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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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11 décembre 2020

Force d'eau et force de feu selon Maître Masamichi Noro

Le symbolisme tenait une grande place dans l'enseignement de maître Noro, le fondateur du Kinomichi. Le symbolisme de base c'est "ciel et terre", mais il y a d'autres symbolismes comme celui du feu et de l'eau, du yin et du yang. D'ailleurs, parmi les cinq éléments chinois, c'est le feu qui symbolise la force Yang et l'eau la force Yin.

0 Kinomichi, calligraphie de maître Masamichi NoroVoici un dossier sur l'eau et le feu. Il est formé essentiellement d'extraits d'interviews de maître Noro, et d'extraits du livre de Daniel Roumanoff, La pratique du Kinomichi avec Maître Noro, éd. Critérion, 1992,

  • “Le cœur de l’être humain n’est pas différent de l’âme du ciel et de la terre. Dans votre pratique, gardez toujours à l’esprit l’interaction du ciel et de la terre, de l’eau et du feu, du yin et du yang.”  (Morihei Ueshiba)

 

Remarques préalables sur quelques idéogrammes de la langue japonaise.

Ka est une des lectures de l'idéogramme 火 (feu), et Mi est la syllabe initiale de Mizu qui est une lecture de 水 (eau), l’ensemble des deux syllabes donne KAMI qui est une lecture de 神 (dieu). En jouant sur le son, maître Noro dit que "l'eau et le feu" c'est Dieu, il n'est pas le seul.

L'idéogramme Ki 氣 qu'on traduit souvent par "énergie" (et qui est dans les mots "kinomichi" et  "aïkido") a pour radical 气 qui représente des vapeurs montant de la terre, et a pour corps 米 qui est l'idéogramme du riz (sous forme de graines de céréales), du riz qui est en train de cuire. Dire vapeur c'est penser feu et eau et c'est penser énergie.

 

Symbolismes.

Le feu brûle et donne / l'eau est souple et reçoit.
Le feu est une force qui monte /par son poids l'eau en mouvement est une force qui descend.
Le feu figure la verticale / l'eau au repos figure l'horizontale
….

 

Force d'eau et force de feu

 

1) Présentation faite par D. Roumanoff[1] concernant les images et la symbolique évoquées par maître Noro

La symbolique la plus fréquente est celle du ciel et de la terre, sous la forme de force de ciel et force de terre. La notion de force nous conduit au Ki...

On trouve également les images du Feu qui brûle et qui donne, de l'Eau qui est souple, fluide, va vers l'extérieur et reçoit.

Une autre image fréquemment citée est le chemin d'évolution de l'homme qui va de la glace (état dur et cristallisé) à l'eau (souplesse) puis à la vapeur (énergie libérée) pour aboutir à la lumière (accomplissement final de l'homme)[2].

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2) Rechercher l'harmonie du feu et de l'eau

(D'après une interview de maître Noro par Génération tao en 2003)

Prenez l'idéogramme ki, c'est du riz en train de cuire.

Mais pour faire du riz, il faut de l'eau et du feu. La force de l'eau et du feu ensemble, c'est l'origine de toutes choses. Ka (feu) et mi (eau), c'est Dieu.

Ka monte vers le ciel, mi descend vers la terre. L'eau est le plan horizontal, le feu est le plan vertical. Du riz, de l'eau, du feu et de la vapeur manifestée.

Mais pour l'homme, ce qui est difficile, c'est notre interprétation : l'eau et le feu se battent. Mais au cœur de notre cellule de vie, l'eau et le feu donnent naissance à la vie. Si l'eau et le feu sont conçus avec le sens de combat, c'est une catastrophe.

Voilà pourquoi l'homme cherche tout le temps l'harmonie du feu et de l'eau, qu'il entre dans les églises ou qu'il vénère Bouddha…

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Maître Ueshiba au sabre3) Utiliser un sabre (fait avec l'eau et le feu) c'est entrer en communion avec Dieu.

(Extrait de ce que dit maître Noro dans un entretien réalisé en 1990[3])

 Au Japon, dans la tradition shinto, le sabre est sacré et symbolise la paix. Après que le forgeron ait posé le morceau de métal dans le feu, il le martèle et le met dans l'eau. Il renouvelle l'opération parfois très longtemps jusqu'à obtenir une lame parfaite aux lignes pures.

En japonais le feu et l'eau sont désignés par ka et mi. Il ne faut pas l'exprimer ainsi, mais normalement kami désigne Dieu. Par conséquent, lorsque j'utilise un sabre, j'entre d'une certaine façon en relation avec Dieu.

