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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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1 juin 2021

2e enseignement d'Eizan Rôshi, sesshin 2002 : Le kôan MU

C'est à partir de ce 2e jour de sesshin que l'enseignement se centre sur un des kôans du Mumonkan. Eizan Rôshi commence par le kôan MU. Ce kôan est donné à ruminer au pratiquant, mais le MU lui-même (qui signifie "Non", "il n'y a pas") est utilisé aussi comme une sorte de mantra qu'il s'agit de prononcer mentalement sur l'expiration, quasiment jour et nuit.

L'énoncé du kôan MU lui-même est très court. Dans le Mumonkan il est suivi d'abord d'un commentaire de maître Mumon qu'Eizan cite en partie en le glosant, et ensuite d'un poème qu'Eizan glose aussi.

Une traduction classique du kôan avec commentaire et poème de Mumon figure après l'enseignement. Voir aussi : Le kôan Mu (Le chien de Jôshû), base de la méthode des kôan en zen Rinzai : texte japonais, traductions françaises.

Eizan parle en japonais et Philippe Jordy traduit aussitôt. Cette transcription n'a été relue ni par Eizan ni par Philippe. Elle a été faite à partir de notes et peut donc contenir des erreurs.

 

Enseignement du 2ème  jour

Variations sur le kôan Mu[1]

 

Au début du zazen, on compte les respirations de 1 à 10. Ensuite on arrête et on fait « MU » en expirant et le maître donne un kôan qu'il faut franchir.

Le premier kôan est "le Mu de Jôshû".

 

cas 1, Le chien de Joshu, dessin de Quenten LeeÉnoncé du kôan MU :

À la question du moine : « Le chien a-t-il la nature de bouddha ? », Jôshû a répondu : « Mu ». Il faut réaliser l'éveil en franchissant ce kôan.

 

Le kôan Mu est le premier texte du Mumonkan, un recueil de 48 kôan qui ont été rassemblés par maître Mumon, son nom veut dire "pas de porte" (Mu-mon). Lui-même avait reçu ce kôan de son maître Getsurin. Pendant plus de six ans il a médité dessus sans dormir. Quand il s'endormait en zazen, il se levait, et faisait kin-hin (marche lente). Un jour alors qu'il était encore endormi, il heurta un pilier… et connut l'éveil.

Vous, vous avez la chance d'avoir un pilier dans ce zendô de Saint-Gervais ! Au Ryutaku-ji il y a un long chemin dans lequel se trouve "l'arbre de l'éveil". En effet, un disciple, de nuit, s'est heurté à cet arbre et a connu l'éveil.

Maître Mumon avait reçu le kôan MU de son maître et il était resté dessus plus de six ans. Dans son commentaire il décrit son expérience, il interprète son éveil : un jour, il a entendu le tambour de la salle à manger alors qu'il était en samâdhi et il a ressenti ce bruit comme un vrai coup de tonnerre. Le bruit s’épanche à partir du ventre et vous prend tout entier, et alors toute pensée, toute dispersion est tranchée. Et à ce moment maître Mumon s’est rendu compte que tous autour de lui étaient déjà réalisés.

Il faut vivre la même expérience d’éveil que Maître Mumon. Un ciel d'automne est toujours très pur, à l'infini.

 

Venons-en au kôan MU. Un jour, à un moment donné, le moine pose la question à maître Jôshû. Est-ce le hasard ? Non. Il avait une idée derrière la tête, il devait être très versé dans le bouddhisme, dans tous les kôans. Il avait une énorme énergie pour renverser maître Jôshû. En zen on peut frapper le maître… ou juste à côté.

Dans les pratiquants de zen il y a deux catégories :

  • ceux qui ne savent rien et posent des questions,
  • ceux qui savent et posent des questions pour renverser.

