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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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15 janvier 2021

"Qohéleth et le sūtra du diamant – sagesses biblique et bouddhique", article de B. Sénécal

Bernard Sénécal a rédigé cet article en 2012 avec l’aide d’une bourse de recherche de l’université Sogang de Séoul où il enseigne. L'article est en accès libre sur internet (https://www.cairn.info/journal-recherches-de-science-religieuse-2013-2-page-233.htm) et il a semblé intéressant de le mettre sur ce blog dédié au Centre Assise où se vit la rencontre du christianisme et du bouddhisme (la présentation a été modifiée à quelques endroits pour faciliter la lecture).

B. Sénécal a animé des week-ends au Centre Assise dans les années 1990, et devait y revenir du 16 au 23 janvier 2021 (Zen et Evangile) mais le contexte sanitire oblige à reporter cette session. La publication de cet article est en quelque sorte une façon de le rendre présent !

Le message précédent du blog a présenté le Soutra du Diamant en complément du présent message (mettre le lien). Avant l'article de B. Sénécal, voici le début de l'Ecclésiaste, un texte de l'Ancien Testament qui est appelé aussi Qohéleth, mot qui vient de l’hébreu qahal, l’assemblée, traduit par ekklêsia en grec. L'intitulé français du livre, "Ecclésiaste", vient du fait que la Septante (version grecque de l'AT) a traduit Qohéleth par Ekklésiastès.

 

Ecclésiaste (Qohéleth) 1, 2-11 :

  • Vanité des vanités, et tout est vanité !
    Quel profit y a-t-il pour l'homme dans toute la peine qu'il peine sous le soleil?
    Une génération s'en va, une génération vient, et la terre pour toujours subsiste.
    Le soleil surgit, et le soleil s'en va; il aspire à son lieu d'où il surgit.
    Le vent va vers le midi, et tourne vers le nord; il tourne et il tourne et il va ; et le vent revient sur ses alentours.
    Tous les torrents vont vers la mer, et la mer n'est pas remplie ; et au lieu d'où ils étaient venus, les torrents viennent pour aller.
    Toutes les paroles sont lassantes, l'homme ne peut les parler.
    Il ne se rassasie pas l'œil, de voir ; et elle ne se remplit pas, l'oreille, d'entendre.
    Ce qui fut, c'est ce qui sera ; ce qui s'est fait c'est ce qui se fera ; et il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
    S'il est une chose dont on dise: Vois ceci, c'est neuf ! Cela fut déjà dans les temps qui étaient avant nous.
    Il n'y a aucun souvenir (de ce qui est arrivé) pour les premiers ; et (ce qui arrivera) pour les suivants ne laissera pas non plus de souvenir chez ceux qui seront ensuite.

 

Qohéleth et le sūtra du diamant

Sagesses biblique et bouddhique

Bernard Sénécal

Recherches de Science Religieuse 2013/2  

 

“x n’est pas x, c’est pourquoi on l’appelle x”

“Illusion des illusions, dit Qohéleth, tout n’est qu’illusion.”[1]

 

Introduction. Au-delà de l’éphémère ?

Dans la Bible et le bouddhisme Mahãyãna, i.e. du Grand Véhicule, la littérature dite sapientielle occupe une place déterminante, tant en raison de son volume que de sa vivifiante signification pour l’ensemble de chacune de ces traditions.

– En effet, bien que ses origines demeurent mal connues, la littérature dite des Prajñaparamita[2] a joué un rôle déterminant au cours des longs siècles de gestation qui ont préparé l’émergence du bouddhisme Mahâyâna en Inde, vers le début de notre ère[3].

– Quant aux cinq livres sapientiaux bibliques, des Proverbes à la Sagesse de Salomon, ils ont été rédigés siècle après siècle au long du demi-millénaire qui précède le début de cette même ère, facilitant par l’évolution de la pensée qui caractérise leur contenu l’accueil de l’avènement du Christ au sein du christianisme naissant.

Cet essai cherche à comparer ces deux types de littérature, non pas d’un point de vue synthétique, mais à partir d’un ancrage textuel précis dans chacune d’entre elles : le Sûtra du diamant[4] pour le bouddhisme Mahâyâna, et l’Ecclésiaste ou livre de Qohéleth pour la Bible.

Un tel ancrage s’impose pour contrebalancer la diffusion extrêmement rapide de l’information sur les religions : par les conférences, l’internet, les publications et les voyages. Cette rapidité encourage, en effet, la recherche de rapprochements entre les courants sapientiaux des grandes religions. Il va sans dire qu’une telle quête d’unité, au cœur d’une diversité foisonnante et parfois troublante, a son intérêt et son importance ; elle expose cependant au risque de formuler des conclusions hâtives qui, par-delà les ressemblances, réelles mais superficielles, masquent des différences subtiles et profondes. Or, la rigueur scientifique requise pour permettre une rencontre significative et féconde entre traditions biblique et bouddhique exige également la prise en compte de ces différences. Dans ce contexte, le Qohéleth et le Sûtra du diamant ont été choisis, non seulement en raison de leur caractère représentatif des traditions auxquelles ils se rattachent respectivement, mais encore parce qu’ils contiennent des points de divergence et de convergence qui se prêtent fort bien à une étude comparative entre sapiences bouddhique et biblique.

Parmi les ouvrages de la Bible, si on en juge au nombre des traductions et essais à son sujet[5],  le Qohéleth ne cesse d’intriguer, sinon de fasciner, par la célèbre formule qui marque, comme d’un sceau, son début et sa fin[6] : « Vanité des vanités, a dit Qohéleth. Vanité des vanités. Tout est vanité. »[7] Par ce leitmotiv, l’Ecclésiaste évoque, a priori nettement plus fortement que les autres ouvrages du corpus sapientiel biblique – Proverbes, Job, l’Ecclésiastique et Sagesse de Salomon – le sens aigu de l’impermanence de toute chose qui caractérise, non seulement le Sutra du diamant, mais encore le courant sapientiel bouddhique et l’ensemble de la tradition issue du Buddha Shakyamuni (ca. 563-483 av. J.-C.).

L’enseignement de ce dernier exprime clairement ce sens lorsqu’il définit la première des trois caractéristiques (ti-lakkhanna[8]) de l’univers phénoménal : « tout ceci est impermanent (anicca) ». La signification de cette première caractéristique est renforcée par celles de la seconde et de la troisième : « tout ceci est dépourvu de soi (anata) » et « tout ceci est insatisfaisant » ou « tout ceci est souffrance (dukkha) ». C’est la constatation empirique de l’inter-dépendance de tous les dharmas[9], un livre, une chaise, un être vivant, un univers, etc., qui sert de fondement à la définition de la loi de l’inter-dépendance et des trois caractéristiques qui en découlent. Autrement dit, tous les phénomènes constituant la réalité observable sont conditionnés. Remarquons que la troisième des caractéristiques est aussi la première des quatre nobles vérités (ariya sacca), i.e. le point de départ de l’enseignement du Buddha Shakyamuni et de la tradition à laquelle il a donné naissance. Le but du Buddha est précisément d’aider les êtres animés à se libérer définitivement de l’insatisfaction et de la souffrance qui caractérisent leur condition au sein du cycle de la transmigration : la roue des renaissances ou samsara en sanskrit. Dans ce but, il les amène à prendre conscience de la première et de la seconde des trois caractéristiques, car leur ignorance est ce qui fait tourner la roue des renaissances. La libération du samsara est le nibbana (sk. nirvana) ou cessation définitive de l’insatisfaction et de la souffrance, parfois appelée « quatrième caractéristique » de la réalité.

