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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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9 septembre 2019

Le mouvement universel du Ki, interview de Maître Masamichi Noro, Aïkido magazine 2003

Pour compléter les messages déjà parus sur le blog, voici un article qui  donne l'historique avec des éléments concernant l'évolution de maître Noro depuis sa jeunesse, les personnes qui ont été importantes pour lui (Maître Ueshiba, Graf Dürckheim…) et la création du kinomichi. Tout un passage concerne le hara et le Ki, l'union ciel-terre.

Résumé de la biographie de MASAMICHI NORO

A l'Aïkikaï de Tokyo Masamichi Noro, surdoué de l'Aïkido, devient très vite un des uchi-deshi préférés de Morihei Ueshiba, qui n'hésite pas à l'envoyer, malgré son jeune âge, comme délégué officiel de l'Aïkikaï pour l'Europe et l'Afrique. Masamichi Noro arrive en France en 1961, il a tout juste 25 ans. Succédant ainsi à Tadashi Abe, il va ouvrir près de 250 clubs d'Aïkido et verra arriver en France Tamura Nobuyoshi ainsi que Nakazono Mutsuro. En constante recherche, il crée sa propre voie en 1979, sur les bases d'exercices mis au point pour se remettre d'un très grave accident dont il fut victime en 1961 : le Kinomichi, littéralement Voie de l'Energie.

En 2001, le groupe Noro-Kinomichi a rejoint la FFAAA comme discipline affinitaire.

 

 

LE MOUVEMENT UNIVERSEL DU KI

 

Maître Noro, Aikido Magazine décembre 2003, 1► Sensei, vous avez débuté la pratique par le Kendo, je crois, et plus tard l'Aïkido, quelles étaient vos motivations ?

M Noro : D'abord, je dois dire, qu'enfant j'étais très souvent malade, c'était affreux. Je devais souvent rester au lit. Vers 8, 9 ans, j'étais un petit garçon plutôt faible. À la sortie de la dernière guerre, beaucoup d'officiers se sont retrouvés sans travail. Un de ces officiers ami, qui passait chez nous, dès qu'il m'a vu, a dit : “Un garçon faible comme ça, ce n'est pas possible. Il faut lui faire faire des exercices physiques.” Mon père était très content, il pensait que cet officier ferait de moi un être raisonnable. L'officier a déclaré : “Je sais faire beaucoup de choses, je suis kendoka. Je vais lui apprendre le Kendo ; il faut qu'il pratique le Kendo.”

J'avais 10 ans à ce moment-là. Dans le même temps, il a dit : “J'ai rencontré Maître Ueshiba. Il a des techniques magnifiques.” Le nom de l'Aïkido était déjà dans ma tête, mais comme il était spécialiste de Kendo, j'ai fait du Kendo. Mon père était vraiment content, il voyait que petit à petit, je me développais. Ensuite, j'ai commencé à m'intéresser au corps, au mouvement du corps. Mais à cette époque mes parents voulaient que je devienne un jour médecin, c'était leur principale préoccupation. Ma famille résidait dans le nord du Japon ; j'ai été envoyé au lycée à Tokyo. Les premières années j'ai étudié très sérieusement pour faire plaisir à mes parents. Mais un jour quand j'ai vu du Judo, j'ai voulu en faire. Je suis rentré au dojo de la police, je suis rapidement devenu 1er dan et puis j'ai fini par rentrer en faculté de médecine.

 

► C'est à cette époque-là que vous avez rencontré Morihei Ueshiba...

