La place de Marie dans la spiritualité chrétienne. Par Jacques Breton
La Vierge Marie tenait une grande place dans la vie de Jacques Breton, le fondateur du centre Assise. Par exemple chaque année il allait à Lourdes. Dans les dernières années de sa vie, il avait commencé à écrire un texte sur "La femme dans l'Église", texte dans lequel la plus grande partie concernait Marie. Dans son introduction, il jetait d'abord un rapide coup d'œil sur l'évolution de la société puis précisait :
- La femme accède maintenant « aux études supérieures… et à des fonctions autrefois exclusivement réservées aux hommes, dans des secteurs comme l'armée, la police, les pompiers, etc. Alors pourquoi la femme, dans l'Église, ne peut-elle accéder aux mêmes responsabilités que l'homme ? […] L'Église n'est-elle pas encore très cléricale ? Notre pape n'est-il pas entouré essentiellement d'hommes pour diriger l'Église ? Nos communautés paroissiales sont présidées par des prêtres hommes[1]. Dans cet essai je voudrais rétablir la mission de la femme, son rôle irremplaçable dans l'œuvre du salut[2]. Je m'appuierai pour cela sur la place de la Vierge Marie dans la spiritualité chrétienne. Si le Christ est « le chemin, la vérité et la vie », Marie est la première à nous entraîner sur ce chemin. De plus, étant la femme par excellence, mère et épouse, la première des créatures, la plus accomplie, elle permettra à la femme et aussi à l'homme de retrouver le côté le plus profond de leur nature et ainsi de rééquilibrer leur spiritualité. »
Voici ce qu'il disait ensuite de Marie (toutes les notes ont été ajoutées).
La place de Marie dans la spiritualité chrétienne
Par Jacques Breton
Place de Marie
Il nous est impossible d'être fidèles à l'Écriture si nous ne considérons pas la place de Marie dans l'Église, son rôle éminent dans l'œuvre du salut. Elle exprime dans sa totalité le rôle maternel de Dieu.
C'est par son "fiat" que le Fils de Dieu s'est rendu présent en notre humanité en s'incarnant en elle. C'est par son intervention que Jésus a manifesté sa gloire dans le premier signe de l'eau changée en vin aux Noces de Cana (cf. Jn 2, 11-12). C'est elle aussi qui présente Jésus à son Père au temple de Jérusalem (cf. Luc 2, 22-39). Et elle est debout au pied de la croix pour participer pleinement à la mort de son fils et par là même à sa nouvelle naissance de Ressuscité. C'est là que le Christ lui confie sa nouvelle mission de mère de Jean, le seul représentant des apôtres qui soit présent, le disciple bien-aimé dans lequel l'Église catholique a vu le représentant de toute l'Église (cf. Jn 19, 25-27).
Marie nous fait découvrir le côté féminin et maternel de la vie divine. Marie est le modèle de la femme accomplie tout en restant créature de Dieu. La plupart des mystiques catholiques et orthodoxes ont trouvé en elle le complément de leur spiritualité christique. N'est-elle pas la Théotokos, la "mère de Dieu" mais aussi notre propre mère spirituelle ?
Il est vrai que l'Église a mis beaucoup de temps à reconnaître la place de la femme et particulièrement celle de Marie. À ce sujet, il est bon de nous rappeler que la foi n'est pas seulement de l'ordre de la grâce, elle est aussi le fruit de notre effort. Elle grandit à la mesure de la connaissance du mystère qu'elle nous révèle. Nous acquérons cette connaissance par la méditation de la parole de Dieu que l'Église nous transmet. L'Évangile, et plus largement la Bible nous donne les bases de la foi, mais ce n'est que progressivement que chaque chrétien, soutenu et animé par l'Esprit, entre dans le mystère de Dieu, de l'homme et de l'Église.
Marie n'a été nommée Théotokos, "mère de Dieu", qu'au concile d'Éphèse en 431. Le dogme de l'Assomption de Marie n'a été promulgué qu'en 1950. D'autre part, c'est peu à peu que s'est développée une théologie mariale où l'Église a pris de plus en plus conscience de sa place, de sa mission en son sein. Pourtant Marie était très présente dans la plupart des grandes spiritualités chrétiennes, et beaucoup de saints et de mystiques ont eu une grande vénération pour elle dès les premiers siècles. Que dire des grands pèlerinages mariaux ? C'est progressivement, surtout grâce à Grignon de Montfort (1673-1716), que Marie apparaît comme chantre de l'amour maternel de Dieu et de la mission de la femme dans l'Église.
