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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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20 mars 2022

Le Hannya Shingyô (Sutra de la Sagesse qui nous mène à l’autre rive) traduit par Thich Nhat Hanh suivi d'explications

Le Hannya Shingyô est le texte de base du zen, il est récité chaque jour dans la tradition du zen japonais.

Chants du coeurIci on a une version relativement différente. Elle est l'œuvre du maître zen vietnamien Thich Nhat Hanh, lui aussi de la tradition rinzaï, mais il ne s'appuie pas sur le même texte d'origine que la version japonaise. Thich Nhat Hanh était un grand connaisseur des textes bouddhiques. Il est décédé en janvier 2022, et c'est une façon de continuer le message qui lui a été consacré :  Hommage à Thich Nhat Hanh, maître zen vietnamien (1926-2022). D'autres soutras traduits par Thich Nhat Hanh figurent sur https://plumvillage.org/fr/ressources/sutra-fr/. L'ensemble des soutras chantés est parue en livre : Chants du coeur, chez Sully.

Une traduction française du Hannya Shingyô japonais avec des commentaires figure déjà sur ce site dédié au Centre Assise qui est relié à Eizan roshi maître du zen rinzaï japonais. C'est d'ailleurs un message souvent visité : Hannya Shingyô (sûtra du cœur de la Sagesse transcendante) en japonais et en français.

 Le texte présenté ici correspond à la dernière version révisée du Soutra de la Sagesse qui nous mène à l’autre rive – aussi appelé Soutra du Cœur de la Compréhension Parfaite – tel qu’il est lu et chanté au Village des Pruniers fondé par Thich Nhat Hanh. Le texte et le commentaire qui suit proviennent d'ailleurs du site du Village des pruniers : plumvillage.org/fr/version-en-francais-de-la-prajnaparamita. En plus, sur cette page de plumvillage vous avez des indications sur la façon dont il est chanté au Village de pruniers. Ce n'est pas le même chant qu'au Centre Assise !

NB. Dans ce soutra le Bouddha s'adresse à son disciple Shariputra.
       Comme plusieurs termes ne sont pas d'usage courant, des notes ont été ajoutées pour le blog des Voies d'Assise, mais pour ne pas perturber la traduction, elles ont été mises après la traduction.

 

Le Soutra de la sagesse qui nous mène à l’autre rive

Prajnaparamita-Hridaya Sutra

Traduction deThich Nhat Hanh

 

Avalokiteshvara, en pratiquant profondément la sagesse qui nous mène à l’autre rive, découvrit soudainement que les cinq skandhas sont tous pareillement vides. Après cette réalisation il dépassa toute souffrance.

Écoute, Shariputra : ce corps-même est le vide, et le vide-même est ce corps. Ce corps n’est autre que le vide, et le vide n’est autre que ce corps. Il en va de même pour les sensations, les perceptions, les formations mentales et la conscience.

Écoute, Shariputra : tous les phénomènes portent l’empreinte du vide, leur nature véritable n’est ni la naissance ni la mort, ni l’être ni le non-être, ni la pureté ni l’impureté, ni la croissance ni la décroissance. C’est pourquoi, dans le vide, le corps, les sensations, les perceptions, les formations mentales et la conscience, ne sont pas des entités dotées d’un soi séparé.

Les dix-huit domaines, que sont les six organes des sens, les six objets des sens et les six consciences, ne sont pas non plus des entités dotées d’un soi séparé. Les douze liens de la co-émergence interdépendante et leur extinction ne sont pas non plus des entités dotées d’un soi séparé. Le mal-être, les causes du mal-être, la fin du mal-être, la compréhension et la réalisation ne sont pas non plus des entités dotées d’un soi séparé.

Quiconque peut voir ceci ne voit plus aucun objet à atteindre, et les Bodhisattvas qui pratiquent la sagesse qui nous mène à l’autre rive ne voient plus aucun obstacle dans leur esprit, ils dépassent toute peur, ils détruisent toute perception erronée et réalisent le parfait nirvana.

Tous les Bouddhas du passé, du présent et du futur, en pratiquant la sagesse qui nous mène à l’autre rive, sont tous capables d’atteindre l’illumination authentique et parfaite.

Ainsi, Shariputra, nous devons savoir que la sagesse qui nous mène à l’autre rive est un grand mantra, le plus lumineux des mantras, le plus élevé des mantras, un mantra au-delà de toute comparaison, la sagesse véritable qui a le pouvoir de mettre fin à toutes les souffrances.

