent la plupart des conducteurs quand ils s'emparent du volant. Conduire peut alors devenir un exercice mis consciemment au service de l'esprit. […]
Mais il y a aussi les actes inhabituels que suscitent les religions pour nous ramener de façon régulière à la conscience de la Présence divine en nous. Ainsi les cinq prières quotidiennes rythmant la journée du musulman et qui ont leur équivalent dans le christianisme sous la forme de l'Angélus.
Matin, midi et soir, à heure fixe, les cloches des églises appellent (ou appelaient) les fidèles à tout lâcher pour se mettre à l'écoute de l'Ange (angélus) qui ne parle pas seulement à Marie mais à chacun d'entre nous pour en faire un "serviteur du Seigneur". À chaque fois, trois fois trois battements de cloche suivie d'une volée viennent nous rappeler que nous avons rendez-vous avec le Verbe fait chair qui vit en nous, même si nous passons notre vie à l'oublier.
Texte de l'Angélus : « L'ange du Seigneur apparut à Marie et elle conçut du Saint Esprit… Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole… Et le Verbe s'est fait chair et il a élu domicile en nous… »)
[…]
Trois coups de cloche introduisent le premier des trois versets : « L'ange informa Marie et elle conçut du Saint Esprit. » Informée par ce messager divin, Marie "conçoit du Saint Esprit" le Christ ; c'est à ce modèle que le chrétien est conduit, pour lui-même, à concevoir du Saint Esprit, c'est-à-dire échapper un moment à la mécanique mentale consistant à concevoir sans cesse des illusions, pour entrer un moment dans la contemplation de l'évidence de l'Être.
Puis une seconde série de trois coups de cloche introduit le second verset : « Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole. » (« secundum verbum tuum. » C'est ici le modèle de l'acceptation sans condition de la volonté divine telle qu'elle s'exprime pour chacun de nous dans les événements qui tissent nos existences […]
À la troisième série de coups de cloche, c'est la phrase de l'évangile de Jean qui est donnée à méditer : « et le Verbe s'est fait chair et Il habite en nous », ce qui nous rappelle que notre propre corps est incarnation du Verbe qui nous habite, de sorte que « ce n'est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Saint Paul).
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Se laisser enseigner silencieusement : Bouddha et la fleur, Marie et la rose. (p. 109-111)
La fleur est le symbole universel d'ouverture de l'âme aux influences célestes qui s'offrent à la contemplation de la pure intelligence.
Le calice de la fleur est une transposition dans le monde végétal de ce qui figure la coupe (ou calice) en général : coupe vivante qui s'ouvre à la lumière du jour et se referme sur elle-même à la nuit, comme notre psychisme qui s'active dès le réveil au matin et, tout au moins dans sa composante consciente, s'éteint le soir pour entrer dans le sommeil nocturne. En ce sens, la fleur symbolise notre activité psychique ordinaire qui suit spontanément le rythme nycthéméral de la nature.
Mais pour les traditions religieuses en général, la fleur épanouie symbolise plus particulièrement cette part la plus secrète et la plus refoulée de notre âme qu'est l'intelligence contemplatrice. Celle-ci est chez la plupart des humains réduite à l'état de graine en attente de sa germination. Lorsque la graine a pu germer dans les circonstances les plus favorables et que la plante s'est développée jusqu'à produire le bourgeon de la fleur, celui-ci symbolise une intelligence contemplatrice prête à s'ouvrir et qui n'attend plus pour cela que la chaleur et la lumière indispensables.
C'est ce que montre clairement le sermon inaugural du Bouddha quand, pour tout enseignement, il offrit à la contemplation de ses disciples une fleur. Son disciple Mahâkâçyapa fut le seul dont le bourgeon d'intelligence contemplatrice s'ouvrit alors et illumina son visage d'un sourire silencieux. Jacques Brosse relate ainsi cet épisode : « L'acte fondateur de l'école de la méditation (dhyâna) consiste en la présentation silencieuse d'une fleur par le Bouddha Shâkyamuni à ses disciples. Cette énigme de la fleur devint le premier kôan du zen[1]… »
[…]
La rose est la fleur qui fut la plus employée en Occident pour symboliser l'intelligence contemplatrice. Son image prit au Moyen Âge une grande importance, équivalente à celle du Graal car la rose était supposée avoir elle aussi recueillie le sang du Christ. Il y a à la cathédrale de Bourges un vitrail du XIIIe siècle consacré à l'Apocalypse, au centre duquel est figuré le Christ, les bras étendus, et chaque main laisse échapper un large filet de sang qui fleurit en roses rouges sur le champ bleu du médaillon : transmutation en beauté et en ouverture contemplatrice du sacrifice du Christ dans sa Passion.