Si en Occident le mot "Dieu" renvoie souvent à une image, au Japon il est davantage l'expression de la nature, du ciel et de la terre, de l'eau et du feu.

Pour cela le shinto est à la base de tout. Il exprime cette communion avec la nature. L'homme est en relation permanente avec elle, aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur de lui-même, mais hélas il ne le vit pas toujours.

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4) La paix, recherche de l'équilibre de l'eau et du feu (KA-MI)

(Extrait de ce que dit maître Noro dans le livre de D. Roumanoff p. 200).

En japonais, le mot "Dieu" se dit "Kami". Ka veut dire "feu" et Mi signifie "eau". "Dieu" se dit donc "Feu-Eau" et, en rapport avec la croix du Christ, nous retrouvons cette même symbolique de l'eau et du feu : matière et esprit, horizontale et verticale, positif et négatif.

Le mot Ki signifie originellement la manifestation ou riz, pour moi la manifestation de Dieu.

Pour créer le riz, il faut de l'eau, beaucoup d'eau et il faut aussi la force de la lumière et de la chaleur, du soleil, donc du feu. Et ces deux éléments joints créent le riz. Le riz signifie donc union de la force du feu et de l'eau, donc ciel et terre. Ici, quand on parle de Dieu, il y a tout de suite une image donnée, pour nous Japonais, il n'existe pas ce genre d'image, Ki, c'est réunir le corps et l'esprit, c'est l'union des opposés, l'unité.

 

La paix se crée par l'harmonie de tous nos potentiels, de tout ce qui existe : l'homme et la nature, l'intérieur et l'extérieur, le positif et le négatif… Dans l'atome, il y a une force positive et une force négative. Entre ces deux forces se manifeste une troisième qui les unit : c'est le mouvement, le Ki.

Cette notion fondamentale de Ki est inhérente aux conceptions taoïste chinoise et shintoïste japonaise du monde ; c'est le principe énergétique vital de l'univers. Le Ki fait tourner le monde. Dans cette optique, un animal, un arbre, une pierre, à l'égal, sont des manifestations de ce principe énergétique premier et des supports de sa manifestation. Ils participent d'une même trame. Or, pour que l'harmonisation des principes contraires et complémentaires yin et yang qui régissent la manifestation se réalise, il faut que le Ki circule librement dans l'Univers, donc dans l'homme, à la fois partie et miroir de l'Univers.

Malheureusement, beaucoup de gens ignorent ces choses-là. Derrière ces symboles se cache beaucoup de belles choses, mais nous avons perdu cette façon de percevoir, de comprendre les choses, parce que nous sommes devenus trop logiques et que cette logique ne concerne que ce que nous percevons de l'extérieur – et encore, pas même la totalité de l'extérieur des choses – il n'y a plus de logique de l'intérieur. Notre recherche de vie est donc la recherche de l'équilibre de ce KA-MI où ni l'un ni l'autre ne doit dépasser, écraser l'autre. Les deux sont en constant équilibre.

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5) Une des différences qui existe entre le zen (ou le yoga) et le kinomichi vient de l'importance que chacun donne aux forces de l'eau et du feu.

D Roumanoff (livre p. 289) : Une dimension particulière à la méthode Noro, c'est qu'au lieu de faire silence, de faire retour à soi comme la tortue qui se replie et se recroqueville sous sa coquille, selon l'image classique du "retour à soi" dans le yoga, il s'agit au contraire de se tourner vers l'extérieur… de s'élargir… d'aller jusqu'à l'infini, « alors, dit maître Noro, automatiquement vous reviendrez à vous-même… Vous faire revenir à vous-même, vous faire établir dans le silence, ce n'est pas mon problème, c'est votre affaire personnelle. »…

Maître Noro, contact« L'expansion c'est le feu… Le retour à soi, c'est l'eau. Le kinomichi c'est la voie du feu. »

« Certaines personnes vont pratiquer un peu partout dans différents centres. Je les laisse faire. Mais je leur dis : “Vous faites la tête…” Ils cherchent à intérioriser… centraliser. J'ai envie de leur crier : “Cessez cet exercice.”

Les Occidentaux ont l'habitude de ne jamais sourire quand ils font quelque chose de sérieux. Ils font la tête. Dans l'assise (zazen), quand quelqu'un est détendu, cela suscite des commentaires – “Qu'est-ce que c'est ?” –, ils se fabriquent donc un masque, ils cherchent à imiter, à se conformer à l'image d'un sage… Je leur dis : “Tout est fermé. Votre visage est comique. Pourquoi faites-vous cette tête-là ? Ce n'est pas vous. Vous fabriquez un sage que vous n'êtes pas.”

