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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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22 mai 2020

La voie des fleurs, intervention de Sylvie Peytel-Révillon en 1990

La voie des fleurs fait partie des thérapies initiatiques que Karlfried Graf Dürckheim a proposées dans son centre de Rütte. Il s'agit d'un art venu du Japon, qui, comme les arts japonais, comporte des règles, des exercices… Dans cet article Sylvie Peytel-Révillon maître de l'école Ohara nous donne les principes de base. Il s'agit d'une intervention faite à la Saint-Baume en hommage à K Graf Dürckheim, intervention transcrite dans la revue "Question de" parue chez Albin Miche en 1990l[1]. 

Un premier article est déjà paru sur le présent blog où S. Peytel-Révillon parle de son propre intinéraire : L'ikébana ou la voie des fleurs : cheminement de Sylvie Petel-Révillon maître de l'école Ohara et disciple de Graf Dürckheim. Maître de l'école Ohara et disciple de Graf Dürckheim, elle a animé au Centre Assise un week-end intitulé "Initiation à l'art floral japonais" les 16-17 novembre 1991. On trouvera d'autres informations la concernant sur le premier article.

Un schéma figure à la fin, il donne les éléments de base d'un bouquet de l'école Ohara.

 

 

La voie des fleurs

Sylvie Peytel-Révillon

 

Karlfried Graf Dürckheim nous parle de quatre grands domaines dans lesquels se manifeste le divin : la grande Nature, l'Art, la rencontre de deux êtres et le Culte d'une religion.

L'ikebana fait appel à deux de ces domaines : la grande Nature et l'Art.

 

Il me vient aujourd'hui à propos du travail que je me propose de vous présenter un souvenir de cet été à Rütte. Graf Dürckheim m'a dit alors : « Lorsque vous vous promenez dans la Forêt Noire, écoutez le silence, et si vous attendez un peu, il y a le silence derrière le silence. »

Il s'agit bien de cela dans la pratique de "La voie des fleurs", retrouver cette qualité de transparence, de silence derrière le silence, seule condition pour que puisse se vivre l'Être essentiel.

Qu'est l'ikebana ?

Bien que j'aie conscience qu'il n'y a qu'une seule réponse : la pratique dans le silence, je vais essayer de répondre en quelques points.

 

ikébana1) L'ikebana est un art traditionnel, un Dô, c'est-à-dire un art à visée non purement esthétique ; contrairement à l'art occidental profane qui soulève certaines émotions, l'Art traditionnel purifie l'émotion dans une visée spirituelle.

Dans le Japon traditionnel, on étudie l'art non pas pour l'amour de l'art mais pour les clartés spirituelles qu'il dispense.

Si l'art s'arrête à la forme extérieure, s'il ne conduit pas aux profondeurs essentielles, s'il ne devient pas une forme de spiritualité, le Japonais ne l'estime pas digne d'être étudié.

L'ikebana est inspiré de plusieurs traditions religieuses : le shintoïsme, le taoïsme, le zen.

Ce sont les moines qui offraient au Bouddha vers le IXe siècle dans de grands vases appelés kige, des fleurs disposées de façon trinitaire, mais nous reviendrons sur cette notion importante du trois.

 

2) L'instrument de cet art est la nature.

Pour le Japonais la nature est sacrée car elle est la manifestation divine : « Tout est kami » et cette croyance est celle du shintoïsme. Dieu se trouvant tout être, végétal ou animal. La vénération et le respect de la nature interviennent au plus tôt dans la vie du Japonais et leurs jardins sont des lieux de recueillement et de contemplation.

L'architecte japonais n'hésitera pas à concevoir la maison ou l'immeuble qu'il doit construire autour d'un arbre, plutôt que de donner prédominance à sa création et de balayer tout ce qui peut "gêner" cette création. Notion qui nous paraît difficilement compréhensible en Occident.

Il s'agit d'exprimer la nature dans son essence et pour cela, l'épurer, lui donner une portée symbolique. Une fleur symbolise toutes les fleurs, un bouquet, la nature entière ; nous permettant ainsi dans sa contemplation d'entrer dans la grande vibration cosmique.

 

3) Cette transfiguration de cette nature dans le bouquet suppose une doctrine, c'est-à-dire un ensemble de lois dominées par les proportions : le "3".

L'homme est le médiateur entre le plan spirituel et le plan terrestre. Le tout forme l'indivisible trinité dans l'unité. L'homme est sustenté par l'élément subtil "ciel" et soutenu par l'élément terrestre où il a ses racines ; ainsi il est uni au cœur du tout.

Pour les maîtres chinois de l'art floral se rattachant à la tradition confucéenne, revient la même idée du "3".

« Une ligne est un symbole, deux sont l'harmonie, trois est l'image de l'accomplissement. »

Le trois est à la base de toutes les religions, on le retrouve bien sûr dans la religion chrétienne avec la Trinité et dans l'hindouisme : Brahma, Shiva, Vishnou.

●   Les rapports du plein et du vide.

Le plein n'est là que pour mettre en valeur le vide, le vide représente l'ineffable, l'informel.

Un ikebana n'a atteint son véritable devenir que si l'on sent de façon tangible le vide, si la forme exprimée nous conduit à travers elle au silence intérieur, à l'apaisement dispensé.

●   L'asymétrie.

