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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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19 mai 2022

Hommage à Jean Déchanet, bénédictin, yogin du Christ et spécialiste de G. de St-Thierry, décédé il y a 30 ans

Jean Déchanet est décédé le 19 mai 1982. il fut, dans les années 1955 le premier à ouvrir le monde chrétien à la pratique du Yoga – en disant qu'il est "Yogin du Christ", il déclare faire du Yoga pour être "du" Christ – et il fait partie de ceux qui ont fait connaître les œuvres du Guillaume de Saint-Thierry.

Très tôt il perd son père. Sa rencontre avec Guillaume de Saint-Thierry lui permet de laisser tomber la dualité âme-corps pour promouvoir la trinité : corps, âme, esprit. C'est surtout par la pratique du yoga, qu'il découvre l'art d'être chrétien avec son corps ; malgré les premières oppositions rencontrées dans les milieux chrétiens, il transmet le yoga en particulier par ses livres. De plus son passage en Afrique lui fait découvrir une façon d'être à son corps beaucoup plus simple qu'en Occident. Revenu en France il devient ermite. Pendant plus de vingt ans, il accueille dans son ermitage de Valjouffrey de très nombreux hôtes, tout en étant souvent sollicité pour animer des rencontres, participer à des colloques en France mais un peu partout dans le monde.

Jacques Breton à qui est dédié le présent blog, n'a pas promu le Yoga[1] mais le Zen dans les années 1980, rencontrant lui aussi des résistances dans le milieu chrétien ; il se référait lui aussi à la trinité corps-âme-esprit[2] et redonnait sa place au corps et aux gestes[3]. Nul doute que la voie ouverte par Jean Déchanet vingt avant, lui a facilité la tâche.

Jean Déchanet a vécu en ermite la fin de sa vie, et de façon fructueuse, ce qui n'est pas évident comme le soulignait son ami Gérard Charrier dans les cahiers du Val 54. Son propos concernait Marie-Madeleine Davy (cf. tag M-M Davy), une amie et de Jean Déchanet et de Jacques Breton, qui a elle aussi été très marquée par Guillaume de Saint-Thierry puisque c'était son sujet de thèse... et Gérard a aussi parlé d'érémitisme :

  •   Si M. M. Davy affirme, en le répétant, que tout est indicible, que la réalité vécue est au-delà de toute expression, que "le silence est le langage du monde à venir", cette parole doit être replacée dans le contexte de sa propre vie et non dans l'absolu de l'affirmation. C'est parce qu'elle connaît parfaitement la tradition chrétienne, ses formes, son langage, ses pratiques, ses symboles, qu'elle peut se permettre d'aller au-delà et d'inviter son auditoire à le faire.
      Parallèlement, rappelons-nous que, dans la règle de saint Benoît, l'érémitisme – cette vie au-delà des formes – n'est admis que comme couronnement d'une vie cénobite menée à bien au fil des jours durant de longues années dans le monastère. Le moine qui ne s'est pas d'abord frotté longuement à la vie commune ne pourra pas faire face à l'épreuve de la solitude érémitique – nous en avons eu des exemples variés à Valjouffrey – l'ossature humaine et spirituelle qu'apporte la longue fréquentation d'une Tradition riche de pratiques et de symboles, rend apte à la marche dans le désert de l'informel, de l'Absolu et de l'au-delà du manifesté où beaucoup de voyageurs solitaires sont morts de soif.
      Si M. M. Davy nous propose l'abrupt chemin de la mystique apophatique de Maître Eckhart, de Tauler ou des Rhénans, c'est parce qu'elle est d'abord imbibée de la pensée de saint Bernard de Clairvaux, de Guillaume de Saint Thierry et des mystiques cisterciens du XIIIe qui ont tant médité sur l'humanité du Christ. Celui qui n'a pas rencontré le Christ selon la chair peut-il, d'emblée, réaliser le puer aeternus de la mystique rhénane ? Si elle invite à dépasser les symboles, c'est parce qu'elle a longuement séjourné dans leur terre, goûtant leur saveur et sachant la transmettre aux autres par l'écrit et la parole.