Marie est le fruit de tout un cheminement, de toute une histoire, l'histoire d'Israël. Si, au départ, la femme est celle qui a reçu l'existence, la vie par l'intermédiaire d'Adam, le premier homme, elle est aussi celle par laquelle s'est opéré le refus de dépendance et donc d'accueil : « Tu seras comme les dieux qui connaissent le bien et le mal » lui avait dit le serpent (Gn 3, 5).
Le péché est essentiellement pour l'humanité le refus d'accueillir en elle la vie comme l'exprime le prophète Jérémie : « C'est un double méfait que mon peuple a commis, ils m'ont abandonné moi la source d'eau vive pour se construire des citernes lézardées qui ne retiennent pas l'eau » (Jr 2, 13). La Bible, de fait, nous raconte l'histoire de femmes comme Jézabel, Athalie, Hérodiade, éprises de pouvoir, qui ont joué un rôle destructeur. Mais combien d'autres comme Déborah, Ruth, Noémie, Anne, Judith et surtout Esther ont eu un rôle positif ! Esther n'a-t-elle pas sauvé Israël de la destruction par son abandon dans les mains de Dieu en s'acceptant comme la servante, celle qui attend tout du Seigneur : la force, le courage, la connaissance, le salut (cf. Livre d'Esther ch. 1). Esther préfigure Marie, et Marie sera elle-même la nouvelle Êve, la femme voulue par Dieu pour être dans l'humanité le vis-à-vis de l'homme. Elle exprime une des attitudes fondamentales de l'amour, étant celle qui reçoit. Pour que Dieu puisse réaliser son dessein d'incarnation, il lui fallait une femme toute entière réceptivité. Dieu ne pouvait qu'à ce prix se donner dans la plénitude de sa divinité. Dieu se donne entièrement à nous mais nous ne le recevons que selon notre possibilité d'accueil toujours limitée. C'est pour cela que notre corps doit passer par la mort physique pour s'ouvrir à la plénitude de la vie divine. Cette plénitude ne peut être le fruit d'un devenir, elle est un au-delà de nous-mêmes. Pour cette raison, Marie, dès sa conception, a été épargnée de la faute originelle[3]. Si Marie est le fruit de tout un cheminement vécu en Israël, elle a été conçue par une grâce toute spéciale venant du Christ. Et Marie ne pouvait que s'ouvrir à Celui qui seul comblait son attente. Et sa virginité est une des conséquences de sa totale réceptivité.
Par ailleurs cette attitude d'accueil développe en Marie l'humilité. Elle sait que tout ce qu'elle est, tout ce qui la constitue, sa vie, ses qualités, ses aspirations sont le fruit de la grâce. Elle ne possède rien, toute sa vie est service. C'est pour cela aussi qu'elle est la toute pure : rien ne peut obscurcir, entraver l'élan de son cœur, de son esprit.
Pourtant si, au début, Marie exprime dans toute sa vérité le côté féminin, elle a dû développer aussi l'autre côté de sa nature, le côté masculin. C'est progressivement que sa mission s'est accomplie. Appelée à devenir mère, elle n'a reçu cette possibilité qu'à l'Annonciation afin que le Fils de Dieu puisse s'incarner. Cette maternité est l'œuvre de l'Esprit. C'est lui qui la rend mère. Marie, parce qu'elle est devenue pleinement accueil, peut écouter la parole qui lui est dite et y répondre par son "fiat" : « Qu'il me soit fait selon ta parole » (Luc 1, 3). Son « oui » était nécessaire car il l'engageait déjà dans sa mission de maternité. Là aussi, elle a dû faire tout un apprentissage, que d'épreuves a-t-elle subies ! Mais Marie, de par sa nature profonde, pouvait laisser mûrir ces événements en elle pour, peu à peu, entrer dans le mystère de sa maternité. « Mon enfant, pourquoi as-tu agi ainsi ? » (Lc 2, 48). Cet apprentissage s'est poursuivi tout au cours de la vie publique de Jésus où celui-ci prend de plus en plus de distance avec elle. Si, aux Noces de Cana, elle conserve encore une certaine autorité sur Jésus, celui-ci souligne la différence : « Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi ? » Et plus tard, manifestement, Jésus prend une distance vis-à-vis de sa mère, il l'oblige à une réelle transformation et à un détachement vis-à-vis de lui. Elle ne doit chercher autre chose que la volonté de Dieu : « Qui est ma mère…? quiconque fait la volonté de Dieu » (Mt 12, 49). Sa relation à Jésus a dû radicalement changer pour qu'elle ne soit plus seulement sa mère.
