"Le chemin vers l’unité" exposé de Ryô-san, moine zen japonais, lors de la 3e rencontre à St-Benoît, 2019
Après les témoignages de frère Étienne et de frère Benoît de l'abbaye de Saint-Benoît-sur-Loire, à son tour Ryôsan, moine du monastère zen du Ryutakuji (Japon) dit comment il voit "le chemin vers l'unité" dans sa propre tradition. Pour lui « l’éveil dans le bouddhisme indique l’état de cœur qui a éliminé le point de vue dualiste entre soi et l’autre ; en d’autres termes, cela signifie qu'il y a unité. » Or dans la tradition zen rinzaï qui vient de Chine, il y a tout un travail à faire, et le maître se réfère aux kôans, qui souvent contiennent des questions qui sont comme "joutes verbales". Aussi Ryôsan nous introduit-il au premier kôan du Mumonkan, le "Mu" de Maître Jōshū.
Pour la présentation de cette rencontre inter-monastique organisée par le Centre Assise, voir le début du message où se trouve l'exposé de Jacques Mérienne, prêtre responsable spirituel du Centre.
Quelques-uns des messages consacrés à ces rencontres :
- Présentation des rencontres entre les moines de St-Benoît-sur-Loire et Ryô-san, moine zen japonais
- Père J. Mérienne (02/09/2019 après-midi) : Centre Assise et Église (réflexions destinées aux membres du Centre Assise)
- Fr. Etienne, père abbé émérite (02 /09/2018 matin) : "Le chemin vers l'unité", exposé de fr. Étienne ;
- Fr. Benoît (03/09/ 2019 matin) : "Le chemin vers l'unité", exposé de fr. Benoît ;
- Ryô-san (03/09/ 2019 fin d'après-midi) : Le présent exposé
Le chemin vers l’unité
par Ryôsan
Bonsoir à tous, et je suis très honoré d’être accueilli parmi vous cette année encore et sincèrement reconnaissant pour cette opportunité qui m’est offerte.
Commençons sans attendre : l’homme est un animal qui pense. Autrement dit, la particularité de l’homme est qu’il pense. Grâce à cette particularité, l’humanité a créé la philosophie, la science, ou encore les beaux-arts, etc. La culture humaine est le fruit de la capacité humaine de penser. Mais quelquefois, cette particularité peut se manifester comme un point faible et finir par nuire. Cette précieuse capacité peut causer des soucis à un individu ou à une famille, même quelquefois elle crée une situation conflictuelle et donne une guerre terrible au niveau d’un pays ou d’une société.
La libération dans le bouddhisme : il s'agit de libérer l’homme de cet obstacle maladif qui consiste à penser, et l’aider à retrouver la santé mentale (qu’il avait à l’origine). Mais cela ne veut pas dire de rester inactif en ne pensant à rien. La base des enseignements du zen est de voir la réalité telle quelle est, et de penser correctement.
Pour voir et penser correctement, nous avons d’abord besoin de dépasser le point de vue dualiste. Et quand nous avons réussi à dépasser ce point de vue dualiste, nous arrivons à établir un vrai soi.
L’éveil dans le bouddhisme indique l’état de cœur qui a éliminé le point de vue dualiste entre soi et l’autre. En d’autres termes, cela signifie qu'il y a unité.
Cette année, le thème de ces rencontres inter-religieuses est « le chemin vers l’unité ».
On pourrait dire que le chemin vers l’unité dans le zen est le chemin vers l’éveil.
J’aimerais parler de ce chemin vers l’éveil en vous présentant ce que nous appelons « kôan » dans le zen.
Le kôan est une question sous forme de « joute verbale ». Différent des questions scolaires ou des quiz, vous n’arriverez jamais à le comprendre si vous essayez de le comprendre intellectuellement. Pour répondre à la question du kôan, il faut essayer d’exprimer votre propre état de cœur en y mettant tout votre corps et toute votre âme. Cet échange verbal appelé "kôan" est effectué depuis les temps anciens entre les maîtres et les disciples.
Ces échanges verbaux sous forme de questions-réponses nous transmettent aujourd'hui les expériences et les prises de consciences ou l’éveil des grands maîtres qui pratiquaient le zen dans notre école au fil de l'histoire. Le kôan, permet aux pratiquants de suivre le parcours des maîtres ancestraux, il est utilisé comme un moyen de pousser les pratiquants dans une situation sans issue, en utilisant des questions impossibles à comprendre intellectuellement, de les guider pour qu'ils voient la réponse qu’ils vont finir par donner, et de vérifier si la prise de conscience qu’ils ont obtenue n’est pas erronée.
Il est dit qu'il existe plus de 1700 kôans. Mais si l'on ajoute des questions complémentaires à ceux-ci, le nombre total ferait le double. Parmi ces kôans, 48 jugés essentiels ont été choisis comme le premier portail à franchir pour les pratiquants zen. La première étape importante pour les pratiquants est concentrée dans un livre appelé Mumon-kan.
Je vais d’abord vous présenter rapidement ce qu'est Mumon-kan.
Mumon-kan a été publié par le maître Zen chinois du XIIIe siècle appelé "Mumon Ekai". La partie principale de chaque kôan est constituée des notes prises par les maîtres ancestraux encore plus anciens que Mumon ; cette partie principale est commentée ensuite par Mumon et un poème de quelques phrases sert de conclusion.
Le contenu porte généralement sur la recherche de la voie au moyen de Zazen et il est rédigé pour orienter et encourager les pratiquants dans leur pratique concrète.