M Noro : Je n'acceptais pas de passer mon temps à faire des études. Je l'ai dit à mon oncle qui était un ami d'école de Kishomaru Ueshiba, le fils du fondateur de l'Aïkido, dont j'avais entendu parler 10 ans auparavant ; il m'a répondu : “Si tu réussis en médecine, je te présenterais au grand maître de l'Aïkido et tu pourras pratiquer. Je t'amènerai au dojo du fondateur.” Immédiatement je me suis mis aux études, et j'ai été reçu 2e au concours d'entrée à la faculté. C'était en 1955, mon oncle m'a emmené au dojo de Morihei Ueshiba. J'ai commencé la pratique tout de suite, le premier cours du matin. Kishomaru m'a attrapé, m'a fait shiho nage… j'étais judoka depuis plusieurs années, je n'aurais jamais pensé que quelqu'un puisse me projeter comme ça. Ce n'était pas possible. J'ai été très étonné de cette technique, Kishomaru avait été sans pitié pour moi, mon poignet en est devenu très douloureux. Deux jours plus tard Maître Ueshiba était là. J'ai vu, j'ai compris, c'était magnifique ! Un vieil homme comme lui, faisant de tels mouvements, se déplaçant remarquablement, avec ses cheveux et cette barbe blanche, c'était incroyable. Je me demandais où j'étais. Dès les premiers jours j'ai décidé de m'installer comme deshi. Je suis venu avec mon futon, j'ai salué le maître Ueshiba qui m'a introduit, puis je me suis installé. À cette époque-là il y avait déjà, Tamura Sensei, Arikawa Sensei, il y avait également Okumura Sensei, Tada Sensei entres autres comme externes. Nous n'étions pas nombreux, parfois 5, 6 pratiquants seulement. À l'époque, Kishomaru Ueshiba était salarié dans une entreprise pour subvenir aux besoins de sa famille, et de O Sensei son père également. La vie n'était pas facile, ils vivaient tous avec très peu de moyens. Mais tout se passait magnifiquement, alors j'ai pris ma décision. Je suivrai les trois cours quotidiens, dont un dirigé par Osawa Sensei, j'étais vraiment enthousiasmé.

 

Maître Noro, Aikido Magazine décembre 2003, 2► En quoi la rencontre avec Morihei Ueshiba a été déterminante pour vous ?

M Noro : Le contact avec O Sensei est inexplicable. Tout s'est fait très simplement. Il était là, par sa seule présence, par tout ce qui émanait de sa personne, j'ai été emporté. O Sensei nous disait : “Ma vie c'est la réalisation de l'amour.” J'ai voulu dès cet instant devenir très vite son "chou chou". Je me disais qu'il fallait que j'arrive à être bien avec lui pour progresser le plus vite possible ; pour qu'il me donne beaucoup.

Un an plus tard, j'étais par mon travail un de ses élèves les plus proches. Un matin O Sensei me dit : “Noro, tu es libre ?” Comme je lui répondais par l'affirmative, il poursuit : ”Nous allons à Iwama[1].” J'ai pris nos bagages, et nous sommes partis pour Iwama. C'était ma première rencontre avec ce lieu aujourd'hui mythique.

À Iwama, il y avait Saïto et Isoyama Sensei entre autres. Je dormais dans le dojo. À 5h30, O Sensei commençait la journée par la prière avant de passer aux exercices. Un jour il dit : “Noro, viens, prends un bokken.” J'arrive très ému avec mon bokken. Tout d'un coup, il frappe mon bokken… Mon corps a été comme électrifié… J'ai lâché le bokken. Il a fait une moue de pitié en me disant : “Noro, ça va pas, ça va pas ?” Il me dit : “ Jo, maintenant.” J'ai pensé, il va frapper comme avec le bokken. Je m'y attendais. Au même instant il frappe avec le jo ; Il s'est passé le contraire. Lui-même a du sentir mon énergie, il m'a dit : “Noro tu vas faire du jo…” Mais attention, mon bokken il est pas mal non plus ! Cependant depuis ce moment je fais quelques complexes vis-à-vis du bokken. Il a voulu que je continue l'exercice après le cours. Il m'a montré des roseaux gênants dans le jardin et m'a dit : “Voilà ton partenaire.” Il m'a montré un mouvement technique en me disant : “Fais ça !” “Oui Sensei.” Je commence, mais au Japon, on n'arrête pas la pratique avant que le maître le dise. Il s'était assis à une table et me regardait. Le temps s'écoulait, je faisais la technique, combien de temps je ne sais pas, mais jusqu'à épuisement.

Je me suis approché de lui à quatre pattes pour demander pardon de m'être arrêté. Mais en fait, il dormait… !

 

► Comment a été décidé votre départ pour la France ?

