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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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17 mai 2019

Hommage à Ania Scher décédée le 7 mai, suivi d'un dossier sur la pyssanka, œuf de Pâques ukrainien

Ania ScherAnia Scher est décédée le 7 mai 2019 en son domicile de Moissac. Elle est partie paisiblement. La cérémonie a eu lieu vendredi 10 mai. Les chants choisis pour ce moment étaient des chants qu'Ania appréciait particulièrement et qu'elle a transmis à beaucoup de monde :  

       La berceuse cosaque (Bayoushki bayou)
       Spei Issoussè, spei
       Hiohoro
       Tebe Poyem

Comme l'a voulu Ania, l'association "La Vie par la Voix" (www.lavieparlavoix.fr) continuera à accueillir celles et ceux qui veulent prendre du plaisir à chanter toujours dans le non-jugement, et chanter pour le plaisir.

Nous remercions Ania pour tous les moments partagés.

 

Jacques Breton et Ania se connaissaient bien, s'appréciaient beaucoup et étaient amis. Ania elle-même avait cheminé au sein du centre Assise, elle l'a raconté dans un article paru en décembre 1998 dans "La Voix d'Assise", le bulletin interne au centre Assise : "Si le chant est affaire d'amour, la méditation est affaire de présence". Il a été publié sur le présent blog en août dernier

Par ailleurs, pendant de nombreuses années, Ania a animé des week-ends de chant sacré au centre Assise créé par Jacques Breton. Dans le message où a été publié le témoignage d'Ania, il y avait le témoignage de quelqu'un qui participait régulièrement aux sessions d'Ania Scher (extrait de la Voix d'Assise n° 2, juillet 1994) : « Ania a la capacité d'extraire le meilleur de nous-mêmes et nous met en totale confiance par sa personnalité ouverte, chaleureuse et à l'écoute de tous et de chacun. »

Lien vers ce premier message : Témoignage d'Ania Scher : Si le chant est affaire d'amour, la méditation est affaire de présence

*   *   *

*

 

Pour rendre hommage à Ania Scher nous publions un mini dossier qui a figuré dans la Voix d'Assise n° 13 de mai 1999, et qui concerne une tradition de son pays d'origine, l'Ukraine. Dans un article signé d'elle et de Anna Osnowyck, après avoir montré combien le symbolisme de l'œuf est important, elle nous fait découvrir que la réalisation des pyssanky est un travail complet en soi qui rejoint la méditation. Cet article est suivi d'un poème qu'elle a traduit.

 

 

 

La Pyssanka ou l'œuf de Pâques ukrénien

Anna Osnowyck et Ania Scher

 

 

pysanka et bougie de Pâques« Ô, Egg of the water, source of the earth, product of the Eight, great in heaven and great in the underworld, dweller in the thicket, chief of the Isis of the lake of the Two Knives. I came forth with thee from the water : I came forth with thee from thy rest. » (Brendan, Creation Legends of the Ancient Near East, Londres, 1963)

 Traduction : « Ô œuf issu de l'eau, lieu de naissance de la terre, produit du Huit, grand dans les cieux et grand dans le monde inférieur, habitant des ténèbres, chef de l'Isis du lac des Deux Couteaux, avec toi j'ai émergé de l'eau ; avec toi je suis venu de ton lieu de repos » (Brendan suppose qu'il s'agit là du Dieu)

 

Ce texte trouvé sur un papyrus égyptien n'est certainement pas le seul à mentionner la naissance du monde à partir d'un œuf. Bien des mythes évoquent ces possibilités : les Celtes font naître le monde à partir de l'œuf d'un serpent, la Baghvata Purana qui représente Brahma sortant d'un œuf, le mythe orphique qui parle de l'avènement de l'œuf originel, Hildegarde de Bingen qui représente la formation du cosmos à partir d'un œuf, les Dogons pour qui l'œuf primordial est rempli des quatre éléments, les Bambaras et leur œuf vide "avec une voix" ou encore le Talmud qui évoque Dieu offrant les deux moitiés d'un œuf, qui, se fertilisant l'une l'autre, donnent naissance au monde. Et nous pourrions citer bien d'autres sources encore.

 

Rites païens :

Avant la christianisation, "la pyssanka" ou œuf de Pâques ukrainien "écrit" à la cire et trempé dans différentes teintures – selon la technique du batik – est une tradition millénaire transmise de mère en fille.

Les œufs décorés ont leur place dans les festivités données en l'honneur du soleil à cause de leurs noyaux jaunes et de leur capacité à transmettre la vie. On les offre aussi aux morts afin qu'ils utilisent les pouvoirs régénérateurs de l'œuf pour perpétuer le cycle des renaissances.