Aujourd’hui, je vais vous parler du tout premier kôan de ce Mumon-kan, intitulé « Jôshu et le chien »
Article principal :
« Un jour, un moine a posé une question à Maître Jōshū : “Un chien a-t-il la nature de bouddha ?” Jōshū de répondre : “Mu”. »
Je vais d’abord vous expliquer qui est ce Maître Jōshū. Il est dit qu’il vécut jusqu’à 120 ans aux VIIIe-IXe siècles, son nom se fit connaître à l’âge d’or de l’école Zen en Chine.
Ici, un moine apparait et demande à Maître Jōshū : « Un chien a-t-il la nature de bouddha ? » Maître Jōshū répond « mu ». Voilà tout ce qui se trouve dans l’article principal.
Si ce kōan devenait vraiment clair pour vous et que vous parveniez à comprendre le véritable sens de ce « mu », les 1700 autres kôans seraient inutiles. Je n’exagère pas en disant que ce « mu » représente le pilier principal du Zen.
Je pourrais même pousser plus loin et dire que même ce « mu » serait inutile ! Cependant Maître Jōshū donne ce mot d’une seule syllabe comme support à la recherche.
Littéralement le caractère japonais utilisé pour « mu » signifie la négation, et beaucoup de personnes pensent que la réponse de Maître Jōshū est « non ». Dans ce cas, cette réponse contredirait l’enseignement du Bouddha qui dit que tous les êtres sensibles possèdent la nature de bouddha. Donc, sa réponse n’est pas la dénégation.
Quel est alors le sens de sa réponse ? Commençons par voir ensemble ce qu’est la nature de bouddha.
La nature de bouddha indique la nature véritable de chacun. Celle-ci n’a ni forme apparente, ni couleur. Il s’agit de la vie même qui permet à un être de rester actif. Elle est indépendante de toute sorte de jugement quel qu’il soit, et chaque être vivant la possède.
Elle n’est pas non plus la personnalité ni l’égo. Elle est la nature pure de chaque être avant sa naissance. Jōshū exprime cela avec un seul caractère "mu".
Le moine qui a posé la question n’a pas voulu savoir simplement si un chien possédait la nature de bouddha. D’ailleurs si Maître Jōshū avait été quelqu’un capable de répondre à une telle question seulement par un simple "oui" ou "non", ce moine ne se serait certainement pas adressé à lui. En effet, le but principal de cette question était de voir la nature de bouddha de Maître Jōshū. C’est ainsi que ce dernier a dévoilé sa propre nature de bouddha au moyen de cette syllabe unique « mu ».
Après l'article principal Mumon ajoute un long commentaire, mais certains passages nécessitent des connaissances préalables. Je me permets donc de ne citer que quelques passages plus ou moins faciles à comprendre.
<Commentaire de Mumon >
Pour apprendre le Zen, les pratiquants doivent passer par le portail placé par leur maître. Pour atteindre l’éveil, il faut avoir dépassé les jugements.
Un simple « mu », voilà le portail suprême du Zen.
Celui qui passe ce portail parvient non seulement à voir Maître Jōshū très proche, mais à se relier aux maîtres de toutes les générations, à les voir face à face, à avoir le même regard et la même ouïe qu’eux.
Quelle chance nous avons d’avoir la possibilité de prendre conscience de la vérité, malgré 1000 ans qui nous séparent. Il ne faut pas confondre le "mu" avec la vacuité qui vient du néant, ni avec celle qui nait de la dualité entre l’existence et la non-existence. Eliminez toutes vos réflexions dualistes accumulées jusqu’à maintenant et continuez de méditer à la recherche de l’éveil. A un moment donné quand cela arrive à la maturité, toutes sortes de pensées dualistes s’estompent… alors vous serez totalement libéré de tout et vous pourrez vivre votre vie avec l'esprit totalement libéré et dans la joie.
Mumon lui-même a mis 6 ans pour trouver sa réponse à ce kôan. Il donne cette conclusion sur la base de ses propres expériences, en vue d’encourager les pratiquants qui le suivent.
Apprendre le Zen, pour nous les pratiquants de zen, c’est essayer d’avoir un même point de vue que nos maîtres ancestraux. Pour cela, il est primordial de faire l’expérience d’un éveil en éliminant les visions dualistes telles que le soi et l’autre. Dans la méditation de zen, se cachent beaucoup de démons intérieurs tels que les illusions et les attachements. Pour les éliminer, nous sommes munis de l’arme appelée « mu ». Lorsque nous parvenons à les éliminer, nous parvenons à atteindre le Soi qui forme l’unité avec le ciel et la terre, ainsi que tous les êtres. Si nous parvenons à connaître cet état que l’on pourrait appeler « le vrai soi », nous pourrons vivre une vie de manière totalement libérée.
Je viens de vous expliquer rapidement sur le kôan. Si j’essaie de montrer le chemin vers l’unité d’un point de vue du zen, les entraînements, y compris la méditation assise de zen, sont nécessaires afin de faire l’expérience d’un état de cœur de l’unité entre le soi et toutes choses de l’univers. Mais comme je vous l’ai expliqué l’année dernière, cette expérience vécue n’est pas l’objectif final : il faut continuer de s’entraîner pour mettre cette expérience en application dans la vie quotidienne et aider les personnes qui souffrent à trouver la libération. Un tel chemin sans fin des entraînements est le chemin vers l’unité dans le zen.
Je vous remercie de votre attention.