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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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8 janvier 2021

Quatre contes : L'ermite hurleur, Le tribunal des outils, Le pet d'éveil, Fier d'être un pot fêlé

Voici quatre contes parus dans divers numéros de la Voix d'Assise, la revue interne au Centre Assise

gargouille bouche ouverteL'ermite hurleur : j'ai une réponse (J-Cl Carrière) – VA 12 – Décembre 1998
Le tribunal des outils – VA 42 – Octobre 2008
Le pet d'éveil – VA n° 34 – Avril 2006
Fier d'être un pot fêlé – VA 16 – décembre 2000

 

 

 

L'ermite hurleur[1].

 

Un ermite chrétien, vêtus de quelques hardes, les pieds ensanglantés par les rochers et les épines, la tête brûlée par le soleil, courait sans fin dans le sable et criait à tous les échos du désert :

– J'ai une réponse ! J'ai une réponse ! Qui a une question ?

 

 

Le tribunal des outils

 

outilsIl y avait une fois, il y a bien longtemps de cela, dans un petit village nordique, un atelier de charpentier. Un jour que le Maître était absent, les outils se réunirent en grand conseil sur l'établi. Les conciliabules furent longs et animés, ils furent même véhéments. Il s'agissait d'exclure de la communauté des outils un certain nombre de membres.

L'un d'eux prit la parole : "Il nous faut, dit-il, exclure notre sœur la scie, car elle mord et elle grince des dents. Elle a le caractère le plus grincheux du monde."

Un autre dit : "Nous ne pouvons conserver parmi nous notre frère le rabot qui a le caractère tranchant et qui épluche tout ce qu'il touche."

"Quant au frère marteau, dit un autre, je lui trouve un caractère assommant. Il est tapageur. Il cogne toujours et nous tape sur les nerfs. Excluons-le."

"Et les clous ? Peut-on vivre avec des gens qui ont le caractère aussi pointu ? Qu'ils s'en aillent ! Et que la lime et la rape s'en aillent aussi. À vivre avec elles, ce n'est que frottement perpétuel. Et qu'on chasse le papier de verre dont il semble que la raison d'être dans cet atelier soit de toujours froisser !"

Ainsi discouraient en grand tumulte les outils du charpentier. Tout le monde parlait à la fois. L'histoire ne dit pas si c'était le marteau qui accusait la scie et le rabot la lime, mais il est probable que c'était ainsi, car à la fin de la séance, tout le monde se trouvait exclu.

La réunion bruyante prit fin seulement par l'entrée du charpentier dans l'atelier. On se tut lorsqu'on le vit s'approcher de l'établi. Il saisit une planche et la scia avec la scie qui grince. La rabota avec le rabot au ton tranchant qui épluche tout ce qu'il touche. Le frère ciseau qui blesse cruellement, notre sœur la rape au langage rude, le frère papier de verre qui froisse, entrèrent successivement en action. Le charpentier prit alors nos frères les clous au caractère pointu et le marteau qui cogne et fait du tapage. Il se servit de tous ses outils au méchant caractère pour fabriquer un berceau.

Pour accueillir l'enfant à naître. Pour accueillir la vie.

Conte suédois

 

 

Le pet d'éveil

 

Abu Bakh (Dieu veille sur lui !), cheminait un matin avec quelques disciples. Le sage allait devant, assis sur son baudet. Les autres étaient à pied.

Comme ils allaient ainsi sous le soleil content, l'âne lâcha un pet.

Bouleversement d'Abu Bakh. Il sursauta en gémissant comme un amant soudain éperdu de bonheur, il se déchira la chemise, la face au ciel, riant, pleurant.

– Seigneur, s'exclama-t-il, Seigneur, comme je T'aime ! Comme tu parles juste et clair dans Ton infinie compassion !

Ses disciples le regardèrent, déconcertés, les sourcils hauts.

L'un d'eux osa lui demander :

– Maître, que vous arrive-t-il ? Un âne pète et Dieu vous vient ? L'air nous manque, expliquez-nous vite !

Il répondit :

– Mes chers enfants, comme nous allions sous la brise, l'âme en paix et le corps aussi, je pensais : "Je chevauche droit, bien au chaud dans mon grand manteau, mes disciples sont là autour, trottinant au plus près de moi. Ils sont discrets, ils me respectent, ils se disputent le plaisir de tenir la bride de l'âne. Décidément, je suis quelqu'un. Je suis un cheikh considérable. Voilà comment, le jour venu, honoré de la terre au ciel, j'entrerai dans la haute gloire de la résurrection des saints !" Comme je disais cela, l'âne péta. Réponse brève à ma litanie d'âneries, mais d'une justesse si pure que l'extase m'en est venue.

Henri Gougaud

 

Fier d'être un pot fêlé

 

porteur d'eauEn Inde, un porteur d'eau possédait deux grands pots, suspendus aux extrémités de la perche qu'ilportait en travers des épaules. L'un d'eux, fêlé, n'arrivait qu'à moitié plein au terme de la longue marche entre la rivière et la maison du maître, alors que l'autre, intact, était toujours aussi rempli.

Cela continua ainsi pendant deux années entières, le porteur ne livrant chaque jour qu'un pot et demi d'eau à la maison de son maître.

Le pot sans défaut était bien sûr fier d'accomplir parfaitement ce pour quoi il avait été fait, alors que le pot fêlé était honteux de son imperfection et malheureux d'accomplir seulement la moitié de sa tâche.

Au terme de ces deux années, qu'il avait perçues comme un échec amer, un jour, près de la rivière, il dit au porteur d'eau : « J'ai honte de moi-même et je voudrais te présenter mes excuses. »

– Pourquoi ? demanda le porteur. De quoi as-tu honte ?

– Je me sens coupable, dit le pot, de ne livrer depuis deux ans que la moitié de ma charge, cela à cause de cette fissure à mon côté par où l'eau s'écoule tout au long du chemin de retour vers la maison de ton maître. Du fait de mon défaut, tu as accompli tout ce travail sans obtenir la juste récompense de tes efforts.

Peiné pour le vieux pot fêlé, le porteur d'eau lui répondit : « En partant vers la maison, tu observeras les belles fleurs le long du sentier. »

Et en effet, comme ils montaient la colline, le vieux pot fêlé remarqua que le soleil réchauffait de belles fleurs sauvages au bord du sentier, et cela le réconforta un peu. Cependant, en fin de parcours, il se sentit mal de nouveau car il avait perdu la moitié de son chargement, et à nouveau il demanda au porteur d'excuser sa fêlure.

Le porteur dit au pot : « As-tu remarqué qu'il y avait des fleurs seulement de ton côté du chemin, et non du côté de l'autre pot ? C'est parce que j'ai toujours connu ton défaut et que j'en ai tiré parti. J'ai planté des graines de fleurs sur ton côté du chemin et, chaque jour, à notre retour de la rivière, tu les arroses. Depuis deux ans, je peux cueillir ces fleurs pour décorer la table de mon maître. Si tu n'avais pas été ce que tu es, il n'aurait pas cette beauté pour embellir sa maison. »



[1] Jean-Claude Carrière : Le cercle des menteurs, Contes philosophiques du monde entier, Plon 1998.

 

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