Des profondeurs de l'être : Marie-Magdeleine Davy. Itinéraire d'une philosophe absolue, par Armelle Dutruc
Toute la vie de Marie-Magdeleine Davy a été une longue quête de sa dimension intérieure - de son Orient intérieur -, ce monde spirituel qui reçoit la lumière de l'éternelle aurore. En ce sens, M-M Davy est une pionnière pour ceux qui cheminent aujourd'hui en vivant la rencontre de l'Orient et de l'Occident. Elle a été « un témoin de la dimension de profondeur que tout être porte en lui, une preuve vivante de cet aspect autre de la vie capable de donner un sens au monde et à l'Histoire. »
Le livre vient de paraître en ce début d'année 2022. Écrit par Armelle Dutruc et édité par "Les acteurs du savoir", il est vendu 24 €, comporte 500 pages - 16 pages photos. (Cf. https://lesacteursdusavoir.fr/Des-profondeurs-de-l-etre-MMDavy/Des-profondeurs-de-l-etre.html).
Figurent ici la 4e de couverture, la table des matières (à la fin), quelques photos et un extrait du chapitre sur L'Orient et l'Occident, puisque le présent blog est dédié au Centre Assise qui se situe dans cette même perspective, M-M Davy étant d'ailleurs venue y faire une conférence jadis.
Quatrième de couverture
- Marie-Magdeleine Davy (1903-1998) était philosophe, écrivaine et maître de recherche au CNRS. Profondément engagée dans la vie intellectuelle de son époque, elle confia ses plus riches pensées à d'innombrables écrits publiés pendant plus d'un demi-siècle. On y croise les figures essentielles de sa méditation : Guillaume de Saint-Thierry, Nicolas Berdiaev, Louis Massignon, Gabriel Marcel, Roger Godel, Henry Corbin, Simone Weil, Henri Le Saux, et tant d'autres. Esprit indépendant et non conventionnel, éternelle voyageuse en quête d'absolu, Marie-Magdeleine Davy ne cessa d'affirmer que la connaissance de soi se présente comme une recherche du sens de la Vie, c'est-à-dire une recherche de la Vérité conduisant à une démarche d'intériorité. « Découvrir sa dimension de profondeur permet de prendre contact avec l'Infini qui est en soi ; ce caractère d'éternité humanise et rend possible la véritable communication avec autrui. » Telle est la conviction de Marie-Magdeleine Davy, après avoir lu, médité et conversé avec des hommes et des femmes en Orient et en Occident. Pour beaucoup d'Européens, Marie-Magdeleine Davy aura été un témoin de la dimension d'intériorité que tout être porte en lui, une preuve vivante de cet aspect autre de la vie capable de donner un sens au monde et à l'Histoire. « Une grande dame » : c'est ainsi que les Deux-Sévriens qui l'ont connue l'appellent encore. Ses archives, désormais classées, apporte un éclairage nouveau sur une œuvre et une pensée s'adressant à tous ceux qui sont soucieux de répondre à leur destin.
- Dans le cadre de ses fonctions de chargée d'études documentaires aux Archives départementales des Deux Sèvres, Armelle Dutruc a effectué le classement des 31 mètres d'archives de Marie-Magdeleine Davy. Elle y a découvert de nombreux manuscrits publiés ou inédits, des traductions, des notes personnelles, des correspondances et des photographies. Fruit d'un long travail de recherche, cette étude sur le parcours philosophique et spirituel de M.-M. Davy nous révèle en filigrane, une personnalité d'exception.
Extraits du chapitre sur L'Orient et l'Occident (p. 205-212)
Les philosophies et les métaphysiques d'Orient et d'Occident étaient, jusqu'au milieu du XXe siècle, considérées comme en opposition. À partir des années 1950, on cherche à dégager ce qu'il y a de commun, sur quoi l'on puisse bâtir, dans un esprit de plus grande compréhension mutuelle. Il peut en résulter un enrichissement pour la pensée et la vie de l'Orient comme de l'Occident. L'Occident se trouve en situation de remise en question sur le plan culturel et religieux. C'est toute la question du sens de la vie qui se pose à une humanité en recherche.