De façon plus spécifique, le leitmotiv de l’Ecclésiaste évoque également ce qui définit la connaissance supérieure des bodhisattvas dans l’ensemble du corpus sapientiel bouddhique : un sens aigu du caractère momentané et unique, donc relatif et limité, de chaque instant de cognition et de tous les énoncés – philosophiques et religieux – qui s’ensuivent.

Dans le Sûtra du diamant, ce sens aigu se trouve condensé et exprimé dans le leitmotiv « x n’est pas x, c’est pourquoi on l’appelle x », que l’on retrouve édité sous une forme ou une autre dans presque tous les chapitres du sutra. C’est en grande partie à ce leitmotiv, sur le sens duquel nous reviendrons, que ledit sûtra doit toujours sa renommée et son immense popularité au sein du bouddhisme Mahayana.

Comme en écho au Sûtra du diamant, le leitmotiv du Qohéleth affirme, en se refusant pratiquement à tout énoncé définitif sur la condition humaine, sinon l’échec de l’entreprise sapientielle du moins son incapacité radicale à rendre vraiment compte de cette condition.

Indépendamment de sa signification réelle, cette similitude entre les leitmotivs respectifs des deux textes se trouve spontanément renforcée lorsque « vanité des vanités, tout est vanité » est traduit par « illusion d’illusions, tout est illusion »[10] ; la nature illusoire de l’univers phénoménal étant précisément ce que toute l’épistémologie sapientielle bouddhique s’applique à démontrer, par les trois caractéristiques, et cherche à surmonter en indiquant la voie qui conduit au nirvânâ.[11]

Cette coïncidence de vue, a priori, entre le Sûtra du diamant et le Qohéleth paraît, sinon étrange du moins étonnante. Elle conduit naturellement à demander si l’auteur de celui-ci n’aurait pas été inspiré, en partie tout au moins, par des contacts avec le bouddhisme de l’empire indien des Maurya (ca. 322-185 av. J.-C.), à l’époque où celui-ci était dominé par Ashoka[12] (règne ca. 265-232 av. J.-C.), soit un peu plus d’une soixantaine d’années après la mort d’Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) dont les conquêtes étendirent l’empire jusqu’au sous-continent indien. En effet, à l’époque même où le Qohéleth était rédigé, Ashoka aurait envoyé des délégations de missionnaires bouddhistes en direction du monde grec[13]. L’envoi de ces délégations par celui en qui on peut voir le « Constantin du bouddhisme »[14] est plausible ; le vaste réseau de voies maritimes et terrestres constituant la Route de la Soie permettait autant le déplacement des armées des conquérants que les échanges commerciaux et culturels. Ces échanges se faisaient non seulement entre l’Inde et le monde méditerranéen, mais encore avec l’Asie Centrale, le Sud-est asiatique et l’Asie de l’Est, de telle sorte que la circulation pouvait être continue entre les rives des océans Atlantique et Pacifique. L’hypothèse d’une telle inspiration est certes séduisante. Sa vérification permettrait de voir en Qohéleth le « bodhisattva inconnu » de la Bible. Néanmoins, si l’on en croit les résultats des tentatives de datation du Sûtra du diamant, elle risque fort de s’avérer fondée sur un anachronisme qui l’exclut d’emblée. En effet, l’époque des missions d’Ashoka et de la rédaction du Qohéleth serait antérieure, peut-être, d’au moins quatre à cinq siècles à celle de la composition du Sûtra du diamant au IIe ou au IVe siècle de notre ère. Cependant, non seulement ces dates sont-elles incertaines mais encore, comme nous allons le démontrer, le génie propre au dynamisme par lequel s’est développée et transmise la sapience bouddhique ne permet guère de réduire la vérification de l’hypothèse soulevée à une pure question de datation. C’est donc, de préférence à un examen plus poussé des coordonnées spatio-temporelles au sein desquelles ont été respectivement rédigés le Qohéleth et le Sûtra du diamant, à partir d’une étude comparative de leurs contenus respectifs que cet essai entend sonder la validité de l’hypothèse avancée[15].

En conséquence, la suite de cet essai se compose de trois parties :

  • une présentation du Sutra du diamant,
  • suivie de l’examen de trois points de divergence majeurs entre celui-ci et le Qohéleth ;
  • puis, en fin, le risque d’une nouvelle exégèse du Qohéleth fondée sur l’affinité existant entre son leitmotiv et celui du Sutra du diamant.

Sans jamais exiger de conclure ou d’exclure que la sapience bouddhique puisse avoir influencé la sapience biblique, cette approche permettra de mieux saisir, au-delà de l’éphémère, tant ce qui constitue un point de rencontre possible entre ces deux courants de sagesse que ce qui est propre à chacun.

 

Le Sûtra du diamant ou la Perfection de sagesse qui tranche comme l’éclair

  • « Les bodhisattvas grands êtres[16] devraient cultiver un esprit libre de toute fixation ; ils devraient cultiver un esprit qui ne se fige sur rien…[17] pas même sur le désir d’obtenir l’éveil. »[18]

Buddha dans le Soutra du DiamantL’original sanskrit du Sûtra du diamant n’existe plus[19]. Comme pour le Qohéleth, son auteur réel est inconnu, bien qu’en principe le bouddhisme prenne pour acquis que tout texte qualifié de « sûtra » correspond forcément aux ipsissima verba du Buddha Shakyamuni. Les trois plus anciennes copies en sanskrit encore existantes datent du Ve et du VIIe siècle. Le Sûtra du diamant est un ouvrage bref, en trente-deux courts chapitres contenus sur moins de cinq pages dans la version de Taisho du canon bouddhique sino-japonais ; cela représente une cinquantaine de pages, bien aérées, dans une traduction en français comme celle de P. Cornu[20]. Le Sûtra du diamant est en fait un condensé des textes appartenant à la même famille mais beaucoup plus longs, telles que la Prajñâpâramitâ en huit mille, dix-huit mille, vingt-cinq mille ou cent mille lignes, dont la taille excessive rend difficile la compréhension et la diffusion. Le Sûtra du diamant est donc le fruit d’un effort pour résumer la doctrine contenue dans la littérature des Prajñâpâramitâ en vue de sa transmission. Le résultat d’un semblable effort se retrouve dans le Sûtra du Cœur, beaucoup plus court, et dans les mantras et dhârani[21], excessivement brefs, dont l’usage caractérise toujours le bouddhisme tantrique. Afin d’aller au bout de cet effort de condensation, le Tantrisme n’a pas hésité à déclarer que la doctrine de la Prajñâpâramitâ en cent mille lignes était en fait tout entière contenue dans la seule lettre « A »[22]. L’élasticité de la pensée contenue dans la littérature Prajñâpâramitâ confère sa cohérence à la sapience bouddhique ; la continuité qui en résulte, sur de longs siècles, limite la portée des tentatives faites pour essayer de dater plus précisément chacun des textes qui la constitue. On ne peut donc exclure d’emblée, sous prétexte d’anachronisme, l’hypothèse que cette sapience et/ou le Sûtra du diamant aient pu exercer une quelconque influence sur l’auteur du Qohéleth, que ce soit à Alexandrie ou ailleurs au sein du monde méditerranéen.

