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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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17 avril 2020

Dossier sur la célébration eucharistique avec des réflexions de Jacques Mérienne et de Joseph Pierron

En ce temps d'interdiction de tout rassemblement en raison du covid-19, la question de l'Eucharistie se pose et nous oblige à réfléchir sur la célébration eucharistique. Déjà en septembre dernier Jacques Mérienne[1] avait demandé aux membres du Centre Assise de réfléchir aux célébrations qui ont lieu en fin de sessions : comment éviter de recourir à un prêtre extérieur à la session, puisque, sauf exception, il n'y a plus de prêtre présent depuis le décès de Jacques Breton ? et même comment inventer du neuf ?

Plus généralement se pose la question des places des participants (laïcs, prêtre…) dans la célébration elle-même. Et justement le local de la rue Quincampoix du Centre Assise est proche de l'église Saint-Merry qui est une paroisse un peu hors norme. Au début, certaines activités du Centre avaient même lieu là-bas. Cette paroisse est hors norme car en mai 1975, le Cardinal François Marty, archevêque de Paris, avait confié à Xavier de Chalendar et à un groupe de chrétiens une mission de présence d’Église dans ce lieu en pleine mutation. Ainsi était né le Centre Pastoral Halles Beaubourg (CPHB), dénommé Centre Pastoral Saint-Merry depuis 2015. Joseph Pierron décédé en 1999, qui en faisait partie a écrit un article fort intéressant au sujet des célébrations, il figure en 3e partie.

Voici donc un mini dossier :

  • Une grande partie de la réflexion de Jacques Mérienne faite jeudi saint (9 avril 2020). À partir de ce qu'il vit au sein de la paroisse Saint-Eustache de Paris, il parle dela place de l’Eucharistie dans la vie du chrétien (source : https://baptises.fr/content/jeudi-saint-9-avril-2020);
  • La fin de la réflexion de Jacques Mérienne adressée aux membres d'Assise en septembre 2019 : Centre Assise et Église ;
  • "Célébrer pour faire Église", l'article de Joseph Pierron[2] paru dans le livre Actualiser la morale (mélanges offerts à René Simon). Paris, Cerf, 1992. À l'époque Joseph Pierron (prêtre des missions Etrangères) et René Simon (salésien de Don Bosco) faisaient partie de la communauté du Centre Pastoral Saint-Merry, communauté à laquelle Jacques Mérienne a appartenu par la suite.

 

 

I – Homélie de Jacques Mérienne lors du Jeudi saint

 

La sécurité et la santé de tous passent aujourd’hui par un fraternel « rester chez vous » ou un amical « jamais en groupe » […] Cela a pour conséquence l’arrêt des célébrations eucharistiques jusqu’à nouvel ordre. Une eucharistie ne pouvant exister sans l’assemblée qui en est le signe premier et fondamental, il n’y a pas de « messe privée », donc les prêtres ne célèbrent pas seuls, ils « jeûnent » tout comme les autres fidèles et en communion avec eux. L’eucharistie est un sacrement du corps, le corps de l’assemblée devient le corps du Christ, et il ne semble pas qu’un écran puisse le remplacer. L’écran de l’ordinateur ou du téléphone offrent une image nourrissante et apaisante, mais ambiguë et sans mystère. S’il est légitime de retransmettre une messe comme le fait la télévision depuis des décennies au profit de ceux qui ne peuvent se déplacer ou participer à de grands rassemblements internationaux, l’Église n’a jamais cherché à faire croire que ces émissions pouvaient remplacer le contact et la présence qui sont la chair du sacrement. Un enseignement et une émotion sont transmises à travers des images de recueillement et de fête, des prédications et des chants, mais c’est dans le secret du cœur de l’auditeur, dans sa solitude et son absence que se révèle le mystère du geste sacramentel trouvant sa source dans la foi et l’espérance dont il est porteur.

Ne pas célébrer la messe peut être aussi important que de la célébrer, et aussi « nourrissant » pour la vie chrétienne. Les Églises appellent cela le « jeûne eucharistique » […]

lavement des pieds et repasL’eucharistie instituée par Jésus au cours du dernier repas qu’il prit avec des disciples a été d’emblée reçue par les premières communautés chrétiennes comme le cœur vivant de leur rassemblement, elles nous en ont fait de multiples récits, elles en ont fait dès le début mémoire comme le demandait Jésus lui-même : « Faites ceci en mémoire de moi. » Mais elles ne l’ont jamais considérée comme leur unique et exclusive raison d’être, au contraire elles manifestent la possibilité et l’importance de vivre aussi cette communion avec le Christ en dehors de ce geste. La communauté célèbre le rite mais c’est le Christ qui fait la communauté, et non le rite. Saint Jean est le premier à le marquer dans son évangile quand il ne transcrit pas l’institution de l’eucharistie comme le font les autres évangiles ou saint Paul, mais le lavement des pieds des disciples par Jésus, un autre geste qui implique tout autant le Seigneur et ses disciples dans une mémoire transmise encore aujourd’hui. Saint Luc lui aussi place ce jeûne dans son évangile avec les pèlerins d’Emmaüs qui reconnaissent Jésus rompant le pain alors qu’il a déjà disparu. Ils réalisent qu’ils sont seuls, mais avec le « cœur brûlé tandis qu’il leur parlait » (Lc 24.32). Ces évangélistes nous disent que si la communion eucharistique se trouve dans le rite faisant mémoire du geste de partage de son corps par le Christ, et que ce rite nous est donné pour vivre cette communion à notre initiative, cette communion eucharistique se trouve aussi et se reçoit dans d’autres circonstances, qui ne sont pas des rites mais des événements ou des rencontres, voire des silences ou des haltes qui surgissent dans la vie de chacun ou de la communauté, et qu’il faut saisir car elles nous purifient de nos routines et de nos facilités pour nous rendre à l’innocence de celui et de celle qui reçoivent un cadeau inattendu et en sont émerveillés.

