"La vie monastique", exposé de frère Étienne, père abbé de St-Benoit, en présence de Ryô-san, moine zen japonais, en 2017
Frère Étienne s'adresse à Ryôsan, moine zen du Ryutaku-ji et à un groupe de membres du centre Assise et cela se passe à l'abbaye de Fleury de Saint-Benoît-sur-Loire.
En effet, lors des rencontres inter-monastiques organisée par le Centre Assise en 2017 et 2018, dans le respect et la simplicité, chacun a exprimé à l'autre et pour l'autre ce qui fait le meilleur de son chemin et de ce qu'il est. Les rencontres elles-mêmes faisaient suite à un sesshin zen à Saint-Gervais (Val d'Oise), sesshin de 7 jours animé par Ryô-san mandaté pour cela par Eizan Rôshi, responsable du Ryutaku-ji.
Liens vers les autres messages consacrés à ces rencontres :
- Présentation des rencontres entre les moines de St-Benoît-sur-Loire et Ryô-san, moine zen japonais, en 2017 et 2018
- Frère Etienne (28 août 2017 au matin) : La vie monastique – c'est le présent message
- Ryô-san (28 août 2017 au soir) : Le moine zen
- Frère Benoît (29 août 2017 matin) : La règle de St-Benoît
- Frère Etienne (27 août 2018 au matin) : Le Christ source de vie féconde et heureuse.
- Ryô-san (27 août 2018 au soir) : La Voie du zen, chemin de vie spirituelle.
- Frère Benoît (28 août 2018 matin) : Ruusbroec. Chemin d'union à Dieu.
LA VIE MONASTIQUE
1/ Qu’est-ce qu’un moine ?
Avant tout, un chrétien qui, par appel de Dieu dûment discerné, veut entrer plus profondément dans le mystère de la vie chrétienne, dans l’amitié avec le Christ, dans les exigences de son baptême ; avec saint Paul, il « considère que tout est perte au regard de ce bien suprême qu’est la connaissance de Jésus-Christ » (Ph 3,8).
Concrètement, il met en œuvre cette préférence pour le Christ en lui consacrant toute sa vie, en s’associant à sa passion pour le salut du monde, en se faisant avec lui obéissant à la volonté du Père, en se dépouillant jusqu’à ne rien posséder en propre, en vivant dans le célibat parce qu’il n’a rien de plus cher que le Christ, en se retirant du monde pour vivre dans la solitude ou en communauté, dans un climat de recueillement et de silence, pour favoriser la prière continuelle.
La vie monastique est née dès les premiers siècles de l’Église, mais elle trouve dans la Bible deux archétypes : dans l’Ancien Testament, le prophète Élie qui ne vit que pour Dieu et marche longuement au désert pour se rendre à sa montagne sainte ; et dans le Nouveau Testament, le prophète Jean-Baptiste qui, lui aussi, se retire au désert et y mène une vie ascétique. Ces deux hommes étaient des passionnés de Dieu, au cœur brûlant épris d’absolu.
Celui que la tradition reconnaît comme le père des moines chrétiens, saint Antoine, était un jeune Égyptien de dix-huit ans qui, au cours de la messe dans une église d’Héraclée, entendit cette invitation de Jésus dans l’évangile : « Si tu veux être parfait, va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres et suis-moi » (Mc 10,21). Aussitôt, il abandonna avec joie son patrimoine et s’enfonça dans le désert pour y suivre le Christ pauvre, chaste et obéissant. Beaucoup de chrétiens l’imitèrent et l’un d’entre eux, Pachôme, rejoint par de nombreux disciples, organisa leur vie en communauté : c’est le père des cénobites.
L’ascèse n’est pas le but de la vie monastique, mais la conséquence du renoncement, à cause du Christ, à des valeurs très estimables : la propriété, la famille, la liberté… Ces renoncements sont autant d’affranchissements permettant de se libérer de soi-même et de ses passions. Car la liberté n’est pas la faculté de faire ce qu’on veut, selon ses caprices, que ce soit bien ou mal ; c’est bien plutôt la faculté de n’être pas empêché – extérieurement et intérieurement – de faire le bien, ni contraint de faire le mal. Si la conscience est éclairée et qu’elle se porte résolument vers le bien, la liberté est sauve ; au contraire, si la conscience est obscurcie par les passions ou les préjugés, par la crainte du ‘qu’en dira-t-on’ ou la soumission aux opinions dominantes, la liberté est enchaînée.
La prière liturgique et personnelle, la solitude, le silence, la stabilité dans la clôture du monastère, la frugalité de vie, le jeûne, sont les moyens qui permettent au moine d’acquérir la liberté intérieure, de goûter le repos de l’âme, de parvenir à la paix intérieure et avec autrui.
2/ Quel est le rôle des moines dans la société et l’Église ?
Habituellement, les moines ne parlent pas, ne sortent pas de leur monastère pour aller en mission, prêcher l’évangile, soigner les malades, enseigner les enfants… Ils annoncent la présence de Dieu par leur seule présence, par leur vie plus que par leur parole.