Tous les schémas pré-chrétiens n'ont pu être décryptés à ce jour et gardent leur secret. Mais comme, selon Platon : « Le mythe n'est pas une histoire gratuite mais l'indice d'une vérité qui échappe à la pensée simplement logique », les Ukrainiens ainsi que quelques autres peuples d'Europe centrale, perpétuent la tradition.

 

Rites chrétiens :

Lorsque les ukrainiens adoptent la religion chrétienne en 988, le symbolisme de l'œuf lié au renouveau de la nature implique dorénavant la renaissance de l'homme. Les religieux n'ayant pas réussi à éradiquer la coutume, le peuple continue d'écrire les mêmes motifs mais leur signification se charge d'interprétations complémentaires : Ouroboros, ou le serpent infini, devient l'échelle de Jacob, le soleil devient le Fils, le triangle qui représentait l'eau, le feu et l'air, devient la Trinité : le Père, le Fils et le Saint Esprit. Des symboles supplémentaires apparaissent sur les œufs (poissons, église, croix, etc.) qui ne font qu'ajouter au chatoiement des pyssanky. Joie de la vie revenue avec la végétation après le dégel, joie de la résurrection, mais aussi joie de l'être, amené à une renaissance intérieure à la faveur de l'état de méditation dans lequel il se met pour "écrire" sa pyssanka.

Réaliser une pyssanka, c'est comme peindre une icône, prier ou chanter. La concentration est totale. On entre d'abord dans "l'écriture" de l'œuf, puis, avec les teintures, dans la vibration des couleurs et, en fin d'opération lorsque l'on enlève la cire qui recouvre les dessins, dans l'éblouissement devant la perfection géométrique qui se révèle sur la rotondité de l'œuf.

 

Un poète ukrainien, interné dans les camps soviétiques, Mykola Roudenko a écrit :

      « Si l'on ôte des yeux la couleur
         le monde entier devient prison. »

 

La pyssanka nous fait retrouver cet arc-en-ciel des couleurs, la joie de vie et la liberté de sentir avec tout notre être cette "inspiration" du sacré. Lorsque vous entrez dans un atelier où l'on dessine des pyssanky, votre odorat est surpris tout d'abord par les effluves de miel chaud que dégage la cire fondue et qui vous enveloppent tout entier. Ensuite votre ouïe est attentive au silence qui règne dans le lieu, même s'il y a un fond de musique sacrée dans la pièce ou quelques murmures. Vous êtes étonnés aussi par la concentration appliquée et, comme absente à tout autre chose, des personnes qui travaillent dans la pièce, et enfin votre œil ne sait plus où se poser, fasciné par les flammes des bougies, les œufs blancs, les œufs colorées, les œufs terminés qui brillent de tous leurs feux ou toutes ces têtes penchées sur un travail qui demande la présence de tout l'être.

Des livres entiers ont été écrits sur le sujet de l'œuf et sur les rites[1], quelquefois divinatoires, liés à ce symbole de vie qui sont très nombreux de par le monde[2].

Nous pouvons considérer que symboliquement l'œuf est une perfection puisqu'il est germe de vie, fragilité et beauté.

 

Nous terminerons en citant Ronsard :

     « Je vous donne des œufs,
        L'œuf en sa forme ronde
        Semble au ciel, qui peut tout en ses bras enfermer,
        Le feu, l'air et la terre, et l'humeur de la mer
        Et sans être compris, comprend tout en ce monde. »

 

*   *   *

*

 

La Pyssanka

 Poème de Igor Kalinetz, mort en camp de concentration soviétique

Traduction : Ania Scher.

 

 

Pyssanka, oeuf de Pâque ukrainien

     Avec une drôle de plume, ma mère
     Trace des motifs de cire sur l'œuf blanc.
     La pyssanka chemine d'un bol à l'autre :
     Du bain doré aux pelures d'oignons
     Elle passe à la décoction aux herbes et aux écorces
     Puis à celle des herbes du printemps
     Puis à celle des herbes de l'automne.
     Dans l'entrelacs filigrané de ses traits,
     La pyssanka flamboie, orangée.
     Elle est déjà tout un monde merveilleux,
     Elle tinte déjà comme un soleil ardent,
     Avec ses fleurs éclatantes dans la rosée,
     Ses cerfs errant sous le soleil de mars.
     Dans la résille de ses nombreux encadrements
     Des jardins stylisés s'entremêlent.
     Et le motif géométrique de Kosmpatch[3] miroite
     Comme la plus fine des dentelles.
     Je glisse alors, en de blanches coquilles berceuses,
     Dans le monde onirique des enfants.
     Dans les paumes de ma mère, les pyssanky roulent
     Telles des soleils du haut de la montagne.

 

 



[1] Le Rameau d'or, tome 4 de James Georges Frazer.

[2] Traité d'histoire des religions -Mircea Eliade, p. 347, "L'œuf cosmique".

[3] Motifs spécifiques à la région de Kosmpatch, très chargés en décorations.

 

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