Dieu est fidèle et il nous accueille quand nous nous tournons vers lui, mais ce qui est décisif c’est de reconnaître que quel que soit le parti que l’on prend à son égard, contemplation ou nuit, la place de Dieu dans nos vies est un lieu secret, il se révèle, il se dévoile sans nous attendre, ce qui nous surprend, sans nous abandonner, ce qui nous rend confiants, sans nous enfermer, ce qui nous rend vraiment libres.

Nous priver de messe ne nous prive pas du Christ, ne nous prive pas de l’amour de nos frères et sœurs, ne nous prive pas du tête-à-tête avec l’en-haut, ne nous prive pas d’une espérance qui devient puissante. Nous sommes dans un temps d’attente, de respirations courtes et de regards furtifs, un temps de crépuscule que le printemps naissant n’arrive pas à réveiller car la ville est vide et les rues abandonnées à l’errance des sans-abris sans amis. L’urgence est de maintenir possible notre communion en la réinventant au besoin, pour poursuivre sûrement autrement ce que les gens les plus simples dont la foi est dite populaire, ce que les croyants les plus traditionnels, les mystiques et les prophètes visionnaires ont entrepris avant nous, ce que Paul a entrepris pour passer du Jésus qu’il n’a pas connu au mystère du Christ dans la communauté chrétienne ; il nous appartient de mettre à profit ce temps où nous sommes livrés à nous-mêmes pour actualiser ces entreprises, pour passer du Christ restreint à la communauté chrétienne au Christ universel qui s’élabore dans l’humanité entière, au-delà des frontières définies par nos lieux, nos agendas, nos institutions et nos autorités ou par ceux qui veulent s’en emparer, Christ aujourd’hui qui s’élabore au sein de notre humanité qui tente de rejoindre la demeure de Dieu parmi les hommes.

 

II - Centre Assise et Église

Fin de la réflexion de J. Mérienne adressée à Assise

 

Le discernement est dans le Centre Assise de la responsabilité des laïcs, et cette tâche est à accomplir collectivement.

La responsabilité des laïcs s’exerce déjà dans les instances de gouvernement dues au statut associatif du Centre, présidence, secrétaire et trésorier, conseil d’administration et son bureau. Mais on comprend aisément que la question est d’un autre ordre, plus fondamental. Il s’agit de « décléricaliser » le Centre Assise, expression paradoxale puisque le Centre n’a plus de prêtre à sa tête, que la vie spirituelle chrétienne y est déjà animée par de nombreux laïcs, et que tous les membres, participants ou animateurs, ne sont pas nécessairement chrétiens.

Chapelle à St Gervais en 2006Cependant les clercs les plus pernicieux sont ceux qu’on garde dans sa tête, parfois sans le savoir. Les laïcs doivent trouver confiance et légitimité, à leurs propres yeux, proclamer et célébrer leur foi directement eux-mêmes, faire Église par eux-mêmes surtout si l’Église en question prend la forme d’une communauté apostolique comme je l’ai dit. Posons la question concrètement. Un point symptomatique est par exemple la question de la messe en fin de session : « pour la session de Pâques N. insiste pour coordonner cette session avec un prêtre » dit le programme. C’est une manière de faire qui donne de l’urticaire aux prêtres qui sont sollicités comme préposés au sacré, et par là-même cela rend ambigu le sens de l’Eucharistie. Jacques ne célébrait pas une eucharistie en fin de session parce qu’il faut absolument terminer par une messe pour que ce soit catho. Alors que faisait-il ?Sa présence au sein du groupe lui permettait de porter avec les participants dans l’action de grâce les fruits individuels et collectifs du cheminement vécu ensemble, il présidait une communion déjà là. La messe ne venait pas combler un manque, ni apporter un plus à ce qui était déjà là, car si rien n’est là, la messe est un rite certes pieux mais formel et externe. Si les époux ne s’aiment pas le sacrement de mariage est nul, si le pénitent ne regrette rien le sacrement de réconciliation est une mascarade.

En fait la réalité sacramentelle, présence active du Christ, doit exister avant le rite qu’elle appelle, elle est le fruit de la communion qui naît lorsque chacun à sa manière et à sa place relie son propre cheminement et le cheminement de tous au mystère de l’amour du Fils pour le Père et du Père pour le Fils, c’est-à-dire que chacun peut mettre en œuvre son sacerdoce de baptisé pour entrer avec tous dans le mystère de la Pâque.