Toute la vie publique de Jésus l'a obligée à vivre une véritable mort à ce qui est encore charnel pour ouvrir encore davantage son cœur à l'absolu. Marie a aimé son enfant avec toute sa féminité. Comment pouvait-il en être autrement vis-à-vis de celui qui grandissait et se fortifié dans la sagesse et la grâce de Dieu, « tout soumis à ses parents » (Lc 2, 51-52) ? Malgré cela, Jésus la déconcertait. Qui était ce fils qui appelait Dieu son Père et devait un jour les quitter dans le temple de Jérusalem afin d'être à ce Père ? Là, dans cette épreuve douloureuse, Marie faisait l'expérience que son fils était avant tout relié au Père. Si elle ne comprenait pas encore le sens de cet événement, en sa totale réceptivité elle l'accueillait dans son cœur (cf. Lc 2, 51) au lieu de se révolter.
Seul saint Jean signale la présence de Marie au pied de la croix, les autres évangélistes parlent seulement de la présence de femmes, et parmi elles d'autres "Marie" comme Marie de Magdalena. Le mystère de Marie a dû se dévoiler très progressivement, et Jean est le dernier évangéliste, c'est lui qui nous fait entrer le plus dans ce mystère.
Jean est donc le seul à nous rendre compte de la présence de Marie : « Près de la croix se tenait sa mère… Voyant sa mère et près d'elle le disciple qu'il aimait, Jésus dit à sa mère : “Femme voici ton fils”, et il dit ensuite au disciple : “Voici ta mère” » (Jn 19, 25-27). Ce passage est capital.
Il ne faut pas oublier que Marie est la toute réceptive. Le cœur transpercé, elle vit à l'extrême le passage de la souffrance et de la mort de Jésus et l'accueille en plénitude. Elle se tient là, non pas écrasée comme trop de "pietàs" le montrent, mais recevant jusqu'au cœur d'elle-même celui qui est en train de mourir, son fils et surtout celui auquel elle est unie par un amour divin qu'elle partage avec lui. Au pied de la croix, Marie meurt avec Jésus, et comme le dit Paul « si nous mourons avec Jésus, avec lui nous vivrons » (2 Tim 2, 11, cf. Rm 6, 5). Aussi Marie, par cette seconde naissance, entre dans la vie nouvelle du Ressuscité. Ainsi vit-elle dans son entièreté le mystère pascal de Jésus, et est-elle en quelque sorte la première sauvée ; ce salut, elle le reçoit entièrement de son fils. Et c'est là qu'elle reçoit sa mission.
Jésus transpose sa filiation naturelle en une filiation spirituelle : Marie n'est plus la mère de Jésus, mais la mère de celui qui est là au pied de la croix, l'unique représentant de l'Église apostolique. Cela est confirmé par la phrase suivante : « À partir de cette heure, le disciple la prit chez lui. » Souvent cette phrase est interprétée dans un sens terrestre comme si Jean la "prenait" dans sa maison. En fait, le plus souvent chez saint Jean, le verbe grec lambanô (traduit ici par "prendre") a le sens de "recevoir", et ce serait contraire à tout l'évangile de Jean que de n'y voir qu'un aspect terrestre comme dans le passage de Nicodème ou dans celui de la Samaritaine. Par ailleurs, le grec éis ta idia traduit par "chez lui" signifie plutôt "dans son propre", "dans les [choses qui sont] siennes" (c'est un neutre pluriel).