Le centre de la rosace orientale de la cathédrale de Laon, également du XIIIe siècle, est occupé par la Vierge Marie portant l'enfant sur un bras et présentant de l'autre main une rose épanouie à la contemplation des fidèles. Ainsi prêche-t-elle au chrétien le même enseignement silencieux que le Bouddha à ses fidèles. Il y a là une invitation pour chacun à retrouver la virginité psychique, absence de pensées et d'émotions, sur laquelle peut fleurir la rose de l'intelligence contemplatrice.
La Vierge est d'ailleurs qualifiée de rosa mystica, rose mystique, dans les litanies qui énumèrent la longue liste de ses perfections.
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Symbolismes de la Vierge Marie. (p. 131-138)[2]
Poursuivant notre quête des symboles de l'intelligence contemplatrice à travers les quatre règnes de la nature et après en avoir trouvé dans les images du diamant, de la fleur, de l'oiseau, nous arrivons au règne humain et là, le premier symbole que nous trouvons est celui de la vierge : c'est particulièrement clair en Occident avec la Vierge Marie, mère du Christ.
L'Immaculée Conception.
Sa parenté avec l'intelligence contemplative est déjà affirmée implicitement par le dogme catholique de l'Immaculée Conception, affirmé depuis des siècles par la tradition, mais confirmé solennellement par le pape Pie IX en 1854. Dire qu'elle fut conçue immaculée, c'est affirmer que, dès sa conception, elle était vierge du péché originel et donc indemne de la tare qui pervertit l'âme humaine depuis que le couple originel paradisiaque tourna le dos à l'arbre de vie qu'est l'intelligence compensatrice, pour mordre au fruit de l'arbre de la connaissance du bien et du mal. Par cette action il pervertissait les intelligences affectives et rationnelles, jusque-là soumises à la pure contemplation de la divine Présence. Il soumettait l'intelligence rationnelle à la distinction obligatoire de ce qui est bien et de ce qui est mal, et l'intelligence affective à l'opposition de ce qui est aimable et de ce qui est détestable.
Dès que cette dichotomie régna sur l'âme humaine, celle-ci perdit sa tri-unité, s'épanouissant dans sa triple intelligence, reflet de la tri-unité divine. La bi-cérébralité des deux hémisphères cérébraux, régnant désormais en maîtres dans la boîte crânienne, fit de l'être humain, primitivement unifié par l'intelligence trinitaire, un être écartelé tant rationnellement qu'affectivement. Tant que le troisième terme qui était l'intelligence contemplatrice régissait dans la sagesse rationalité et affectivité, il n'y avait jusqu'à la chute ni bien ni mal, ni vrai ni faux, mais contemplation bienheureuse sans interruption de la Vérité (le Père) et de l'Amour (le Fils) unifié dans la Beauté (l'Esprit).
[…]
Si concevoir ce que pouvait être l'âme humaine avant la chute originelle est impossible, il est par contre réalisable de susciter en nous le désir de retrouver ce paradis perdu d'une conscience miroir de Dieu. C'est ce que tentent de faire les grandes traditions religieuses en nous offrant à contempler des images de cette virginité de l'âme dans laquelle pourrait renaître l'intelligence contemplatrice. C'est très exactement ce qu'a fait le christianisme qui, dès ses origines, a donné comme modèle d'identification au chrétien une jeune femme qui, parce que vierge, dans un sens qui dépasse de beaucoup le domaine de la sexualité bien qu'elle l'inclue, a conçu un homme qui put se révéler et s'affirmer comme "fils de Dieu" et aussi "fils de l'homme". Non seulement Jésus s'affirma fils de Dieu mais il affirma que tout homme qui le recevrait trouverait le pouvoir de devenir lui-même fils de Dieu (Prologue de l'Évangile de Jean). Ce qui implique une seconde naissance, car le texte poursuit : « ceux qui ne sont pas nés du potentiel génétique (le sang) ni de l'attirance de la chair ni du vouloir humain, mais qui sont nés de Dieu. » Cette seconde naissance, intérieure, ne peut advenir comme celle du Christ, que d'une vierge. Conscience vierge des pensées et émotions du mental, purifiée de la dictature des binômes qui régissent la pensée rationnelle (vrai et faux), l'affectivité (attirant et repoussant), et même l'esthétique (le beau et le laid). Chacune de ces paires d'opposés peut être transcendée par un troisième terme qui est la contemplation de l'ineffable.