 

Comment comprendre ce MU ("il n'y a pas") en réponse, voilà la clé du kôan. On dit aussi qu'une fois la réponse fut U (il y a)… C'est une grande erreur si on croit qu'il faut interpréter les mots U et MU par "il y a" et "il n'y a pas". Ce qui compte c'est la prononciation de MU sur l'expiration, et par ce "MU" on s'applique à approfondir la respiration.

Hakuin lui-même s'est attelé à ce kôan MU dans sa jeunesse. Une fois où il passait la nuit à faire zazen, il était en samâdhi sans s'en rendre compte. À l'aube, il a entendu, venant d'un temple très loin, le son d'une cloche, et ce son l'a pénétré tout entier[2]. Il est alors allé voir un maître zen, Shôju.

Pas besoin de se saluer.
Shôju : « Alors, ce kôan Mu ? »
Et Hakuin lui donne le papier où il avait raconté son éveil.
Et l'autre d'envoyer le papier : « C'est ce que tu as pensé dans ta tête ». Et il l'a envoyé valser.
Alors Hakuin a fait comme s'il vomissait le kôan Mu. Mais Shôju ne s'en est pas satisfait : « Dis… »
Et Hakuin a dit : « Mu, on ne peut le restituer par des mots, la main n'a pas de prise, c'est dans le silence. »
C'est à ce moment que maître Shôju a tordu le nez de Hakuin : « Tu es enivré de toi-même, quelle erreur ! »
Hakuin est resté sans voix.
Mais c'est quand Hakuin était là à toute extrémité que le grand Hakuin s'est révélé.

 

MU signifie "il n'y a pas"… mais alors, il n'y a pas rien puisqu'il y a ce "il n'y a pas" !

La limite des mots, c'est la limite de ma philosophie. Au-delà… silence.

"Enseigner" le zen ? Oui : pour faire que 2 soit 1, que zazen soit moi, que l'intérieur soit l'extérieur.

Zazen fait zazen, voilà où démarre le samâdhi. Il faut couper court à toute discrimination humaine (intérieur / extérieur ; sujet / objet…), revenir à ce monde d'avant la dualité.

 

Glose du commentaire que Mumon a fait du kôan MU.

Maître MumonMaître Mumon a mis en premier le kôan Mu, et tous les kôans suivants ne sont que des variations du "MU", ils sont là pour expliquer ce terme unique "MU". Les 1700 kôans sont des variations du "MU".

Le maître de sabre Miyamoto Musachi, le poète Bashô… ont pratiqué zazen. C'est parce qu'ils ont pratiqué le zazen qu'ils ont pu créer ces grandes expressions de l'art. Les voies du sabre, de l'épée, du thé, la poésie, le Haïku, le théâtre Nô… tous ces arts sont impossibles sans zazen. Si l'on ne fait pas zazen, on ne peut pas vraiment comprendre l'une de ces voies.

Si vous faites vôtre le MU par la pratique de zazen, Bouddha, Rinzaï, tous les grands maîtres, vous êtes identifiés à eux, vous pouvez parler d'égal à égal avec eux.

 

Quels sont les méthodes pour réaliser l'éveil ? Le corps entier fait "MU", devient un bloc de "MU", exactement comme un chat tient une souris, comme une mère tient un enfant. Il faut toujours rester dans cet état d'esprit. Un "MU" tiède n'amène à rien. Le plus important c'est la persévérance : persévérer ; ne pas faiblir ; ne pas se précipiter non plus.

Maître Mumon parle du samâdhi : « c'est comme un muet qui aurait eu un rêve ; il sait ce qu'il a vu, mais ne peut en parler à quiconque. »

Pour ceux qui sont en samâdhi, il y a une chance de trouver l'éveil (le kenshô), et je pense que dans le christianisme, le kenshô c'est la résurrection.

Il y a des gens pour croire que le kenshô est un miracle, mais non. Rien ne change entre avant et après, et c'est le kenshô qui permet de s'en rendre compte.