Afin de mieux saisir l’importance de la littérature des Prajñâpâramitâ et du Sûtra du diamant, il faut remarquer qu’ils n’ont pas à être identifiés au seul bouddhisme Mahâyâna. On ne décèle, en effet, dans les versions les plus anciennes du Sûtra du diamant, aucune trace du conflit opposant les protagonistes du bouddhisme du Grand Véhicule à ce qu’ils commencèrent à nommer, fort péjorativement, le Hinâyâna ou Petit Véhicule[23]. En contraste, par exemple, de textes comme le Sûtra du lotus et le Sûtra de la liberté inconcevable, rédigés au plus tard au IIe siècle[24], ne cessent de dénigrer ce « minuscule véhicule » par rapport auquel ils entendent affirmer leur supériorité. L’absence de trace de ce conflit dans les versions les plus anciennes du Sûtra du diamant démontre son importance et celle de ladite littérature, non seulement pour le Mahâyâna mais encore pour le bouddhisme dans son ensemble. Il n’en demeure pas moins vrai que la littérature des Prajñâpâramitâ a joué et joue toujours un rôle prépondérant dans la définition de l’identité du bouddhisme Mahâyâna[25].

Le véritable titre du Sûtra du diamant est Vajracchedika-Prajñâpâramitâ-sutra. Le mot sanskrit vajra signifie « une arme divine et redoutable comparable à un disque, à un éclair, ou à un coup de tonnerre » ; le traduire par « diamant », parce que la dureté du diamant peut trancher (cchedika) tout, est une simplification commode mais réductrice. Nous proposons donc de le traduire par Perfection de sagesse qui tranche comme l’éclair. Ce titre indique, bien sûr, que ledit sûtra se rattache à la littérature des Prajñâpâramitâ. Dans son ensemble, en effet, le genre littéraire du Sûtra du diamant correspond bien à celui de cette littérature : un dialogue se déroulant sous forme de questions et de réponses dans le bocage du Jetavana, à proximité de la ville de Shrâvastî[26], entre le Buddha Shâkyamuni et l’un de ses disciples, qui est ici Subhûti : le grand spécialiste de la vacuité, cette doctrine qui fait corps avec la littérature des Prajñâpâramitâ. Le rattachement du sûtra à cette littérature ne va cependant pas nécessairement de soi dans la mesure où le texte ne fait jamais usage de certains concepts clefs, comme la vacuité (shûnyatâ) et les moyens habiles (upayâ), qui la caractérisent normalement. En cela le Sûtra du diamant fait quelque peu songer au Qohéleth qui a eu, lui aussi, du mal à se loger dans le corpus auquel il se rattache, en raison de ce que d’aucuns ont perçu, par défaut de piété, comme son peu ou son manque d’orthodoxie. À notre avis, l’absence de mention de la vacuité et des moyens habiles peut s’expliquer fort simplement. D’une part, par le refus de réifier cette vacuité qui de toute évidence constitue, à la fois comme un fondement et un au-delà de l’impermanence, le ressort ultime du texte. D’autre part, parce que ledit texte est en lui-même un moyen habile permettant à ses lecteurs, conformément à son titre, non pas d’acquérir une quelconque connaissance mais, au contraire, de remettre en cause, réinitialiser, réorganiser ou encore, tout simplement, faire voler en éclat les connaissances déjà acquises. Radicalement iconoclaste, le Sûtra du diamant est un moyen habile tout entier conçu pour permettre à ses adeptes de mener, au cœur même de l’impermanence, une existence sur fond de vacuité. Ajoutés à la brièveté de l’ouvrage, ces traits distinctifs ont favorisé la production constante, au long des siècles et à travers des étendues géographiques immenses, de traductions en de multiples langues accompagnées d’un nombre important de commentaires (probablement environ quatre-vingt en chinois seulement).

Pour mieux comprendre les raisons de cet immense succès, qui se poursuit jusqu’à nos jours sans signe de relâche, il faut remarquer que le Sûtra du diamant contient, à l’instar de toute la littérature des Prajñâpâramitâ, une sorte de « mécanisme d’auto-reproduction ». Il encourage en effet tous ses lecteurs, non seulement à le mémoriser, à le réciter et à l’enseigner, mais encore à le recopier à la main et à le diffuser[27] ; cela, afin d’accumuler des quantités « immenses, incalculables et incommensurables » de mérite[28]. Le fait que nombre d’histoires populaires confèrent au Sûtra du diamant une puissance miraculeuse, à la source d’une longue liste d’événements extraordinaires, a contribué de façon significative à l’entretien et au renforcement dudit mécanisme. Ces données peuvent aussi aider à comprendre, en partie tout au moins, pourquoi les origines de la littérature des Prajñâpâramitâ demeurent toujours pratiquement inconnues. Il est probable, en effet, que la capacité d’auto-reproduction la caractérisant lui a permis de se perpétuer de façon relativement autonome, i.e. plus ou moins indépendante de l’existence des structures monastiques traditionnelles qui tendent, par nature, à laisser dans l’histoire de plus visibles traces de leur passage.

Paradoxalement, par-delà son succès auprès des masses, le caractère iconoclaste du Sûtra du diamant explique aussi son succès auprès de l’école Chan[29], c’est-à-dire l’école méditative chinoise, anti-intellectuelle s’il en est, tout au moins au plan rhétorique. Sous la dynastie des Tang (618-907), dans le Sûtra de l’estrade (Liuzu tanjing), c’est la figure du jeune Huineng (638-713) qui joue le rôle d’intermédiaire entre le caractère hautement populaire du Sûtra du diamant et l’école Chan, souvent comprise comme la quintessence de l’évolution du bouddhisme chinois[30]. Huineng est un adolescent orphelin de père, pauvre et analphabète, vendant du bois de chauffage en compagnie de sa mère sur un marché du sud de la Chine. Un jour, alors qu’il va livrer une commande de bois dans la cour d’une auberge, Huineng entend un voyageur inconnu en train de réciter le Sûtra du diamant. S’étant soudainement « éveillé » à cette écoute, Huineng interroge cet inconnu sur la provenance du texte dont il fait la récitation. Ce dernier lui répond qu’il s’agit du monastère de la Prune Jaune, où fait école le maître de méditation Hongren (594-674), le Ve Patriarche de l’école Chan. Le voyageur précise que Hongren recommande « la simple récitation du Sûtra du diamant à quiconque entend voir sa nature originelle[31] et aussitôt devenir un buddha (ch. danchi jinggangjingyijuan quedejiangin zhiliaochengfo[32]) ». Fort de cette information, le jeune Huineng fait ses adieux à sa mère et se met en route pour ledit monastère, situé au sud de la province du Hubei, à proximité de la rive nord du Yangtze. Par la suite, Huineng deviendra non seulement le successeur de Hongren, à titre de VIe Patriarche, mais encore la figure la plus emblématique de toute l’histoire de l’école Chan. Il est à noter que Hongren récitera le Sûtra du diamant au moment précis où il fera de Huineng son successeur en lui transmettant le Dharma. Assurément beaucoup plus légendaires qu’historiques, ces événements n’en ont pas moins contribué à transformer le Sûtra du diamant en l’un des textes majeurs de l’école Chan et des trois branches, toujours existantes et bien portantes, auxquelles elle a donné naissance au sein du monde sinisé : Sôn en Corée, Thiên au Vietnam et Zen au Japon[33]. Fondé sur le prototype fourni par le cas de Huineng, l’enseignement du Sûtra du diamant demeure conçu comme capable d’induire une expérience immédiate – donc soudaine – et complète de l’éveil, non pas en tentant de décrire ou d’expliquer la vérité, mais plutôt en détruisant, comme d’un coup de foudre, toutes les idées reçues. Il va sans dire, cependant, que le désir d’obtenir l’éveil peut, au contraire, devenir une fixation qui fait obstacle à sa réalisation.