 

Hommage à Jean Déchanet

 

1978-07 Jean Dechanet

Dans ce dossier-hommage[4] :

  • La 1ère partie nous présente J. Déchanet avec le regard de Jean Sulivan
  • La 2e partie contient le début de la préface de la 3e édition de La voie du silence où il retrace son itinéraire
  • La 3e partie déroule sa vie.
  • En 4e partie c'est la bibliographie. Les livres de Jean Déchanet sont tous actuellement épuisés, deux sont en vente sous forme d'e-book[5]. À l'initiative de Jean Sulivan, un entretien avec Marie Thérèse Maltèse Jean Déchanet, l'ermite de Valjouffrey est paru au Cerf en 1981 (ici en abrégé "M-T Maltèse").

Le message suivant du blog contiendra un extrait de La voie du silence où il propose la méditation silencieuse avec des propositions concrètes pour les chrétiens.

 

Pour introduire à son cheminement, voici deux remarques qu'il a faites :

  • « Il est évident que je suis beaucoup plus célèbre de par le monde par mes livres sur le yoga ou à propos du yoga. Mais, sans Guillaume de Saint-Thierry et sa lumineuse anthropologie (l'homme étant tout à la fois corps vivant, âme intelligente, esprit aimant), sans mon rêve [créer une bibliothèque médiévale], aurais-je eu l'idée et, bien entendu, le courage d'entrer en yoga, de vivre en yoga ? »
  • « Je m'insurge contre certaines philosophies à l'usage de la vie chrétienne – d'un courant de vie chrétienne – et qui me semble avoir durci un des aspects de la sagesse grecque. Le dualisme platonicien oppose en l'homme, ainsi qu'on sait, le corps et l'âme, la chair et l'esprit. Mais un aspect plus nuancé du même courant de pensée ne distingue que pour unir, et c'est de lui que s'est inspiré une des plus anciennes et, aussi bien, une des plus grandes écoles de spiritualité chrétienne : l'école d'Alexandrie. Origène, un de ses représentants, misant, avec Clément d'Alexandrie, sur un petit passage de la première épître de saint Paul aux Thessaloniciens[6], enferme l'homme dans une trinité, réplique, image de la Trinité divine : le corps, l'âme et l'esprit. »[7]

 

I – Portrait de Jean Déchanet par Sulivan

Un homme réenchanté

La traversée des illusions[8]

 

Coup de téléphone de D. Déjeuner à la brasserie du Lutetia. Il arrive de sa cabane de Valjouffrey, mille mètres, après quatre mois de neige, de solitude, traverse Paris comme d'habitude, en route vers Nancy ou Bordeaux, ailleurs. Des groupes d'amis l'appellent, des gens qui se sont mis à vivre, à revivre, à cause du yoga, à cause de l'Évangile, à cause d'on ne sait quelle douceur dans son regard, à cause qu'il a l'air revenu de tout et que, paradoxalement, du fond de l'abandon, monte une parole intrépide.

Non, cette fois il est en partance pour Charleville, parce qu'à Charleville il y a Rimbaud peut-être bien, mais lui, les chemins de la littérature ne l'intéressent pas. Parce qu'à Charleville il y a les manuscrits de Guillaume de Saint-Thierry. Car ce moine en plein vent poursuit un travail de bénédictin.

 

Plutôt pas mal sapé. On pourrait à la rigueur le prendre pour un pédégé, n'étaient les deux valoches emplies de documents qu'il traîne. Moine jusqu'au fond de l'âme, il ne tient pas à avoir l'air d'un moine. Peu de goût pour le folklore.