M Noro : Normalement c'est Tada Sensei et moi qui devions venir en Europe après le retour au Japon de Tadashi Abe, pour lui succéder dans ses fonctions. Nous étions délégués pour l'Europe et pour l'Afrique. C'est O Sensei qui a décidé sur une proposition de Kishomaru. C'est comme ça qu'en 1961, j'ai débarqué à Marseille, après une longue traversée en bateau je me suis d'abord installé à Cannes. J'étais seul, Tada finalement avait décidé de rester au Japon. Je devais changer de pays tous les trois mois car je n'avais pas de visa de séjour, Italie, Allemagne, Afrique. Je suis resté 8 ans sans pouvoir rentrer au Japon. C'était pas possible, ça coûtait très cher et j'avais très peu de moyens, malgré les 250 sections que j'avais réussi à ouvrir. Fin 1968, je suis rentré au Japon parce que mon père était très malade. Dès que j'ai posé le pied, je suis allé directement à l'Aïkikaï, c'est normal. Je suis resté dormir et j'ai assisté au cours de O Sensei dans le nouveau dojo où il y avait maintenant beaucoup de pratiquants. Il était très âgé, sa mémoire était devenue très faible. J'étais en seïza parmi les autres, O Sensei s'approche de moi et me demande : “Qui es-tu ?” “O Sensei, je suis Noro.” Puis il part et puis revient : “D'où viens-tu ?” “D'Europe, O Sensei.” Il m'a redemandé 4 ou 5 fois. Alors Kishomaru s'est approché et lui a dit que j'arrivais de Paris. Tout d'un coup, il a réagi et s'est mis à sauter de joie en disant : “Noro est là, Noro est là !” Je voyais que tout le monde se demandait ce qu'il avait. C'était dans les derniers moments de sa vie. Peu de temps après il est décédé.

 

► J'imagine que le processus de création du Kinomichi a été assez long, quand s'est-il imposé à vous ?

M Noro : Tout d'abord il y a eu ce premier choc pour moi. Un accident de voiture en 1966 où j'ai été laissé pour mort. La vitesse me passionnait. Quand je suis revenu à moi, je me souviens bien, deux ou trois de mes élèves étaient à mes côtés qui me regardaient. Ils m'ont dit : “Vous avez eu un accident en voiture.” Tout le monde était très inquiet. J'étais allongé dans mon lit, tout de suite j'ai fait bouger un pied puis l'autre. Donc je pouvais faire quelques mouvements. La main droite pas de problème, la main gauche, paralysée, aucune sensation. J'ai demandé à parler à un médecin à qui j'ai demandé comment ça se fait que ma main ne réagit pas. Il m'a répondu : “D'ici quelques mois ça reviendra.” J'étais soulagé. J'avais conservé la possibilité de bouger. Mais durant ces moments de souffrance, je me suis posé beaucoup de questions. Je me disais : Qu'est-ce que c'est que cette vie-là ? Que suis-je moi-même ? J'ai dit au médecin que je voulais quitter la clinique dans une semaine, que je voulais faire des exercices pour développer mon corps de nouveau. Il ne voulait pas me libérer avant un mois. Ce n'était pas possible. Mais comme je faisais bêtises sur bêtises, il a fini par demander à mon élève de m'emmener ailleurs. J'ai commencé les exercices, j'ai demandé à Asaï qui est en Allemagne de venir me rejoindre et je lui ai dit : “Asaï, à partir de maintenant, exercices tous les deux.”

Maître Noro, Aikido Magazine décembre 2003, 3Dix jours après l'accident, je commençais les exercices, mais mon corps ne suivait pas. J'avais partout des cicatrices. Le choc avait été très dur, mais j'avais envie de m'en tirer. Je m'entraînais sans cesse, et dans le même temps je me questionnais encore, ma vie, cette énergie en moi. Que suis-je ? J'avais une énergie extraordinaire. Je sentais la flamme en moi. Je voulais dans mes exercices dépasser mes limites.

 Je ne pensais qu'en termes d'énergie. Je me rappelais les paroles de O Sensei : “Homme, ciel, terre.” Il disait souvent : “C'est cercle, carré, triangle. Le cercle c'est l'univers entier, le carré c'est la terre, le triangle c'est l'homme. L'harmonisation de ces éléments, c'est le Ki.”