Une communauté apostolique composée de laïcs comme le Centre Assise, a donc vocation à être par elle-même une communauté sacramentelle (les théologiens orthodoxes diraient « pré-sacramentelle » pour ne pas faire l’impasse du rite). Une célébration sans prêtre, mais pas sans le Christ, dont la forme est à inventer dans la confiance et la communion, peut légitimement l’exprimer tout aussi bien qu’une eucharistie présidée par un prêtre (qui bien entendu a toute sa place chaque fois qu’elle est possible). La créativité des membres et des participants s’exprime d’ailleurs déjà pour trouver des gestes qui nourriront ces célébrations.

 

Revenons à ce propos sur un paradoxe apparent. Comment un groupe qui accueille incroyants et croyants (croyants de divers calibres bien entendu) peut-il être une « communion sacramentelle » ? Le statut des « non-croyants » à Assise n’est pas d’être acceptés, mais d’être des partenaires à part entière, y compris dans les instances de gouvernement. Nous recroisons ici l’importance de la différence dont j’ai déjà parlé, enjeu essentiel du projet apostolique que porte le Centre. Différence pensée comme expression de l’unité, d’une unité plus grande qu’entre semblables, qui ouvre sur le mystère de la personne humaine que tous approfondissent. La différence comme expression diversifiée de l’unité donne à l’autre toute sa place dans ce mystère. Le vrai dialogue devient exigence de s’appuyer sur la « grâce » particulière de chacun, sur les dons différents de chacun, même et surtout si cette exigence est décapante. Une telle compréhension de la différence comme expression de l’unité en fait non pas une dimension passive et subie, mais la promesse d’une intelligence dynamique de nos voies partagées.

 

Tout ce qui vient d’être dit définit une tâche à accomplir collectivement, dans le dialogue, dans la confiance et dans la créativité. Et dans la communion, une communion qui inclut tout le monde, au-delà du cercle des croyants. Une communion qui change le regard que nous avons sur nous-mêmes, être suffisamment chrétien pour qu'être chrétien disparaisse dans la relation à l'autre, être suffisamment l'Église pour que l'Église ne soit plus une institution extérieure et dominante. Et pas seulement pour que ça marche, ce qui est déjà un objectif nécessaire et louable, mais parce qu’il s’agit d’un des caractères propres du Centre Assise.

La communion est un des paramètres essentiels du discernement au sein d’une communauté apostolique. La communion donne un sens supplémentaire à la démarche de chacun en la stimulant et en la partageant. Pour le croyant la communion est la condition de l’accueil de l’Esprit. Cela explique que je ne peux ni ne veux donner aucune réponse concrète aux questions que je pose, puisque ces réponses sont à élaborer ensemble. Nous ne sommes pas un monastère, nous ne sommes pas une congrégation, nous sommes un groupe de laïcs, nous avons à créer entre nous des liens réciproques qui constituent notre manière d'être en Église dans un engagement personnel vis-à-vis de soi-même, vis-à-vis de autres, vis-à-vis du « monde » de « l’existence ». Nous découvrons une des dimensions de l’Église qui rejoint celle des origines : une communion qui suppose l’engagement de chacun mais n’est le fruit que du don d’un seul. Et cela dans la plus grande gratuité...

 

 

III – CÉLÉBRER POUR FAIRE ÉGLISE

Chapitre de Actualiser la morale (mélanges offerts à René Simon)

Écrit par Joseph PIERRON en 1992

 

René Simon fait partie de la communauté du Centre Pastoral des Halles-Beaubourg qui se réunit en l'église Saint Merri. […] C'est à partir de ce lieu particulier que je tenterai d'approcher ce qu'il en est de la célébration eucharistique qui est le cœur et la source de toute communauté. C'est dire que je ne saurais tirer des principes universels, immédiatement transposables ailleurs. Bien plutôt, les quelques singularités montreront les problèmes qui se posent à nous et poseront la question du sérieux de la pluralité dans l'unique culte de l'Église romaine.

Lorsque ce quartier de Paris – que les Halles centrales ont déserté pour la banlieue – se rénove, il apparaît encore plus nettement que la densité des églises paroissiales dans ce secteur est trop important au regard des demandes de catéchisation et de sacramentalisation. Le centre de Paris bouge : de nouveaux besoins se font plus pressants, d'où l'idée du Cardinal Marty de répartir ces tâches nouvelles aux diverses églises. Au centre pastoral des Halles-Beaubourg il confie celle d'inventer et d'assurer une nouvelle présence d'Église. Xavier de Chalendar et une équipe de laïques de prêtres se lancent dans cette entreprise.

Saint-Merri est de plain-pied avec la rue Saint-Martin, vieille route de communication nord-sud et de pèlerinage qui débouche sur la tour Saint-Jacques et qui ouvre le chemin vers Saint-Jacques de Compostelle. Aujourd'hui la procession ne se fait plus dans le même sens : les passants ne marchent plus vers l'église mais bien vers le Centre national d'art moderne, dit aussi Centre Pompidou et sa piazza.