Que s'est-il passé ensuite ? Les Actes des apôtres nous précisent que Marie était présente avec les autres disciples au Cénacle, assidus à la prière (cf. Ac 1, 14). C'est là que, réunis tous ensemble, ils furent remplis de l'Esprit Saint (cf. Ac 2, 1-4). Pour la suite, aucun écrit du Nouveau Testament ne cite Marie.
À Jérusalem il existe une église de la Dormition[4]. Ayant vécu avec Jésus sa mort, Marie partagerait déjà sa vie de Ressuscité auprès du Père[5].
Jésus a donc lui-même promu Marie en disant au disciple qu'il aimait « Voici ta mère », celui-ci étant comme le représentant des apôtres et par là même de l'Église. Peut-on en conclure que Marie est mère de l'Église ?... ce n'est certainement pas en ce sens que Marie engendrerait l'Église – de même dire qu'elle est "mère de Dieu" ne veut pas dire qu'elle "engendre Dieu"[6]. À ce propos je rappelle simplement ici le mot de maître Eckhart qui dit que c'est le Père qui engendre son Fils en nous par l'Esprit Saint.
On dit aussi que Marie est "médiatrice" mais ce mot peut prêter à confusion. En effet, le Christ est l'unique médiateur entre Dieu et nous, et c'est l'Esprit Saint qui nous unit au Christ sans l'intermédiaire de Marie. Pour autant l'Église peut être dite "médiatrice" puisque c'est en elle que nous réalisons cette union. De même, c'est en Marie et avec elle que l'œuvre de l'Église peut se réaliser. Elle demeure celle qui, par excellence, intercède pour nous auprès de son fils de par sa proximité avec lui dans le royaume de Dieu. Pour cette raison, elle est souvent nommée "Reine". Mais son rôle essentiel est de nous communiquer l'amour divin maternel, cet amour qu'elle reçoit du Père par son Fils. C'est ce qui donne tout son sens à notre dévotion mariale. On peut en quelque sorte dire que Dieu nous aime maternellement en Marie.
Personnellement, j'ai le souvenir que, dans les premiers temps de ma vie érémitique où j'éprouvais au plus haut point la solitude, je ne pouvais en rien échapper à tous mes démons intérieurs, et la vie devenait un vrai cauchemar. Mais, lorsque je me tournais vers Marie, je me sentais enveloppé par son manteau virginal et ainsi je pouvais m'endormir en paix. Et ceci n'est qu'un exemple. L'amour maternel peut s'exprimer de bien des façons, nous en avons tous fait plus ou moins l'expérience à travers notre mère. Cet amour est présent dans le concret du quotidien, attentif, affectueux, consolant, etc.
Cet amour est bien exprimé chez le prophète Osée qui parle de YHWH : « C’est moi qui avais appris à marcher à Éphraïm (une des douze tribus d'Israël), les prenant par les bras ; je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour ; j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson contre leur joue et je lui tendais de quoi se nourrir. » (Osée 11, 3-4).
Par ailleurs Marie est la créature la plus simple qui soit, elle sait que ses dons, sa mission, son état, elle les reçoit entièrement du Père par son Fils dans l'Esprit. Elle demeure dans cet état de grâce « l'humble servante du Seigneur » (Lc 1, 39 et 48). Aussi Marie reste un exemple d'humilité pour nous tous. Étant la première des créatures sauvées, elle nous transmet l'amour divin maternel et joue un rôle primordial dans l'Église et elle est le modèle de la femme dans sa mission humaine et spirituelle.
Importance de la dévotion mariale
Marie partageant dans le Royaume la vie de son fils ressuscité est la première à intercéder pour nous. À Cana déjà elle est venue au secours des nouveaux mariés. Combien plus maintenant son influence sur Jésus s'exercera davantage ! Comme une bonne mère, attentive à tous nos besoins, elle intervient sans cesse pour répondre à nos demandes. Encore faut-il s'adresser à elle.
En venant à Lourdes, comme dans les grands sanctuaires mariaux, on ne peut être que frappé par le nombre de pèlerins venus déposer au pied de la Vierge leurs épreuves physiques, morales ou spirituelles. Et très souvent ils reviennent de là pacifiés, ressourcés. Oui, Marie peut jouer un grand rôle sur notre chemin par sa présence si accueillante et puissante dans les mains de Dieu.