Il tousse, il a un peu de fièvre. Qu'est-ce que tu fais pour te soigner ? Des valdas, tu parles. Il a une façon de hocher la tête, en même temps que de la main gauche il fait le geste de renvoyer par-derrière.
– Tes livres se vendent bien. Tu pourrais louer quelque chose dans le Var, près de la mer, pour les mois d'hiver. Tu as des amis dans le secteur.
Il dit qu'il n'aime pas la mer. Et puis il y a sa petite chienne, Chipie, qu'il a recueillie, il y a quelques années. Trop compliqué de l'emmener. Ça dérange les gens.
– Tu sais qu'elle comprend le français ?

Chaque matin il descend chercher le courrier à travers la neige, faire les provisions. Chipie l'accompagne. Pendant ses courtes absences elle est prise en charge par la dame du courrier. Quand il annonce qu'il va partir pour quelques jours, Chipie se met à gémir et s'éloigne. Elle ne veut plus le voir. Le jour de son retour elle s'agite, va et vient de la maison à l'arrêt du car. J. D. ne sait plus très bien les limites. L'humain est dans les arbres, les bêtes.

 

Il ne doit pas être loin d'attraper la septuagénite, l'ami D. Pas un retour sur lui, les petites peurs. Toujours le geste de rejeter par-derrière. On dirait que ça sert à quelque chose de s'être laissé travailler : à échapper au bavardage sur le temps, les maladies, la mort. Ça donne un style. Lui, pour les bavardages de groupes, quand les gens se laissent aller, il a un truc. Affligé d'une certaine surdité il porte un, comment dit-on, dans l'oreille, qu'il commande de sa poche. Il lui suffit de peser sur un bouton pour faire silence.

L'Afrique lui a presque tout appris. Parti pour diriger un énorme institut il s'est laissé diriger, digérer. De là qu'il a compris le "péril occidental". Là qu'il s'est renaturé, réenchanté.

Voici ce qui me fascine. Certains de ses livres se sont vendus à plus de 100 000. Ils sont traduits en de nombreuses langues. Tout cela en marge de l'audiovisuel et de la grande publicité. En un sens il est inconnu. On dit connus les visages qui monopolisent les écrans, les baratineurs professionnels. Ce ne sont que des noms, des masques dans la galerie des acteurs, au théâtre de l'actualité. Connaissance superficielle d'illusion. Lui a inventé des chemins secrets, sa publicité s'est faite de bouche à oreille. Il est beaucoup plus connu que les vedettes, d'une connaissance vitale, hors curiosité.

Beaucoup d'hommes qui sont entrés en rupture et ont créé quelque bouillonnement autour d'eux, ont cru qu'il fallait convoquer la télévision, sans avoir l'air de soupçonner qu'ils avaient besoin d'étaler leurs conflits intérieurs. Un temps ils ont cru rassembler les éternels boy-scouts de la foi, qui toujours rêvent de communautés préfabriquées pour bercer en commun leur nostalgie, mais vite ils se sont effondrés. D. fut moins perméable que ces hommes instruits, au fait de la psychanalyse et de la sociologie, aveuglés de leur savoir.

Nul mérite à cela. Il y avait dans notre jardin un pommier qui longtemps demeura rabougri, stérile. Et le voilà qui se met à pousser des rameaux verts, des branches énormes, à crouler sous les pommes. Lui, on dirait, c'est pareil. Il a poussé tard.

 

L'ami D., un temps, j'ai essayé de le "produire". Il m'avait donné un manuscrit. J'étais fier. Ils n'en ont pas voulu. C'était naïf, pas "bien écrit". Les linguistes, psychanalystes, structuralistes allaient se moquer de nous. Beau leur dire qu'il y a un public qui lit les livre comment on mange du pain, dont on ne parle jamais dans Le Figaro, Le Monde ou Le Nouvel Observateur, des auteurs qu'on ne voit mie parmi les habitués de Bouvel ou Chançard, qu'il faudrait sortir du cercle… Non, non, sans la robe nuptiale, on ne peut avoir part au festin.