C'est un des lieux qui, à Paris, dit l'impact de la modernité. L'église de Saint-Merri, si belle soit-elle, affrontée au musée d'Art moderne, risquait d'être rejetée du côté du passé ; plus, elle peut apparaître opposée et rivale de la modernité établie sur les bords du flux, elle ne veut pas être marginalisée. Tout d'abord elle peut être ouverte et accueillante. Reste que le rapport au monde qui advient reste une interrogation bien réelle.

Rapidement, la célébration eucharistique s'est révélée nécessaire pour constituer la communauté. Il n'était pas question de satisfaire à bon compte à l'obligation dominicale, encore moins de satisfaire à une forme de piété… Dans le dynamisme d'une communauté qui s'instaurait, dans les divergences d'opinion, dans les discussions autour des options à prendre, dans une ferveur à exprimer, en fonction de désirs à réaliser, il s'agissait bien d'une question d'identité chrétienne qui devait s'affirmer ; heureux si des gens qui depuis des années "ne pratiquaient plus" s'y reconnaissaient comme chrétiens. C'est dans la parole et le mystère de Jésus, du Dieu qui vient, du Dieu pascal, que se trouvait le lieu de l'unité.

Encore fallait-il que ce ne soit pas « le prêtre qui célèbre l'eucharistie » mais bien que ce soit « la communauté qui célèbre » ou encore mieux que ce soit « l'Esprit qui célèbre dans la communauté ». La communauté devait faire eucharistie. Ce n'était pas dévaluer le prêtre, le réduire ; c'était au contraire le situer, l'intégrer. Bien plus authentiquement que notre église de pierre, la communauté rassemblée, invitée, la communauté de ceux qui se savent appelés par leur nom constituent notre lieu d'Église. Le principe était beau, dynamique, enthousiasmant. Il fallait qu'il devienne créateur, constituant et qu'il reste cohérent. Ce n'est pas une tâche facile.

célébrerLa décision de célébrer l'eucharistie prise, les questions n'ont cessé de se poser, sans obtenir de réponses qui soient sans équivoque, évidentes. Les options restent contestables et contestées. La première question a été celle du rythme des célébrations. Dans la même église, une messe paroissiale est célébrée chaque jour. Des rassemblements de prières se sont organisés, avec des périodicités variées : ils répondent à des exigences personnelles. Le rythme choisi pour la célébration communautaire est hebdomadaire : c'était une façon de se relier à la pratique ecclésiale commune, donc se donner le statut d'une communauté chrétienne, de maintenir aussi le symbolisme de jour "un", mémorial de la résurrection du Christ, signe de l'attente de son retour.

La seconde question porte sur « qui célèbre ? » Une fois admis que c'est la communauté qui célèbre dans l'Esprit, il est apparu que la constitution d'une équipe liturgique, du fait de son aspect institutionnel, ne répondait guère à ce principe. La préparation de la célébration a lieu le mardi soir : vient qui veut. C'est courir le risque de se retrouver tout seul, ou celui de voir souvent les mêmes têtes, mais c'est aussi s'ouvrir à une recherche insoupçonnée au point de départ. Cela nécessite une sorte d'apprentissage, car partager la parole ne suffit pas à bâtir une célébration.

Dans la même ligne, on a voulu éviter la constitution d'une chorale séparée. La communauté qui célèbre est aussi celle qui chante : un groupe chant a donc été créé, qui crée chants et mélodies, qui assure l'apprentissage des chants par la communauté, qui anime leur exécution, avec le souci constant que toute l'assemblée participe. C'est la même ligne de recherche qui fait que, si aucun des prêtres de la communauté n'est présent, il ne sera pas fait appel à un prêtre étranger. La célébration sera une assemblée dominicale sans prêtre. L'intention est de bien situer le rôle et la fonction du prêtre au cœur de la communauté. Le souci de ne pas accentuer le poids clérical fait que les célébrations concélébrées sont rares : Jeudi saint, Noël…

Célébrer, c'est aussi occuper symboliquement un espace. L'espace de cette belle église du XVIe siècle a été conçu pour un type de célébration qui était dominant à l'époque. C'est une difficulté majeure : comment célébrer le mystère eucharistique dans une perspective différente notoirement de celle dans laquelle ce lieu a été conçu ? Certes on peut distordre les significations ; il en reste toujours un malaise. Par exemple, la chaire reste pour longtemps encore pendue à son pilier, symbole certes d'une parole proclamée, pratique à l'époque où les micros n'existaient pas, mais symbole aussi d'une parole qui tombait de haut, de la bouche d'un homme séparé, mis à part, pris comme intermédiaire du divin. Le chœur, lui, était construit pour laisser place à des conventuels chargés de la louange. Il a de telles proportions qu'il est déjà trop grand pour accueillir la messe quotidienne. Il est certes possible de dresser un autel à l'entrée du chœur et de célébrer face aux fidèles groupés dans la nef. Le rapport symbolique fondamental ne sera pas changé. Assis les uns derrière les autres, les assistants seront tous tournés vers leur seule bouche d'enseignement.