Mais la dévotion à Marie ne s'arrête pas là, elle joue un rôle capital sur le chemin spirituel. Marie exprime partout son être l'amour maternel et féminin de Dieu, et ceci a un impact tant sur l'homme que sur la femme.
Commençons par l'homme qui respire souvent la solidité, le courage, l'endurance. Sa tentation sera parfois d'imposer son pouvoir, pouvoir qu'il exerce d'abord sur la femme, les enfants, les plus faibles. Ce danger permanent rend nos sociétés très masculines et inhumaines.
Pour comprendre l'enjeu de cela, il faut nous laisser instruire par la grande sagesse qui nous vient de la Chine. En effet le taoïsme – à qui l'on doit, entre autres, la découverte des courants d'énergie – nous révèle les deux pôles de l'homme que sont le yin et le yang :
- le yin correspond à notre côté féminin, c'est-à-dire plus accueillant,
- le yang correspond à notre côté masculin, plus créatif et agissant.
Ces deux côtés font partie de chacun de nous. Si chez la femme le côté yin est naturel, le côté yang existe aussi, mais en germe. Ainsi en est-il aussi pour l'homme : son côté féminin est naturellement plus intériorisé et c'est au cœur de lui-même qu'il doit le découvrir. Mais, lorsqu'il veut rester le plus fort, il refoule toute cette part de lui-même qui lui apparaît comme fragile et qui lui fait peur. Personnellement je suis frappé par l'absence des hommes dans les stages où l'on cherche à développer l'intériorité. Or seul le côté intime de l'homme lui permet de rééquilibrer sa personnalité et donne ainsi à sa virilité une assise, à son intelligence une sagesse, à son cœur une douceur. Sinon un effet de durcissement s'opère en lui pour le protéger de son affectivité.
Le culte marial peut permettre à l'homme de rééquilibrer sa nature. En Marie il peut redécouvrir sa mère intérieure, le côté féminin de son être. Sa mère naturelle n'a pas toujours été nécessairement une bonne mère, mais en Marie il peut mettre toute sa confiance. Elle va ouvrir les portes de sa vie profonde et lui faire comprendre qu'habite en lui une force spirituelle pleine de compassion, de bonté divine, de tendresse, une force beaucoup plus grande que sa force physique. Cette force sera capable de vaincre en lui toutes ses peurs, de contrôler ses instincts, sa sensibilité, sa raison. Il ne perdra rien de son autorité, bien au contraire, elle deviendra beaucoup plus ferme, plus solide et surtout plus souple, elle sera mise au service de sa mission. Il pourra exprimer toute sa sensibilité, son émotion qu'il a souvent tendance à refouler – personnellement c'est ce qui m'est arrivé car, dans mon enfance, il m'avait été enseigné qu'un homme ne pleurait pas, et ce n'est qu'à l'âge de 50 ans que j'ai pleuré à la suite de tout un travail sur moi-même –; de plus la dévotion mariale va l'aider à gérer son affectivité, et ainsi il sera beaucoup plus présent à ceux qui souffrent, ceux qui sont dans la peine.
Par ailleurs Marie est l'humble servante du Seigneur qui sait plus que quiconque que ce qu'elle est, elle l'a reçu de Dieu : « Le Tout-Puissant a fait pour moi des merveilles » (Lc 1, 49). Aussi, à tous ceux qui ont recours à elle, Marie apprend l'humilité qui est la porte de la vie spirituelle. Je pense que la dévotion mariale bien comprise pourrait arrêter la grande plaie de l'Église qui est le cléricalisme. En effet le grand danger pour le prêtre est d'exercer un pouvoir sacré beaucoup plus dangereux que tout autre pouvoir car il met Dieu en jeu. Lorsqu'on examine la vie de saint Bernard ou de Jean-Paul II par exemple, on est frappé par leur très forte personnalité. Celle-ci aurait pu devenir écrasante pour leur entourage ; or, leur très grande dévotion à Marie a fait d'eux des hommes d'une très grande humilité, et surtout d'une écoute et d'une présence extraordinaire. Loin de s'imposer, ils rayonnaient la paix, la joie, la vie.