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Iconographie.
L'importance de la Vierge dans la théologie et la liturgie chrétienne […] se retrouve dans l'art catholique et orthodoxe, qui a proposé à la vénération des fidèles d'innombrables images de la Vierge mère, depuis le haut Moyen Âge jusqu'à nos jours. Le besoin – le plus souvent inconscient – de restaurer en nous cette virginité de l'âme purifiée par l'intelligence contemplatrice, existe chez tout être humain. Elle explique l'abondance des œuvres d'art consacrées à Marie, depuis les Vierges romanes jusqu'aux cathédrales gothiques qui sont toutes consacrées à Notre Dame et les miracles qui se sont opérés sous leur influence, surtout dans les temps anciens, quand la Vierge était investie du rôle de médiatrice entre l'homme et Dieu.
Dans le monde orthodoxe, il existe de nombreux types d'icônes de Marie : mère de tendresse, conductrice, intercédante, trônant entre les anges, etc… Dans toutes ces icônes, elle est la « révélation humaine de la tendresse maternelle du Père » selon le mot du père Robert Le Gall, moine bénédictin devenu évêque de Mende puis archevêque de Toulouse.
Ce besoin de pouvoir contempler des images sacrées incarnant de façon visible l'intelligence contemplatrice virginale explique aussi le grand nombre d'apparitions de la Vierge à travers les âges et le fait que les bénéficiaires de ces visions étaient souvent des enfants, dont les capacités contemplatrices et simplement d'émerveillement n'avaient pas encore été refoulées par une éducation exclusivement centrée sur le développement de l'intelligence rationnelle. […]
Le mythe qui associe une vierge à la licorne.
Indépendamment de l'image de Marie, le Moyen Âge a illustré l'importance de la virginité de l'âme dans un mythe qui associe une vierge à un animal fabuleux, la licorne. Elle est cette créature porteuse d'une corne unique, dont on retrouve la figure aussi bien en Orient qu'en Occident et qui symbolise partout, semble-t-il, l'intelligence contemplatrice, par sa corne semblant issue du troisième œil.
Dans la nature, les cornes vont toujours par deux[3]. […] La corne unique de la licorne peut être regardée comme un symbole clair de l'intelligence contemplatrice perdue qui, restaurée, unifie l'intelligence humaine dans une Trinité harmonieuse.
Or la légende raconte que seule une vierge peut capturer cet animal farouche qui vit solitaire au cœur des forêts. Seule une femme peut la capturer, mais si elle n'est pas vierge, la licorne la transperce et la tue. Cela revient à dire que seul un psychisme purifié, vierge des mécanismes habituels du mental dualiste, peut réintégrer cette intelligence contemplatrice, refoulée dans les abîmes de l'inconscient.
On trouve ce symbole dans de nombreuses représentations peintes ou sculptées au Moyen Âge et notamment sur trois vitraux français.
À la cathédrale de Lyon, c'est cette verrière du XIIIe siècle sur laquelle, à l'étage supérieur, est représentée l'Ascension du Christ, entouré à gauche du kladrius et à droite de l'aigle et de ses petits[4]. À l'étage inférieur, on peut voir l'Annonciation, donc la fécondation de la Vierge Marie par l'Esprit Saint, côtoyée par l'image de la vierge venant de capturer la licorne, qui repose sa tête sur son giron. Ainsi est soulignée la parenté de sens des deux images : la vierge ayant capturé la licorne, comme Marie fécondée par l'Esprit, symbolisent toutes deux (et Marie actualise) la réintégration de l'intelligence contemplatrice dans l'âme humaine, libérée du dualisme pervers emprisonnant l'intellect humain dans ses rêts. […]
Un autre vitrail, du XIVe siècle celui-là, décrit de façon plus détaillée la légende. Il se trouve à l'église Saint-Ouen de Rouen et montre là encore la licorne qui vient d'être capturée par la vierge. Mais dans la frondaison de l'arbre qui surmonte la scène se cache un chasseur qui s'apprête à tuer l'animal apprivoisé devenu vulnérable, juste image de l'ego toujours prêt à refouler à nouveau l'intelligence contemplatrice provisoirement réveillée et à restaurer le règne du mental, interrompu un bref moment. […]
Un troisième vitrail, du XVIe siècle, se trouve à la cathédrale de Sens. C'est un arbre de Jessé, au sein duquel sont superposées l'image de l'Annonciation avec l'archange Gabriel apparaissant à Marie et celle de la licorne, capturée par la vierge.
