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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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8 juin 2020

Interview de Maître Noro par Bernd Sobolla, Berlin 1998

Voici une longue interview de Maître Noro qui retrace tout son itinéraire. Publiée en allemand en octobre 2019 sur le site du dojo de Berlin, puis en français en avril 2020, elle est publiée ici avec l'accord d'Annegret Mess, merci à elle. Le texte a été légèrement modifié (ajout de titres…) en accord avec Jean-Pierre Sarton, c'est lui qui a fait la transcription de ce que Maître Noro disait en français, merci à lui. Au sein de l'interview il y a une photo de Maître Noro avec Graf Dürckheim, photo réalisée par Maria Motsch qui nous a autorisé à la reprendre (la photo figure sur la version allemande de l'interview), merci à elle. (C'est par Graf Dürckheim que Jacques Breton a connu maître Noro).
  Et d'abord, voici le message reçu en mai 2020 par un certain nombre de pratiquants de France :

  •      Chers Kinomichika,
      Au dojo de Berlin, Kinomichi e.V., Rheinstraße, nous disposions d'une interview de Maître Masamichi Noro réalisée par Bernd Sobolla. Pour différentes raisons, cette interview n'a pas été publiée alors. Aujourd'hui, Bernd a souhaité la rendre publique et c'est la raison pour laquelle la version allemande vient de paraître sur notre site.
      Bernd et moi-même avons souhaité qu'elle soit diffusée plus largement et qu'elle soit publiée en français. A cette fin, j'ai demandé à Jean-Pierre Sarton de retranscrire cette interview de Maître Noro enregistrée par Bernd et de faire appel à ses notes personnelles prises pendant les cours avec Maître Noro pour éclairer, si nécessaire, certains passages de l'interview. Nous l'en remercions.
       Bonne lecture à tous.
                                      Annegret Mess et Bernd Sobolla
Entretien avec Maître Noro

 

  • La conversation a eu lieu en 1998 à l’initiative d’Eberhard Kredel. Il a demandé au journaliste Bernd Sobolla de réaliser une interview avec le fondateur de Kinomichi pendant un cours de Maître Masamichi Noro à Berlin.
    – questions en allemand de Bernd Sobolla,
    – traduction de l’allemand en français et du français en allemand : Andréas Lange-Boehm, Heike Sobolla ;
    – retranscription des propos de Maître Noro et notes : Jean-Pierre Sarton.

 

„Je me tenais juste entre la vie et la mort“

 

maître Noro, disciple de maître UeshibaBernd Sobolla [Question résumée] : Le Kinomichi existe depuis 1979. Mais quand avez-vous eu l’idée de créer une méthode où la liaison corps-esprit s’exprime comme c’est le cas actuellement ?
M. Noro : Avant la naissance, il y a la préparation. Une création dépend du caractère d’un homme, de son environnement éducatif. Dans ma vie, c’est une chance que j’ai rencontré Maître Ueshiba. La création commence à ce moment-là. J’ai décidé : « je vais suivre son chemin, c’est-à-dire, je vais me nourrir de son enseignement ». Mais je précise : « Si un tigre mange du lapin tous les jours, le tigre ne deviendra jamais un lapin. » Maître Ueshiba m’a donné une bonne nourriture, Sa nourriture, Sa pensée. Je m’en suis nourri, mais je ne me suis pas changé en Maître Ueshiba et je ne serai jamais Maître Ueshiba ! Qu’est-ce qu’il m’a donné comme nourriture ? C’est : « deviens un adulte » ! L’homme doit évoluer ! Et pour mon évolution, il m’a nourri. Mais je ne serai jamais Maître Ueshiba. Et quand pour la première fois il a dit : « Noro, tu vas en Europe ! », à ce moment-là il a pensé que Noro était mûr, qu’il était adulte. Et sa pensée était : « voilà, je t’ai nourri de cette nourriture, et maintenant tu vas faire comme un cuisinier, tu vas aller la proposer au public. » Ce sont les bases de ma création. Et donc, petit à petit, le temps a passé, j’ai évolué et, petit à petit, j’ai eu envie d’exprimer ma pensée et Être Noro !

 

   À partir de 1961 l'enseignement de l'Aïkido en France et en Europe

B. S. : C’est en 1961 que vous êtes arrivé en Europe ?
M. Noro : Voilà, c’est ça.

B. S. : Est-ce que c’était seulement le désir de Maître Ueshiba ou est-ce que vous aviez aussi le désir de quitter le Japon ?
M. Noro : C’est mon destin, mon destin.

B. S. : Il était tout aussi possible d’aller aux États-Unis ou en Allemagne. Pourquoi la France ?
M. Noro : C’est aussi le destin. J’aime beaucoup la musique, et dès l’âge de 5 ans je chantais déjà des chansons françaises ; mais je chantais aussi des chansons allemandes et je m’en rappelle encore. Mais dès cette époque, j’ai pensé que j’avais envie d’aller à France.

B. S. : Quelle était votre première impression quand vous êtes arrivé en Europe ?
M. Noro : Il n’y a pas eu d’impression mais une pensée : « Comment vais-je réussir ? ». Je veux réussir. C’est la jeunesse. J’étais à Cannes, mais dans ma tête, c’était « comment réussir ? ». C’était mon désir vis-à-vis de mon Maître. Il m’a fait confiance, il m’a envoyé, il faut répondre. C’était la première chose.

