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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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10 avril 2022

Avec Hildegard Wiedemann réaliser l'union de nos émotions et de nos forces intérieures par le dessin dirigé

Hildegard Wiedemann est une amie de Jacques Breton qui a fondé le centre Assise, et elle y est intervenue régulièrement jusqu'en 2018. Elle continue encore d'animer des séminaires et des formations en Allemagne ou en France (cf. http://maerchenmythen.de/seminare-fr.html.). Elle s'est entre autres formée auprès de K-G Dürckheim et de Maria Hippius.

Ce message comporte deux choses : une interview sur le dessin dirigé et un exemple concret de travail de dessin dirigé.

1/ L'interview a été réalisée dans le cadre du film "Les heures étoilées" (film disponible gratuitement sur https://vodeus.tv/video/les-heures-etoilees-2640) qui a fait l'objet d'un colloque organisé entre autres par le centre Assise les 11-13 mars 2022, Cette interview est un supplément (il se trouve sur[1] https://presence-lefilm-meditation.fr/2125-2/.). La transcription n'a pas été relue par H. Wiedemann. Notez que quelques formulations ont été légèrement modifiées du fait du passage de l'oral à l'écrit.

2/ L'exemple concret provient de la fin d'une intervention que H. Wiedemann a faite lors d’un colloque en 1985 autour de la personne et de l’œuvre de K-G. Dürckheim[2]. Le présent texte est une traduction faite par  Leonore Gothwald.

En compléments vous pouvez voir d'autres messages du blog du tag thérapie initiatique, par exemple :

 

I – Interview de Hildegard Wiedemann

 

On appelle dessin méditatif ou dessin dirigé aussi. Quelquefois les gens demandent : « "Dirigé" : c'est quoi, il faut faire ? » Non, ce n'est pas ça, c'est plutôt se laisser diriger de l'intérieur. Ce travail est un travail avec l'inconscient…. Tout le processus intérieur peut s'exprimer avec le dessin.

J'ai un grand papier, c'est comme mon espace, ma vie… Je suis dans le moment, je ferme les yeux, je mets les mains sur le papier et je me relie avec mon être profond, et je me laisse diriger à partir de cette profondeur intérieure qu'on peut appeler le Christ intérieur, le bouddha intérieur, le maître intérieur, chacun a son mot pour ça. Je ne fais rien et j'accompagne le mouvement qui vient.

Ce mouvement est souvent lié aux émotions. Cela peut être une douceur énorme ou une force vitale. Maria Hippius disait que le chemin c'était exprimer les émotions et les traverser vers l'Être profond. Quelquefois on est pris par les émotions, ce n'est pas grave, on est comme ça.

Au niveau du dessin, les formes féminines sont rondes et les formes masculines sont droites. Les lettres de notre écriture sont développées ainsi. Si on exprime des formes rondes ou structurées, on développe en soi-même des forces masculines et féminines.

Les contes parlent de force, mais pour moi ces forces ce sont les hommes et les femmes. Par exemple il y a le prince et la princesse. Et après, il s'agit de faire l'union des deux côtés en moi. Dans les contes cela finit par le mariage, par l'amour.

L'amour est bienveillance, acceptation totale. L'acceptation fait que mon cœur s'ouvre et que je peux vivre dans le monde avec bienveillance. Alors je suis dans le féminin. Je peux aussi prendre ma vie dans ma main, avec l'intellect, en organisant, c'est plus structuré, c'est masculin… Et tout ça, si c'est ensemble, ça fait l'unité dans mon corps.

Le dessin est d'exprimer ces deux côtés.

 

Quand je montrais mes dessins à Maria Hippius, elle disait par exemple : « Ah oui, aujourd'hui, c'est bien rond, tu peux essayer de commencer les formes structurées, masculines, pour trouver les deux côtés, trouver un équilibre intérieur.

Quand je tire des traits, et que je fais ça longtemps, tout d'un coup ça devient rond. Autrement dit, si je ne fais que masculin, ça évoque le féminin puisque le maître intérieur veut toujours l'unité. Il y a cette balance qui demande, c'est dans l'inconscient, ça ne vient pas de l'extérieur.

Quand je travaille avec des gens, je le leur propose de former la coupe avec les deux mains ouvertes, et tout d'un coup peut-être cela forme le rond. Et d'un autre côté si tu fais le rond longtemps, ça fait « tac » et tu sors du rond….