Tous ces exercices, je les faisais à partir du centre vital, le hara[2]. C'est le moteur de l'énergie, de tout. C'est cette force qui est en contact avec le ciel et la terre ; je saisissais toujours plus les paroles de Morihei Ueshiba.

Un jour, plusieurs années après mon accident, comme je marchais dans la forêt, en regardant un arbre j'ai repensé à O Sensei qui avec sa main réalisait l'harmonie entre l'arbre et lui-même. Je m'interrogeais. Comment l'arbre réalise son énergie de vie ? Il puise sa force dans la terre par ses racines, elle passe par le tronc pour s'élever vers le ciel en créant un espace vital. C'est ça, c'est ça qu'il faut, me suis-je dit. Je cherchais partout comment réaliser l'équilibre dans mon corps, ça devenait plus clair. Si nous réalisions l'énergie entre ciel et terre. Si mon corps énergie est harmonisé avec le souffle de la terre. Ce n'est pas simple mais c'est là notre force de vie. Un jour Graf Von Dürckheim, que je considérais comme mon ami, et dont je suivais l'enseignement, me dit : “Quelle est ton idée ?” Je lui ai répondu que le hara, c'est l'outil pour réaliser l'énergie. L'homme doit utiliser son énergie vitale centrée dans le hara. Pour se réaliser, il doit harmoniser cette énergie, la force de la terre avec la force du ciel. Pour vivre, notre force doit rester sur terre. Si nous élevons cette force vers le ciel, il nous renvoie sa force d'équilibre. La force du ciel passe par notre corps vers la terre ; les deux forces se rejoignant au cœur de notre corps. J'étais convaincu que tant que nous vivons, nous devons faire des exercices de terre-ciel pour garder cette énergie.

En Aïkido, on parle également de centre vital. De fait, j'étais arrivé à une réalisation personnelle, parfois en opposition avec la pratique de mon maître Morihei Ueshiba. À ce moment-là, j'ai pensé qu'il fallait que je quitte l'Aïkido. Ce n'était pas facile à assumer. J'en ai parlé à mes proches. Je leur ai dit qu'avec l'Aïkido j'avais connu la réussite, mais que maintenant, le moment était venu de créer ma propre voie. Que je la nommais, Kinomichi, la voie de l'énergie. Que maintenant, la vie sera peut-être moins facile, moins confortable… J'aurais pu continuer à enseigner l'Aïkido, mais il aurait fallu que je triche avec moi-même. Inimaginable. En décidant de me lancer dans cette voie, je prenais des risques importants, notamment de ne pas être suivi par mes élèves. Il y avait beaucoup de raisons objectives que je puisse me tromper. Tant d'idées, parfois géniales, n'ont jamais abouti. Je pouvais me retrouver dans l'impossibilité de nourrir ma famille et même me retrouver mendiant… J'ai demandé à Odyle mon épouse ce qu'elle pensait du nom Kinomichi. Elle m'a répondu : “Kinomichi… Kinomichi… Ça va, c'est bien.” Voilà comment j'ai annoncé la création de ma voie. C'était en 1979. Treize ans après mon accident, j'étais parvenu à la réalisation de ma propre voie. J'avais expérimenté pendant ces années un certain nombre de techniques de kinésithérapie pour retrouver mon équilibre. Le Kinomichi est fondé sur l'ensemble de cette expérience énergétique. Un mois plus tard, tous mes instructeurs sauf deux ou trois ont démissionné. J'ai aussi perdu la moitié de mes hakama, j'étais déçu, triste. Entre temps, j'avais eu des mots assez durs avec Kishomaru Ueshiba concernant cette nouvelle organisation de mon enseignement, mais nous nous sommes finalement et définitivement réconciliés en 1986. Aujourd'hui, je suis très heureux que le Doshu Moriteru Ueshiba ait répondu favorablement à l'invitation de la FFAAA de venir diriger un stage en 2004 à Paris. J'avais prévenu ma famille que cela pouvait arriver. Maintenant il fallait reconstruire, mais sur de bonnes bases, lentement, avec le temps.

 

► A quel moment avez-vous renoncé au caractère martial de l'Aïkido ?