L’ensemble de ces données continue à faire du Sûtra du diamant, avec le Sûtra du cœur, l’un des deux textes les plus représentatifs de la littérature des Prajñâpâramitâ. Dans le monde contemporain, par exemple, la traduction et le commentaire du Sûtra du Diamant par le bonze vietnamien Thich Nhat Hanh, à partir de l’une de ses versions en chinois[34], ont donné naissance à un ouvrage de vulgarisation publié dans un grand nombre de langues[35]. Au cours des siècles de la longue histoire de sa traduction et de son commentaire, le contenu du Sûtra du diamant n’a pas cessé de se transformer. Face à cette histoire, cet essai ne cherche pas tant à faire une exégèse de l’évolution dudit sûtra, qu’à comparer les points les plus constants et déterminants de sa doctrine avec ceux du Qohéleth.

 

Sotériologie, rétribution et mortalité

  • « … car souviens-toi que tu es poussière et que tu retourneras en poussière. »[36]

QohelethEntre le Qohéleth et le Sûtra du diamant, il existe des points de divergence nombreux et clairs. L’étude de ces points permet a contrario de mieux cerner l’originalité propre à chacun de ces deux textes. Abordons en trois particulièrement significatifs : l’horizon sotériologique, la rétribution et la mortalité.

Dans sa quête d’un salut par la sagesse, le Qohéleth s’intéresse en priorité à l’individu dans sa singularité, pas à un peuple et à son histoire ; il réfléchit essentiellement à partir d’une expérience empirique du monde et son horizon est à dominante anthropocentrique et terrestre. Bien que les résultats de sa recherche, à l’instar de celle des autres sages, soit manifestement destinés à guider les autres[37], il n’y est jamais question d’intercession en vue du salut d’autrui, que ce soit celle de l’auteur ou de quelqu’un d’autre. En contraste, le Sûtra du diamant met constamment en scène d’innombrables buddhas et bodhisattvas œuvrant, sans relâche et gratuitement, au salut de tous les êtres vivants prisonniers de la transmigration, non seulement dans notre monde mais encore dans les « milliards de milliards d’univers »[38]. Dans cette perspective, la sagesse ne saurait être l’objet de la quête d’un salut purement individuel ou de celui d’une collectivité, car l’éveil véritable qui la procure ne peut être complet et définitif qu’une fois que tous l’ont réalisé[39]. Selon cette sotériologie Mahâyâna et l’eschatologie qui en découle, ou bien tous les êtres sensibles deviennent éveillés, sans aucune exception, ou bien personne ne l’est encore véritablement[40]. Le Sûtra du diamant manifeste ainsi, au plan intentionnel du moins, une éthique aussi intransigeante qu’illimitée. Cette éthique s’accompagne, soulignons-le, d’une absence complète de scrupule à relativiser l’importance du Buddha Shâkyamuni, allant jusqu’à réduire ce dernier au simple rôle d’un buddha parmi tant d’autres, tous tout aussi entièrement dédiés que lui au salut universel. On retrouve ici l’adage Mahâyâna selon lequel un buddha équivaut à tous les buddhas et inversement[41].

À l’instar de la pensée hellénistique, le Qohéleth, fort de ses observations, tourne en ridicule la doctrine de la rétribution terrestre, mais sans pour autant lui proposer d’alternative[42]. Pour le Sûtra du diamant, au contraire, cette doctrine va pleinement de soi, mais dans une perspective élargie à une transmigration au sein de laquelle se succèdent des vies passées, présentes et futures[43]. Ces vies traversent, en fonction des enchaînements karmiques, tant la terre que les enfers et les cieux, dans un cortège de formes allant du démoniaque au divin, en passant par l’animal et l’humain. Cette transmigration dure aussi longtemps qu’il le faut pour permettre aux êtres sensibles d’atteindre l’éveil libérateur. Mais l’acceptation inconditionnelle de cette doctrine est d’autant plus paradoxale que ledit sûtra affirme aussi, par ailleurs, que « les véritables buddhas et bodhisattvas savent fort bien qu’il n’existe, ultimement, ni buddhas ni bodhisattvas, ni cycles de la transmigration ni êtres sensibles à conduire à l’éveil. »[44] Cette pensée paradoxale, appelée « voie médiane (sk. madhyama-pratipad) », se situe comme à mi-chemin entre les extrêmes de l’être et du non-être, mais dans une oscillation constante entre l’affirmation et la négation de la réalité du monde, de telle sorte qu’elle ne se fixe jamais, ni dans l’un ou l’autre de ces deux pôles ni quelque part entre les deux. Bien qu’elle n’y soit jamais explicitement évoquée, la doctrine de la voie médiane permet ainsi au Sûtra du diamant d’aller et venir sans cesse entre la finitude de l’univers phénoménal et du langage, et l’indicible infini de l’univers transcendantal. L’extrême rapidité à laquelle s’effectue ce mouvement d’aller et retour lui permet d’en arriver à l’identification complète du samsâra et du nirvâna, c’est-à-dire de la transmigration et de la libération procurée par l’éveil. En contraste avec cet apophatisme moniste[45], bien que le leitmotiv du Qohéleth mette en évidence le caractère essentiellement éphémère de toute chose et l’échec de la parole des sages, il ne remet pas pour autant en cause la réalité du monde en tant que telle et la capacité du langage à décrire l’expérience qu’il en fait. En ce sens, le Qohéleth demeure dans l’orbite de la pensée biblique qui prend pour point de départ un Dieu dont la parole (dabar en hébreu) engendre l’existence du ciel et de la terre au début de la Genèse[46]. C’est d’ailleurs l’hébreu dabar que traduit le mot « paroles » dans « Paroles de Qohéleth », qui introduit le texte en Qohéleth 1, 1.

Ces deux points démontrent que le Qohéleth et le Sûtra du diamant s’inscrivent chacun dans une vision du monde qui n’est en rien réductible à celle de l’autre.

 

Étudions, pour les compléter, la question de la mort.

L’introduction de cet essai a indiqué un point d’affinité possible entre le Qohéleth et le Sûtra du diamant : leur sens aigu de l’impermanence de toute chose. À la racine de ce sens, on trouve, tant dans le Qohéleth que le bouddhisme en général, une conscience aiguë de la mortalité de l’homme et de tout être sensible. À tel point que l’auteur du Qohéleth est tout autant hanté par la question de la mort que ne le fut Siddhârta Gautama avant que l’éveil ne le transforme en Buddha. Reprenant une expression de Lohfink, pour inverser la perspective, disons que l’un et l’autre étaient tout autant « affamé d’éternité. »[47]

D’après la tradition bouddhique, c’est le constat que tout homme naît, vieillit, tombe malade et meurt qui détermina le jeune Siddhârta à renoncer au monde pour commencer à mener la vie d’un ascète itinérant en quête de sens ultime : une libération définitive du cycle de la transmigration.

En fait, ce n’est pas seulement le Qohéleth mais encore la Bible en général, et son recueil sapientiel en particulier, qui sont traversés de part en part par la question de la mortalité humaine et, aussi, celle de la quête de l’immortalité qui constitue son corollaire.