Le rond, c'est aussi le ventre de la mère. Si on fait le rond, on est dans la grande mère, mais c'est moi, c'est moi au monde. Et quelquefois il suffit d'un seul trait qui sort du rond, je sens que c'est ma naissance.

Comme thérapeute je suis à côté des gens mais quelquefois je dessine aussi moi-même. Parfois je sens un truc, ça peut être un cercle comme le "cercle du diable" comme on dit chez nous. Si ça tourne toujours, je suis dans une émotion. Par exemple quand je ne peux pas dormir, ça tourne en rond dans ma tête, et puis si je fais tac, j'en sors et après je peux dormir.

Tout cela évoque unité intérieure, et après ça évoque la paix.

Donc on travaille pour exprimer les émotions, on travaille vers l'unité des deux côtés qui sont en nous. Dans l'unité on n'est pris ni par le masculin ni par le féminin, c'est comme un autre regard. On peut dire que c'est l'être profond. Une distance est prise avec les émotions. Avec cet autre regard tu regardes comme la vie est grande, et ça ouvre ton cœur. Et s'il y a un problème qui vient oui, je l'accueille, la vie va trouver une solution. La vie est plus grande, elle va traverser les problèmes qu'on a. En traversant les problèmes, on grandit. Il ne s'agit donc pas de fuir les problèmes mais de les accepter, de les traverser.

La vie c'est comme la croix. Dans la verticalité il y a les forces spirituelles qui traversent le quotidien, un peu comme si Dieu était en haut en nous ; il y a en nous les deux mondes qui sont en haut et en bas. Dans la croix il y a la verticalité et l'horizontalité, et l'unité se fait au cœur. Au moment où je peux sentir ça, c'est magnifique. On a la chance de faire l'union, d'accueillir notre vie terrestre et accueillir en même temps la grande Vie. Ça ouvre le cœur…

Le dessin méditatif nous aide à entrer dans l'unité personnelle. Et dès que je trouve en moi cette unité, en même temps je suis lié avec la grande Vie ; je suis comme dans le cosmos ; je suis là mais pas perdu. Et ça m'aide à traverser tous les problèmes que j'ai.

 

Ceci est la grande source que j'ai trouvée chez Graf Dürckheim et Maria Hippius. Elle m'a montré comment exprimer tout cela. Graf Durkheim était plus du côté de la méditation, et de sentir dans le corps. Il distinguait le corps que je suis et le corps que j'ai. Quand il me touchait, j'ai souvent eu une expérience comme avec le dessin : je pouvais me sentir, je pouvais m'accueillir moi-même et je pouvais me lier avec la grande vie. C'était petit et grand en même temps. Un vrai cadeau ! Et cela passe à travers des pleurs, des douleurs pour tout exprimer.

Il s'agit toujours de traverser jusqu'à arriver à sentir combien on est relié avec le fond divin, le fond archaïque, la grande coupe si on peut dire. Le travail est le même avec la Leibthérapie, avec le dessin méditatif, et aussi avec les mythes et les contes. À la fin des mythes il s'agit toujours d'être relié avec la vie plus grande.

 

II – Exemple d'un travail de "dessin dirigé"

 

Un jeune homme dont le nom est Jean a dessiné les six images qui suivent pendant trois cours de thérapie. Il faisait partie d'un groupe venu pour une « semaine d'introduction à la thérapie initiatique »[3]. […] Les autres médias qu'il travaillait pendant ces cinq jours étaient : Leibthérapie[4] (thérapie sur le corps) et thérapie par l'argile.

Jean a 30 ans et son métier est menuisier. Déjà son père et son grand-père exerçaient ce métier et il était demandé à Jean de poursuivre la tradition familiale. Depuis six ans, il sait que cela est impossible pour lui. Il quitte donc l'entreprise familiale pour travailler chez son oncle, lui aussi menuisier. Il est à la recherche d'une forme modifiée de ce métier qui lui corresponde mieux. Il se sent comme poussé par un désir profond de "vérité". Il sent qu'il ne vit pas encore sa vérité en tant que menuisier et il est à la recherche de sa véritable vocation. Il est aidé en cela – pendant les cinq années – par un analyste (école de Szondi), et depuis six mois, cette forme de thérapie est achevée. Il aimerait "profiter" de ce qu'il a appris, mais quelque chose l'en empêche ; et ce quelque chose se trouve en lui-même, sans qu'il puisse le nommer.

