"La règle de St-Benoît", exposé de frère Benoît, moine de St-Benoît-sur-Loire en présence de Ryô-san, moine zen japonais, 2017
En présence d'un groupe de membres du centre Assise, frère Benoît exprime à Ryôsan comment il vit l'obéissance à la Règle en donnant de nombreux extraits de la Règle. « Un principe fondamental de l’action du moine, de son obéissance à la Règle en particulier, est sa relation personnelle avec le Christ. On pourrait résumer les choses ainsi : pour Benoît, le Christ est à la fois celui à l’exemple de qui le moine agit, et envers qui il agit, et grâce à qui il agit, »
Cet exposé a eu lieu après celui de Ryô-san, moine zen du Ryutaku-ji (voir message précédent), c'est le troisième et dernier fait en août 2017.
La règle de Saint-Benoît dont il est question ici est celle de saint Benoît de Nursie né en Italie vers 480. On peut se la procurer à l'abbaye (https://magasin.abbaye-fleury.com/livres/vie-monastique)[1]. Frère Étienne avait déjà fait une intervention sur cette Règle au centre Assise : Trois grands axes de la Règle de St-Benoît valables aussi pour les laïcs, par le Père Abbé de St-Benoît-sur-Loire.
Les messages consacrés à ces rencontres :
- Présentation des rencontres entre les moines de St-Benoît-sur-Loire et Ryô-san, moine zen japonais, en 2017 et 2018
- Frère Etienne (28 août 2017 au matin) : La vie monastique
- Ryô-san (28 août 2017 au soir) : Le moine zen
- Frère Benoît (29 août 2017 matin) :La règle de Saint-Benoît– c'est le présent message
- Frère Etienne (27 août 2018 au matin) : Le Christ source de vie féconde et heureuse.
- Ryô-san (27 août 2018 au soir) : La Voie du zen, chemin de vie spirituelle.
- Frère Benoît (28 août 2018 matin) : Ruusbroec. Chemin d'union à Dieu.
La Règle de Saint Benoît, en quelques mots...
« Écoute » : Obéissance et amour
Pour entrer dans la Règle de S. Benoît, partons simplement de son premier mot, de son premier verset :
Écoute, mon fils, les préceptes du Maître et prête l’oreille de ton cœur. Reçois volontiers l’enseignement d’un si bon père et mets-le en pratique, afin de retourner par le labeur de l’obéissance à celui dont t'avait éloigné la lâcheté de la désobéissance… (RB Pr,1-2)
Écoute : le terme est lié, on le voit rapidement, à l’obéissance. Obéissance à quoi, à qui ? À Dieu, bien entendu et avant tout. Mais comment connaître la volonté de Dieu ?
Pour S. Benoît, et pour toute la tradition monastique, l’obéissance à Dieu doit passer par des médiations humaines. Ce sera d’abord, très classiquement, l’obéissance à la Règle, mais encore l’obéissance à l’Abbé : les cénobites, c’est-à-dire les moines qui mènent la vie commune, « militent sous une Règle et un Abbé », selon la définition de S. Benoît.
Mais voilà que, à la fin de sa Règle, S. Benoît élargit curieusement le domaine de l’obéissance dans des perspectives inattendues, car elles sont plus « horizontales », l’obéissance tissant alors toutes les relations communautaires :
« Ce n’est pas seulement à l’abbé que tous les frères doivent rendre le bien de l’obéissance ; il faut encore qu’ils s’obéissent les uns aux autres. Ils sauront que c’est par cette voie de l’obéissance qu’ils iront à Dieu. » (RB 71,1-2)
Étrange obéissance qui se donne finalement à tous. C’est le signe qu’elle n’est pas simplement cette obéissance inhérente à toute société humaine, qui régit les rapports hiérarchisés d’un supérieur à un inférieur, celle de la discipline. Elle intègre bien sûr ces éléments, mais elle les déborde. Car l’obéissance est ici avant tout un acte d’amour, et pas un simple principe d’ordre. Obéir, pour S. Benoît, c’est se mettre à l’écoute, accorder sa volonté à celle de l’autre : c’est le propre de l’amour.