- Le chapitre 3 de la Genèse, après qu’Adam et Ève aient perdu l’accès à l’Arbre de la Vie planté au milieu du jardin d’Éden, énonce à sa manière la même vérité fondamentale : « Tu es poussière et tu retourneras en poussière. »

- Quant aux livres sapientiaux, des Proverbes à la Sagesse de Salomon en passant par Job et le Siracide, pendant tout le demi-millénaire qui précède le début de notre ère, leurs auteurs s’interrogent intensément sur la destinée des individus ; le problème de la rétribution a pour eux une importance capitale. C’est dans leur milieu et par leur réflexion que la doctrine de la rétribution évolue vers la conception d’une âme qui subsiste après la mort pour être rétribuée dans l’éternité.

Sur ce fond commun, on peut considérer que le Qohéleth, qui a été rédigé durant le troisième de ces cinq siècles, occupe une position médiane : tout en percevant pleinement les limites de la doctrine classique de la rétribution, il semble qu’il n’arrive pas à, ou ne veuille tout simplement pas, percer une brèche pour proposer une nouvelle solution. Du coup, il se distingue de son contexte par la tournure quasi obsessionnelle que prend chez lui l’interrogation suscitée par la finitude humaine, à tel point que d’aucuns n’ont hésité à le qualifier, tout particulièrement face à la finale de l’ouvrage, de « Danse de la Mort parmi les plus exactes. »[48] Cette danse semble inviter ou, plus précisément, réduire l’homme à vivre une sorte de carpe diem[49], à l’appréciation, autant que faire se peut, de la saveur de chaque instant[50], jusqu’au moment où viennent les jours de la vieillesse, de la maladie et de la mort, ces jours dont il ne peut ou ne pourra plus que dire : « Je ne les aime pas. »[51] Il y a quelque chose d’écrasant dans cette tendance du Qohéleth à vouloir aller aussi loin que possible dans la réduction à néant de toute prétention humaine à être quelque chose d’autre qu’un « être pour la mort. »

En fort contraste, cependant, le Sûtra du diamant et la tradition sapientielle bouddhique n’abordent en rien la question de la mortalité de cette façon. Cela n’est pas tant parce qu’elle ne les intéresse pas ou ne les intéresse plus, que parce qu’ils se situent tous deux par rapport à elle d’un tout autre point de vue. Leur perspective n’est plus, en effet, celle de Siddhârta Gautama en quête d’une voie libératrice face à l’insatisfaction et la souffrance caractéristiques de la condition humaine, mais celle de ce dernier après qu’il soit devenu le Budhha Shâkyamuni. Quelle que soit la manière de décrire le point de vue correspondant à cette perspective – vacuité, voie médiane, ainsité ou tallité (tathatâ) –, il va sans dire que l’intelligence de celle-ci relève beaucoup plus d’une connaissance expérientielle directe, authentifiée à l’aune de son pouvoir définitivement libérateur, que d’une description intellectuelle ou livresque.

Une analogie est possible avec la vie chrétienne lorsqu’elle est abordée, non plus du point de vue de la mort, mais de celui d’un tombeau vide. Il est certain que la perspective du Qohéleth peut être comprise comme mettant en attente d’un tel retournement, bien qu’elle-même n’en soit apparemment jamais vraiment l’objet.

Qohéleth avoue d’emblée, en s’identifiant à Salomon[52], l’échec de sa quête sapientielle ; du coup il accepte, à l’instar de la pensée biblique, mais d’un constat glacial et comme formulé en désespoir de cause, de se référer à Dieu comme fondement de la condition humaine et de la morale[53]. En tout cela, il ne déclare pas et ne paraît jamais avoir définitivement trouvé la paix dont la quête avait motivé le lancement de sa recherche.

En contraste, sans jamais recourir à un tel fondement, les buddhas et bodhisattvas mis en scène dans le Sûtra du diamant incarnent la sagesse en action plus qu’ils ne la cherchent ou en parlent ; ils sont, sinon libérés de l’insatisfaction et de la souffrance caractéristiques de la condition humaine, du moins en voie de le devenir.

 

Après avoir mis en évidence quelques-unes des divergences existant entre le Qohéleth et le Sûtra du diamant dans leurs conceptions respectives du salut, de la rétribution et de la mort, abordons maintenant l’étude du sens de l’impermanence qui paraît capable de jouer le rôle d’un pont entre eux. La définition préalable d’importants points de divergence devrait nous permettre d’éviter la facilité des correspondances naïves.

 

Le Qohéleth à la lumière du Sûtra du diamant

  • « Dieu n’est pas Dieu, c’est pourquoi on l’appelle Dieu. Le Christ n’est pas le Christ, c’est pourquoi on l’appelle le Christ. »[54]

Cette partie risque un nouveau point de vue exégétique sur le Qohéleth en cherchant à l’interpréter à la lumière du leitmotiv du Sûtra du diamant : « x n’est pas x, c’est pourquoi on l’appelle x. »

En son genre, parce qu’il pousse aussi loin que possible la logique de son leitmotiv, le Qohéleth est tout aussi iconoclaste que le Sûtra du diamant. Il refuse non seulement toute forme d’idolâtrie, à l’instar du reste de la Bible, mais encore toute sagesse humaine, y compris celle de Salomon : le plus grand de tous les sages. En dénonçant l’absurdité de la doctrine de la rétribution sur terre et en refusant de projeter dans un au-delà de la mort quelque représentation que ce soit d’une suite à l’existence, il prend le risque de saper les fondements de l’éthique et de l’action. Le Qohéleth refuse jusqu’au bout, ou presque, de s’accommoder d’un quelconque intermédiaire entre l’homme et Dieu. En cela, il diffère profondément du Cantique des Cantiques, qui lui fait pourtant immédiatement suite dans la Bible, comme pour combler l’immense vide laissé derrière lui par son prédécesseur. Le Cantique n’hésite pas, en effet, à faire du mystère de l’union de l’homme et de la femme, au moins tout aussi central dans la Bible que la question de la mort[55], non seulement le cœur de l’existence humaine mais encore le paradigme de la relation de l’homme et d’Israël à Dieu. Sur ce point, la perspective du Qohéleth est, sinon ambiguë[56] du moins aux antipodes[57] de celle du Cantique, qui n’hésite pas à déclarer dans son poème final que « l’amour est aussi fort que la mort. »[58] Seule l’invocation in extremis, sur un ton quelque peu déductif, de la nécessité de « craindre Dieu et de respecter ses commandements, car il faudra passer en jugement »[59] permet au Qohéleth d’échapper à un destin qui évoque singulièrement le fatum de la pensée hellénistique[60]. Face à l’abîme d’un tel destin, cette invocation finale, peut-être ajoutée par un disciple de l’auteur, risque cependant de retentir comme une sorte de « sortilège amoral »[61], c’est-à-dire dépourvu de prise effective sur la réalité, hormis sa capacité à rassurer ses auditeurs à bon marché. Cette incantation permet certes au Qohéleth d’échapper à son cynisme et à son scepticisme mortifères et d’obtenir, de surcroît, le droit d’être incorporé à la Bible hébraïque pour avoir su faire preuve, en fin de manuscrit, d’un minimum de piété. Mais même après la formulation de cette incantation, le Qohéleth ne s’adresse pas davantage à Dieu et ce dernier demeure toujours aussi muet à l’égard de son auteur. Avant comme après l’énonciation de ce sortilège, aucune histoire d’alliance ne s’amorce entre Dieu et l’homme. Consciemment ou non, et comme à plaisir peut-être parfois, le Qohéleth a creusé, et creuse toujours, un immense abîme entre ce dernier et Dieu : une sorte de différence de potentiel, éternellement en attente de l’étincelle capable de susciter, sinon l’éclair fulgurant d’un éveil immédiat ou d’une révélation massive, du moins, et beaucoup plus modestement, un rudiment de communication. Mais c’est au cœur de cet abîme, très précisément, que se loge la possibilité pour notre exégèse d’opérer un recadrage. Car le Qohéleth accule ainsi l’homme à sa fragilité pour anéantir toute sa superbe. « Qui sait si le souffle de l’homme monte vers le haut et si le souffle de la bête descend en bas, vers la terre ? »[62] En ce sens, l’iconoclasme radical du Qohéleth peut être positivement compris, à l’instar de celui du Sutra du diamant, comme une propédeutique qui ne cesse de disposer à l’accueil d’un inconnu qu’elle se refuse toujours à nommer.