Jean me raconte cela durant notre premier cours de "dessin dirigé[5]". Il commence alors à tâter le papier, les yeux fermés. Un des gestes qui lui plaît le plus, c'est celui qu'il appelle : "s'ouvrir" : les mains s'ouvrent, en bas de la feuille de papier, pour aller chacune vers un côté s'ouvrant vers le haut. Dans son corps, il expérimente en même temps une ouverture à la hauteur de la poitrine. Une craie dans chaque main, il répète ce mouvement d'ouverture plusieurs fois, toujours les yeux fermés. Et aussitôt il est profondément "guidé" sans qu'il s'en aperçoive. Les traits de chaque côté sont de plus en plus bas et se terminent finalement en deux arcades. Ensuite, il trace au milieu et dans la partie inférieure un cercle avec les deux mains ; il fait cela plusieurs fois et ensuite il s'arrête.

 

Hildegard 1

Photo n° 1.

Jean regarde son dessin et il est content. Il retrouve son "oiseau" dans le geste qu'il avait fait au début. Mais ensuite, il s'effraie. L'oiseau s'est transformé en une araignée.

Le cercle qui représentait le centre, lui semble maintenant être le corps de l'araignée. La moitié du cercle à droite le fait penser en plus à une griffe.

Que s'est-il passé ?

Au cours de notre échange, il s'avère que cela correspond exactement à sa situation actuelle. Il commence à s'ouvrir et à accepter ses sensations, ce qui le rend heureux et il se sent alors libre comme un "oiseau". Mais cet état-là ne dure pas très longtemps. Il y a quelque chose qui le "tire" vers le bas, le tient captif et l'empêche d'agir : l'araignée. Il y voit l'image de sa mère qui toujours l'empêchait dès qu'il manifestait des initiatives nouvelles ou des idées propres. C'est aussi elle qui avait tout mis en œuvre pour qu'il se fasse menuisier.

Mais maintenant qu'extérieurement elle n'influence plus sa vie, il ressent néanmoins toujours la même énergie maternelle au-dedans de lui comme une paralysie mortelle (un oiseau sous forme d'araignée).

 

Deuxième cours : Entre-temps Jean a eu un cours de Leibthérapie (sur le corps) qui a eu pour effet une grande ouverture chez lui. Il se sent déconcerté et il sent qu'il a besoin de protection. Il se dessine lui-même comme un objet, grand et fermé : une coupe "non-ouverte" en lui mettant à droite une charnière pour pouvoir ouvrir le couvercle. Il appelle tout cela : "un fruit qui n'est pas mûr". L'espace intérieur contient quelque chose de "précieux" que l'on ne voit pas, qu'il nomme “Le Soi-Je-être”.

Hildegard 2

Photo 2.

Sur un autre papier, Jean continue son dessin en commençant avec ce qu'il croit sentir au-dedans de la coupe. Ce sont des spirales qui se déroulent depuis le centre vers l'extérieur, et qui – avec beaucoup d'élan – se terminent souvent en quittant la feuille de papier. Il répète cette formule très souvent, toujours en commençant par le centre, et en déroulant "l'enroulé" vers l'ouverture. Ceci a pour effet qu'il sent quelque chose s'élargir en lui. Il dessine des traits, qui sortent directement vers l'extérieur depuis le centre. Et soudain – une sorte de foudre percute le centre. Jean se sent touché, atteint. Il ressent la pointe triangulaire comme une épine dans son cœur. Et soudain il a la certitude : c'est cela !

Il appelle son dessin : "vérité".

 

Hildegard 3

Photo 3.

La spirale l'aide à se développer. Elle représente pour lui son énergie positive et féminine. La foudre lui fait pressentir une force et une clarté masculines. Le trait est plus noir que jamais auparavant. La foudre est comme une flèche dans sa chair et provoque la force masculine à se montrer.

 

Troisième cours : Jean vient pour ce troisième et dernier cours, avec confiance. Il a le désir de l'ouvrir et il sait que la spirale va l'aider pour le faire. Quand il la dessine, il ne se perd pas en s'ouvrant, car il reste constamment en contact avec son centre. Il expérimente une alternance constante entre protection et ouverture, ce qui correspond tout à fait à ce dont il a besoin.