Aucune solution ne pouvait être pleinement satisfaisante. En fait, on a déterminé deux lieux dont la structuration est très différente : l'un pour la liturgie de la parole, l'autre pour la célébration du mémorial et pour le partage du repas. Il y a donc une coupure entre la parole et l'eucharistie. Ce n'est pas sans inconvénient, comme le fait remarquer René Simon dans Aujourd'hui, des chrétiens (53, 1984, p. 10-11) : « Les deux Tables : liturgie de la parole et liturgie du repas ». Nous retrouverons ces difficultés en parlant du déroulement de la célébration.

 

ENTRÉE EN CÉLÉBRATION

 

Le premier impératif est de constituer en assemblée célébrante ceux et celles qui viennent assister à la messe. Il n'est plus question d'entrer discrètement en silence, dans une église où l'on s'assoit, au mieux pour se recueillir, le plus souvent en attendant que le clergé entre en procession. Ici les gens sont heureux de se retrouver, de se communiquer des nouvelles. Il faut fréquemment rappeler l'importance de l'accueil des nouveaux qui peuvent être timides, réticents, non accoutumés à ce mode de rencontre. Pourtant il faut bien se reconnaître comme croyants désireux de participer à un mystère commun.

L'orgue prépare directement l'entrée en célébration. L'ouverture est faite généralement par un membre de l'équipe pastorale. Son intervention a pour but de faire cesser la rumeur des retrouvailles et d'accueillir les nouveaux, de souder la communauté en lui rappelant certains aspects de la mission de la communauté, de présenter l'axe principal de réflexion et de prière qui a été choisie lors de la préparation. Parfois il peut se faire que l'ouverture se fasse directement par l'exécution d'un chant spécialement bien adapté à la fête célébrée ou au texte de l'Évangile.

L'entrée en prière proprement dite se fait par le chant : au lieu de l'introït qui rythmait la procession solennelle du clergé, l'intention est de se donner une seule voix. Le chant n'est pas l'ornementation d'une célébration ; il constitue une autre parole, une parole de fête, contre-distinguée de cette parole qu'est le commentaire, qui sera plus réflexif ou plus interprétatif. Rassemblés presque en cercle dans un bel espace de la nef centrale, autour du lutrin qui porte la parole d'Écriture qui oriente toute la célébration, le chant permet de se retrouver dans la même tonalité. Le chant n'est plus un moyen ; il est un milieu qui éveille en chacun des harmoniques, qui enveloppe tous ceux et celles qui sont venus pour célébrer ensemble.

 

LA CÉLÉBRATION DE LA PAROLE

 

Le lieu est donc bien approprié pour l'écoute de la Parole, pour l'accueil de ce qui fonde notre vie de croyants ; les gens se voient et la parole passe. En plus du lieu, un climat s'est peu à peu développé, cette orientation vers la Parole, toujours neuve, encore inentendue, vers l'In-ouï de Dieu ; il y a cette attente d'une parole inentendue, l'approche d'une vérité qu'on ne possède pas, qui n'est pas un savoir que l'on pourrait détenir. La parole n'est que orientation vers…, marche vers…, passage à… « Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie » : on trouve dans la recherche même… L'effort n'est donc pas d'obtenir un consensus sur des contenus, mais de créer une attitude de recherche, d'accueil et d'étonnement.

Ce qui est indiqué, montré, l'inouï de Dieu, c'est l'événement central de la mort et de la résurrection du Christ, toujours recueilli, toujours accueilli, jamais possédé. Cette orientation de lecture discipline les interventions spontanées, évite une moralisation trop rapide. Elle n'est pas toujours facile à tenir : certaines lectures plus anthropologiques risquent de la masquer. Le danger peut se retrouver quand la lecture se situe dans un contexte politique et social, dans des moments où la lutte, si nécessaire, pour la justice et le droit risque d'occulter la gratuité du salut. La nécessité du devoir de l'homme ne rend pas forcément toute la profondeur de l'appel de Dieu. La parole doit donc être risquée : elle doit bien s'incarner pour accomplir sa vérité. Car la parole est vraie quand elle s'accomplit. C'est là notre première référence : la Bonne Nouvelle de Jésus qui est toujours nouveauté et plénitude.

La parole n'est pas réservée aux prêtres. On ne peut pas dire qu'il y ait méfiance à l'égard d'une parole de clerc. On se méfie plutôt de la "langue de bois" qui peut aussi bien se trouver dans la bouche des laïcs… Renouveler un langage qui, de toute manière, nous précède, n'est pas une petite tâche et l'aventure n'est pas exempte de dérapages. Mais il faut tabler sur le fait que la communauté est adulte et se réapproprie le discours. Au reste, ce n'est pas la précision des définitions qui compte, mais bien plutôt le dynamisme que le langage entraîne, le mouvement qu'il crée. C'est bien dans ce cheminement que se construit l'unité. N'empêche que l'unité est comme une semence qui doit croître et produire du fruit. L'unité ne se base pas tellement sur l'uniformité du discours et de son contenu. De toutes parts, la Parole nous déborde. L'unité va se réaliser dans l'acte d'écoute, soucieux d'éviter le malentendu. On s'appuie bien sur l'autorité de la parole, pas forcément sur l'autorité de celui qui la délivre ou l'interprète… fût-ce avec assurance.