En dénonçant les limites de la sagesse humaine, le génie du Qohéleth laisse se creuser un vide métaphysique, un peu comme la vacuité physique à l’intérieur d’un récipient soumis à l’action d’une pompe à vide peut s’approfondir jusqu’à l’infini. Si ce vide ou cette vacuité appellent une bouffée d’oxygène, c’est uniquement pour permettre à l’homme de respirer ici et maintenant, sans plus. L’ouverture par lequel un sens pourrait venir s’engouffrer et les combler ne s’agrandit pas davantage. Comme le Sûtra du diamant, le Qohéleth n’évoque jamais vraiment cette vacuité en tant que telle, ne serait-ce qu’en la nommant, car cela équivaudrait nécessairement à faire violence à son génie. Face à ce néant silencieux, l’homme peut soit désespérer soit laisser se creuser une attente proportionnelle à sa profondeur.

Au cœur d’une telle attente, le Qohéleth n’en est pas moins une claire invitation à vivre ici et maintenant. « Il y a pour tout un moment et un temps pour toute chose sous les cieux », nous dit le Qohéleth au premier verset du chapitre 3[63] en guise d’introduction à son célèbre poème sur les temps de la vie[64]. Il enchaîne aussitôt avec une liste de vingt-huit éléments en quatorze couples polaires commençant par « temps pour enfanter et temps pour mourir »[65] ce qui marque le début et la fin de l’aventure humaine, comme pour en souligner la vanité ou, mieux encore, « l’absurdité au carré »[66] Cette impression est aisément confirmée par le verset 9 : « Quel profit celui qui fait quelque chose a-t-il à travailler ? » puisqu’il est destiné à mourir, quoiqu’il fasse. Mais cette série de temps, plutôt qu’un pessimisme, peut exprimer comme une plénitude de possibles entre la naissance et la mort. Une plénitude car la symbolique des chiffres semble ici évidente. Vingt-huit est en effet le résultat de la multiplication de quatre par sept, les quatre directions du ciel, donc la totalité de l’espace terrestre, et le chiffre de la perfection[67]. « En égrenant la litanie des étapes de la vie et des actes habituels de l’existence humaine, dans ses divers domaines, Qohéleth redit à sa manière la dynamique du provisoire, l’importance du présent. »[68] Reliée à l’attente métaphysique que creuse aussi ce dernier par ailleurs, la succession des instants constituant le présent peut devenir le lieu, non pas d’une angoisse métaphysique insurmontable, mais d’une humble succession d’éveils, permettant d’agir en toute liberté, d’un moment à l’autre, d’un temps à l’autre, à l’instar de la doctrine de la vacuité dont la dynamique sous-tend le Sutra du diamant.

Ainsi compris, le Qohéleth fonctionne comme le leitmotiv du Sutra du diamant : « x n’est pas x, c’est pourquoi on l’appelle x. » Affirmer que « x n’est pas x », c’est préciser que ce x n’a rien d’une réalité inconditionnée et immuable. Affirmer aussitôt après « c’est pourquoi on l’appelle x », c’est préciser que ce x existe bel et bien, mais à titre de réalité conditionnée et donc éphémère. En niant ainsi tout ce qu’il énonce, mais pour aussitôt le réaffirmer, ce leitmotiv entend échapper aux extrêmes de l’absolutisme et du scepticisme : les deux grandes tentations traversant l’histoire de la philosophie bouddhique depuis l’avènement du Buddha Shakyamuni[69]. Tandis que l’absolutisme tend à énoncer des vérités objectives, définitives et universelles, le scepticisme refuse d’affirmer quoi ce soit, hormis l’impossibilité de se prononcer et d’agir avec certitude. La voie médiane proposée par le Buddha, et ainsi reformulée par le leitmotiv du Sutra du diamant, a une visée essentiellement pragmatique, en ce sens qu’elle rend possible de dire et faire ce qui s’impose d’un instant à l’autre ou d’un temps à l’autre, mais sans jamais se fixer nulle part de façon absolue et définitive. En ce sens, la voie médiane refuse jusqu’au bout de s’engager au plan ontologique[70], mais tout en acceptant de s’engager aux plans du discours et de l’action. L’esprit qui en résulte est comparable à celui d’un voyageur traversant une étendue d’eau infinie, sans but ni direction précise, en posant à chaque pas son pied sur une nouvelle pierre, mais sans pouvoir laisser derrière lui la moindre trace de la dernière pierre ni pouvoir voir d’avance la pierre suivante, comme si l’instant de chaque pas se suffisait pleinement à lui-même parce que s’ouvrant sur l’infini dans sa totalité. C’est de façon semblable que pour Qohéleht, l’éternité ou « au-delà de l’éphémère », se joue tout entier dans l’ici et maintenant de l’éphémère ou « en deçà de l’éternité. » À en croire Lohfink, K. Rahner avait fort bien perçu, en rédigeant son œuvre théologique, cet au-delà du temps qui pourtant le fonde, tant dans la succession de ses instants que dans l’immensité de sa durée, de telle sorte que l’écriture de chaque mot l’avait comme davantage rapproché de l’éternité sinon plongé dans l’éternel[71].

Ce n’est pas un hasard si Thich Nhat Hanh, l’un des plus grands promoteurs du Sutra du diamant dans le monde contemporain, emploie sans cesse le mot allemand « achtsamkeit » pour souligner l’importance d’une attention constante à l’ici et maintenant de la succession des instants, sans jamais se fixer au-delà de ce qui est nécessaire sur aucun d’entre eux. « L’esprit suscite des pensées, c’est-à-dire s’éveille, sans jamais se fixer nulle part » disait déjà le VIe Patriarche Huineng au VIIIe siècle[72]. À la différence de ce dernier cependant, afin de mieux préciser le rapport de l’éveil et de son fondement à l’histoire[73], le « bouddhisme engagé » de Thich Nhat Hanh exhorte clairement ses adeptes à se plonger dans le monde pour le transformer[74].

 

Le Qohéleth, un moyen habile ?

  • « Le vent souffle où il veut et toi tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d’où il vient ni d’où il va. »[75]

La rencontre en vérité, tant en Asie qu’en Occident, des traditions bouddhiste et judéo-chrétienne exigeait de prendre le risque de comparer la sapience biblique avec celle de la littérature des Prajñâpâramitâ. Cet essai l’a relevé en comparant les leitmotivs respectifs du Qohéleth et du Sutra du diamant : deux textes d’une profondeur inouïe dont le sens et la valeur ne sauraient être révélés même par la meilleure des gloses ; leur caractère insaisissable invite sans cesse les exégètes à de nouvelles interprétations.