Ainsi, proclamons un mantra en éloge à la sagesse qui nous mène à l’autre rive :

Gate gate paragate parasamgate bodhi svaha !

 

Notes ajoutées par Christiane Marmèche pour le blog des Voies d'Assise.
La prajñâ-pâramitâ est traduite ici par "sagesse qui mène à l'autre rive", c'est la sixième des vertus des bodhisattvas ,et Avalokiteshvara est un grand Bodhisattva.
Les 5 skandhâ (mot en général traduit par "agrégats") sont ceux que Thây traduit ainsi : le corps, les sensations, les perceptions, les formations mentales et la conscience.
Voici les 18 domaines dans une vision du zen japonais : 6 organes des sens (œil, oreille, nez, langue, corps comme support du toucher, mental); 6 objets (forme, son, odeur, goût, toucher, objet mental) et 6 sphères de connaissance correspondantes.
La co-émergence interdépendante… « La genèse des choses (leur émergence) est nommée "l'interdépendance". La naissance, le développement et le déclin des choses dépendent d'une multitude de causes et de conditions et non d'une seule. La présence d'une seule chose (dharma) implique la présence de la totalité des choses. L'être éveillé voit toute chose non comme une entité séparée mais comme une manifestation complète de la réalité. (D'après Clés pour le zen, p. 31-32).

 

***  
Message d’explication donnant les choix de traduction de Thây à ses étudiants

 

Thich Nhat Hanh est appelé Thây (maître) par ses étudiants. Le texte qui suit a été écrit en vietnamien le 22 août 2014 après que Thây ait achevé le premier brouillon de traduction du soutra en vietnamien. Ce message a ensuite été traduit du vietnamien.

 

Chère famille,

 

Thây doit faire cette retraduction du Soutra du Cœur parce que le patriarche à l’origine de la compilation du Soutra du Cœur n’avait pas suffisamment d’habileté dans son usage des mots, ce qui a causé beaucoup d’erreurs de compréhension pendant près de 2000 ans.

 

Thây voudrait partager deux histoires avec vous : tout d’abord celle d’un moine novice qui rendit visite à un maître Zen, puis celle d’un bhikkhu qui vint trouver l’éminent Maître Tue Trung avec une question.

 

1) Dans la première histoire, le maître Zen demanda au novice :

« Parle-moi un peu de ta compréhension du Soutra du Cœur. »
Le novice joignit ses paumes et répondit : « J’ai appris que les cinq agrégats sont vides. Il n’y a ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni mental ; il n’y a ni formes, ni sons, ni odeurs, ni goûts, ni sensations, ni objets de l’esprit ; les six consciences n’existent pas, les dix-huit domaines des phénomènes n’existent pas, les douze liens de la co-production interdépendante n’existent pas, même la sagesse et la réalisation n’existent pas. »
« Crois-tu ce que dit le soutra ? »
« Oui, je crois vraiment ce qu’il dit. »
« Approche-toi un peu, » instruisit le maître Zen.
Lorsque le jeune moine se déplaça, le maître prit immédiatement le nez de celui-ci entre son pouce et son index, le pinça et le tordit.
A l’agonie, le novice s’écria « Maître, vous me faites mal ! »
Le maître Zen regarda le novice. « Juste à l’instant, tu as dit que le nez n’existait pas. Mais si le nez n’existe pas, alors, qu’est-ce qui fait mal ? »

 

2) L’éminent maître Tue Trung était un maître Zen laïque qui avait servi en tant que précepteur du jeune roi Tran Nhan Tong, dans le Vietnam du XIIIème siècle.

Un jour un bhikkhu lui rendit visite pour l’interroger sur le Soutra du Cœur.
« Respecté Maître, que signifie réellement la phrase ‘le corps lui-même est le vide, le vide lui-même est le corps’ ? »
L’éminent maître demeura d’abord silencieux. Puis, après un moment, il demanda : « Bhikkhu, avez-vous un corps ? »
« Oui, j’en ai un. »
« Alors pourquoi dites-vous que le corps est vide ? » Le maître continua, « Voyez-vous que dans l’espace vide là-bas se trouve le corps ? »
« Non, je ne le vois pas. »
« Dans ce cas pourquoi dites-vous que le vide est le corps ? »
Le bhikkhu se leva, s’inclina et sortit. Mais le maître Tue Trung le rappela et récita le gatha suivant :
      « La forme est vide, le vide est forme,
      C’est un moyen habile créé temporairement par les Bouddhas des trois temps.
      Le vide n’est pas forme, la forme n’est pas vide,
      Leur nature est toujours pure et irradiante, prisonnière ni de l’être ni du non-être. »

 

Explication

Dans cette histoire, l’éminent maître Tue Trung semble contredire le Soutra du Cœur et défier la formule sacrée « la forme est vide, le vide est forme », considérée comme inviolable dans la littérature de la Prajnaparamita.