Ce type de pratique correspond à une évolution culturelle ou religieuse qui existe depuis plus de 4000 ans. C'est la force de l'eau. “Recherchez la conscience, disent-ils... Alignez ce point et puis après exprimez…” Je ne suis pas d'accord.

Aujourd'hui, il faut pratiquer la force du feu, l'expansion, la sortie de son étroitesse. Pour cette fin du XXe siècle, c'est ainsi que l'homme peut aller vers la libération.

Pratiquer ainsi le zazen est comique : “Durcissez le ventre et vous sentirez le Hara.” Qu'est-ce que c'est ? Dans le kinomichi, beaucoup de gens commencent à sentir qu'il ne faut pas faire rentrer l'énergie mais l'exprimer.

Le zazen, dit-on, consiste à rassembler les énergies et à faire retour sur soi. Le kinomichi à l'inverse c'est l'expression, l'expansion vers l'extérieur… et alors automatiquement se fait le retour à soi sans qu'on ait besoin de le chercher.

L'assise est certainement une chose excellente quand elle vient après l'action. Ainsi je l'utilise après le boken.

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6) La respiration : Force de l'eau (descendante) et Force du feu (montante).

(Extrait d'une interview de maître Noro par Pierre Willequet en 1984[4])

J'explique souvent, parlant de la respiration, que nous devons être un simple tuyau de passage des forces de l'infiniment grand à l'infiniment petit, de l'infiniment petit à l'infiniment grand. Autrement dit, les forces du Ciel passent dans notre corps et vont vers la Terre, les forces de la Terre vont ensuite vers le Ciel ; voilà ce que sont l'inspiration et l'expiration. (Cette idée se retrouve d'ailleurs dans l'acupuncture où est recherché l'équilibre entre les forces yin et yang).

Notre respiration ne se limite donc pas aux poumons, et il ne faut pas perdre de vue cette force qui relie la Terre et le Ciel.

Si nous symbolisons maintenant, nous voyons que :

  • la force qui descend du Ciel passe dans notre corps, pénètre la Terre par nos racines. Cette force descendante, nous l'appelons la « Force de l'eau ».
  • La force de terre, elle, monte vers le ciel, nous l'appelons la « Force du feu ».

En japonais, le mot "Dieu" se dit KAMI : KA veut dire "feu" et Mi veut dire "eau". Littéralement, le mot "Dieu" se dit donc "Feu-Eau" et, en rapport avec la Croix du Christ, nous retrouvons cette même symbolique de l'eau et du feu : matière et esprit, horizontale et verticale, positif et négatif. […]

 

Notre recherche de vie est donc la recherche de l'équilibre de ce Ka-Mi où ni l'un ni l'autre ne doit dépasser, écraser l'autre. Les deux sont en constant équilibre.

Une chose très intéressante existe dans ce mouvement de montée et de descente : ces deux forces se croisent précisément dans le Hara[5]. C'est là qu'est le lieu de cette magnifique rencontre, de cette magnifique harmonisation. On ne peut donc jamais limiter le Hara à cet endroit du ventre, non, c'est beaucoup plus profond que cela. Pour le débutant, il est important d'arriver à le sentir là, au ventre, mais il ne faut pas en rester là. […]

 

Nous, japonais, symbolisons le Hara, donc Dieu, par un miroir. Le Hara est un miroir. Le miroir est également le symbole du mystère, de l'inconnu.

Mais c'est un objet qui se salit très vite ! Si le mouvement intérieur s'arrête, la poussière s'installe.

Prenons comme exemple le silence. Très souvent ici, je parle du silence et je sens bien que pour l'Occidental le silence est quelque chose de mort, d'immobile. Non ! non ! Ce n'est pas ça du tout ! Le public occidental a beaucoup étudié toutes les théories et philosophies orientales, mais il se trompe souvent. Le silence n'est pas un état immobile, pétrifié, sans mouvement. Si c'est ce silence-là qui est recherché dans les pratiques méditatives, la poussière s'installe.

Il faut donc constamment nettoyer, purifier notre miroir, à l'aide notamment du silence, qui est attention, vigilance permanente. Mais ce mot "attention" n'exprime pas exactement ce que je veux dire ; c'est beaucoup plus profond que cela. Ce qui est recherché est l'attention exempte d'agitation. Si l'agitation s'installe, le miroir casse ou se couvre de vagues.