B. S. : Finalement, vous avez eu assez rapidement du succès, une réussite, et quels étaient les pas les plus importants pour cette première réussite ?
M. Noro : Le premier c’était qu’il ne faut pas reproduire l’enseignement du Japon. Quand je suis arrivé en France, il me fallait connaître d’abord la France. Et ça, c’était dès le premier stage, je m’en souviens, j’ai fait un échec total ! Ah ça a été une grande claque ! Je pensais qu’avec ma technique, ma connaissance, j’y arriverai facilement. Ce fut le contraire ! Et donc, il fallait que je m’harmonise rapidement avec la pensée française. Et c’était très très étonnant. J’ai constaté que j’avais une pensée complètement différente. Tout le monde le dit d’ailleurs, la pensée Orient-Occident, la philosophie etc. sont très différentes. Mais ce n’était pas ça le problème ! C’était Homme et Homme. C’était le contact. Et finalement je me suis dit : « mais ce n’est pas différent ! Mais qu’est-ce que j’ai cherché ? ». C’était étonnant, c’était exactement pareil ! La culture est différente, la façon d’habiter est différente, la façon de se nourrir est différente, mais le fonds de l’Homme, il n’y a pas de différence !

 

   Transformation opérée à la suite de l'accident de voiture de 1966

B. S. : Certainement votre accident de voiture a été un événement très marquant dans votre vie ? Qu’est-ce qui a changé après cet accident ?
M. Noro : J’avais une force extraordinaire ! Une vitesse de mouvement extraordinaire ! Beaucoup de personnes étaient étonnées de ma force et de ma vitesse. La dernière fois que je suis allé en Espagne pour animer un stage à Valencia, certaines personnes se demandaient : «  Noro ? Je connais ce nom-là », et d’autres ne me connaissaient pas. « Par hasard, ce n’est pas celui à la tenue blanche ? ». Alors, les stagiaires s’écriaient : « Oui, oui ! Ah ! Mais je le reconnais maintenant ! C’est la tornade blanche ! Ah ! C’est lui ! Il est là ! ». Cette vitesse de l’époque… hum-hum !!! Et donc, en Espagne, les pratiquants d’arts martiaux m’appelaient « Tornade blanche » !  Mais depuis cet accident, ces choses-là, c’est pour moi bien différent ! Mais pour les autres, ça n’a pas changé. Pour les autres, je suis comme avant ! Ce physique, c’était un étonnement ! Pour moi, ça a été un étonnement total que cette transformation du physique !

B. S. : Est-ce que c’était uniquement une façon de sentir, de ressentir intérieurement, ou est-ce que c’était votre corps ?
M. Noro : Non ça a été les deux transformations en même temps.

B. S. : Quelles étaient les blessures corporelles que vous avez subies lors de l’accident ?
M. Noro : C’est au-delà de ça ! À l’époque, j’avais créé 250 sections en Europe et Afrique ; et quand la nouvelle de mon accident a été connue, tous les élèves ont pensé que Noro était fini et beaucoup m’ont quitté. Et pendant mon séjour à l’hôpital, un est venu. J’ai reçu ce traître, et je l’ai regardé : «  Maintenant Noro est fini. Le Centre mondial a appelé et il faut que Noro rentre au Japon. Donc, comme il s’en va, je prends sa place ! Contactez-moi ! ». J’ai été étonné. Je n’ai jamais pensé ni voulu un seul moment rentrer au Japon ! En même temps, j’entendais : « tout le monde commence à partir », et finalement il est resté 2-3 personnes. Et mes élèves ne sont pas venus me voir à l’hôpital ni n’ont pris de mes nouvelles ! Ah ça ! C’était la première grande claque ! J’ai été déçu ! Ah ça ! Au réveil ! Avant le physique même, ça a été le choc mental ! J’étais déçu ! Mais mon caractère c’est très-très gai ! Ça m’a sauvé ! Si j’avais choisi la colère, j’étais fini. C’est la leçon de ma vie !

B. S. : Combien de temps êtes-vous resté à l’hôpital ?
M. Noro : Une semaine après ce récit, j’ai quitté l’hôpital. Le médecin a dit que c’était « suicidaire  » ! Mais, il le fallait. Et j’ai pensé à mon ami. Il est venu et je l’ai salué : « comment ça va ? ». Et qui a aidé Noro ? C’était Asaï ! S’il n’avait pas été là, aujourd’hui je ne serais pas là !

