4e enseignement d'Eizan Rôshi, sesshin 2002 : Transmission ; L'oriflamme de Kâshyapa
Pour le 4e jour du sesshin, Eizan Rôshi a choisi le 22e kôan du Mumonkan : "L'oriflamme de Kâshyapa".
Dans son introduction Eizan Rôshi évoque la transmission des kôans jusqu'à lui-même, puis il cite les dix disciples du Buddha historique en précisant pour chacun sa spécialité. Ensuite il aborde le kôan 22 qui relate un dialogue entre Ananda et Kâshyapa, deux de ces disciples.
Une traduction classique du kôan avec commentaire et poème de Mumon figure après l'enseignement.
Eizan parle en japonais et Philippe Jordy traduit aussitôt mais cette transcription n'a été relue ni par Eizan ni par Philippe. Elle a été faite à partir de notes et peut donc contenir des erreurs.
- Liste des enseignements (ils seront progressivement sur le blog) :
1 : Pourquoi nous faut-il faire zazen ? (Au début du message se trouve la présentation du sesshin)
2 : Le kôan MU (kôan 1 du Mumonkan)
3 : Éveil d'Unmon avec Bokushu ; kôan des 60 coups de Tôzan (cas 15) ;
4 : Transmission dans le bouddhisme et le zen ; L'oriflamme de Kâshyapa (kôan 22) (présent message)
5e jour: Nansen et le chat (kôan 14) ;
6e jour : Ryûtan souffle la chandelle (kôan 28) ;
7e jour : 7e enseignement : Le rêve de Kyôsan (kôan 25) ;
4ème jour de sesshin
Transmission dans le bouddhisme et le zen
L'oriflamme de Kâshyapa (cas 22 du Mumonkan)
Le kôan est né d'une expérience religieuse, qui est l'expérience même du zazen. Il faut comprendre le kôan à travers l'expérience religieuse qu'est le zazen. Pourtant il y a des gens qui les lisent sans faire zazen.
Petite histoire : un homme va aux WC et jette dans la cuvette un bout de pain en pensant que la destinée de ce pain est de finir là : « Voilà pourquoi je tire la chasse. »
Jouer dans sa tête avec un kôan est un non-sens. Simplification outrancière ! Il faut pratiquer pour résoudre un kôan.
Au cœur de la tradition zen il y a de grands textes, par exemple le Mumonkan. On dit que Buddha a transmis son enseignement à Mahakâshyapa par une fleur. J'ai déjà parlé du kôan de cette transmission qui se trouve dans le Mumonkan[1].
Le kôan d'aujourd'hui commence par la transmission du dharma de Kâshyapa à Ananda, c'est-à-dire du deuxième au troisième patriarche du bouddhisme.
Bodhidharma est considéré comme le 28e patriarche du bouddhisme en Inde, et c'est le premier à être en Chine. On dit qu'en Chine il est resté longtemps en silence dans une caverne et pourtant le zen s'est développé avec de grands maîtres comme Obaku, Rinzaï. Plus tard le zen est passé au Japon, et c'est au Japon que maître Hakuin a recueilli tous les kôans chinois de façon systématique. Ces kôans se sont transmis au monastère du Ryutaku-ji créé par maître Hakuin à travers 5 maîtres dont les trois derniers sont Sôen, Sochu et moi. Vous voyez la filiation, la route qui a été prise depuis les origines… Ce que je dis en dôkusan, ce ne sont pas des idées personnelles, je transmets ce que j'ai recueilli. Si le système des kôan est corrompu, c'est le dharma bouddhique qui est corrompu, qui se perd. Donc je ressens le poids du titre de maître zen qui a été donné depuis Rinzaï.
En Occident il y a de faux maîtres zen, ils imitent. Comment discerner un vrai maître ? nous pouvons le tester par les kôans, et aussi nous pouvons nous-mêmes juger par notre zazen : quelle énergie est-ce que nous en retirons ?
En plus, pour la transmission d'une culture à une autre culture, il y a la barrière des langues.
● Les dix disciples du Buddha.
Il y a eu douze disciples autour du Christ qui ont vécu avec lui, qui ont mangé avec lui et qui ont été ses témoins. Autour du Buddha, il y a eu dix disciples, chacun ayant sa responsabilité propre :
- Sâriputra, qui était maître dans des courants de l'hindouisme ; c'est le premier en sagesse.