Et qu'en est-il de la femme ? La dévotion à Marie a-t-elle une influence sur elle ? Il est certain que Marie va lui rappeler sa condition féminine. Or l'amour maternel chez Marie est un amour très fort. La force en elle du Ressuscité lui donne le courage de suivre le Christ jusque dans sa mort. Comme pour l'homme, cette force ne détruit en rien son côté féminin et lui donne une fermeté, une rigueur plus grande même que chez l'homme car elle saura ainsi s'allier plus facilement à tout ce qui la constitue : volonté, intelligence, instinct... Plus consciente de sa fragilité physique, elle fera davantage appel à l'Esprit. Naturellement elle exprime la douceur, la beauté, la tendresse. Appelée à devenir épouse et mère, elle fait l'expérience en elle de la croissance d'un être qui est issu d'elle et qu'elle reçoit d'un autre, sur le plan biologique comme sur le plan spirituel. Plus habituée à la souffrance, elle est plus solide pour la supporter. L'amour lui est co-naturel et s'exprime souvent dans une attitude d'accueil, de réceptivité. Appelée à recevoir la vie, à la vivre en elle et à la transmettre, elle a plus le sens de la vie concrète qu'elle expérimente au cœur d'elle-même.
Aussi la Vierge peut aider la femme à mieux caractériser sa mission. Il est dit dans l'évangile de saint Luc que « la mère de Jésus gardait fidèlement toutes ces choses dans son cœur » (Lc 2, 51). Elle ne les gardait pas comme un avoir mais elle les gardait pour en découvrir tout le sens. Elle accueillait tous les événements jusqu'au fond d'elle-même, en son cœur, pour en être éclairée. C'est le propre même de la sagesse, cette intelligence du cœur qui permet de découvrir en toute chose la lumière divine. La science aussi nous est nécessaire, mais à condition qu'elle demeure dans ses limites et qu'elle ne fasse pas de ses idées des absolus coupés de la réalité.
Marie, toute réceptive, toute dépouillée d'elle-même, tout intériorisée, est en totale phase avec le réel qu'elle accueille comme volonté de Dieu : « Qu'il m'advienne selon ta parole. » Cela lui donne aussi le sens du concret, comme à Cana où elle fait remarquer à Jésus : « Ils n'ont pas de vin » (Jn 2, 3). Mais elle s'en remet entièrement à lui pour résoudre le problème : « Quoiqu'il vous dise, faites-le. »
Marie est très discrète, et les quelques phrases qui nous sont rapportées dans les évangiles suffisent pour nous éclairer sur le modèle qu'elle peut transmettre à la femme d'aujourd'hui. La dévotion mariale permet à la femme de prendre conscience que le fond de sa mission est la Sagesse, c'est-à-dire développer en elle un cœur qui sache écouter, totalement ouvert sur le réel, concret, pour lui donner un sens, un cœur plein de compassion pour la misère du monde, un cœur intelligent et fort, capable de faire face à tous les événements et de trouver une réponse, un cœur maternel pour exprimer les mots et les gestes adaptés afin de communiquer la vérité de manière à être entendue et comprise.
Il faut quand même signaler un danger du culte marial. En effet il existe une dévotion populaire qui donne à Marie une place quasi-idolâtrique. Le peuple a besoin de toucher, de sentir et de voir.
Marie s'est rendue présente en des lieux privilégiés, à des personnes qui l'ont vue et entendue. Par cela des guérisons se font, tant physiques que spirituelles, alors pourquoi ne pas tout attendre de Marie ?
Pour pallier à ce danger, par exemple à Lourdes, tout est orienté vers la présence eucharistique. En particulier, lors de la grande procession de l'après-midi, on transporte le Saint Sacrement et non pas la statue de la Vierge : la place la plus importante est donnée au Christ eucharistique.
Une dévotion mariale bien vécue ne peut donc que nous conduire au Christ et à l'Église. En agissant sur la spiritualité, elle spécifie davantage les missions propres à l'homme et la femme. Ainsi la vie chrétienne retrouve un bon équilibre masculin / féminin.
Si la femme retrouvait sa mission réelle propre, l'Église en serait renouvelée. Actuellement nous sommes dans un moment capital où l'Église va pouvoir retrouver sa vraie dimension.