 

Tu pourrais prendre un taxi. Non, j'ai pas l'habitude. Laisse-moi mes valises, les deux, à cause de l'équilibre. Je le vois s'éloigner dans le couloir du métro, travelling arrière, pauvre, souverain. Pas de doute, il l'a l'auréole.

 

 

Jean Déchanet, Bruxelles II – La découverte du Yoga :  l'art d'être chrétien avec son corps

(Préface à la troisième édition de La voie du silence)[9]

 

On m'a souvent demandé, depuis la publication de La voie du silence, « comment j'en étais venu là », par quel destin ou quel concours de circonstances extraordinaires, une discipline importée d'Orient avait-elle pu s'imposer à ma pensée, toute nourrie – mes travaux antérieurs en faisaient foi – de la tradition occidentale.

Je puis répondre simplement : si étrange que cela paraisse, c'est Guillaume de Saint-Thierry qui m'a conduit au Yoga ! Vingt ans durant, j'ai vécu dans l'ambiance et sous le signe de sa vivante psychologie, reprise, adaptée d'Origène (un Oriental, déjà !) et mon souci, mon grand souci était d'assurer en moi cet équilibre d'anima, d'animus et de spiritus, dont il faisait comme la condition (il se répète à ce sujet de mille manières dans ses écrits) de l'épanouissement, en l'homme, de la grâce du Christ, du passage de l'Image (justement inscrit dans ces "trois") à la Ressemblance divine. Coupée de Dieu par le Péché et, qui plus est, divisée, la créature ne peut songer à retrouver son Créateur et l'intimité perdue, qu'en utilisant d'abord la grâce du Christ rédempteur, sa vertu et ses exemples, pour se refaire à l'Image divine, rétablir en soi l'unité, retrouver l'"ordre de la nature" dans l'"ordre de la charité". L'esprit adhérent à Dieu (dans l'amour et par l'amour) il faut que l'intelligence, l'âme raisonnable en suive les motions ; il faut enfin que le corps obéisse à la raison, faisant sien, entièrement, les intérêts de l'esprit. […]

Ces idées "guillelmiennes", les ai-je assez médités au cours des dernières années ! Vivre pour Dieu, tout entier, aller vers Dieu dans l'équilibre de mes "trois" – mon corps se prêtant au jeu ; mon âme s'effaçant au besoin, elle et ses considérations, pour que la voix du Tout-Puissant se fit entendre à mon cœur ; c'était devenu pour moi une sorte de hantise. Mais comment en arriver là ? ...

Malade depuis l'enfance, providentiellement guéri autour de la quarantaine, je me sentais un impérieux besoin de vivre. Je travaillais de la tête ; je travaillais des mains ; mais à ma vie de prière, à ma faim de contemplation, faisait échec, en partie, cette activité débordante. Je ne m'épanouissais pas – trop peu, du moins à mon gré. Quelque chose en moi restait mort.

Je fis du sport… J'appris seul à nager à 42 ans. Je suivis les jeunes à la gymnastique.

Inscrit à un cours célèbre, je récoltais rapidement les fruits d'un système qui tendait à faire de l'homme « un être nouveau, bien équilibré au physique comme au mental et plein de dynamisme ». Après six mois d'entraînement (ce fut très dur, mais je prenais le système tout entier comme une ascèse, je ne voulais plus que des muscles : une âme forte, un tempérament viril, surtout un esprit ouvert, épanoui vers le haut) – je notais un bénéfice net aux divers plans de mon être et de mes activités. Plus résistant, moins sensible à la fatigue, capable de plus et mieux, j'étais témoin, par surcroît, d'un phénomène caractéristique : après la séance matinale de "culture physique", j'éprouvais le besoin de m'acheminer vers l'église…

Au cours de cette période, je tombai sur un article de revue, vantant les effets bienfaisants de quelques postures du Yoga. Ce fut comme une révélation. J'eus tout de suite l'intuition que la gymnastique immobile, plus adaptée à mon âge, à mon genre de vie aussi, que les exercices en cours, m'apporteraient davantage sur le plan spirituel. Je sentis que, plus ordonnée vers l'action intérieure, elle devait faire de mon corps un instrument plus adéquat de contemplation et de vie contemplative, et surtout réaliser cette union, cette jonction de mes "trois" (anima-animus-spiritus) à laquelle je rêvais toujours.