Le chapitre 72, synthèse spirituelle de la Règle, le dit très bien :
1 Il est un mauvais zèle, un zèle amer, qui sépare de Dieu et mène à l'enfer. 2 De même, il est un bon zèle qui sépare des vices et mène à Dieu et à la vie éternelle. 3 C'est ce zèle que les moines pratiqueront avec un très ardent amour : 4 ils s'honoreront mutuellement avec prévenance; (cf. Rm 12,10) 5 ils supporteront avec une très grande patience les infirmités d'autrui, tant physiques que morales; 6 ils s'obéiront à l'envi; 7 nul ne recherchera ce qu'il juge utile pour soi, mais bien plutôt ce qui l'est pour autrui; 8 ils s'accorderont une chaste charité fraternelle; 9 ils craindront Dieu avec amour; 10 ils aimeront leur abbé avec une charité sincère et humble; 11 ils ne préfèreront absolument rien au Christ; 12 qu'Il nous amène tous ensemble à la vie éternelle !…
La Règle appelle à l’amour, introduit à l’amour… Aussi ne fait-elle pas seulement des disciples, des « moines » : elle fait des fils, elle fait des frères : « Ecoute ô mon fils… ». C’est en cela qu’elle est chrétienne. La Règle introduit à la réalité divine de l’amour, qu’elle veut servir, mais devant laquelle elle ne peut finalement que s’effacer.
Par la Règle, au-delà de la Règle
Concrètement, comment cet élan spirituel s’exprime-t-il ?
D’abord en ce que la Règle n’est pas simplement « règlement », mais encore enseignement spirituel. Elle s’attarde longuement, par exemple, sur l’humilité (le célèbre chapitre 7, qui en égraine les « douze degrés »).
La Règle de S. Benoît n’est cependant pas une homélie, mais détermine aussi les exigences concrètes d’une vie commune de type monastique. C’est principalement l’objet des chapitres 8 à 66, qui déterminent le déroulement de l’office et de la prière, le code pénitentiel, les multiples activités journalières, les divers responsables, le recrutement…
Toutefois, aussi important que soit un tel « cadre juridique », il faut bien remarquer que chez S. Benoît, contrairement à d’autres législateurs, il n’est pas si précis que cela, ou du moins qu’il reste ouvert, Benoît subordonnant tout ce qu’il prescrit à une exigence supérieure, intérieure. Aussi important que soit ce que fait (ou doit faire) le moine, plus important encore est l’élan spirituel dans lequel il le vit, de sorte que l’exécution extérieure des exigences de la Règle ne saurait être considérée comme une fin en soi. Qu’il suffise, pour nous en convaincre, de relever les deux conditions que S. Benoît pose à l’obéissance : celle de la bonne volonté et de la joie.
Mais cette obéissance ne sera bien reçue de Dieu et agréable aux hommes, que si l’ordre est exécuté sans trouble, sans retard, sans tiédeur, sans murmure, sans parole de résistance. Car l’obéissance rendue aux supérieurs, c’est à Dieu qu’on la rend, puisqu’il a dit : « Qui vous écoute m’écoute » (Jn 6,38). Et c’est de bon cœur que les disciples doivent obéir parce que « Dieu aime qui donne joyeusement. » (2 Co 9,7)
Si, au contraire, le disciple obéit, mais s’il le fait de mauvais gré, s’il murmure non seulement de bouche, mais encore dans son cœur, même s’il exécute l’ordre reçu, cet acte ne sera pas agréé par Dieu, qui voit le murmure dans sa conscience. Bien loin d’être récompensé, il encourt la peine des murmurateurs, s’il ne se corrige et fait satisfaction. (RB 5,14-19)
Cette exigence de l’amour qui dépasse toute règle aura aussi des conséquences dans le souci, omniprésent dans la Règle, de l’attention aux plus faibles. Il s’agit, sans remettre en cause les principes généraux de la vie commune, de les appliquer avec une juste « discrétion » (discrétion=discernement). Cette discrétion n’est aucunement démission, car elle sait maintenir une exigence ; elle s’adapte toutefois à chacun, avec beaucoup d’humanité. Cela est aussi au cœur du gouvernement de l’abbé :
12 Dans la correction même, il agira avec prudence et sans excès, de crainte qu'en voulant trop racler la rouille, il ne brise le vase. 13 Il aura toujours devant les yeux sa propre faiblesse, et se souviendra qu'il ne faut pas broyer le roseau déjà éclaté.