La Parole, mais quelle parole ? Sous quelle forme ? Le choix des textes ne peut être un tri entre les bons textes et les mauvais, entre ceux qui plaisent et ceux qui ne plaisent pas, entre ceux qui "sont riches" (dans le jargon actuel ceux qui permettent nombre d'interprétations spontanées) à l'opposé des textes peineux. L'Écriture est tout entière le recueil de la Parole.

Les textes sont donc généralement ceux que l'Église propose pour ce dimanche-là : c'est un signe de communion avec les autres églises. Il faut vraiment des circonstances exceptionnelles pour que l'on prenne d'autres textes : par exemple, l'évangile de Nicodème en Jean 3 a été choisi pour la célébration du baptême de onze enfants de la communauté, alors que l'Église universelle célébrait la fête du Corps et du Sang du Christ. Le choix d'un autre évangile que celui du jour s'est produit dans des célébrations œcuméniques. Mais le souci reste de se relier à l'Église et de reconnaître la parole de Dieu dans sa totalité.

Ce n'est pourtant pas un choix facile : le découpage des péricopes n'est pas évident, la traduction est parfois approchée, supportée par des présupposés. Plus encore, très souvent, on ne voit pas le principe qui a conduit à mettre ensemble les trois textes proposés, si bien que, dans la majorité des cas, on ne prend pas les trois. Habituellement même, on n'en prend qu'un, quitte a utilisé l'un des deux autres, soit pour la préface, soit pour la post communion. Dans le texte retenu, on choisit une phrase qui, exposée sur le lutrin, au milieu de l'assemblée, indique le grand axe de la célébration. Elle restera affichée toute la semaine.

La parole proclamée, son interprétation est généralement plurielle, d'abord pour souligner la richesse de cette parole qui ne peut être enclose dans une définition, ensuite pour marquer le dynamisme de cette parole qui est vraie en ce qu'elle ouvre des pistes d'expression et qu'elle s'accomplit dans des actes. Il nous apparaît de plus en plus que la communication et l'interprétation de la parole ne peuvent être le fait d'un seul, qui serait le clerc ou le plus compétent en exégèse ou en théologie. Ce qui nous semble plus essentiel, c'est que la parole ait sens en divers lieux, qu'elle puisse s'accomplir en diverses situations : l'expérience chrétienne est bien le lieu où la parole est créatrice et rénovatrice.

Une conséquence pratique, mais qui influe sur la tonalité de la célébration : si la parole est plurielle, elle ne peut être que brève, incisive, par le fait plus percutante dans la dénonciation qui est toujours dans la parole évangélique et plus pressante dans l'invitation à vivre.

En revanche, les modes d'intervention autour de la parole sont peu nombreux : ils sont conditionnés par le lieu et le nombre des participants. Il peut se faire que le commentaire prenne une forme interrogative quand il s'agit d'un appel à la conversion. Quelquefois le commentaire est pris dans une prière responsoriale. Le mode le plus fréquent est le commentaire de la parole. Confié lors de la préparation de la liturgie à plusieurs membres de la communauté, il présente de ce fait une pluralité de points de vue sur ce texte. La variété des points de vue n'est pas infinie : le milieu d'origine des participants est assez homogène. Les dangers sont alors visibles : le discours entre initiés, le discours intellectualisé, l'introduction de formulations reprises aux cours de formation. Les requêtes de notre monde sont très éloignées. Ce sont des critiques dont il nous faut nous souvenir. Généralement le prêtre intervient une fois. Je n'ai jamais vu deux prêtres prendre la parole au cours de la même cérémonie. On cherche aussi à éviter que la parole du prêtre n'apparaisse comme parole de conclusion : il est bon qu'elle reste ouverture, invitation, libération, interrogation…

Un autre mode de communication de la parole, c'est l'échange en petits groupes. À partir de la parole proclamée et brièvement interprétée, un thème de réflexion est proposé à la discussion d'un petit groupe de dix à quinze personnes : le plus souvent la parole circule bien ; elle a un caractère prononcé de témoignage ; mais justement si l'échange est bon, le temps paraît trop court. Mais il se crée un certain isolement car, vu le nombre des groupes, ce qui a été échangé ne peut remonter à la grande assemblée. Par ailleurs le rythme de la célébration est rompu ; certes, souvent un chant réintroduit le thème principal et le ravive. Il n'en reste pas moins qu'avec l'augmentation du nombre des membres de la communauté, c'est un mode de partage difficile à gérer. Pourtant on en voit bien la visée : découvrir l'impact de la parole dans l'expérience vécue soit des personnes soit de la communauté.

Un autre mode de communication est parfois utilisé : c'est ce que nous appelons le micro libre. Le texte sacré a été lu ; une interprétation ouverte en a été donnée : une question principale s'en est dégagée. Qui le veut, peut venir dire comment il la saisit dans son expérience personnelle : il n'y a pas de polémique, pas de censure, encore moins une reprise par le prêtre. Les dangers sont évidents : la trop grande personnalisation des témoignages, le risque de voir certaines personnes devenir des abonnés à cet exercice. Mais dans cette lecture spontanée, parfois de véritables découvertes se font.