Ce que je lus du Yoga hindou et de quelques-uns de ses buts, ne put que m'encourager à poursuivre une expérience qui, dès les premiers essais, s'était avérée concluante. Le yoga, c'était d'abord « une certaine manière de se faire », celle de qui « par des disciplines physiologiques (= postures, contrôle du souffle) et psychiques (= fixation de la pensée) était JOINT, c'est-à-dire en cohésion selon ses fonctions vitales, en équilibre dans ses possibilités de régir, d'effectuer sa vie ; le contraire de dispersé, de naïvement incohérent, d'impuissant ou d'inconscient ». Symbole : « La roue, parfait emboîtement de la jante et du moyeu, par le moyen des rayons. » Mais le Yoga, c'était aussi une jonction à l'Absolu. Et là je devais prendre garde. Il fallait que mes pratiques, et surtout ma concentration, la fixation de ma pensée, m'orientassent non vers le "Soi", "Lui", l'"Absolu", le Tout-Un", l'"Insaisissable" nuageux mystique de l'hindouisme ; mais vers le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob ; le Dieu vivant, Trine et Un, le Principe de toutes choses, mon Créateur et mon Père, Celui en qui j'avais la vie, naturelle et surnaturelle. Il était de nécessité absolue – je le sentais – que mon expérience ou mon aventure (comme on veut) se plaçât sous le signe et sous le sceau de la Grâce. Non pas faire violence au Ciel ; mais travailler à la levée en moi de certains obstacles à l'action du surnaturel ; non pas me replier sur moi, mais au contraire me projeter vers l'Autre, me perdre en Lui, accrocher à Dieu, au Dieu d'amour et à son Christ, ma pensée et surtout mon cœur ; poursuivre un certain silence, mais qui soit langage muet, dialogue avec l'Éternel.

Tout en m'exerçant chaque jour, je lus beaucoup sur le Yoga. Ceux qui m'ont fait comme un reproche d'avoir gratté la superficie de ce système compliqué, sans en avoir atteint le cœur, ne paraissent pas se douter de l'effort de "conversion" que j'ai voulu, délibérément, pour un ensemble de pratiques que je tirais de leur gangue, que j'insérais dans un christianisme intègre autant qu'intégral.

Matines récitées, la messe dite, je m'enfermais pour une heure et, quelle que fut la température, j'exécutais, fenêtre ouverte, une série d'exercices, ni plus ni moins drôles que ceux de la culture physique, familière à bien des gens. Ces exercices, je les ai décrits, et j'en ai dit les fruits, de même nature, peut-être, mais en tout cas d'une autre efficacité que ceux recueillis avec le cours suivi précédemment. J'y reviendrai. Ce qui était neuf, vraiment neuf, par rapport à ma précédente expérience, c'était le calme extraordinaire qui suivait cette exécution et, du même coup, la facilité à entrer en oraison, à me fixer sur un sujet, sur un point particulier, selon ce que j'appelais la "méditation silencieuse". Je pris l'habitude de lier celle-ci aux postures et aux exercices respiratoires du Yoga. Je m'accrochais tout de suite et c'était, la plupart du temps, au Christ, tel qu'il apparaissait dans l'Évangile du jour. Un mot tombé de ses lèvres, un geste de ses mains "saintes et vénérables" me retenait, ou bien alors un aspect de sa Personne et de son Message. Je ne suis pas près d'oublier la sobre ivresse, le calme bonheur qui s'emparait de mon âme, certains jours de l'Avent 19.., quand je m'ouvrais à cette idée « qu'il est, lui, la Lumière, et la Lumière qui éclaire tout homme venant dans le monde ».