 

   La rencontre de Graf Dürckheim en 1969

B. S. : En 1969, vous avez rencontré Graf Dürckheim, et vous avez souvent parlé d’une amitié profonde, quelle était la base de cette amitié ?
M. Noro : C’était plus que de l’amitié si vous voulez. C’était … Un jour, il m’a téléphoné. Il venait souvent à Paris. Son élève J. Castermane parlait de Noro à Dürckheim. Donc il m’a téléphoné et m’a invité. Il a dit : « J’ai été au Japon, je vais faire des chirashi pour vous, », etc. etc. … Instantanément j’ai répondu « Monsieur, je ne vous connais pas ! » … Je le connaissais de nom par Castermane, mon élève … « Je ne vous connais pas ! ». Mais il a répondu : « Vous connaissez mon livre, il s’appelle Hara ? », « Ah ! Hara ? Hara c’est un mot japonais. Donc, vous parlez de ventre ! Oui, oui, mais je ne connais pas. ». «Mais quand même, je vous invite ». «Monsieur, je ne vous ai jamais rencontré, je ne vous connais pas, et c’est très gentil de m’inviter, mais je refuse votre invitation. Au revoir Monsieur ! ». Et le lendemain, il est venu avec sa secrétaire et j’ai salué. « Bienvenue Graf Dürckheim ! ». Il a eu un grand sourire et je l’ai regardé. Nous n’avons pas parlé. C’était une forme d’approche l’un de l’autre.

B. S. : Est-ce que c’est comme lorsque l’on rencontre quelqu’un pour la première fois et qu’on a l’impression de le connaître depuis longtemps ?
M. Noro : Oui, c’est ça.

B. S. : Vous avez souvent vu Graf Dürckheim. Est-ce que vous avez été influencé, et dans quel domaine ?
M. Noro : Non, ça ne s’est pas passé comme ça. Avec Maître Ueshiba, je me suis nourri, il m’a nourri avec son enseignement, sa pensée, et donc, j’ai pompé tout son enseignement. Mais avec Dürckheim, nous nous installions seulement en assise, comme ça, tous les deux, et ça suffisait ! Et un jour il a commencé a parlé de sa théorie. J’ai dit à Dürckheim : « Stop ! Je suis venu ici seulement parce que j’ai envie de cette assise, tous les deux comme ça. Je n’ai pas envie d’écouter votre parole ; et vous parlez trop de hara, c’est insupportable pour moi ! ». Il a encore souri. Donc, je vais à Todtmoos. C’est pour faire plaisir à Dürckheim d’abord. Donc, il m’invite, m’offre le café, il n’aimait pas le café mais lui aussi a pris du café, il m’offre du gâteau forêt noire car il sait que j’aime. Nous sommes allés en bas et, tous les deux en assise, face à face, il a dit : « Allez, mange ! Mange ! » ; et voilà, une heure passe, deux heures passent … et tous les jours comme ça ! Et après une semaine : « Au revoir ! ». Et quand Dürckheim arrive à Paris : « Allez, nous allons au salon de thé ! ». Et tous les deux commandions des gâteaux et mangions : « Comment ça va à Todtmoos ? » etc., mais j’étais Heureux !
  Avec Maître Ueshiba j’avais été heureux avec la pratique, l’étude, 24h sur 24, pendant 6 ans et demi avec lui ! Aucune personne n’a pu faire ça ! Parce que c’était trop dur. Mais pour moi, ça avait été une joie d’être avec lui !
  Avec Dürckheim, c’est resté comme ça. Un jour pendant que je donnais un cours à Paris, il a téléphoné : « Cher Ami, je suis en France, venez vite ! ». « D’accord ! ». J’ai arrêté le cours. Tout le monde était étonné : « mais qu’est-ce qui arrive ? ». « Maintenant j’arrête, parce que Dürckheim m’appelle ! ». Et au téléphone je lui ai demandé : « Mais où vous êtes ? ». Il m’a répondu : « Limoges ». (Rires de Maître Noro). Avec un petit avion, il était arrivé à Limoges ! Je lui ai dit tout de suite : « J’arrive », et j’ai écrit sur la porte : « Cas urgent. Pas possible de donner les leçons samedi ». J’ai été là-bas … Tous les deux  … J’ai été Heureux ! J’ai fait la cuisine et Dürckheim a fait la vaisselle, et nous avons passé trois-quatre jours comme ça !

B. S. : Est-ce qu’il existe des films où l’on vous voit tous les deux ensembles ?
M. Noro : Des photos, oui …, et donc, je crois être la seule personne qui ait dit, par exemple, quand Dürckheim avait envie qu'on fasse certaines choses : « Non, je ne fais pas ! ». Voilà… peut-être la seule personne ! Sa femme à côté : « Merci, merci », et les autres personnes, tout le monde : « Oooh ! Graf-Graf-Graf Dürckheim ! »
  Un jour il a été très en colère. C'était à cause de : « Hara ! hara ! hara ! hara ! hara ! » qu'il répétait sans arrêt, et je lui avais dit  [Ici, retranscription mot à mot, sans en adapter la syntaxe, des paroles prononcées par Maître Noro[1]] : « Taisez-vous, avec votre hara ! Regardez vos élèves, vont malades ! Il n’y en a pas de hara mais contraire, tous ! C’est cause de vous ! Arrêtez maintenant ! ». Oh ! Il était rouge (rires de Maître Noro), il commence une colère ! Et je commence à être content parce qu’il avait toujours montré une tête de sage devant les autres !