A posteriori, ces leitmotivs ne disent ni exactement la même chose ni ne sont complètement différents. Bien qu’ils ne soient en rien réductible l’un à l’autre, chacun n’en exerce pas moins une fonction semblable au sein de ses coordonnées de référence. L’un et l’autre nous convient à une conversion sans cesse en devenir. Mis en parallèle, ils fonctionnent en synergie. Renforcée par la perspective du Sutra du diamant, le Qohéleth devient un moyen habile pour faire tabula rasa : un appel constant à laisser humblement se réinitialiser la pensée. Il agit comme un antidote contre les fixations, y compris christologiques ; la théologie inchoative qui en résulte laisse toujours ouverte la question de ce qu’il y a au-delà de l’éphémère.

En évoquant l’empereur Ashoka et ses missions bouddhistes, cet essai a ouvert un vaste champ de communication symbolique entre l’Est et l’Ouest ; il se conclut sans le refermer. Les connivences existant entre le Qohéleth et le Sutra du diamant sont-elles oui ou non le résultat d’un hasard ? Peut-être… Mais vouloir trancher définitivement cette question serait sans doute contraire au génie des deux sapiences en présence.



[1] Leitmotivs respectifs du Sûtra du diamant et du Qohéleth. Dans Illusion des illusions, J.-J. Wahl traduit l’hébreu hebel, non par le classique « vanité » mais par « illusion » (Paris, DDB, 2011, p. 35).

[2] Prâjnâ : Sagesse ; Paramitâ : Grande Vertu ou Perfection.

[3] La bouddhologie contemporaine n’accepte qu’à titre de convention et de point de repère pratiques l’idée d’un développement linéaire du bouddhisme conduisant à la naissance du courant Mahâyâna au début de notre ère.

[4] Parfois appelé le « Diamant ». Il en existe plusieurs traductions en français dont : Le Sûtra du diamant, tr. du chinois et annoté par Jin Siyan, You Feng, Paris, 2007 ; Soûtra du Diamant et autres soûtras de le Voie médiane, tr. par P. Cornu (du tibétain) et P. Carré (du chinois et du sanskrit), Paris, Fayard, 2001 ; G. Driessens, La Perfection de sagesse, Paris, Seuil, 1996, p. 107-124. Voir note 35 pour les coordonnées de la traduction de Thich Nhat Hanh.

[5] Parmi les publications récentes, outre la traduction de J.-J. Wahl évoquée note 1, voir : A. Gueuret, Sur les sentiers de Qohéleth, Palimpsestes, Amiens, Le corridor bleu, 2007 ; M. Gilbert, Les cinq livres des Sages, Paris, Cerf, 2003, p. 115-147 ; et les cinq essais rédigés respectivement par S. Doane, “Découvrir le livre de Qohélet, Introduction,” et Y. Guillemette, “Découvrir le livre de Qohélet, Fascination et vertige”, “… Un temps pour chaque chose…”, “… Le travail et les biens matériels” et “… La vieillesse et la mort”, dans le Le Feuillet biblique, n° 2225-9, Montréal, 2000.

[6] Qo 1, 2 ; 12, 8.

[7] L’hébreu hebel signifie, outre ‘vanité,’ ‘absurdité, buée, fumée, haleine, idole, illusion (voir n. 1) néant, souffle, vapeur, etc.’ D. Doré, Qohélet et Le Siracide ou l’Ecclésiaste et l’Ecclésiastique, Cahier Évangile : 91, Paris, Cerf, mars 1995, p. 23.

[8] En l’absence d’autre précision, la romanisation donnée est celle des termes pali.

[9] Être (sattva) d’éveil (bodhi) : “celui ou celle qui, de vie en vie, n’a souci que d’éveiller tous les êtres, autrement dit, d’atteindre l’Éveil des bouddhas.” Soûtra de la Liberté inconcevable, les enseignements de Vimalakîrti, tr. du chinois par P. Carré, Paris, Fayard, 2011, p. 197.

[10] Voir note 1.

[11] Thich Nhat Hanh traduit le titre du Sûtra du diamant par The Diamond that Cuts through Illusion (le diamant qui tranche l’illusion). Voir note 35.

[12] Ca. 300-232 av. J.-C.

[13] En Inde, l’envoi de ces missions est attesté par des inscriptions lithiques datant du règne d’Ashoka ; dans le monde méditerranéen, on n’en a toujours pas trouvé de trace.

[14] Étant donné son rôle déterminant pour assurer la propagation du bouddhisme en Inde et au-delà.

[15] En dépit d’un titre alléchant, « D’Antioche à Pékin, la Bible et l’Asie à la rencontre du bouddhisme », d’une riche iconographie et d’un éditorial prometteur, affirmant la nécessité de nous débarrasser « de notre vision contemporaine du monde, de nos notions anachroniques d’Est et d’Ouest, et du modèle occidental chrétien », Le Monde de la Bible no 119 ne contient pratiquement rien sur la rencontre de l’Ancien Testament et du bouddhisme (Bayard, Paris, mai-juin 1999).

[16] « Titre décerné aux bodhisattvas dès lors qu’ils ont atteint la huitième des dix terres qui débouchent sur l’Éveil parfait », Soûtra du Diamant, op. cit., p. 142. Les dix terres sont les degrés allant du quarantième au cinquantième dans l’échelle classique des cinquante-deux degrés de l’éveil.

[17] T. 235, vol. 8, p. 749 c 21-23. Soûtra du Diamant, op. cit., p. 35-6.

[18] P. Magnin, Bouddhisme, unité et diversité, Expériences de libération, Cerf, Paris, 2003, p. 148.

[19] Quelques-unes des informations techniques contenues dans cette section sont tirées de R. E. Jr. Buswell éd., Encyclopedia of Buddhism, Mcmillan Reference, New York, 2004, vol. I, p. 227-8 et vol. II, p. 666-7.

[20] Voir note 17.

[21] Formule magique ou incantation, ou code mnémotechnique formé d’une ou plusieurs syllabes.

[22] Le son « A » est celui qui est produit par la partie la plus profonde des organes de la phonation ; c’est pourquoi il correspond à la première lettre de l’alphabet sanscrit et à la première voyelle de la syllabe AOUM, produite par le Brahman dans l’hindouisme lorsqu’il crée l’univers phénoménal.

[23] Voir H. Nakamura, Indian Buddhism, Kufs Publications, Osaka, 1980, cité par D. J. Kalupahana dans A History of Buddhist Philosophy, Continuities and Discontinuities, University of Hawaii Press, Honolulu, 1992, p. 153.

[24] É. Lamotte, L’Enseignement de Vimalakîrti (Vimalakîrtinirdesha), traduction et annotations, « Bibliothèque du Museon », vol. 51, Université de Louvain, 1962, p. 77.

[25] P. Magnin, op. cit., p. 356.

[26] La capitale du royaume dit de Koshala, l’un des seize plus puissants États de l’Inde vers le VIe siècle avant notre ère.

[27] L’invention du papier en Chine, au Ier siècle, a dû faciliter considérablement la mise en pratique de cette exhortation.

[28] T. 235, vol. 8, p. 752 b 25-26 ; Soûtra du Diamant, op. cit., p. 73.

[29] Channa est la romanisation du sinogramme traduisant le mot sanskrit dhyâna signifiant « méditation ». Le même sinogramme se prononce « zen(na) » en japonais, « sôn(na) » en coréen (« ô » se prononce comme le « o » de l’anglais « often ») et « thiên(na) » en vietnamien.