Ce n'est que grâce à l'éveil que l'on peut savoir ce que l'on sait et savoir ce que l'on ne sait pas, ce qui est l'évidence. Par exemple maître Dôgen a dit après son éveil : « Les yeux sont à l'horizontale et le nez à la verticale[3].» C'est parce qu'ils ne sont pas éveillés que les gens dévient (du verbe "dévier") dans l'existence.

Le général Kan'U[4] avait une immense épée. Cette épée qui tranche c'est comme la liberté qui permet de trancher toutes les discriminations. C'est vrai jusqu'au point où, si vous rencontrez Bouddha ou les patriarches, il faut les tuer ! En effet, si vous êtes pris par l'enseignement du Buddha, par la méthode rinzaï, il faut couper !

 

L'éveil est souvent décrit comme un pouvoir extraordinaire, mais c'est une erreur.

Est-ce qu'avec l'éveil, on échappe à la mort ? Non ! Les maladies demeurent. Mais celui qui est éveillé ne souffre pas d'être malade. On cherche le bonheur, mais l'enfer est partout… Faisons en sorte que, grâce au kenshô, la vie en enfer devienne agréable.

Si vous êtes malade, récitez un sûtra, ou bien vous guérirez ou bien vous mourrez tranquillement ! En termes chrétiens, "Dieu donne à chacun selon sa mesure".

 

On fait zazen, on rentre dans MU, on rassemble son énergie et on rentre en samâdhi… et il y a cette chance du kenshô. C'est comme une lampe qui s'allume. Le monde des ténèbres se renverse en clarté.

 

Glose du poème de Mumon à propos du kôan Mu.

Voilà l'impératif donné par Buddha : il faut être dans MU jour et nuit. Mais si on hésite : « Il y a… Il n'y a pas… », on est prêt à verser dans l'enfer de la discrimination.

 

En guise de conclusion.

J'ai vu à Genève près du lac Léman une statue de Jean-Jacques Rousseau. Dans l'Émile il dit : « Nous naissons pour ainsi dire deux fois : la première pour venir à l'existence et la deuxième pour pouvoir vivre (c'est la naissance de l'esprit) ».

En zen le kenshô est comme une seconde naissance. En bouddhisme la libération c'est renaître et le kenshô est le signe de cela.

Dans l'espace il y a les quatre points cardinaux et dans le temps il y a passé / présent / futur : toutes ces dimensions sont intégrées.
La question c'est : comment notre expérience de zazen permet-elle d'élever la vie quotidienne ? Beaucoup de kôans s'intéressent à cette question.

Faire zazen et vivre, c'est pareil.

 

ANNEXE. Traduction classique du cas 1 du Mumonkan

Le chien de Jôshû

 

Un jour un bonze a demandé à Jôshû : Un chien a-t-il, lui aussi, la Nature-de-Bouddha ? Alors Jôshû a répondu : “MU”.

 

Commentaire de Mumon (cas 1) :

Pour pénétrer le zen, il faut d'abord passer à travers la barrière mise en place par les Anciens Maîtres. Et pour aller jusqu'au subtil satori, il est nécessaire d'abolir totalement l'état ordinaire de la conscience. Si l'on prétend juger que le zen c'est comme ci ou comme ça sans avoir cette expérience physique et mentale du franchissement de la barrière, sans expérimenter l'extinction de la conscience ordinaire, alors on est pareil à un spectre hantant les broussailles ou les touffes d'herbe.

Eh bien, tentons d'en discuter maintenant ! Quelle est donc cette barrière ? Ce simple MU de Jôshû, fondamental et sans pareil, c'est la première porte du zen, on l'appelle "la barrière sans porte du zen" (Mumonkan). Si vous parvenez à la franchir, non seulement vous rencontrerez Jôshû en personne mais encore vous marcherez main dans la main avec tous les patriarches depuis Bodhidharma lui-même ; vous aurez les mêmes réactions qu'eux (Littéralement : vos sourcils s'accorderont), vous verrez tout avec les mêmes yeux et vous entendrez tout avec les mêmes oreilles. N'est-ce pas cela, vraiment quelque chose d'admirable ? Ne voulez-vous pas tous franchir la barrière ?