 

Maître Noro et G Dürckheim- photo de Maria Motsch, 1981

Maître Noro avec Graf Dürckheim 1981 à Todtmoos (Schwarzwald). Photo: Marie & Eckhart Motsch

 

   La période qui précède la création du Kinomichi en 1979

B. S. : C’est entre 1972 et 1979 que le Kinomichi s’est développé dans votre pensée, comment cela s’est-il passé ? Qu’est-ce qui était primordial à cette époque ?
M. Noro : L’Énergie ! L’utilisation de l’Énergie ! Dans l’Aïkido, j’avais envie d’être très fort ! Accessoirement il y avait le Zen. Mais si quelqu’un me parlait d’exercices pour être plus fort, immédiatement j’essayais ! Beaucoup de personnes disaient : «  quelqu’un de très fort c’est un homme très équilibré, très lourd, mentalement équilibré, très calme, mais lorsqu’il explose, il manifeste une puissance exceptionnelle ! ». Et donc cette époque a été pour moi complètement opposée à l’actuelle. Je suis devenu agressif ! Je n’étais pas un homme calme, pourtant, c’est affreux, mon caractère est très joyeux ! Petit à petit, cette agressivité a développé un déséquilibre. Et je me demandais comment je deviendrais un homme conforme à mon caractère ? Quand trouverais-je le calme ? Quand serais-je moi-même ? Tout le temps je courrais après l’extérieur !

B. S. : Est-ce que vous avez eu ces mêmes sentiments avant les années 72 ? Et se sont-ils aggravés ?
M. Noro : Oui, ils se sont aggravés. Et à cause de ma fatigue, tout le monde disait : « Il vous faut du calme, reposez-vous ! ». Et un jour – je l’ai écrit dans le livre de Murcia –, deux kinésithérapeutes m’ont dit : « Allez venez ! Nous allons vous soigner. ». « D’accord ! ». « Couchez-vous ! ». Elles m’ont attrapé les bras et ont commencé à m’étirer. J’ai senti à quel point j’étais crispé ! Tous les muscles ! Tout le corps ! Elles ont étiré, étiré, pendant trente minutes. Et j’ai senti, petit à petit, disparaître ces contractions physiques, et j’ai senti en même temps à quel point j’étais coincé et mon énergie bloquée. Et au moment où ça se produisait, j’ai dit : « Ah ! C’est ça ! Mon équilibre vient de l’utilisation de l’énergie ! ». J’étais complètement tendu, tout le temps, tout le temps, tout le temps ; et quand ça a lâché, j’ai senti beaucoup plus l’énergie circuler, et vous n’imaginez pas à quel point mon corps est très sensible … ! J’ai senti quelque chose … Joie ! Et ça a été le commencement. Avant, je disais : « Ah ! Vous vous arrêtez avec 40° de fièvre ? Mais allez ! Continuez !» ; et on avançait ! Tous les anciens membres ont connu ça ! C’est évident que ça entraînait des blocages !

B. S. : Tout à l’heure, vous avez dit que le début du Kinomichi était votre naissance…
M. Noro : Naissance, oui ! 

B. S. : Est-ce qu’on pourrait dire que cette expérience a été une forme de renaissance, une deuxième naissance pour vous ?
M. Noro : Une renaissance… interprété comme ça, c’est bien … mais c’est une continuation.

B. S. : Donc, ce serait faux de dire qu’il y a eu un moment précis dans le Kinomichi qui vous a donné le déclic. C’est vraiment un développement continu ?
M. Noro : Je crois que c’est un développement continu. Ce n’est pas possible autrement !

 

   Le Kinomichi et ses bases

Kinomichi de D Roumanoff en allemandB. S. : Maintenant, une question très simple mais difficile. Qu’est-ce que le Kinomichi ?
M. Noro : J’ai déjà répondu à cette question … Qu’est-ce que le Kinomichi ? Je répondrais: c’est Moi ! C’est exprimer mon histoire, mon expérience, mon caractère et le tout s’exprime dans les exercices. C’est Mon Histoire, si vous voulez !

B. S. : Dans le livre[2], il y a trois points qui sont spécifiés au sujet du Kinomichi : d’abord, des exercices corporels, un chemin spirituel, et troisième point qui m’intéresse plus, une possibilité d’expérimenter les relations personnelles, les relations d’homme à homme.
M. Noro : C’est la base, non ? C’est la Société, non ? C’est Notre Terre ! Comment concevoir notre Terre s’il n’y a pas de relation homme à homme ? Mais aujourd’hui, cette relation est intellectuelle, mentale, culturelle, sociologique. Mais si vous regardez le point de base, c’est l’énergie de l’Homme, la relation de Ki à Ki ! Aujourd’hui, peu de personnes parlent de cette énergie et beaucoup parlent des aspects culturels ou intellectuels ou sociologiques. Et qu’est-ce qui arrive aujourd’hui ? Tout est extérieur, parti pris et jugements ! L’Homme est différent ! L’éducation, la culture, la sociologie, ça, c’est une chose ! Mais le fondement, l’Homme, c’est-à-dire l’énergie, le Ki, c’est pareil ! Et moi, j’ai établi une séparation, et sur cette base j’ai essayé de développer. Et c’est évident, j’ai abouti à l’échec parce que je n’y ai pas pensé malgré mon étude de l’aï-Ki-do ! Ce Ki, je ne l’ai pas compris. Le mot était là ! Mais cette base, je ne l’ai pas comprise. J’ai fait de la technique.