M Noro : Cela fait déjà bien longtemps. Vous savez, toutes les techniques, comme shilo nage par exemple, il fallait qu'elles soient efficaces. Mais moi je n'ai jamais aimé l'affrontement. J'ai toujours pensé aux parles révolutionnaires de Morihei Ueshiba : “La technique est au service de l'amour.” Au fond de moi je n'aime pas l'affrontement, alors le temps était arrivé d'éliminer tout affrontement. Mais malgré ça, si quelqu'un de très puissant, de physiquement bien développé se présente avec sa force, je lui dis : viens, bouscule moi… Je passe alors ma technique pour montrer que je suis encore dans la recherche.

 

► Préconisez-vous un travail particulier sur le ki ?

M Noro : Beaucoup de pratiquants d'arts martiaux parlent de ki, mais ce ki, ils l'utilisent pour s'affronter. Un jour je vois deux de mes élèves qui pratiquent comme dans un affrontement. Dans l'exercice, ils étaient très contractés. L'un dit : “Toi, tu as du ki.” Alors, je leur ai dit, ça ce n'est pas du ki. Le ki, c'est le souffle universel, c'est un souffle créatif. Ce qui est destructif, ce n'est pas du ki. Le ki, c'est l'amour et l'amour doit être harmonisation. L'énergie c'est la rencontre homme-terre-ciel. Quelqu'un qui dans un affrontement projette son partenaire très loin, ça n'est pas du ki. Dans ces moments-là, je me dis que tout ça doit changer. Nous devons changer. Quel est le sens de cette vie moderne, qui établit cette relation entre les êtres, quand je vois le monde d'aujourd'hui avec tous ces conflits ? La véritable force est dans celui qui crée une relation d'amour entre les hommes. Entre l'homme et la nature, entre l'homme et l'univers. C'est cette énergie que le Kinomichi veut développer par ses exercices. Mais malgré cela quelqu'un peut arriver, se durcir et briser cette harmonie.

 

► Quels sont les principes fondamentaux qui déterminent le Kinomichi ?

M Noro : La rencontre, la communication, l'amour, la paix. Souvent, je dis dans mes cours : quand on commence l'éducation dans l'enfance, tout n'est que méfiance. Beaucoup de méfiance. Attention, méfie-toi ! À l'école, qui t'as frappé ? Untel, alors va le tabasser. Quelle note ? Qui est fort ? Qui est faible ? Plus tard dans la vie active, la rivalité s'installe. Il faut être le meilleur. Plus fort, plus beau, etc. Je dis l'énergie du Kinomichi, ce n'est pas ça. C'est l'esprit d'ouverture, le contact par l'exercice. Cet exercice, c'est comment optimiser cette énergie qui passe par la terre et s'élève vers le haut en traversant le corps. Bien sûr le Kinomichi n'est pas seul à utiliser ce principe. À l'origine de la danse déjà ce principe dominait. Dans les danses primitives comme dans les danses modernes, l'énergie s'élève des pieds vers la tête, de la terre vers le ciel. Aujourd'hui malheureusement, il n'existe plus de discipline qui travaille ce principe terre-ciel.

 

► Que devient la relation tori-uké comme la connaissent les pratiquants d'Aïkido ?

M Noro : Kinomichi, c'est l'art du mouvement. C'est dans le mouvement que s'exprime cette énergie dont nous avons parlé. Tori est au centre de cette spirale, uké, comme un atome, est en gravitation autour de ce centre. L'esprit est dans ce mouvement d'harmonisation entre tori et l'attaque de uké. C'est à cela qu'il faut arriver, faire disparaître le désir de domination par l'affrontement. Tori et uké c'est l'harmonisation. Ce doit être une rencontre pour créer le souffle de l'harmonisation.

 

► Les techniques de bases de l'Aïkido se retrouvent-elles dans le Kinomichi ?

M Noro : Toutes. Nous travaillons toutes les techniques de l'Aïkido. Parce que je ne connais que l'Aïkido, pas autre chose. Mais, la première chose à faire, par exemple shiho nage. Nage, projection. Dans la tête vient tout de suite l'idée de projeter. Ikkyo, autre exemple, immobilisation. Déjà, c'est deux exemples d'un début d'affrontement dans les esprits, alors j'ai supprimé tous ces nage et immobilisations. De même pour ce qui concerne les attaques, j'ai gommé l'esprit guerrier de l'attaque, donc la forme combative des défenses. Les techniques de l'Aïkido sont utilisées comme vecteur de communication, d'harmonisation, dans l'esprit défini par O Sensei. L'aspect extérieur de shiho nage reste shiho nage, mais à l'intérieur de la forme, ce n'est qu'harmonie. C'est pourquoi je l'ai nommé : premier mouvement du ciel. Et Ikkyo : premier mouvement de la terre.