Ainsi il commence par des spirales de petite taille, qui débouchent rapidement sur des traits grands et larges et qui sortent à nouveau du cadre du papier. Il veut aussi dépasser cette limite-là. Les traits sont devenus plus sombres et plus forts.

Jean appelle son dessin : "force originelle" et "vérité".

Hildegard 4

Photo 4.

Mais il s'est peut-être risqué un peu trop loin. Il y a quelque chose en lui qui fait qu'il se re-tourne vers son intérieur ; mais est-ce qu'il se centre ou est-ce qu'il se ferme ? S'agit-il de la force maternelle qu'il avait expérimentée dans le dessin n° 1 ?

Beaucoup de spirales mènent jusqu'au bord d'une grande boule, et seulement quelques-unes la dépassent.

En regardant son dessin, Jean ne se sent pas bien du tout. Il l'appelle : "étroitesse, emprisonnement, solitude".

Il expérimente ici la spirale comme un courant qui l'aspire et qui s'empare de lui, l'emprisonne. La force se trouve dans ce qui est rond et non pas dans les traits qui s'éloignent, comme dans le dessin précédent.

Hildegard 5

Photo 5.

Jean est inquiet. Il sent qu'il n'a plus besoin autant de protection. L'espace protecteur qui l'entoure lui donne l'impression d'une prison. Il a peur que les vieux mécanismes le tiennent captif.

Dans le bas de la nouvelle feuille, il fait beaucoup de petites spirales, il concentre son énergie dans un noyau sombre, et tout de suite après, ses deux mains s'échappent de ce cercle vers les côtés ; il répète cela plusieurs fois.

Ce mouvement ressemble à celui de la feuille n° 1 et il a le sentiment qu'il gagne de l'espace. Les traits ne sont cependant plus courbés, mais presque tous droits.

Hildegard 6

Photo 6

Le "principe féminin, maternel" qui tire vers le bas et l'emprisonne, est vaincu. Des traits verticaux surgissent du milieu et vers le haut, au départ de ce noyau sombre qui représente la matrice maternelle. Le fils est né. Sa force masculine phallique peut se risquer au dehors. Ce que la foudre exigeait dans son initiation, a maintenant et lieu.

Jean est touché et très heureux. Ils se sent dans sa "totalité", un avec les deux parties – masculin et féminin – en lui.

Il appelle ce dessin : "Vie, totalité, Un, vérité". Il pressent ce que veut dire : être au-delà des contraires.

Après cette expérience, Jean a trouvé la force et le courage nécessaire pour abandonner son métier. Il a quitté sa patrie, la Suisse et suit une formation en thérapie initiatique. Il continue cette recherche de la vérité en lui, comme il le fait à travers le bois. Il apprend à faire attention aux forces immanentes dans le bois et à les faire éclore et à leur donner une forme. […]

La transformation à l'aide du dessin que Jean a expérimenté, montre brièvement comment initiation et individuation peuvent agir ensemble. D'autres processus ne se passent pas toujours de manière aussi claire et rapide. Jean a rencontré la thérapie initiatique au bon moment. Il se trouvait intérieurement dans une impasse et en même temps il était "mûr" et prêt pour qu'une transformation s'opère en lui. C'est ainsi qu'a pu "sauter le bouchon" qui enfermait son "être essentiel", et il a pu se réveiller à une vie nouvelle.



[1] Aller sur la vidéo qui se trouve en bas de la page https://presence-lefilm-meditation.fr/2125-2/, cliquer sur ce qui se trouve en haut à droite du cadre, il y a pas mal d'interviews proposées.

[2] Chapitre "Le dessin dirigé dans la psychothérapie initiatique", chapitre du livre Karlfried Graf Durckheim : textes et témoignages inédits, Questions de n° 81, Albin Michel 1990 (réédité aux éditions du Relié en 2012)

[3] Cela se situait dans un centre qui était une filiale de Rütte, le Centre de thérapie de K-G Dürckheim, cette filiale a fonctionné pendant une vingtaine d'années.

[5] Dans cet exemple,comme dit Hildegard Wiedemann : « Arrive un moment très important : le dessinateur n'utilise plus les formes fondamentales. Le thérapeute ne lui indique plus des formes données. Au contraire, le dessinateur se met à l'écoute de son "guide intérieur", celui qui sommeille au fond de son être. Ce sont désormais "ses mains" qui savent et qui dessinent ce qui est dicté depuis la profondeur de l'être. »

 

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