B. S. : On peut dire que c’est quelque chose d’universel ?
M. Noro : C’est ça ! C’est cette rencontre d’homme à homme ! Donc, maintenant je dis que le Kinomichi c’est : « contact, contactez-vous ! », pas avec vos deux mains, pas la matière, mais d’énergie à énergie, de Ki à Ki !

 

   Le Ki du Kinomichi

B. S. :Cette idée de Ki est présente dans beaucoup de disciplines : Aïkido, Taï Chi Chuan, Shiatsu, donc, quelle est la spécificité de la notion de Ki dans le Kinomichi ?
M. Noro : Taï Chi : Chi, ce n’est pas Ki. L'idéogramme est le même mais l’écriture se réfère à une idéologie complètement différente…
  Mais si le Ki n’existait pas, le Taï Chi n’existerait pas non plus ! Si l’idée de Ki n’existait pas, l’Aïki n’existerait pas ! Des hommes cherchent cette énergie depuis plusieurs dizaines de siècles ; nous discutons, nous réalisons, et, chaque siècle, tous les savants se réunissent et discutent de ce Ki. Cette théorie orientale basée sur le Ki est automatiquement accompagnée d’exercices pour la réaliser. Sans ces exercices, cette théorie serait morte ! Pour la réalisation de la théorie, les exercices sont nécessaires !
  Aujourd’hui justement, j’ai parlé de cet exercice avec un écrivain chinois qui s’appelle Ya Ding. En Chine communiste, c’est le premier réalisateur de cinéma, et il est en même temps écrivain. Il a présenté son livre Le sorgho rouge qui a été sélectionné pour le prix Goncourt en France. Beaucoup de Français ont vu le film. Il est venu pratiquer et, après le cours, il m’a dit : « J’ai envie de parler avec vous ». Je connaissais son nom par le festival de Cannes, et en Chine, tout le monde connaît ce réalisateur. J’ai parlé avec plaisir avec lui. Il m’a d’abord dit : « Ah, merci ! Je cherche la Paix mondiale ! Pour réaliser cette Paix, ce n’est par le raisonnement intellectuel, l’intelligence. La base fondamentale, c’est le Ki, la réalisation de l’énergie de l’Homme, et cette énergie c’est la rencontre avec l’Autre, par l’harmonisation d’énergie à énergie. C’est la Base de toute existence de Paix sur la Terre ». Et donc, pour réaliser le Ki, il a pratiqué un certain nombre d’exercices. Or la Chine, c’est la Mecque de tous les Chi : en Chine il y a toutes sortes d’exercices ! Il s’est intéressé au taoïsme, au confucianisme, au chi gong, au taï chi etc., et il m’a dit : « J’ai été déçu ! déçu ! Avec ces exercices, c’est impossible ! ». Il est parti au Japon, Ki-Aïkido, il a pratiqué et il a été déçu ! Et il est venu à mon cours. Après deux heures d’exercices, il était enthousiaste ! Je l’ai remercié.
  Donc, il y a des exercices de Chi – vous avez dit taï chi, shiatsu, acupuncture …– mais dans toutes ces disciplines, ce n’est pas le même !

B. S. : Cet écrivain chinois, est-ce qu’il vit à Paris ou est-ce qu’il a été un court moment à Paris ?
M. Noro : A cette époque, il vivait à Paris, et après il est allé à Hong Kong.

B. S. : J’ai l’impression que le Kinomichi attire spécialement des artistes. Je ne sais pas si c’est vraiment le cas, mais si c’est comme ça, pourquoi ce sont des artistes qui sont spécialement attirés ?
M. Noro : Les artistes ont besoin de créer un espace d’énergie. Artistes, c’est Art, et l’Art, c’est la création d’espace. La musique, c’est espace. La peinture, c’est espace … avec Ki. Sans Ki, l’artiste n’existe pas. Si le Ki ne crée pas l’espace Juste, ce n’est pas un artiste ! Le musicien, s’il ne crée pas d’espace, ce n’est pas un musicien ! Ces personnes-là, tout le monde dit : « C’est un artiste ! », mais un artiste sans Ki… et le Ki, c’est l’espace ! Beaucoup de personnes commencent à le ressentir dans les exercices. Et les artistes sont très sensibles ! Tout le monde cherche à se perfectionner, et, petit à petit le monde vient ; et ils expriment la Joie, ils se transforment et évoluent !

B. S. : Est-ce qu’on peut dire que les hommes qui disposent déjà d’une sensibilité développée ont plus de facilité pour trouver un accès au Kinomichi ?
M. Noro : C’est possible de le dire. Mais pour moi tous les hommes ont un corps et une sensibilité, tout le monde en a ! Le Kinomichi, ce n’est pas uniquement pour les artistes ! C’est pour tout le monde. Si quelqu’un a cette sensibilité endormie, il faut la réveiller pour qu’elle se manifeste dans son corps.