Ce miroir est donc le symbole du reflet de tout : intérieur, extérieur, tout ! Tout se reflète dans ce miroir… normalement.

Le silence est donc très important. Il faut arriver à faire naître ce calme qui permet la vigilance. S'il est trop agité, le miroir se casse. Mais faites bien attention au mot "silence". Silence, oui, mais pas un silence de mort. Il faut appliquer cela dans notre corps.

 

Qu'est-ce que ce nettoyage ? Il y a plusieurs techniques.

  • Celle utilisée par les pratiquants zen est la méditation. Ils reçoivent la Force de l'eau, la force descendante dans le Hara. Cette force est extraordinaire. Si quelqu'un vous dit qu'il médite pour se détendre ou pour se relaxer, il n'a rien compris. Rien ! La force qui vient de l'eau est une puissance extraordinaire !
  • Une autre technique de "nettoyage" est, par exemple, le Kinomichi, le mouvement, le feu.

 

L'eau et le feu ont toujours été des éléments de purification intérieure. Suivant les siècles, l'un alterne avec l'autre, comme Lao Tseu nous l'a dit : « Le cycle ne s'arrête pas de tourner, le cosmos est en constant mouvement. » À certaines époques, l'eau sera utilisée comme élément purificateur, à d'autres, le feu.

Tout un temps, ce fut l'eau qui a été utilisée : avec Moïse, par exemple [traversée de la mer rouge], également par la tradition du baptême avec l'eau. Mais si vous regardez la civilisation égyptienne par exemple, le taureau… le soleil, le feu était l'élément dominant, comme dans notre civilisation chrétienne, certaines fêtes ou célébrations sont dédiées au feu, la Pentecôte par exemple. Le feu, comme élément purificateur revient petit à petit dans nos vies et grandit.

Le Kinomichi est l'utilisation de cette Force du feu pour le nettoyage, le développement de notre corps et de nous-mêmes.

Je remarque d'ailleurs que cet exercice a de plus en plus d'impact sur le public, ce qui traduit, à mon sens, une certaine évolution de notre conscience du corps.

[…]

 Je tiens à le répéter une fois encore, l'antagonisme est une attitude de mort. Nous cherchons une technique de vie. Le symbole du Hara, Dieu, la croix du Christ, l'Étoile de David, toutes ces recherches visent à l'harmonisation. Un philosophe occidental a déterminé la grande différence existante entre l'Orient et l'Occident. « Ici, en Occident, dit-il, positif et négatif sont deux choses différentes, donc objet d'affrontement. Pour les Orientaux, il existe entre ces deux pôles un lien d'harmonisation, ce sont deux choses égales. » Si l'on ne perçoit pas que la racine profonde du positif et du négatif est la même, autrement dit que le un crée le deux qui crée le trois, comme nous le dit Lao-Tseu, on entre dans l'antagonisme. Jour et nuit sont identiques, cela va jusqu'à dire que la vie et la mort sont identiques. La clé de cette compréhension est donc l'harmonisation.

Si nous observons la création de la vie, cela a commencé par le mariage de l'eau et du feu, ces deux choses, en parfaite harmonisation, ont pu créer une cellule. Grâce à ces deux forces bien harmonisées, une cellule est née. Cette cellule, multipliée par des milliards, a formé notre corps. Notre propre corps est donc né de l'harmonisation de ces forces apparemment contraires et opposées.

Ces forces ne sont pas destinées à l'affrontement, et tant que nous ferons notre attitude dualiste, nous détruirons le sens initial de toutes ces recherches, et nous détruirons également nos corps et nos vies

Non ! non ! Il s'agit d'un message de paix, je crois que le fond du travail de Graf Dürckheim est un message de paix, tout comme le Kinomichi. Harmonisation entre le Centre et l'Extérieur, c'est pour cela que dans nos exercices nous travaillons tantôt le centre, tantôt la périphérie. C'est normal, tout y est assimilé. C'est magnifique ! C'est avec cette idée que la vie est née. C'est donc grâce à l'étude de ces mouvements que peut se comprendre l'essence de la vie…



[1] Daniel Roumanoff, La pratique du Kinomichi avec Maître Noro, éd. Critérion, 1992, p. 65

[4] Cf. La méthode de maître Noro, le Kinomichi ; L'apparition de K G Dürckheim dans la vie de Maître Noro. Une partie de cet article a été reprise par Daniel Roumanoff dans son livre.

[5] Hara = ventre en japonais, souvent localisé en-dessous du nombril. Mais, comme il le dit ici, maître Noro répète souvent qu'il ne faut pas le considérer de façon statique.

 

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