Nous voyons donc, avec ces trois vitraux, se perpétuer sur quatre siècles, du XIIIe au XVIe, la représentation de la vierge à la licorne, associée sur deux d'entre eux à l'Annonciation : sur ceux-ci l'association des deux images souligne le sens profond de l'Annonciation, par laquelle, pour les chrétiens, le Verbe divin incarné vient restaurer pour l'homme la possibilité de revivifier l'intelligence contemplatrice et restaurer la plénitude de l'intellect humain, perdue lors de la chute originelle.
Mais cette vénération pour des images virginales se retrouve dans d'autres traditions spirituelles, comme en Chine et au Japon, avec la figure de Kwan-In et de Kannon[5], les Taras verte ou blanche dans le bouddhisme tibétain et même chez les Sioux d'Amérique pour lesquels c'est une mystérieuse femme bison blanche qui leur a miraculeusement apporté le calumet, instrument d'acheminement vers la paix intérieure de l'état contemplatif.
En définitive, c'est le principe féminin, archétype universel, la Prakriti de l'Inde, que personnalisent ces images virginales. Déjà chez les Grecs anciens, Hestia était cette déesse qui, courtisée par les dieux, obtint de Zeus le privilège de se garder vierge et à qui il accorda des honneurs exceptionnels. Elle recevait un culte dans tous les temples des autres dieux. En fait, elle demeure un principe abstrait, la quintessence du féminin, plutôt qu'une divinité personnelle. […]
L'Assomption de la Vierge Marie.
Pour Jung, la proclamation du dogme de l'Assomption de la Vierge… était un événement majeur […] car cette image introduisait le principe féminin dans le monde céleste qui, jusque-là occupé uniquement à un Dieu Père, Fils ou Saint Esprit, semblait ressenti dans l'imaginaire chrétien comme exclusivement masculin. […]
En fait, cette introduction du féminin dans le monde céleste a été illustrée bien avant Jung dans les images médiévales du couronnement de la Vierge. Cette image, on la trouve dans nombre de grandes églises ou cathédrales, sculptée au tympan des portails ou clôturant les nombreux vitraux relatant la vie de la Vierge. La scène se passe dans les cieux : le Christ ou Dieu le Père, ou conjointement les deux, dépose sur la tête de la Vierge une couronne qui la fait “Regina cœlorum, Régina angelorum”, Reine des cieux et Reines des anges comme le chante un des hymnes virginaux.
Dans cette couronne il est aisé de voir l'équivalent de l'unisha[6] des Bouddhas, symbole de l'intelligence contemplatrice chez l'homme tricérébral. Mais on peut aussi y voir un symbole plus général, la couronne qui orne la tête des rois illustrant l'intelligence contemplatrice virtuellement restaurée et couronnant le crâne bicérébral de l'homme ordinaire. Elles témoignent alors de la royauté sur nous-même à laquelle nous accédons par la restauration et la remise à sa place dans nos âmes (psychismes) de ce troisième mode de l'intelligence humaine.
Rose et lotus associés par François Decorchemont sur un vitrail, symbolisant l'éclairage réciproque du cœur de la tradition occidentale et du cœur de la sagesse orientale. (p. 115-116)
Rose et lotus [symbole très présent en bouddhisme comme vient de le montrer Jean Marchal dans son livre] ont été associés par certains artistes modernes dans une même création. Ainsi le maître verrier François Decorchemont les a-t-il réunis sur un même vitrail dans une petite église de Normandie, à Ménesqueville dans l'Eure. On y voit côte à côte la Vierge Marie et la Sulamite, favorite du roi Salomon, habillée en souveraine égyptienne. Elle offre à la Vierge trois fleurs de lotus et tient de l'autre main une croix ansée, symbole de la Vie éternelle. La Vierge tient trois roses et domine la lune et une licorne, symbole de l'intelligence contemplatrice avec sa corne frontale unique qui est comme un rayon figé issu du troisième œil. Sur la tête de la Vierge descend la colombe du Saint Esprit. Rose et lotus ici associés sont comme le symbole de l'éclairage réciproque, l'un par l'autre, du cœur de la tradition occidentale et du cœur de la sagesse orientale.