Dans cette première partie, la place la plus importante est donc donnée à la parole, reçue du texte, mais qui n'est vraie parole que dans l'impact de nos vies. Deux éléments coutumiers de la célébration n'apparaissent guère : le Kyrie et le Gloria. L'omission est reconnue et acceptée : nous ne souhaitons pas que leur récitation devienne une pure répétition. En revanche, quand nous les utiliserons, ils seront sciemment solennisés pour exprimer une dimension de notre rapport à Dieu. Le Kyrie, par exemple, se développe quand la célébration s'oriente dans la confession des péchés, la supplication ou vers l'accueil de la miséricorde de Dieu. Le Gloria trouve place dans les cérémonies de louange et d'action de grâces. La recherche ici est d'éviter ce qui n'ouvre plus l'oreille, ce qui n'attire pas le cœur. Il y a peut-être dans cette conception une bonne part d'illusion ; reste que nous souhaitons que le message soit nouveauté et espérance.

 

DU LIEU DE LA PAROLE AU LIEU DU REPAS

 

Tout un symbolisme pourrait se vivre si le lieu de la célébration eucharistique était le même que celui de la parole : le mémorial eucharistique se déroulerait au cœur même de la Parole qui annonce et remémore l'événement fondateur qui va se revivre dans la foi. Le foyer de célébration serait unique. Cela se fait quelquefois : Jeudi saint, multiplication des pains. Mais généralement, la communauté se rend dans le chœur. Ce transfert ne reste pas sans symbolique : « Lève-toi et marche » a dit la Parole. C'est un autre aspect de la parole, celle qui guérit et met en route.

Ce déplacement peut se faire dans un joyeux désordre, en pleine amitié, comme un peuple qui pérégrine vers cet ailleurs qu'a indiqué la Parole. Ce sera alors au célébrant de faire le lien avec la Parole proclamée et interprétée. Il ne faudrait pas que l'effectuation de la prière eucharistique sombre, plus ou moins dans un rite magique ; ce serait détruire le mystère. En même temps, elle ne peut être explicative : elle est celle qui initie vraiment le mémorial de l'événement du salut qui devient présence ou prophétie…

Parfois le déplacement est processionnel quand, par exemple, le silence apparaît comme l'ambiance la mieux adaptée au mode de célébration choisi. Ce peut être aussi le cas lorsque est demandé à la communauté ce que nous appelons entre nous un geste symbolique qui a pour but de faire participer toute la communauté. J'en évoque un, récent : mercredi des cendres – ouverture du carême de la montée vers Pâques, marche vers la paix. À la croisée du transept a été allumé un brasero ; de chaque côté deux petites tables avec une coupelle de cendres. Le geste doit traduire ce qu'induit la parole : chacun se sait cendres enfermées dans l'éphémère, le mortel, mais vivant pour renaître ; chacun prendra donc une pincée de cendres qui le représente et la jettera au feu qui, lui, représente l'amour de Dieu en Jésus-Christ : c'est la participation à la mort et à la résurrection du Christ qui va être au cœur de la célébration eucharistique.

On peut noter, en passant, que la récitation du Credo est le plus souvent télescopée ; ce n'est pas mépris, encore moins rejet. Mais il faut bien dire que le Credo de Nicée-Constantinople que nos devanciers dans la foi ont élaboré pour éviter les "hérésies" est composé dans un style qui n'a pas la tonalité générale de nos célébrations. Il n'est pas de soi ressenti comme un levier, un dynamisme, encore moins comme un appel. On prendra donc plutôt le style de la profession baptismale, quand la communauté veut se rassembler dans l'expression de sa foi. Cette question montre bien une des difficultés de célébrer : la communauté se sent héritière d'un passé très riche, mais elle se réapproprie difficilement un langage pourtant théologiquement très riche. Je ne prendrai, comme exemple, que ces oraisons latines traditionnelles, bien rythmées, théologiquement très inspirées, qui, traduites en français, ne disent rien.

 

L'ACTE EUCHARISTIQUE

 

La communauté est maintenant rassemblée dans le chœur : l'autel fait face, non à la nef, mais à l'abside. L'espace occupé a donc la forme d'un ovale où les fidèles se tiennent debout, serrés, participants, pas seulement assistants. Le moment prend un certain poids. Le ton de la parole change : on entre dans le mémorial, dans le rappel de l'acte qui fonde notre foi et notre communauté. Tout en étant louange et action de grâces, la parole est de forme narrative, un récit solennisé qui invite à l'accueil de cet événement dans l'adhésion de foi. C'est un exercice difficile que cette parole-là qui laisse peu de place à l'invention.