« Les moines sont là, c’est tout, et leur vie n’a donc aucun sens sinon d’annoncer l’achèvement des temps, cette rencontre avec Dieu. Ils sont comme ces gens qui attendent à l’arrêt du bus. Le seul fait qu’ils soient là indique que le bus doit sûrement arriver. Il n’y a pas de sens provisoire ou de sens partiel. Pas d’enfant, pas de carrière, pas de réalisations, pas de promotion, pas d’utilité. C’est par une absence de sens que leur vie révèle une plénitude de sens que nous ne pouvons définir. Tout comme la tombe vide annonce la résurrection ou le scintillement dans l’orbite d’une étoile indique l’invisible planète »[1].
Dans l’Église, une communauté monastique est un peu comme la sainte famille à Nazareth : elle mène une vie cachée, sans rien d’extraordinaire, toute centrée sur Jésus, où les actes les plus quotidiens sont accomplis avec amour pour lui, car ce qui compte n’est pas ce que l’on fait, mais l’amour avec lequel on le fait. Les moines y prient et y travaillent pour gagner leur vie, pour pouvoir accueillir des hôtes et aider les plus pauvres, pour se servir mutuellement. Si, dans cette communauté, Dieu est le premier servi, alors celle-ci rayonnera silencieusement.
Pour la société, la vie monastique rappelle des valeurs que celle-ci a tendance à perdre :
- l’importance de l’intériorité, de la vie spirituelle, de la prière, de la méditation de la Parole de Dieu. « L’homme moderne, tiraillé par tant de problèmes familiaux, sociaux, internationaux, ressent un besoin de silence, de réflexion, de méditation pour retrouver les vraies valeurs, le sens de sa propre existence, l’horizon de l’histoire humaine, le dialogue avec l’Absolu. L’homme moderne éprouve un besoin essentiel de paix, de certitude, de salut »[2].
- Le signe qu’une fraternité est possible entre les hommes : parmi les grandes misères de ce monde, il y a l’individualisme, la tendance à écraser l’autre pour se faire une place au soleil, la volonté de s’en sortir seul, la jalousie. Si, au monastère, il n’est pas plus facile qu’ailleurs de vivre une vraie fraternité, on sait que celle-ci est possible si elle a le Christ pour centre et si on sait pratiquer le pardon mutuel pour toutes les atteintes à l’amour mutuel.
- La simplicité de vie : dans notre civilisation occidentale de nantis, dans un monde où les problèmes économiques sont très complexes, où la croissance économique est l’objectif prioritaire, la vie sobre et simple des moines qui placent au centre, non le travail, mais la prière, et cherchent l’équilibre entre prière, étude, travail manuel et détente, qui mettent tout en commun, qui refusent l’inflation artificielle des besoins, cette vie peut faire signe. Dans le passé, l’organisation économique et sociale des monastères a beaucoup influé sur la société civile ; aujourd’hui, leur style de vie pourrait inspirer et stimuler ceux qui cherchent une alternative au mode de vie consumériste, dévoreur d’énergies, peu respectueux de la nature et du bien commun.
Voilà comment les moines, tout en étant des serviteurs de Dieu, peuvent être aussi des serviteurs de l’humanité. C’est ce que rappelait le pape Jean-Paul II aux abbés bénédictins réunis à Rome :
« Votre vie est une marche à la suite du Christ ; vous, vous suivez le Christ parce que vous savez qui il est. Et des hommes viennent à vous pour apprendre, pour expérimenter, pour voir qui est Jésus-Christ, et ceci à partir des exemples de votre vie, à partir de vos célébrations liturgiques, à partir des fruits de vos études. Vos monastères sont ces lieux où vous avez d’abord connu Jésus de Nazareth, et où vous l’avez pour hôte permanent et pour compagnon. Vos monastères seront donc des lieux où les hommes et les femmes de notre temps pourront chercher des signes de la présence du Christ, de la fraternité du Christ, de la charité du Christ, de la sainteté du Christ ».
Ainsi, tout en étant retirée du monde, la vie monastique n’est-elle pas refermée sur elle-même, sur la propre sanctification individuelle des moines ; ouverte d’abord à Dieu, elle est un don de Dieu à l’Église et au monde ; elle tient sa place, à côté d’autres formes de vie consacrée, tout aussi légitimes et nécessaires, de témoignage rendu au Christ.
Ce que vit le moine de façon plus intense, tout chrétien doit s’efforcer de le vivre à sa manière. Aux valeurs énumérées plus haut, on pourrait ajouter ces vœux :
- que toute famille chrétienne soit en miniature un modèle de société où règnent la paix, l’entraide, la joie ;
- que tout chrétien ait souci de faire place à la prière dans sa vie ;
- si l’homme cultive sa vie intérieure, il gardera la jeunesse du cœur ; tandis que, avec la maladie et l’âge, « l’homme extérieur s’en va en ruines, l’homme intérieur se renouvelle chaque jour » (2 Co 4,16) ;
- quand l’isolement est imposé par la vieillesse, la maladie, les revers de fortune, il peut être vécu comme une solitude féconde, à l’instar de saint Benoît qui, ermite à Subiaco, « habitait avec lui-même sous le regard de Dieu » : on n’est jamais seul quand on est avec Dieu !