À cette fin, mobilisez votre esprit et votre corps, vos 360 os ou articulations et vos 84 000 pores, devenez un bloc de doute (ou de questionnement). "Qu'est-ce que ce Mu ?" ; Concentrez-vous sur MU ! Portez en vous cette question, jour et nuit. Mais attention, il ne faut pas entendre ce Mu comme le néant [du Tao] (littéralement : le néant des Maîtres Rôshi et Sôji). Il ne faut pas non plus l'entendre en termes d'existence ou de non-existence. Une fois que vous serez ainsi attelé ainsi à ce [questionnement du] Mu, celui-ci deviendra comme un fer rouge, incandescent, que vous ne pourrez ni avaler ni recracher. Vous serez décrassés, lavés à grande eau des idées et expédients jusque-là assimilés et qui ne servent à rien, tout comme des réalisations erronées. Après une longue endurance viendra le temps où vous entrerez dans un état de parfaite unité, ayant comblé l'écart, de façon naturelle, entre extérieur et intérieur (conscience et objet ; moi et cosmos). Vous aurez cette expérience de réalisation pour vous-même mais vous ne pourrez la rapporter aux autres, tel un muet qui aurait eu un rêve.

Au moment soudain de cette expérience singulière, ce sera l'explosion de la conversion et vous étonnerez le ciel et vous ébranlerez la terre. Vous volerez au général Kan'u le si brave, sa fameuse épée ; vous en ferez votre arme et quand vous rencontrerez le Bouddha, vous le tuerez ; quand vous rencontrerez Bodhidharma ou les patriarches, vous vous en débarrasserez. Alors, installé dans cet instant de réalité flottant entre la vie et la mort, vous posséderez l'existence de grande liberté qui n'est ni vie ni mort, et parmi les six mondes et les quatre modes d'existence, vous jouirez de l'univers de paix et de réalité.

Donc, comment faire pour concentrer son esprit sur ce seul Mu ? Il vous faut y verser toute la puissance de votre esprit ordinaire. S'il n'y a ni relâche ni pause, la lampe de la Loi [du bouddhisme] s'allumera tout à coup ! [l'éclat du satori]

 

Poème de Mumon :

Chien ! Nature-de-Bouddha !
L'ordre juste et absolu vient d'être donné…
Si vous balancez entre "il a" et "il n'a pas"
Vous rendez l'âme aussitôt !



[2] Hakuin décrit lui-même sa concentration sur le kôan Mu de Jôshû et son éveil au son de la cloche : « Je ne dormais plus ni le jour ni la nuit. J'oubliais de manger et de me reposer. Soudain un grand doute se manifesta à moi. C'était comme si j'étais entièrement congelé au milieu d'une couche de glace qui s'étendait sur des milliers de kilomètres […] Une nuit j'entendis soudain sonner la cloche du temple, ce qui produisit un retournement complet. C'était comme si la couche de glace avait été fracassée ou comme si l'on avait renversé une tour de jade.»

[3] Dans le Eihei Koroku, Dôgen écrit : « Ayant seulement étudié avec mon maître Nyojô et ayant pleinement réalisé que les yeux sont horizontaux et le nez vertical, je reviens chez moi les mains vides... Matin après matin, le soleil se lève à l'est ; nuit après nuit, la lune s'enfonce à 1'ouest. Les nuages disparaissent et les montagnes manifestent leur réalité, la pluie cesse de tomber et les Quatre Montagnes (la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort) s'aplanissent. »

[4] Il est question de lui dans le commentaire que Mumon fait du kôan Mu.

 

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