Dans la nature, il n'y a ni répétition, ni symétrie. L'illusion est qu'il puisse y avoir deux semblables. Chaque végétal, chaque animal, chaque être humain est unique. Dans un bouquet ont ne répète jamais deux fois la même chose, cela nous invite à prendre conscience de l'illusion qu'il puisse y avoir deux identiques.

●   Le temps cyclique.

Ces lois sont au sein de l'éphémère, du cycle, grande loi de la nature. Nous pouvons sentir ainsi la fuite du temps et la fragilité de la vie.

Cette doctrine basée sur ces notions nous permet de passer de la multiplicité à l'unité, du désordre à l'ordre, de l'excès à la simplicité.

 

4) Cette transfiguration demande que cette doctrine se manifeste à travers une technique.

On retrouve le "3" dans les bouquets sous forme de trois éléments principaux :

  • Shu représente le ciel ;
  • Kyaku représente la terre ;
  • Fuku représente l'homme.

●   Le vide.

Ikebana se pratique dans des vases plats dans lesquels on place un pique-fleurs : celui-ci permet de maintenir les branches et les fleurs dans leur sens de croissance et laisse ainsi un vide soit à gauche, soit à droite. Ce vide est représenté par le plan d'eau dans lequel la branche et la fleur vont se refléter.

Le vide s'exprime aussi à travers l'élagage des feuilles ; il s'agit de retrouver une pureté de ligne et de supprimer certaines ramifications ou feuilles que la nature dans son exubérance a laissé venir. On ne pourra apprécier réellement la beauté du plein que s'il est environné, interpénétré de vide. Le vide seul permet au plein d'exister.

●   L'asymétrie.

Le bouquet n'est pour ainsi dire jamais exécuté de façon symétrique ; dans un bac on posera d'un côté ou de l'autre les végétaux, quelquefois au milieu pour donner la prédominance à l'élan vers le ciel, mais non des deux côtés à la fois.

●   Le temps cyclique.

L'ikebana exprime la saison, ce serait un non-sens d'utiliser une rose de Noël en plein mois d'août ou des jonquilles en automne.

 

5) Comment cette transfiguration de la nature peut-elle amener la transformation de la personne ?

Cette lente maturation s'accomplit à condition de pratiquer cet art dans une certaine disposition d'esprit ; et là, l'enseignement de Graf Dürckheim m'apparaît tout à fait fondamental.

Il nous dit souvent de tout faire un peu plus lentement, ce qui nous permet :

  • d'être plus à l'écoute et plus conscient du moment présent ;
  • de nous ouvrir au contact du végétal. Il y a une façon de toucher qui est de tenir la branche ni trop fermement ni trop mollement, et alors nous pouvons nous laisser imprégner de la force du végétal.

Il est aussi important de travailler dans le silence, car dans le silence, le mental s'apaise petit à petit. À ce moment "la vision" de l'objet remplace la pensée que l'on s'en fait.

Le geste juste peut s'accomplir lorsque nous sommes dans une position du corps juste, enraciné dans le sol, la force dans le bas-ventre (le "hara" des Japonais) et un total relâchement des épaules et des membres.

Le geste ne peut se faire que s'il y a "quelqu'un" qui fait ce geste, et cette conscience permet de voir et non plus d'être amalgamé, identifié à l'objet.

Et là intervient le temps qui permet l'évolution et le passage de la fausse non-dualité à la vraie dualité.

La fausse non-dualité est la croyance que nous sommes unis à l'objet alors que nous sommes tout simplement absorbés par lui et préoccupés par nos pensées et nos émotions.

Petit à petit cette conscience de soi permet de voir la branche telle qu'elle est et non pas avec les projections que nous y mettons. C'est le stade suivant, celui de la vision de la fleur… et nous sommes encore dans la dualité : moi et la fleur.

Nous devons ensuite passer de deux à trois. Trois, parce que : la fleur, moi qui la regarde, et en même temps moi qui ai conscience de la regarder.

Nous pouvons ainsi appeler cette conscience le témoin, la vigilance et le trois est indispensable pour retrouver le un, la non-dualité, l'union avec l'objet dans le grand silence.

Nous sommes devenus l'instrument à travers lequel le bouquet s'accomplit ; et là nous pouvons comparer cet aboutissement parfait du travail intérieur (qui doit bien se garder d'être exercice volontaire) à l'art chevaleresque du tir à l'arc : « ce n'est plus le tireur qui tire, "ça" tire à travers le tireur. »

Et nous touchons là cette transparence à la transcendance qui s'exprime dans tout ce qui est et vit, dont nous parle si souvent Karlfried Graf Dürckheim.

 

ANNEXE ajoutée pour le blog

 

style vertical de base

Assez souvent il y a en plus des éléments auxiliaires

L'ikébaniste exécute les styles de base un peu comme des katas d'aïkido ou de kinomichi qui permettent d'entrer dans la technique

NB : Les noms des éléments ne sont pas communs à toutes les écoles d'ikébana, voici ceux des principales écoles.

école Ohara : Shu, Fuku, Kyaku.
école Ikenobo : Shin, Soe, Tai.
école Sogetsu: Shin, Soe, Hikae.



[1] Cet article fait partie de QUESTINS DE n° 81, Albin Michel 1990. On trouve une traduction de cet article sur http://karlfriedgrafdurckheim.blogspot.com/2011/05/sylvie-revillon-ikebana-calea-florilor.html?m=1

 

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