[30] Il faut néanmoins éviter de voir dans l’école Chan une « cristallisation » de cette quintessence, assurément incompatible avec le génie du « sans fixation » caractéristique de la littérature des Prajñâpâramitâ.

[31] La nature de Buddha ou buddhéité qui constitue la nature fondamentale commune à tous les êtres sensibles dans le Mahâyâna.

[32] T. 2007, vol. 48, p. 337 b ; Le Soûtra de l’Estrade du Sixième Patriarche Houei-neng, P. Carré tr., Seuil, Paris, 1995, p. 16-7.

[33] Voir note 29.

[34] Il ne précise pas de laquelle il s’agit.

[35] The Diamond that Cuts through Illusion, Commentaries on the Prajñâpâramitâ Diamond Sûtra, Parallax Press, Berkeley, 1992 ; Le silence foudroyant, Soutra de la Maîtrise du Serpent suivi du Soutra du Diamant, « Spiritualités vivantes » 151, Éd. Albin Michel, Paris, 1997.

[36] Gn 3, 19.

[37] Voir ce que dit D. Doré, op. cit. p. 21-2, au sujet de Qo 12, 9-11.

[38] L’astrophysique et les recherches aérospatiales contemporaines mettent en évidence l’existence d’un nombre considérables d’étoiles pouvant posséder des planètes semblables à la nôtre, i.e. où les conditions sont compatibles avec le développement de la vie. Voir « Extra-terrestrial life. Closer to Encounter », The Economist, Août 2012, p. 62-4.

[39] Voir note 9.

[40] En Lc 15, par les trois paraboles de la brebis perdue, de la drachme perdue et du fils perdu, Jésus nous enseigne que le salut ne peut être que collectif et intégral.

[41] Dans la mesure où on les retrouve non seulement dans la littérature des Prajñâpâramitâ mais encore dans l’ensemble du bouddhisme Mahâyâna, les trois traits du Sûtra du diamant décrits dans cette partie ne lui appartiennent pas nécessairement en propre. Ils n’en sont pas moins abordés par ledit Sûtra à partir du point de vue qui le caractérise.

[42] Qo 4, 1-3 ; 8, 14 ; 9, 3.11.

[43] La transmigration va de soi pour le bouddhisme qui l’emprunte à l’hindouisme, mais en supprimant la notion d’atta (sk. âtman), soi permanent ou âme, pour la remplacer par celle d’anatta (sk. anâtman), absence de soi permanent ou d’âme. Par conséquent, tandis que l’hindouisme parle de réincarnation de l’atta, le bouddhisme parle de transmigration du seul karma, indépendamment de l’atta dont il ne reconnaît pas l’existence.

[44] T. 235, vol. 8, p. 749 a 9-11. Soûtra du Diamant, op. cit., p. 21s. Cette « conception » de l’ultime sur fond de vacuité est fort distincte, par exemple, de celle du bouddhisme de la Terre Pure qui n’hésite pas à décrire avec un foisonnement de détails extraordinaire les merveilles du paradis du Buddha Amida. En se refusant à toute description de ce genre, le Sûtra du diamant laisse entièrement ouverte la question de la nature exacte du nirvâna.

[45] Pensée sans cesse mue par l’idéal d’une conscience pure, sans sujet ni objet, et qui, en conséquence, tend à trouver dans le silence son meilleur mode d’expression.

[46] Gn 1, 3.

[47] N. Lohfink, « Le temps dans le livre de Qohélet », Christus no 125, p. 70, 1985.

[48] 48. C. Ceronetti, L’Ecclésiaste, Qohélet, S. Tastet éd., 1987, p. 25 et 27, cité dans D. Doré, op. cit., p. 14.

[49] C’est ce qu’A. Compte-Sponville appelle un « hédonisme sur fond de désespoir », différent de celui d’Épicure car Qohéleth considère que même la sagesse est vaine et qu’il n’y a pas d’harmonie du bonheur et de la vertu. « Sagesses de l’Ecclésiaste », Le Monde des Religions no 31, septembre 2008.

[50] Qo 2, 24 ; 3, 12-13 ; 5, 17-18 ; 9, 7-10 ; 11, 9.

[51] Qo 12, 2.

[52] Qo 1, 12-26.

[53] Qo 12, 1, 13-14.

[54] Kôan biblique énoncé par l’auteur de cet essai. Voir B. Senécal, « Vers une pratique des kôans bibliques. Le passe sans porte de l’évangile de Luc », RSR 96/3, juillet–septembre 2008, p. 370-9.

[55] Voir Gn 1-3, tout particulièrement Gn 1, 26-27 et 2, 25.

[56] Qo 9, 9 : « Prends la vie avec la femme que tu aimes, le long de ta vie de vanité que Dieu te donne sous le soleil… »

[57] Qo 7, 26-28 : « … Or je trouve plus amer que la mort : la femme, car elle est un piège ; et son cœur un filet ; et ses bras, des chaînes : qui plaît à Dieu lui échappe… Au-delà, j’ai bien cherché, mais sans succès. Un homme sur mille, je l’aperçois bien, une femme sur toutes, je n’en trouve pas. »

[58] Ct 7, 6.

[59] Qo 11, 9 ; 12, 13-14.

[60] Certains commentateurs du Qohéleth n’ont pas hésité à déceler la présence de la Torah dès le début du manuscrit : « “Quel profit tire l’homme de toute la peine qu’il endure sous le soleil ?” (Qo 1, 3). Et l’école de Rabbi Yanaï dit : “C’est seulement [s’il recherche le profit dans ce qui est] sous le soleil qu’il n’en a point [de gain], [mais s’il concentre ses efforts vers la Torah qui fut] avant le soleil, il en a [un profit].” » Voir M. Zlotowitz & N. Scherman, Kohélet, l’Ecclésiaste, traduction et commentaires fondés sur les sources talmudiques, midrashiques et rabbiniques, « La Bible commentée », Colbo, Paris, 1987, p. 42. En faisant la critique du « métro, boulot dodo », J. Ellul tire une conclusion semblable dans La raison d’être, méditation sur l’Ecclésiaste, Éditions du Seuil, Paris, 1987, p. 110-3.

[61] Voir Ceronetti, op. cit.

[62] Qo 3, 21.

[63] Selon D. Doré, op. cit. p. 28, le Qohéleth emploie trois mots hébreux différents pour décrire le temps. Zeman : le temps fixé ; ‘et : le kairos grec ; ólam : la durée incontrôlable qui échappe à l’homme.

[64] Qo 3, 2-8.

[65] Qo 3, 2.

[66] D. Lys, L’Ecclésiaste, ou Que vaut la vie ? Letouzey et Ané, 1977, p. 313. Cité par D. Doré, op. cit., p. 29.

[67] D. Doré, op. cit., p. 28 ; N. Lohfink, op. cit., p. 7.

[68] D. Doré, op. cit., p. 29.

[69] D. J. Kalupahana, op. cit., note 23, p 153-9.

[70] En anglais : « ontological commitment ».

[71] N. Lohfink, op. cit., p. 69-70 ; 74-5.

[72] T. 48, vol. 2007, p. 338 c 4-10.

[73] Saint Ignace de Loyola parlerait du rapport « du principe et fondement à la contemplation dans l’action, comprise comme discernement constant et mise en pratique de la volonté divine. »

[74] “Engaged Buddhism.”

[75] Jn 3, 8.

 

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