Thây pense que le Maître Tue Trung est allé trop loin. Le Maître n’a pas été en mesure de voir que l’erreur ne se trouve pas dans la formule « la forme est vide » mais plutôt qu’elle réside dans la maladresse de la ligne « Par conséquent dans le vide, il n’y a pas de forme ». Pour Thây, la façon d’utiliser les mots dans le Soutra du Cœur de la Compréhension Parfaite, dès la première ligne jusqu’à la phrase « ni naissance, ni mort, ni impur, ni pur, ni croissant, ni décroissant » est déjà parfaite. L’unique regret qu’a Thây est que le patriarche qui a gravé le Soutra du Cœur n’ait pas ajouté les quatre mots « ni être, ni non-être » tout de suite après les quatre mots « ni naissance ni mort », parce que ces quatre mots peuvent nous aider à transcender la notion d’être et de non-être, et nous n’aurons plus à être induits en erreur avec l’idée de « ni œil, ni oreille, ni nez, ni langue… » Le nez du novice est encore douloureux et rouge jusqu’à aujourd’hui, vous voyez ?

 

Le problème commence avec la phrase du Soutra : « Écoute, Shariputra, par conséquent dans le vide il n’y a pas de corps, pas de sensations, pas de perceptions, pas de formations mentales et pas de conscience » (en Sanskrit : tasmac Sariputra sunyatayam na rupam na vedana na samjna na samskarah na vijnanam). Comme c’est étrange ! Il vient d’être dit plus haut que le vide-même est le corps, et que le corps-même est le vide, mais à présent nous disons l’opposé, à savoir qu’il n’y a que le vide, qu’il n’y a pas de corps. Cette ligne du soutra peut mener à des incompréhensions désastreuses. Elle exclut tous les phénomènes de la catégorie ‘être’ et les place dans la catégorie ‘non-être’ (pas de corps, pas de sensations, de perceptions, de formations mentales ni de conscience…). Or la vraie nature des phénomènes n’est ni l’être ni le non-être, ni la naissance ni la mort. La vue de l’être est une vue extrême et la vue du non-être est une autre vue extrême. Si le nez du novice est encore douloureux jusqu’à maintenant, c’est à cause de cette maladresse. Même le gatha[1] attribué au sixième patriarche Hue Nang (Hui-neng), dans lequel il présente sa vision profonde au cinquième patriarche Hoang Nhan (Hung-jen), est encore piégé dans cette notion de non-être :

       « L’arbre de la bodhi n’a jamais existé
     Il en est de même du clair miroir
     Depuis le temps immémorial, rien n’a jamais vraiment existé
     Ainsi où la poussière pourrait-elle donc se déposer ? »

 C’est-à-dire :

       « Un nuage passe et couvre l’entrée de la grotte
     Autant d’oiseaux qui perdent le chemin du retour chez eux. »

 

La sagesse de la Prajnaparamita est la sorte de vision profonde transcendante qui nous aide à dépasser toutes les paires de notions opposées telles que naissance / mort ; être / non-être ; impureté / pureté ; croissance / décroissance ; sujet / objet, etc… elle nous aide à toucher la réalité de non-naissance / non-mort ; de non-être / non-néant, etc… qui est la vraie nature de tous les dharmas, de tous les phénomènes. C’est l’état de fraîcheur, de calme, de paix, de non-peur dont il est possible de faire l’expérience dans notre vie présente même, avec notre corps et nos cinq agrégats. C’est le nirvana.
« Les oiseaux aiment planer dans le ciel, les cerfs gambadent dans la campagne, et les éveillés se promènent au nirvana. » C’est une très belle phrase du chapitre sur le nirvana dans le Soutra Dharmapada du canon chinois.