 

   La question de l'évolution du Kinomichi

B. S. : Le Kinomichi est toujours en train de se développer. Est-ce vous pensez qu’il y aura un point où l’on pourra dire : « ça y est, maintenant ! ».
M. Noro : Quand le Monde entier, toutes les populations, feront du Kinomichi, ce sera ce moment-là ! Parce que c’est la base. Avoir donné le nom de Kinomichi, ce n’est peut-être pas bien parce que Kinomichi, c’est la base de toute notre vie ! Ce n’est pas possible de l’enfermer dans une case, dans une définition ! Si vous le faites et si vous dîtes: « Ah ça, c’est Kinomichi ! Voilà, c’est ça le Kinomichi !», à ce moment-là, vous mettez une limite ! Imaginez le moment où le monde entier pratique ! Imaginez ce moment-là !

B. S. : Il y a aussi une évolution de la technique du Kinomichi qu’on peut constater ces dernières vingt années. Est-ce que vous avez dans votre tête, déjà, une vision formelle techniquement de …
M. Noro : Je n’en ai pas ! … et je peux très bien dire demain, à tous les anciens membres à Paris : « Jusqu’à maintenant j’ai fait erreur ! ». J’ai faim de transformation ! Mais je ne suis pas pressé.

B. S. : Pour vos élèves c’est peut-être irritant ! Ils ont l’impression d’avoir compris, et un jour ils constatent que ce n’est pas du tout ça !
M. Noro : Non ! (rire).

 

   Symboles du Kinomichi

B. S. :Les cinq S sont toujours une base du Kinomichi ?
M. Noro : C’est ma signature !

B. S. : Le Sourire, la Souplesse, la Spirale … Comment s’exprime la Spiritualité ?
M. Noro : Ce sont des symboles. Les Grands Sages nous ont laissés des symboles. Par exemple, vous dîtes : « dans le shintoïsme il y a des symboles ». Mais si on analyse ces symboles, tous, c’est l’équilibre. C’est extraordinaire ces symboles. C’est le chemin de l’équilibre ! Si l’Homme perd l’équilibre, c’est la fin ! La spiritualité c’est la nourriture de l’Homme ! Il faut se nourrir, et pourquoi c’est l’équilibre ? C’est l’Eau et le Feu. Mais attention ! Pour beaucoup de personnes l’Eau et le Feu sont deux éléments différents, deux éléments qui s’affrontent ! Et ça, c’est une interprétation. Et si nous regardons avec ces yeux, comment notre vie a-t-elle pu naître ? Les éléments les plus importants sont l’Eau et le Feu, les deux Ensembles ! Si vous les opposez, c’est la fin ! L’Eau et Feu, c’est l’équilibre ! « On affirme que la spiritualité, c’est quelque chose de mystique ou quelque chose magique ! que qui arrive à atteindre une grande spiritualité atteint un pouvoir extraordinaire ! », mais ce n’est pas si spectaculaire que ça ! Non ! Mais ça m’étonne souvent ; c’est il y a trente ans que cette petite herbe a commencé à pousser, cette force, c’est magnifique ! Je suis étonné ! Avant, non ! A trente ans donc, c’est possible.

B. S. : A une époque, vous avez beaucoup utilisé le symbolisme des chiffres …
M. Noro : C’est pour sensibiliser les membres. Il faut amener aux membres de la nourriture. Toute la classification est basée là-dessus. Symbole de 6, 3 et 3, c’est la Lumière ; symbole 19 … Tout ça, c’est très très puissant ! J’ai envie d’aller en Israël pour étudier.

 

   L’apport du Kinomichi dans nos sociétés modernes

B. S. : Quels sont actuellement les plus grands problèmes dans les sociétés modernes et quel peut être l’apport du Kinomichi à la solution de ces problèmes ?
M. Noro : Il n’y en a pas ! Regardez, il y a une vingtaine d’années par exemple, un enfant voulait jouer avec d’autres enfants. C’était il y a peut-être trente ans. Aujourd’hui, qui est son partenaire ? C’est les machines, la télévision … et, la réalité pour l’enfant ce sont les images ! Ces images c’est quoi ? Ce sont des illusions de vision, … et de plus en plus ça se développe ! C’est étonnant, la semaine dernière, mon dernier enfant a invité son copain. Je pensais que tous les deux jouaient face à face ! Mais tous les deux étaient assis en direction de l’écran de télévision ! Une heure ! Deux heures ! Et l’autre gamin : « Ah voilà ! J’ai gagné ! Au revoir, Tchao ! ». Tous les deux qu’est-ce qu’ils ont fait ? Une rencontre illusoire ! Quel est le besoin aujourd’hui ? Enfant et enfant, c’est : «  contactez-vous ! ». Dans chaque famille, les enfants c’est comme ça ; ils sont nourris de ça, grandissent avec ça … et maintenant : «  J’ai envie d’acheter. Quoi ? Un ordinateur ! ». C’est Affreux ! Quand les gens vont travailler au bureau, ils se retrouvent face à ce Monstre !, et après, « Au revoir ! ». Et quel est le besoin d’aujourd’hui ? C’est Homme et Homme, c’est : « faites contact ! ». S’il n’y a pas de contact, notre tête va vite se détraquer ! Et pour le Kinomichi, donc, la première  chose c’est : contact ! Mais pas n’importe quel contact ! C’est cette forme de base même qu’il faut réaliser, c’est-à-dire Ki !