ANNEXE
Jean Marchal, psychothérapeute, ancien interne des hôpitaux de Paris, a enseigné à l'École Française de Yoga le langage des symboles par lesquels les grandes traditions religieuses se sont efforcées d'éveiller l'être humain à sa profondeur. Ouvert à ce langage par l'influence de Lanza del Vasto et par la "psychologie des profondeurs" de Jung, il a suivi l'enseignement de Karlfried Graf Dürckheim et poursuit sa quête à la lumière de l'enseignement que dispensait et incarnait Arnaud Desjardins qui a préfacé plusieurs de ses livres.
Articles dans la Revue Française de Yoga :
Le transfert dans la relation médecin-malade et le "maître intérieur" (RFY, n°1, « De maître à disciple », janvier 1990), article déjà publié dans Maître spirituel, maître intérieur, éd de l'Ouvert 1986.
Le symbolisme du dos (RFY, n°10, « Flexions et enroulements », juillet 1994);
Le symbolisme de l’architecture gothique : équilibre et élan vertical (RFY, n°12, « L’étirement postural », 1995)
Droite et gauche en médecine chinoise (RFY, n°14, « Postures de flexion latérale », juillet 1996)
Symbolisme du cercle (RFY, n°18, « Postures d’extension (I) », juillet 1998)
De l’assise profane à l’assise sacrée : l’assise comme symbole (RFY, n° 22, « Postures de l’assise »)
Le sens de la vie : un chemin de vie en yoga (RFY, n° 23, janvier 2001) avec Renata Farah
Être des artisans de vie grâce au corps que nous avons et au corps que nous sommes (RFY, n°29, « De la relation corps-esprit », janvier 2004)
Quelques aspects du symbolisme de l’axe vertical (RFY, n° 32, « Être debout, marcher »)
N B : on trouve des extraits de ces articles sur https://lemondeduyoga.org/fiche-personne/?fiche_id=25221.
Articles dans des livres collectifs :
Le symbolisme de l’eau dans Les Chemins du corps, Assises nationales du yoga 1995, Ed Albin Michel 1996.
Hommage dans Mémoire éternelle pour Graf Dürckheim, Ed Dervy-livre 1990.
Le processus d'individuation dans Karlfried Graf Durckheim - Textes et témoignages inédits présentés par Jean-Yves Leloup et Jacques Castermane, Question de n° 81.
Livres :
JAMAIS DEUX SANS TROIS. Le grand Troisième dans les relations humaines. Ed. ALTESS 1995
L'APOCALYPSE DE JEAN, Question de (n° 68) 1987, plusieurs fois réédité, dernière réédition en 2018.
CONTEMPLER, RÉFLÉCHIR ET AIMER. Les trois voies d'accès à la Connaissance, Ed. ALTESS 2008.
LES VITRAUX DE FRANÇOIS DECORCHEMONT, Ed. P Lethielleux,2001
[1] Eizan Rôshi, le responsable du monastère zen du Ryutaku-ji au Japon, qui est le référent du centre Assise au niveau du zen, et qui y a animé de nombreuses sesshins, a fait un enseignement sur ce kôan : Par Eizan Rôshi. Enseignement du 4e jour de sesshin 1995 : Le kôan "Bouddha lève une fleur".
[2] Tous les titres ont été ajoutés.
[3] René Guénon a remarqué que la racine korn a donné en français "corne" mais aussi "couronne".
[4] Le kladrius (corruption de charadrius) est un oiseau. Le kladrius est capable de dire si un malade vivra ou mourra – sa présence à l'Ascension cela signifie que le Christ vivra après la mort. Par ailleurs l'aigle est l'oiseau vole le plus haut et qui charge ses petits sur ses ailes pour leur apprendre à voler.
[5] Dans l'un de ses enseignements, Eizan Rôshi (voir note 1) a commenté un sutra dédié à Kannon, Enmei Jukko Kannon Gyô : « Kanzeon, trois syllabes. Cela sonne comme Kanon qui est quelquefois prise pour une déesse bouddhique. En fait il y a une statue d'une personne féminine qui représente la compassion, elle a un rôle proche de celui de la Vierge Marie en christianisme. Mais quand on récite le sûtra, il ne s'agit pas de voir cette figure populaire du Japon, cette statue qu'on retrouve dans des temples, mais dans une interprétation zen, Kanzeon c'est vous, c'est chacun d'entre vous. » (Enmei Jukku Kannon Gyo : sutra chanté, enseignement d'Eizan Roshi, traduction française, texte japonais interlinéaire)
[6] L' unisha est une protubérance au sommet du crâne, il figure sur la photo de Bouddha mise en couverture du livre de Jean Marchal.