- Kâshyapa : c'est le plus sincère, le plus honnête. Il se purifia sans cesse des passions humaines, il était pauvre dans sa façon de vivre, de manger, et pratiquait l'ascèse.
- Ananda, cousin du Buddha : il avait une mémoire extraordinaire de tous les sermons du Buddha historique. C'est lui qui a tissé le fil des sûtras qui ont été mis par écrit après la mort du Buddha.
- Shubhûti : c'est un disciple a fait l'expérience de la vacuité, il est le premier en ce qui concerne cette expérience.
- Pûrna : il avait eu l'éveil au cours d'un enseignement et il était très habile dans les enseignements, il parlait très bien.
- Maudgalayâna : au départ, il était versé dans la philosophie de l'époque. Il était de force surhumaine.
- Kâtyâyana : il était capable de discourir, de controverser avec des non-bouddhistes et avait toujours le dessus.
- Anuruddha, un cousin de Bouddha. Un jour il s'est endormi devant lui et celui-ci l'a réprimandé. Il a juré de ne plus s'endormir, il en est devenu aveugle mais il voyait très bien les personnes, il était premier en discernement.
- Upâli : c'est celui qui servait ; il était le gardien des préceptes, de la discipline
- Râhula, fils du Buddha : il était devenu moine à 15 ans, et était très respectueux des pratiques d'ascèse
Un leader religieux doit lui-même posséder ces 10 qualités. Mais à ce jour, il n'y a personne qui ait existé avec toutes ces qualités !
Après le décès de Buddha, lors de ses funérailles tout le monde s'était dit qu'il ne fallait pas interrompre l'enseignement. Le successeur direct de Buddha est Kâsyapa.
J'ai dit qu'Ananda s'est occupé du tissage des sûtras. On raconte qu'il est né le 8 décembre, le jour de l'éveil du Buddha. Il était très beau. On dit qu'il avait beaucoup de problèmes avec les femmes. Il était d'une intelligence rare et pendant les 49 ans qui ont suivi la mort du Buddha, il s'est attelé à la rédaction des sûtras. Autour de lui il n'y avait que des éveillés qui étaient philosophes, grammairiens ou musiciens. Il les avait choisis pour tisser le fils des sûtras. Le même soin sera d'ailleurs pris pour la traduction en chinois ancien.
La première assemblée pour cette rédaction s'est tenue à Gridhrakûta[2] avec 500 spécialistes. Mais à ce moment-là Amanda n'avait pas encore eu l'expérience de l'éveil et n'avait pas le droit d'assister. Donc il a mis les bouchées doubles et a eu l'éveil en huit jours, juste à temps pour la grande assemblée !
● Cas 22 : L'oriflamme de Kâshyapa
Un jour Ananda a demandé à Kâsyapa : « On dit que tu as reçu comme témoignage de la transmission du dharma, la robe d'or du Buddha. À part cela, qu'est-ce qui t'a été transmis ? »
En effet, on sait qu'il y a une transmission secrète qui s'effectue aussi. Cependant, dans le zen lui-même, il n'y a aucun recours aux mots, donc nous n'avons rien à donner, rien à transmettre de ce point de vue. On peut pourtant s'étonner puisqu'il y a plusieurs recueils de référence: Mumonkon (Passe sans porte), Hekiganroku (recueil de la falaise verte), Entretiens de Lin Tsi… Pourtant Rinzaï disait : « Il n'y a rien à dire. » Un enseignement c'est comme donner une friandise imbibée, cela ne devrait pas se faire ! Il ne faut pas faire d'enseignement : voilà mon enseignement !
J'en reviens à Ananda :
À sa question Kâsyapa n'a rien répondu, mais il a crié : « Ananda », et l'autre « Oui ».
Il n'y a pas l'épaisseur d'un cheveu entre la question et la réponse. Mais Ananda ne s'en est pas rendu compte.
Et Kâsyapa a dit : « Enlève l'oriflamme qui se trouve au portail. » – Il y avait cette habitude, au moment de faire des enseignements, d'enlever l'oriflamme – Et on dit que c'est là qu'Ananda s'est éveillé.