14 Et par là nous n'entendons pas qu'il puisse laisser les vices se fortifier, mais qu'il les détruise avec prudence et charité, en adaptant les moyens à chaque caractère, comme nous l'avons déjà expliqué. 15 Il s'efforcera plus à se faire aimer qu'à se faire craindre. (RB 64)
« Ne rien préférer à l’amour du Christ »
En tout cela, un principe fondamental de l’action du moine, de son obéissance à la Règle en particulier, est sa relation personnelle avec le Christ. On pourrait résumer les choses ainsi : pour Benoît, le Christ est à la fois celui à l’exemple de qui le moine agit, et envers qui il agit, et grâce à qui il agit.
Agir à l’imitation du Christ
Le Christ est en effet le modèle vivant que veut imiter le moine. Cette imitation du Christ se synthétise dans l’exigence de l’obéissance comme manière de reproduire en soi la disponibilité du Christ envers son Père :
31 Voici le deuxième degré d'humilité : ne pas aimer sa volonté propre, ni se complaire dans l'accomplissement de ses désirs, 32 mais bien plutôt imiter dans sa conduite cette parole du Seigneur : « Je ne suis pas venu faire ma volonté mais celle de celui qui m'a envoyé. » (Jn 6:38) 33 L’Écriture dit encore : « Le plaisir encourt la peine, l'effort procure la couronne. » (RB 7)
Agir envers le Christ
Mais le Christ est encore celui que le regard de foi discernera en ceux envers qui le moine agit. S. Benoît se plaît en effet à le reconnaître en de multiples situations :
Le Christ est présent dans la personne de l’Abbé, de sorte que le moine agit envers lui « par honneur et amour du Christ » (RB 63), et l’Abbé, de son côté, doit exprimer la bonté du Christ (RB 27). Le Christ est aussi présent dans les frères malades, et c’est vraiment lui que l’on sert en eux, « comme s’ils étaient le Christ en personne » (RB 36), selon ce qu’il a dit lui-même : « J’ai été malade et vous m’avez visité », et « ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25, 36 et 40) Le Christ est encore reconnu dans les hôtes, ainsi que l’exprime le très beau chapitre 53 de la Règle :
1 Tous les hôtes qui arrivent seront reçus comme le Christ, car lui-même doit dire un jour : « J'ai demandé l'hospitalité et vous m'avez reçu. » (Mt 25:35) 2 À tous, on témoignera l'honneur qui leur est dû, surtout aux proches dans la foi et aux pèlerins. (Ga 6:10). […] 15 Ce sont aux pauvres et aux pèlerins surtout qu'on manifestera le plus d'attentions parce que c'est particulièrement en leur personne que l'on reçoit le Christ. Pour les riches, en effet, la crainte de leur déplaire porte d'elle-même à les honorer. (RB 53)
Agir par la grâce du Christ
Un dernier point, essentiel. La vie monastique, comme toute vie chrétienne, n’est pas le fruit d’un effort humain : elle est fondamentalement une grâce reçue. S’il y a bien entendu effort, ascèse, il s’agit de les vivre à partir de la vie de Dieu donnée comme une grâce, et non à partir de soi : « Avant tout, demande-lui par une très instante prière qu’il mène à bonne fin tout bien que tu entreprennes. » (RB Pr,4)
Ainsi, en définitive, la Règle introduit le moine à « ne préférer absolument rien à l’amour du Christ » (RB 72), véritable pôle de son existence.
[1] Une version de la Règle assez proche de la traduction mise ici se trouve sur internet : http://la.regle.org/