B. S. : Le mot "contact" n’est peut-être pas le mot approprié. Contact, ce n’est pas peau à peau, mais contact-Energie …
M. Noro : Les mots limitent. Ils limitent vraiment ! Exprimez-moi l’odeur d’une rose … Vous ne répondez pas ! Et donc ce mot est un piège aussi ! Mais pour donner la vie à ce mot, c’est : « pratiquez ! ». Sans pratique, ça ne sert à rien. Et donc, le Kinomichi ne doit pas rester un simple mot !

 

  La sitation actuelle du Kinomichi

B. S. : Le Kinomichi existe maintenant depuis 19 ans, quel est, à votre avis, le plus grand problème qui se pose actuellement au Kinomichi ?
M. Noro : Oh ! Oh ! Il n’y en a pas ! (rires). Tout le monde est gentil, tout le monde est bien, tout le monde entre dans le chemin. Mon cycle actuel, c’est 18 ans. En 1961, je suis venu. 18 ans après, c’est 1979 (création du Kinomichi). 79 + 18, c’est 1997, l’année passée. Cette année, donc, c’est la première année du nouveau cycle de 18 ans. Une année, c’est tout le temps 365 jours à peu près. C’est ce cycle que suit tout le temps la Terre. Pour moi c’est 18 ans. Donc, les premiers 18 ans, ça a été pour créer de bonnes racines pour le Kinomichi. Mais en deuxième c’est l’Arbre, et donc le contact avec le public. Pendant 18 ans j’ai tout refusé. Si vous m’aviez demandé l’interview il y a deux ans, j’aurais dit : «  Non merci ! ».

B. S. : Le développement du Kinomichi est quand même difficile et assez lent jusqu’à maintenant ?
M. Noro : C’est normal ! Avant la création du Kinomichi, en Aïkido, j’avais 1200 élèves. Chaque mois, c’était 100 nouvelles inscriptions. Mais j’ai tout perdu ! C’est normal ! J’ai dit à ma femme : « Voilà, mon désir c’est ça ! Mais si je crée cette autre discipline comme je le pense, je perdrai tous mes élèves, et je crois qu’il ne sera plus possible de nourrir mes enfants … Est-ce que je continue avec l’Aïkido pour vivre confortablement. ?». Ma femme m’a dit : « Vas-y ! Nous sommes-là ! ». 1/10ème des membres ! L’année passée en juin il ne restait qu’ 1/10ème des membres de l’époque ! Mais c’est la base !

B. S. : Quelle est la situation actuelle, en France ; combien de gens pratiquent ?
M. Noro : Je ne sais pas combien de personnes il y a parce que je ne demande pas : « Combien vous avez de pratiquants ?, Allez, écrivez-le moi sur papier ! ». Je ne sais pas.

B. S. : Dans une interview, un Maître européen de Zen disait aussi qu’un arbre qui pousse trop rapidement est mal fait.
M. Noro : C’est l’évidence même ! La discipline de mon Maître, l’Aïkido, il a mis 50 ans ! 50 ans après, ça commençait juste ! Je suis arrivé après 45 ans, nous étions 10 élèves ! Imaginez ça aujourd’hui !

 

   Le Kinomichi par rapport aux difficultés de l'Aïkido

B. S. : Dans l’évolution de l’Aïkido et son internationalisation, ça me semble un moment important quand vous et d’autres êtes partis du Japon pour amener l’Aïkido dans différents pays du monde. Est-ce que le Kinomichi en est déjà au même point ?
M. Noro : Je ne le demande pas ! Aujourd’hui, regardez l’Aïkido ! En Allemagne, combien d’organisations se battent entre elles malgré le message d’Amour et d’Harmonie ? En France, combien d’organisations ? Dans un petit pays comme la Belgique, il y a une dizaine d’organisations différentes ! Ça ne va pas !

B. S. : Est-ce qu’il y a eu une union en France entre les groupes de Tissier, Tamura et …
M. Noro : C’est à l’État de l’imposer. Mais chaque groupe est indépendant.

B. S. : Si vous pouviez réaliser vos désirs pour les prochaines années, quels sont vos plus grands désirs que vous souhaiteriez réaliser avec le Kinomichi ?
M. Noro : Oh ! Vous me posez une question très difficile ! (Rires) Je n’ai pas pensé à ça !

B. S. :Pas de vision, pas de désir, pas d’ambition ?
M. Noro : Je suis là aujourd’hui. Comment va Berlin ? Voilà. Mais j’ai déjà répondu : un jour, le Monde entier pratiquera ! Et le mot de Kinomichi disparaîtra, hop ! C’est là mon grand très grand secret et ma plus grande ambition !

 

   Avant-dernière question

B. S. : Encore deux questions.
M. Noro : Allez ! Encore ! (Rires).

B. S. : Je crois que votre mère était shintoïste et votre père bouddhiste, ces deux religions, comment vous ont-elles influencé ?
M. Noro : Pour moi, comme je vous ai répondu, la spiritualité, le cheminement spirituel, c’est la recherche de la vérité, de l’harmonie. Au Japon les dieux s’appellent Kami. Ka, c’est Feu – dieu du Feu –, et Mi, c’est l’Eau. L’Eau et Feu. C’est une vision, une image complètement différente. Ici, Jésus est là, et Dieu est là, mais au Japon, non. Donc, cette dimension, c’est peut-être Ciel – Terre. Le Ciel c’est le Feu, l’Eau c’est la Terre. Souvent vous entendez : Homme-Ciel-Terre …

(Arrêt de l’enregistrement !).