Maître Mumon ajoute : « Kâsyapa appelle Ananda, et Ananda répond, il enlève l'oriflamme. »
Si vous comprenez ces mots, vous devez comprendre ce qui s'est passé dans la transmission du bouddhisme, et d'abord dans la transmission entre le Buddha et Kâshyapa avec le geste de la fleur. L'expérience zen de l'éveil transcende le temps et l'espace, et elle s'inscrit dans l'histoire. Si vous ne comprenez pas ce geste, mon enseignement est inutile.
Mumon dit que l'éveil n'est pas une histoire du passé, c'est pour nous.
Le poème.
Combien de gens comprendront comment ce problème est posé ? Mais cette façon de poser une question, et pour Ananda la façon d'y répondre, c'est insignifiant. Il n'y a pas besoin de se livrer à ces performances insignifiantes, c'est toute l'année que fleurit la fleur de l'éveil !
● En guise de conclusion.
La religion, c'est relier, joindre. Qu'est-ce qu'on relie ? Dieu et l'être humain. Il y a quatre possibilités d'analyse :
- Dieu et l'homme sont sur deux parallèles,
- Dieu se fait homme,
- l'homme se fait Dieu,
- l'homme et Dieu sont semblables de toute éternité.
Le bouddhisme zen s'édifie sur cette quatrième possibilité : de toute éternité l'homme est buddha, c'est-à-dire qu'il a l'éveil. Mais alors pourquoi faire l'ascèse, c'est ce que se demandait Dôgen. C'est pour cela qu'il est allé en Chine, et que là-bas il a eu l'expérience de l'éveil, et qu'il est revenu au Japon où il a écrit le Shôbôgenzô, qui au final faisait 96 volumes,
Tout homme a la nature de buddha, mais si l'on ne pratique pas l'ascèse, cela reste enfoui. Tant qu'on n'a pas eu l'expérience de l'éveil, on ne s'en rend pas compte. L'éveil, c'est "vérifier" qu'on a bien la nature de buddha. Je dis "vérifier", je ne dis pas : "découvrir" à partir de rien. C'est vraiment se rendre compte qu'il y avait toujours cela.
Newton n'a pas inventé l'attraction universelle en voyant tomber une pomme. Il s'est d'abord demandé pourquoi la lune ne tombait pas. Avant lui, personne ne s'était interrogé là-dessus, personne n'avait eu de doute.
Le zazen est un processus qui purifie le cœur, et d'elle-même la nature de buddha se révèle.
Chaque heure actuelle de votre zazen est le fruit des jours précédents de la sesshin. Et déjà le visage de chacun s'est éclairci.
ANNEXE. Traduction classique du cas 22 du Mumonkan
La hampe de Kâshyapa
Ananda demanda à Kâshyapa : « L'Honoré du monde vous a transmis la robe de brocart. Que vous a-t-il transmis d'autre ? »
Kâshyapa appela : « Ananda ! »
Ananda répondit : « Oui, maître. »
Kâshyapa dit : « Amenez la hampe du temple devant la porte. »
Commentaire de Mumon.
Si vous pouvez donner une parole de retournement à cet endroit, vous verrez que l'assemblée du mont Grdhrakuta est encore solennellement en train de continuer. Sinon, c'est que le Bouddha Vipashyin a gardé quelque chose à l'esprit depuis les temps les plus lointains, et que maintenant il n'a pas encore atteint l'essence.
Poème.
Racontez-moi, question ou réponse, quelle est la plus familière ?
Qu'ils sont nombreux, les yeux enflammés, à avoir discuté sur ce sujet !
Le frère aîné appelle, le frère cadet répond – secret de famille !
Ils ont un printemps particulier, qui n'appartient ni à yin ni à yang.
[1] Cf. Par Eizan Rôshi. Enseignement du 4e jour de sesshin 1995 : Le kôan "Bouddha lève une fleur".
[2] Le concile fut convoqué à Rajagriha (actuelle Rajgir), dans le royaume de Magadha, par le roi Ajatasatru. Le lieu exact est, selon les sources, la Grotte de Sattapaṇṇi, la Grotte des Kshatrya, le Rocher de Pippala ou bien Gridhrakûta.