La femme et l'Église
La femme peut posséder à un degré éminent dans l'Église cette sagesse concrète dont je viens de parler. Malheureusement l'institution ecclésiale a beaucoup de difficultés à s'ouvrir à son côté féminin et maternel. Pourtant, par exemple, sainte Catherine de Sienne a joué un rôle éminent pour rétablir l'unité dans l'Église. La complémentarité homme / femme dans l'institution Église me paraît indispensable et voulue par le Christ. Une femme a un autre regard, une autre sensibilité, une intelligence plus fine, une volonté plus souple, un cœur plus aimant. Ses conseils, ses interventions et sa présence même pourraient donner au monde un autre visage de l'Église, une Église mieux adaptée à notre société tout en restant fidèle à elle-même. L'autorité reste essentiellement un service qui tient compte de la réalité, cette réalité que la femme et l'homme ont à découvrir ensemble. Dans un couple uni, les décisions sont prises par l'homme et par la femme ensemble.
Par ailleurs on peut voir d'après les évangiles que les femmes ont joué un rôle important dans le ministère de Jésus. Contrairement à la culture ambiante, des femmes suivaient Jésus dans ses pérégrinations (cf. Lc 8, 2) et participent donc à son ministère. De plus, des personnages clés sont directement envoyés par Jésus pour témoigner de ce qui est et donc jouent un rôle apostolique, comme la Samaritaine qui, à la suite de la révélation de lui-même que Jésus lui a faite, va annoncer au village : « Ne serait-il pas le Christ ? » (Jn 4, 29), et ainsi beaucoup de Samaritains ont cru en lui "à cause de la parole de la femme", allant vers le Christ en qui ils reconnaissaient vraiment "le sauveur du monde". Marie-Madeleine n'est-elle pas d'ailleurs le premier apôtre de la résurrection ? C'est à elle que le Christ ressuscité donne mission d'annoncer aux apôtres la bonne nouvelle (cf. Jn 20, 17). D'après l'évangile de Matthieu, Marie-Madeleine accompagnée de plusieurs femmes est chargée d'annoncer aux disciples la résurrection et de leur dire qu'ils doivent se rendre en Galilée pour voir le Christ ressuscité (cf. Mt 28, 7-10). Aussi significative, on note la présence de Marie et des femmes à la naissance de l'Église le jour de la Pentecôte quand l'Esprit se manifeste à tous pour les remplir de l'Esprit Saint (cf. Ac 1, 14 et 2, 1-14). Tout ceci nous permet d'affirmer que les femmes sont aussi appelées par le Christ à participer à la mission apostolique de l'Église par leur témoignage et par leur parole.
[1] Un article de Joseph Moingt paru dans la revue Études en 2011 précise la situation actuelle des femmes dans l'Église (peut-être J. Breton l'a-t-il lu) : « Dans la foulée de Vatican II, on n’avait pas hésité à leur confier des responsabilités à tous les niveaux, paroissial, diocésain, régional, national. Je connais même un cas (il y en eut d’autres sans doute) où une femme (qualifiée sur le plan théologique, il est vrai) avait été dûment mandatée par son évêque pour assurer l’homélie et l’animation de l’eucharistie dominicale. Mais un revirement s’est fait jour dès les années 1980 et n’a fait que s’accentuer depuis. Oh ! On compte toujours et plus que jamais sur l’aide des femmes : comment pourrait-on s’en passer ? Mais qu’elles restent à leur place de servantes dociles, bien encadrées dans des équipes "pastorales" sous responsabilité "sacerdotale". Un peu partout et dans tous les secteurs on les a écartées, non encore une fois des activités qui leur avaient été confiées, mais de leur animation, orientation et direction. D’après ce que j’ai pu lire et entendre dire, le motif en était la volonté de restaurer « l’identité » des prêtres, perturbée, pensait-on, par la perte de fonctions qui leur étaient jusque-là réservées et de la considération qui y était attachée, perte d’identité qui était censée expliquer également la tragique diminution des vocations à l’état presbytéral. […] La volonté de la hiérarchie se manifesta cependant d’éloigner les femmes, elles en particulier, de tout ce qui touche au service de l’autel et des sacrements, au point, un peu risible, d’interdire de choisir les enfants de chœur parmi les filles. Le motif, clair sinon avoué, était la crainte d’encourager chez elles le désir du sacerdoce. » (https://www.cairn.info/revue-etudes-2011-1-page-67.htm )