 

Maître Noro, Aikido Magazine décembre 2003, 5► Le toucher, dans votre pratique, semble être un acte libérateur...

M Noro : Bien sûr. Attention ! Le toucher peut aussi être un piège. Dans le Kinomichi, le toucher est un facteur de communication partagé. Il faut faire une distinction, dans le toucher, les deux souffles ne doivent pas s'affronter, c'est la destruction.

 

► Avez-vous également adapté le travail aux armes de l'Aïkido à votre pratique ?

M Noro : Tout à fait, les armes de l'Aïkido se retrouvent dans la pratique du Kinomichi. L'arme doit être un moyen de développer le Ki, comme nous l'avons défini précédemment, principalement le bokken et le jo. C'est le premier Shogun, Tokugawa, qui a déclaré au XVIIe siècle : “Maintenant assez de guerre, le Japon doit retrouver la paix.” C'est sous son ère que le sabre du samouraï a évolué vers un instrument au service de la paix. L'arme ne devait plus servir à tuer mais au contraire à favoriser l'équilibre intérieur, tout en devenant un symbole de pureté comme on le vit aujourd'hui. C'est dans cet esprit que le samouraï devait utiliser son arme. C'est aussi à ce moment que le bujutsu (technique de guerre), a évolué vers le bugeï (art de paix). La pratique des armes était devenue une pratique dans la joie de vivre. C'est dans cet esprit-là qu'elle s'intègre dans le Kinomichi. Encore une fois, la voie que nous a montrée Morihei Ueshiba.

 

► A qui s'adresse la pratique du Kinomichi ?

M Noro : A personne en particulier, à tout le monde, aux enfants comme aux adultes jusqu'à un âge avancé. J'ai même une pratiquante de 80 ans, elle est magnifique, extraordinaire. Il est bien sûr possible de s'initier à tout âge. Le devoir des anciens est de s'ouvrir aux débutants. Cette communication est inscrite immédiatement dans le Kinomichi.

 

► Le Kinomichi est en quelque sorte l'œuvre de votre vie, comment le voyez-vous aujourd'hui ?

M Noro : Déjà presque 25 ans que nous développons notre art. Je suis très enthousiaste. Cet exercice me paraît nécessaire pour l'humanité. Nous nous sommes développés dans de nombreux pays, en Europe et dans le monde entier. Le mois prochain, je serai au Mexique où j'ai beaucoup d'élèves. Nous pouvons créer une autre dimension dans la relation humaine. Nous sommes déjà nombreux dans cette pratique. Je ne sais pas exactement à quel stade nous sommes arrivés, mais le Kinomichi fait toujours plus d'adeptes.

 

 

Maître Noro, Aikido Magazine décembre 2003, 6

       Encadré d'Aikido Magazine :

NAISSANCE DE LA TENUE DE KINOMICHI

 

Reconnaissable entre tous, le Hakama du Kinomichi est né, au début des années 1980, de l'inspiration d'une élève de maître Noro. Styliste chez Hanae Mori, la maison de haute couture de renommée internationale, Mouchy, sur la demande de maître Noro va lui proposer divers croquis, directement inspirés des tenues des samouraïs du 17è et 18è siècles qu'elle avait référencées lors de ses multiples séjours au Japon. La tenue blanche que portent les hakamas est fabriquée en France à partir de l'un de ses croquis. Le Hakama rayé, fabriqué au Japon, est référencé dans la gamme des échantillons fournis pour les hakamas traditionnels. Le MON est l'emblème de la famille paternelle de maître Noro.



[1] Iwama était la maison de campagne de maître Ueshiba.

[2] En japonais "hara" c'est le ventre. Ici cela désigne un point situé en-dessous du nombril. Voir le livre Hara de Graf Dürckheim.

 

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