Les philosophies et les métaphysiques d'Orient et Extrême-Orient insistent sur la relativité des concepts intellectuels, faisant plutôt appel à la logique et au raisonnement. Elles soulignent l'importance essentielle de la vision directe par l'intuition spirituelle. Elles insistent sur l'importance du mythe dans la pensée pour parvenir à la pénétration du sens de la vie. Enfin, elles donnent une importance plus grande à la connaissance vivante et pratique de l'âme et non pas à la connaissance purement intellectuelle. […]
Sans rompre avec sa tradition occidentale, Marie-Magdeleine Davy s'intéresse à l'Orient, au sens métaphysique comme au sens commun du terme. Il ne s'agit pas pour elle de mélanger les voies, mais de comprendre comment les différentes traditions symboliques se complètent. La lecture de textes essentiels en provenance de Chine, du Tibet, de l'Inde et du Japon fait partie de la culture de l'homme moderne. Ceux-ci constituent un apport précieux, en particulier dans les domaines de la connaissance de soi, de l'univers, du Principe unificateur. Ces textes, pense-t-elle, peuvent donner une nouvelle approche de la notion du temps, de l'espace, de l'histoire et de la métahistoire.
Au cours des années 1950, Marie-Madeleine Davy effectue une série de voyages en Orient pour y donner des conférences, notamment dans le cadre de l'Alliance française. […]
- « J'ai beaucoup voyagé et je me suis toujours sentie partout très à l'aise, incapable d'éprouver un sentiment d'exil. Citoyen du monde, tel est le plus beau titre de l'homme. […] Si j'avais une légère préférence - mais je tente de corriger cette tendance par souci d'impartialité -, elle se présenterait en faveur des Asiatiques […] À cet égard, la différence entre les hommes est traduisible. Elle ne repose pas sur la culture, bien que celle-ci possède son importance ; elle relève uniquement de la profondeur de l'intériorité. » (M.-M. Davy, L'homme intérieur et ses métamorphoses, p. 320).
[…] Elle pense que l'Orient et l'Occident, tout en poursuivant des voies différentes, ont une certaine proximité de pensée. Pour autant, écrit-elle, il est curieux de remarquer, si paradoxale qu'une telle affirmation puisse paraître, que l'Occident doit en partie son salut à la science. De son point de vue, la science, en bouleversant les notions d'espace et de temps, a renouvelé la recherche de la Connaissance. Ces notions lui semblaient irrémédiablement fixées par les philosophes ; or elle constate que les progrès de la science ont modifié leurs structures. Les frontières entre le fini et l'infini ont été détournées, perdant ainsi toute possibilité d'enfermer dans une sécurité. […]
L'Orient possède des valeurs de stabilité. Pourtant, les mouvements politiques et l'industrialisation y pénètrent, ébranlant le passé traditionnel. Ce passé s'en trouve-t-il pour autant détruit ? Marie-Magdeleine Davy éprouve plutôt la sensation de vagues successives se jetant contre une falaise. […]
En Occident, tout les notions doivent être renouvelées pour exprimer le réel. La notion occidentale de cosmos doit elle-même être envisagée sous un regard neuf. […]
- « … Les traditions et religions peuvent s'aider mutuellement en faveur de l'intériorité. Pour l'Occident, le judéo-christianisme perturbé s'affranchira des ajouts et dévoiements dont il a souffert au cours de l'histoire. Le détour par l'Orient permet de discerner la magnificence et la splendeur de notre propre héritage. Le message oriental peut aussi nous enrichir et provoquer en nous le sens de la profondeur et de l'universel. Lors des périodes perturbées comme la nôtre, l'important est de regarder au-delà du temps en qui l'Éternité ouvre sa brèche, d'opter pour la dimension divine toujours à découvrir ; il convient d'arracher les oripeaux qui la recouvrent et la défigurent. » (M.-M. Davy, "L'au-delà de l'Occident"[1].).
Marie-Madeleine Davy pense que rien n'est perdu, qu'il est inutile de s'enfermer dans un désespoir et qu'il importe de « trouver les pépites d'or qui jailliront lorsque le plomb fondra. » Elle précise qu'un retour en arrière serait vain, que regretter le passé serait illusoire et espérer le retour à un âge d'or immuable serait inutile. Seule, une sortie vers de nouvelles structures est à envisager. De son point de vue, l'intériorité demeure primordiale.
- « Pénétrer dans son fond, s'intérioriser est sans doute la seule façon de pouvoir accueillir la lumière du nouveau jour qui surgira dans sa plénitude. Celui-ci se manifestera dans un au-delà de l'Orient et de l'Occident. Car c'est à un au-delà que l'homme est toujours convié. Un au-delà de lui-même tout d'abord, un au-delà de toutes les divisions, oppositions et antinomies. L'unité reconquise intérieurement s'étendra à l'extérieur. Tels des animaux prenant leurs quartiers d'hivernage, nous sommes enfouis dans l'obscurité tout en nous orientant vers un nouveau printemps avec son jeune soleil. » (M.-M. Davy, "L'au-delà de l'Occident").
[1] "L'au-delà de l'Occident" : Texte dactylographié avec corrections manuscrites, Archives dép. Deux-Sèvres (155J)