[2] « Le fait de la diminution du nombre de prêtres en notre Occident oblige l'Église à faire de plus en plus appel aux laïcs et donc aux femmes, mais leur rôle apostolique n'est pas encore bien établi. Elles font rarement partie de l'organe de décision dans les institutions pastorales. Pourquoi ne pourraient-elles pas siéger à côté des prêtres, des évêques, et même des cardinaux comme représentants de l'Église en marche dans les orientations pastorales ? Leur présence donnerait à l'Église cette complémentarité qui lui manque. Notre Église est beaucoup trop masculine dans sa représentativité, dans ses organes de décision apostolique. » (Jacques Breton)
Dans l'article cité note précédente, Joseph Moingt, lui propose de commencer par la base : « Je le répète, le problème premier n’est pas de donner du pouvoir aux femmes. Ne nous berçons pas d’images idylliques : on trouverait facilement des femmes ravies de se glisser dans le personnage du prêtre, en apportant de la même façon une dose de séduction dont on sait qu’elle rend le pouvoir plus dangereux. Il s’agit d’abord de restaurer le sol des communautés chrétiennes, d’y instaurer liberté, altérité, égalité, coresponsabilité, cogestion, d’y laisser pénétrer les soucis du monde extérieur, de rendre ses célébrations plus conviviales, à l’image des premiers repas eucharistiques où l’on partageait le pain et les vivres sous la présidence bienveillante d’un père de famille, sans oublier le principe paulinien d’exclure tout ce qui exclut. Dans cette ambiance neuve le partage du pouvoir se présentera sous un jour nouveau. On se souviendra que le « presbytérat » des premiers siècles, dont le nom a été remis à l’honneur, n’avait pas grand-chose de sacerdotal, le sacerdoce étant alors réservé à l’évêque, et l’on sera capable de le réinventer, de dénouer le lien redoutable du pouvoir, du sexe mâle et du sacré. » (J. Moingt)
[3] Allusion ici au dogme de l'Immaculée Conception promulgué en 1854 par le pape Pie IX.
[4] « La tradition locale tient cet endroit pour l'emplacement de la « chambre haute » où les disciples se réunirent après l'Ascension. Une église de Sion y est attestée dès le IVe siècle. À partir du Ve siècle, d'autres traditions locales y fixent la dernière Cène, la maison de l'évangéliste Jean-Marc et de sa mère Marie, puis celle de Jacques, frère du Seigneur, d'où le remplacement de l'église par une basilique à cinq nefs. Une tradition apparue au VIIe siècle (probable confusion avec la tradition de la maison de l'évangéliste Jean-Marc et de sa mère Marie) fait de ce lieu, au voisinage du Cénacle, l'endroit où Marie, la mère de Jésus, serait entrée dans le sommeil éternel, ce que l'on appelle la Dormition. De là vient le nom du monastère ; l'église elle-même porte le nom de basilique de l'Assomption (ou de la Dormition). » (D'après Wikipedia)
[5] « L'Assomption de Marie, qui est appelée Dormition dans la tradition orientale, est la croyance religieuse orthodoxe et catholique selon laquelle la Vierge Marie, mère de Jésus, n'est pas morte comme tout un chacun mais est entrée directement dans la gloire de Dieu (ce qu'on traduirait communément par « montée au ciel »). Sans fondement directement scripturaire mais très ancienne dans la Tradition des Églises d’Orient comme d’Occident (et fêtée liturgiquement dès le VIIIe siècle), la croyance fut définie comme dogme religieux par l’Église catholique en 1950. Tout en partageant la même foi en l'Assomption, les Églises orientales n'ont jamais souhaité la définir en termes dogmatiques. » (D'après Wikipedia)
[6] « Le Concile d’Ephèse a proclamé en 431 que Marie est devenue en toute vérité "Mère de Dieu" par la conception humaine du Fils de Dieu dans son sein : mère de Dieu non parce que le Verbe de Dieu a tiré d'elle sa nature divine, mais parce que c'est d'elle qu'il tient le corps sacré doté d'une âme rationnelle, uni auquel en sa personne le Verbe est dit naître selon la chair. » (Catéchisme de l'Église universelle, paragraphe 466)