Elle est préparée par la parole d'offertoire qui donne l'occasion à la communauté de se concentrer et de densifier sa présence, d'intensifier son aspect collectif. Tous sont tournés vers l'autel, ils ne sont plus dans le face-à-face de la communication de la parole. L'entassement ne permet guère de gestes. Certes on a pu critiquer l'enfermement de ce cercle communautaire. Il est difficile au passant d'entrer dans le cercle. Mais c'est le moment où tous sont fixés sur la nouveauté inouïe de cette présence du Christ par l'accomplissement de sa parole, dans le "maintenant de l'acte de passage" où, par son Esprit la communauté prend conscience d'être le Corps du Ressuscité.

célébrer en Christ, prière uniqueLa préface qui ouvre la grande prière eucharistique fait le lien avec la parole proclamée et écoutée. Là, la parole n'est plus anecdote, ni exhortation moralisante ; elle fait partie de l'événement du salut : la parole reprise et célébrée constitue le maintenant de la Résurrection. L'Évangile est Bonne Nouvelle parce qu'il n'a encore jamais été aussi puissance de Dieu pour le salut. Là l'espace est bien adapté à cette communion dans la foi, dans la chaleur de la prière unique. Les chants se répercutent tout autrement : ils créent un regroupement encore plus intense.

Le récit de l'institution, connu, simple, prend, dans ce moment très court, tout à la fois pesanteur et lumière. Il n'est pas question de changer le récit de l'institution, mais là encore, pour éviter l'usure et la répétition, il suffit d'accentuer un mot, de laisser un court temps de silence entre le récit de l'institution et le chant de l'anamnèse, voire de chanter deux fois l'anamnèse, une fois après la consécration du pain, une fois après la consécration du vin.

C'est certainement là que la communauté prend le plus conscience d'être constituée d'ailleurs, d'être anticipée, d'être devancée par l'amour de Dieu. C'est le moment de la gratuité, de la miséricorde, du pardon – du don qui est par-delà toute attente – de l'accueil de cette parole qui est Jésus le Christ.

La préoccupation des hommes et du monde reste présente, en particulier dans la prière d'intercession qui suit l'épiclèse. Mais on sent bien qu'une telle supplication n'est pas pleinement adaptée à la requête éthique de notre temps ; c'est un peu se débarrasser sur Dieu de ce qui nous préoccupe, alors que nous ne voyons pas quelle solution proposer. Nous avons donc beaucoup à réfléchir à ce qu'il en est de l'intercession et au devoir éthique qui nous incombe.

Le Notre Père, généralement récité, exceptionnellement chanté, est la conclusion de la liturgie du mémorial. La communauté unifiée peut demander de faire la volonté du Père, c'est-à-dire de réaliser le désir qu'elle porte au plus profond. Elle est alors orientée vers les autres, vers la parole à annoncer, vers l'engagement à prendre. Le baiser de paix symbolise cette unité des croyants rassemblés dans l'œuvre du Père.

 

LA LITURGIE DU REPAS

 

C'est à ce point que se situe la symbolique du partage. Certes on a tenté de solenniser ce moment, en particulier en donnant la communion sous les deux espèces. Un tel mode de distribution exige que soit démultipliés les points de distribution du pain et du vin. Mais au lieu d'être le rassemblement, le partage, c'est l'éclatement et la dispersion. Si l'on ne communie qu'avec le pain en faisant circuler des corbeilles, le temps de la communion s'étire trop du fait des participants. Le geste est certes porteur d'un beau symbolisme du rôle des chrétiens les uns vis-à-vis des autres. Quoi qu'il en soit, sous une forme ou sous une autre, ce partage n'a que peu de rapport avec ce qu'on appelle ordinairement un repas. On a tenté parfois de donner à la célébration un prolongement en offrant un repas ; une fois même le repas a suivi immédiatement l'office qui était celui de la multiplication des pains, et cela s'est déroulé dans l'église. Mais ce ne sont que des pis-aller qui ne permettent pas de vivre symboliquement une réalité.

En fait, la meilleure traduction de ce partage reste l'amitié réelle qui s'exprime aussitôt la messe terminée. C'est souvent là aussi que les initiatives en faveur des droits de l'homme se font jour. Reste que la liaison n'est pas évidente entre le mémorial eucharistique et ce que l'on pourrait appeler une dimension éthique. Il nous reste à inventer dans les contraintes d'espace et de temps et de nombre.

À l'expérience, célébrée reste toujours une aventure et un risque : il est certes plus facile de s'en remettre à un rituel bien déterminé… mais il n'est pas certain que ce soit la meilleure voie pour entrer dans le dynamisme de la célébration de l'acte fondateur qui est mémorial, présence et prophétie, pour y découvrir le sens de la création et du monde, pour y renouveler l'espérance et l'agir. Notre vœu est de rester par là fidèle à la parole instauratrice et à l'intention ecclésiale.

 



[1] Jacques Mérienne est prêtre et réside à la paroisse Saint-Eustache de Paris avec la fonction de vicaire depuis septembre 2015. À la suite du décès de Jacques Breton en 2017, l'Archevêque de Paris dont dépendait Jacques Breton l'a nommé responsable spirituel du Centre Assise. Auparavant J. Mérienne a été curé de Saint-Merry et responsable du Centre Pastoral les Halles-Beaubourg pendant 9 ans. Il n’a jamais cessé d’exercer en tant qu’artiste dans les domaines du spectacle vivant (théâtre et chorégraphie) et du cinéma, comme régisseur, metteur en scène et réalisateur. Il poursuit cette activité en France, et depuis 15 ans en Colombie.

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