 

III – Le déroulement d'une vie accomplie

 

Jean Déchanet nait le 18 janvier 1906 à Isches, dans les Vosges

À 2 ans son père meurt. Avec sa mère et son frère aîné il vit auprès de ses grands-parents, dans la région de Verdun.

  • « Ai-je été marqué, vraiment, par l'absence de père dans mon enfance ? Un peu sans doute. Mais pas trop. Ma mère s'étant remariée – j'avais 9 ans – je fus assez vite enlevé au milieu familial et confié à un prêtre qui m'adopta de quelque façon et se chargea de mon éducation. Une chance : ce prêtre avait été instituteur laïque avant d'entrer au séminaire ! C'était un intellectuel. Il planait haut, loin des tabous. J'avais 13 ou 14 ans quand il me lut de longs passages d'un des tous premiers manuels d'éducation sexuelle. […] Mon enfance avait été calme. »[10]

En pension chez ce prêtre, les cours de latin et de grec, d'histoire et d'algèbre peuplent ses journées… mais par ailleurs, il n'a pas d'autre diplôme que le certificat d'études.

1921. Il va au séminaire de Mattaincourt (Vosges), désirant devenir prêtre.
1924. Il entre chez les Bénédictins comme novice à l’abbaye Saint-André, près de Bruges, en Belgique.
1927. Il fait sa profession religieuse. Cependant, du fait qu'il souffre d’une maladie du genre épilepsie, il n’est pas ordonné prêtre.

Il travaille d'abord au bureau de l'apostolat liturgique, puis en 1933 il passe au bureau de la "Procure des missions". Il remplit les malles des missionnaires en partance pour l'Afrique, la Chine, l'Inde, et l'Amérique ; entre autres il est chargé d'envoyer toute une bibliothèque au monastère de Kansenia en Afrique.

 

Lettre aux frères●   Découverte de Guillaume de Saint-Thierry

Un jour, parmi les livres qu'il expédie en Afrique, il trouve la vie de saint Bernard, or le dernier volume contient la Lettre aux frères du Mont-Dieu qui, en fait, est écrit par un ami de saint Bernard, Guillaume de Saint-Thierry[11]. Il en recopie des passages et ensuite trouve le texte en latin dans la Patrologie, et petit à petit le traduit. Il fait la remarque :

  • « Guillaume, Abbé de Saint-Thierry, avait été, de son temps, ce qu'on appelle un "rebelle". Dans les milieux conservateurs du XIIe siècle finissant, il fut "différent". Nourri de la pensée des Pères Grecs, ses écrits bousculaient les idées du temps. »[12]
  • « Guillaume est un esprit d'avant-garde. Il est dans la ligne de la Tradition. Mais c'est là l'intérêt de ses livres, ses citations font appel autant, sinon davantage, aux Pères grecs, Origène, Basile, Grégoire de Nysse, qu'aux latins, les inévitables Augustin, Jérôme et Ambroise. Or, c'est à son époque que se durcit le schisme des Églises d'Orient et d'Occident. Tout ce qui vient des Grecs est suspect. Quand Guillaume meurt, en 1144, ses traités sont soigneusement mis à l'ombre. Trois feront leur chemin sous le patronyme de saint Bernard. Des autres on ne parlera pas. J'en ai tiré quelques-uns de la poussière des manuscrits de la bibliothèque de Charleville – et je suis venu, il y a 30 ans, en "collationner" un au grand séminaire de Liège » (Les cahiers du Val n° 22, mars 1973, p. 8)