 La sagesse de la Prajnaparamita est la vérité absolue, qui surpasse toutes les vérités conventionnelles. C’est la vision la plus élevée qu’a eue le Bouddha. Tous les paragraphes du Tripitaka[2], y compris extraits des collections de la Prajnaparamita les plus impressionnantes, qui ne parviennent pas à refléter cet esprit, sont encore seulement sur le plan de la vérité conventionnelle, relative ; ils ne sont pas encore la vérité absolue. Quel danger que dans le Soutra du Cœur lui-même nous trouvions un tel long paragraphe.

 

C’est aussi pour cela que dans cette nouvelle traduction, Thay a changé la façon d’utiliser les mots tant dans la version sanskrite que dans la version chinoise classique de Maître Huyen Trang (Xuan-Zang). Thay traduit : « C’est pourquoi dans le vide, les cinq skandhas que sont le corps, les sensations, les perceptions, les formations mentales et la conscience n’existent pas comme entités séparées. » Tous les phénomènes se manifestent à partir de la co-production conditionnée ; ils n’ont pas de nature séparée ; ils ne peuvent exister par eux-mêmes : c’est cela avant tout que le Soutra de la Prajnaparamita cherche à nous enseigner. « Même la vision profonde et la réalisation n’existent pas comme des choses séparées, des entités dotées d’un soi séparé. » Cette phrase du soutra, par sa profondeur, n’a rien à envier à la phrase « la forme est vide. » Thay a inséré en plus les mots “ni être, ni non-être” après “ni naissance, ni mort”. « Ni être, ni non-être, » c’est la vision profonde transcendante du Bouddha dans le Soutra Katyayana, lorsqu’il donne une définition de la vue juste. Ces quatre mots aideront à ce que les futures générations de novices ne souffrent pas d’avoir mal au nez.

 L’intention du Soutra du Cœur de la Prajnaparamita est d’aider l’école Sarvastivada à abandonner sa vue de la non-existence d’un soi et de la seule existence des dharmas. L’objectif le plus profond de la Prajnaparamita, en réalité, est de présenter la vision profonde de la vacuité du soi (atma sunyata) et de la vacuité des dharmas (dharma sunyata), et non l’idée de non-existence du soi et de non-existence des dharmas. Le Bouddha a enseigné, dans le Soutra Katyayana, que la plupart des gens dans le monde sont pris au piège de la notion d’être ou de non-être (d’existence ou de néant). La phrase « C’est pourquoi dans le vide, il n’y a ni forme, ni sensation, ni perception, ni formation mentale, ni conscience » indique clairement qu’elle est prise dans la notion de non-être, de non-existence, et donc cette phrase ne correspond pas à la vérité ultime. Le vide du soi (atma sunyata) signifie seulement le fait que le soi est vide, et non l’absence d’un soi, tout comme le vide dans une bulle ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bulle. Le vide des phénomènes (dharma sunyata) est pareil, il signifie uniquement la vacuité des phénomènes, et non pas l’absence des phénomènes ; tout comme une fleur n’est faite que d’éléments non-fleur – mais on ne peut pas dire que la fleur n’existe pas.

Le Soutra du Cœur de la Prajnaparamita est apparu tard, alors que le bouddhisme tantrique commençait à prédominer. Le patriarche qui a compilé le Soutra du Cœur voulait que les partisans du bouddhisme tantrique le récitent, par conséquent dans la dernière partie il a présenté ce soutra comme un mantra. C’est aussi un moyen habile. Thay a utilisé l’expression « la sagesse qui nous mène à l’autre rive » parce que dans ce mantra, il y a le mot paragate qui signifie "parvenir à l’autre rive", la rive de la sagesse. Parayana, ainsi que Paramita, sont traduits par "passer sur l’autre rive". Dans le Sutta Nipata, il y a un chapitre intitulé Parayana, traduit aussi par passer sur l’autre rive.

 Chère famille spirituelle, j’espère que vous apprécierez de réciter la nouvelle version du soutra.  Hier en la terminant, un rayon de lune est entré dans la chambre de Thay. Il était environ 3 heures du matin, le 21 août 2014.

 Avec amour et confiance,

 Votre maître

(Institut Ashoka, EIAB, Waldbröl)



[1] À ce sujet, voir les réflexions du maître zen Ama Samy extraites de son livre Cœur zen, esprit zen, Ed. Sully, parues dans Quel est ton VISAGE ORIGINEL avant la naissance de tes parents ? Kôan 23 du Mumonkan et commentaires divers .

[2] Le Tripitaka ou Trois corbeilles est l'ensemble des textes du canon bouddhique.

 

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