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(1) Note de J-P Sarton à propos du passage transcrit mot à mot, lorsque Maître Noro parle à Graf Dürckheim en contestant la façon dont il parle du hara.

J’ai retranscrit mot à mot car plusieurs interprétations de ces paroles sont possibles. Pour ne pas en privilégier une, je préfère renvoyer ceux qui ont envie d’approfondir aux sources connues :
– L’interview de Maître Noro par P. Willequet dans le Cahier n° 9 du Centre Dürckheim de mars 1984, p. 9-10 et 13-15[3] ;
– L’interview de Maître Noro dans le n° d’Aïkido Magazine de décembre 2003[4], p.6, 2e 3e colonnes ;
– Les propos, que je rapporte en partie plus bas, tenus par Maître Noro lors de la 1ère rencontre entre Aïkido et Kinomichi à Nanterre le 8 avril 2005, évènement filmé par Gabriel Turkieh (« Une rencontre de l’Aïkido et du Kinomichi », Altomédia 2005) ;

Enfin, je me permets de rapporter quelques extraits de mes notes personnelles prises lors de cours ou de stages de Maître Noro :

– Lors d’une journée porte ouverte au Centre, le 21/09/2002, Maître Noro, après avoir exposé son itinéraire de l’Aïkido au Kinomichi, explique que : « L’énergie circule dans tout le corps, elle remplit le corps, elle n’est pas concentrée en un lieu, le Hara. Concentrer l’énergie en un point, c’est une hérésie ; c’est une concentration, une contraction, un rétrécissement contraires à l’ouverture ! Et c’est sur ce point que j’ai été à un moment en désaccord avec l’Aïkido. ».

– Il revient sur ce point lors de la rencontre Aïkido-Kinomichi citée plus haut : « J’ai démissionné de l’Aïkido en août 1979. Si j’ai démissionné, ce n’est pas pour quelque chose de moi (il fait un geste d’opposition avec le poing), Non ! C’est … Un jour, je me promenais dans la forêt, je regardais arbres. Arbres est vivre ! Et je vois cette force Terre à Ciel … Monte … S’il n’y a pas cette force, l’arbre va mourir. Et donc, la vie c’est Terre à Ciel … ça, je vais essayer ce Ki, énergie, dans les mouvements de Maître Ueshiba. Et voilà, Kinomichi est naître ! ».

Maître Noro revient avec insistance sur ce point entre novembre 2008 et mars 2009, période pendant laquelle il a beaucoup souffert des lombaires et d’une sciatique :

– Stage de perfectionnement du 28/11/2008 : « Dans les arts martiaux et chez Dürckheim, on parlait beaucoup du Hara et du Kikaï tenden. Il fallait renforcer le centre du Ki. J’ai été victime de cette croyance. J’ai pratiqué des millions de fois des mouvements, notamment des shomen avec un jo en fer pour renforcer mon hara. [Je précise ici que certains d’entre nous, dont j’étais, ont suivi l’exemple de Maître Noro et ont pratiqué des milliers de fois ces shomen et des mouvements de canne avec un jo en acier !]. Résultat, aujourd’hui mes disques lombaires sont usés et je souffre d’une sciatique ! » ;

– Cours du 05/12/2008 : « A mon souvenir, jamais Maître Ueshiba ne nous a parlé de centre vital. Il nous a parlé d’énergie qui circule de pieds à tête, à travers tout le corps, mais pas d’un point de concentration de l’énergie. Et Maître Ueshiba n’a jamais eu mal aux vertèbres ! Mais au Centre Mondial[5], tous les instructeurs parlaient du Hara et faisaient des exercices pour le développer ; et toutes les techniques se faisaient pieds à plat, dos cambré, ventre en avant ! Pendant des dizaines d’années j’ai répété ces mouvements en bloquant les vertèbres et aujourd’hui, je n’ai plus de disques, c’est écrasé ! Mais comment j’ai pu me tromper comme ça ?! LUI (Maître Ueshiba), il n’a rien eu ! Et ça fait terriblement souffrir. » ;

– Cours du 06/02/2009 : « Ces exercices pour développer la force de mon Hara, personne ne m’a dit que c’était dangereux pour le corps (…), c’est pour cela que dans les mouvements de Kinomichi je ne veux pas que vous fassiez des mouvements droits, horizontaux, pieds plats, mais des mouvements Terre à Ciel, avec de la spirale qui ouvre le haut du corps et évitent l’écrasement lombaire. Expansez vos pieds et vos orteils ! Quel dommage que je n’ai pas connu ça à l’Aïkido ! ».

  



[1] Voir la note de J-P Sarton après l’interview.

[2] Deux livres étaient parus, celui de Raymond Murcia Rencontre avec Masamichi Noro, éd. Dervy, 1996 ou La pratique du KINOMICHI® avec Maître Noro, de Daniel Roumanoff, éd. Critérion, 1992

[4] Cet article figure sur le blog : Le mouvement universel du Ki.

[5] Le Centre Mondial est le centre de l'Aïkido au Japon.

 

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