Dans cette Lettre J. Déchanet découvre un traité de vie spirituelle qui tient compte de tout l'homme et du tout de l'homme comme il le dit à M. T. Maltèse (p. 71-72) :

  • « Avant Guillaume, ma vie chrétienne consistait à imiter Jésus-Christ quand, cloué nu sur la croix nue, il rejoint le Père. La traduction de Guillaume de Saint-Thierry m'a obligé à consulter beaucoup d'ouvrages. Je pris contact avec les écrits des Pères de l'église d'Orient. […] Les Pères d'Occident, je les aime et j'en ai pitié. Je trouve chez beaucoup d'entre eux la phobie de la chair et de l'impur. La plupart d'entre eux rejettent sans fin sur la "femelle" leurs propres turpitudes. Ils n'avouent jamais s'être laissé captivés. Je les trouve peu courageux et bien orgueilleux. Mon Guillaume de Saint-, si respectueux de ses maîtres et ses friands d'indépendance, m'ouvre la route, lève mes scrupules. […]
    Guillaume me tirait du gouffre où la logique d'un Chardon[13] m'avait plongé. Avec lui, j'émerge d'un ascétisme fondé plus sur une idée socratique que sur l'Évangile. Le corps n'est plus obstacle mais instrument. Le dualisme corps et âme éclate pour faire de l'homme un être unifié dans ses différents aspects : animal, spirituel, intellectuel. C'est l'être tout entier qui s'épanouit et se projette vers l'Un. Tout devient signe, symbole d'une communion au divin. […]
    Je cherche en vain dans les Écritures la source de la phobie névrotique des penseurs chrétiens. La Bible nous rapporte les aventures sexuelles de héros de l'ancienne Loi, mais jamais de blâme. […] Paul lui-même, invoqué si souvent, parle de fornication, de prostitution, d'impudicité et de sodomie. Mais jamais de masturbation. Or les masturbateurs, masculins et féminins, sont aussi vieux que le monde. »

J. Déchanet dira plus tard : « Au cours des siècles, la spiritualité chrétienne – et bien entendu la morale – reviendront périodiquement à des principes minimisant le rôle et la part du corps, considéré comme entrave, comme une rencontre, sinon comme un mal. L'Église, par le truchement de ses conciles, remettra les choses au point, et, tout récemment encore, elle proclamera par la voix de Paul VI, son respect, "son culte de l'homme", de l'homme "vivant", de l'homme "tout entier tel qu'il est". Elle remettra en honneur "la dignité éminente du mariage chrétien". » (Journal d'un yogi, tome 1, p. 10)

Et J. Déchanet fait le rêve de créer, comme il dit, une « collection qui mettrait à la portée, non seulement des théologiens mais des curieux de mon genre, un certain nombre d'auteurs mystiques ou simplement spirituels ». Il lancera effectivement la collection de "Bibliothèque médiévale" dans les années 1940, mais ne pourra faire paraître que trois livres.

En 1935 il rencontre par hasard P. Maurice DUMORTIER, trappiste, qui lui montre un document rare sur Guillaume de Saint-Thierry.

En 1940 il publie la brochure "Aux sources de la Spiritualité de Guillaume de Saint-Thierry" (chez Beyaert, à Bruges, XII, 208 p.). Il y rassemble un certain nombre d'articles de revues.
En 1941, il publie Guillaume de Saint-Thierry, l'homme et l'œuvre (XIV, 216 p.).
En 1944 chez Aubier-Montaigne (Bibliothèque philosophique) parait Œuvres choisies de Guillaume de Saint-Thierry où J. Déchanet est le traducteur.
En 1945 une traduction des Meditativae Orationes paraît à Bruxelles.
Mais tout cela n'a que peu d'écho.

Jean Déchanet a donc accompli un travail énorme tout en continuant ses activités ordinaires au monastère. Dans le fascicule 70 des cahiers du Val (p. 21-22), il donne la clé de son travail :

  • « Au monastère, j'étais très pris par mon travail de "Procureur", chargé des expéditions à nos Pères en terre de mission. J'avais, à vrai dire, un alibi : mes recherches sur la pensée de Guillaume de Saint-Thierry, qui me reposaient un peu de mes soucis financiers. Les longs offices, chantés en latin, les stations au chœur, la vie conventuelle au fond me laissaient peu de loisirs dans la journée. La nuit était là. Je déroberai au repos une ou deux heures chaque soir. Très vite, je constatais que mon cerveau durant le sommeil –que j'avais, du reste, excellent– continuait à travailler. Au petit matin – on se levait dès quatre heures – j'avais la clef de tel passage du latin laborieux de Guillaume de Saint-Thierry, et les trois quarts de mes bouquins sont le fruit de ce qu'on appelle en psychologie expérimentale, le "surconscient" devenu conscient à la faveur du repos nocturne. La physiologie et les expériences des spécialistes connaissent le phénomène “et l'importance du sommeil dans la fonction de mémorisation” (Dr Laurent). »

 

●   Guérison en 1947 et vie nouvelle de prêtre

Entre 1946 le docteur De Porter[14] identifie le virus qui habite J. Déchanet, puis à le neutraliser en 1947. Cela lui insuffle une vie nouvelle. Le 15 janvier 1948, après une troisième année de noviciat, son Père Abbé le reçoit à la profession monastique.

Il est ordonné prêtre le 22 mai 1948.
Il est alors nommé "maître" (instructeur) des frères "convers (une catégorie aujourd'hui disparue), charge qu'il exerce jusqu'en 1956.

Ses travaux sur Guillaume de Saint-Thierry prennent de l'importance, et on le reconnaît enfin. Entre 1952 et 1955, il publie 3 études sur Guillaume de Saint-Thierry dans Scriptorium (revue internationale des Études relatives aux manuscrits). Il précise que ce sont « trois études remarquables et qui apportent une solution définitive aux problèmes de la "Lettre aux frères du Mont-Dieu". Attribuée à Guigues le Chartreux, publiée sous le nom de saint Bernard, elle se voit restituée à son véritable auteur par Dom Wimart, un érudit bénédictin. Mais quantité de questions restent en suspens et, avec l'aide de M. Masi et surtout de M. Delaisse, j'arrive à faire la lumière. »[15]

On l'invite à donner des conférences à plusieurs endroits, on lui propose un poste à l'académie bénédictine de Rome pour y donner un cours sur saint Anselme, mais cela tombe à l'eau car certains s'y opposent. On lui confie des cours au monastère : un cours de théologie mariale, un cours de Patrologie…

 

●   Activité intense en 1953-54 et pratique d'une méthode corporelle

« En 1953, à l'occasion du huitième centenaire de la mort de Saint-Bernard j'accepte de participer à plusieurs congrès et de mettre au point quelques questions épineuses. Quatre conférences, deux articles, près de 200 pages dactylographiées, des études remises plusieurs fois sur le chantier et, pour finir, quelques voyages à Heeswick (Hollande), Dijon ou Mayence où se tenaient des congrès, ne furent pas nécessairement des détentes. […] Une exposition missionnaire à Bruges me demanda en octobre un travail de plusieurs semaines et un effort musculaire considérable. Les premiers mois de 1954 ne furent pas non plus de tout repos. En mars la fatigue me reprit et sous une forme plus inquiétante…. Une visite au Docteur De Porter… Un traitement aux vitamines, une période d'inaction à peu près complète, et je connus enfin, vers le 4 avril, une euphorie non-équivoque et qui se prolongea durant des semaines. »

Il dit : « En cette fin d'année 1954, j'écris sur mon carnet : “Jeunesse à vendre” »[16].

C'est à ce moment-là qu'il tombe sur l'annonce d'une méthode de développement musculaire par correspondance, proposée par le Dynam Institut. Il obtient de la recevoir gratuitement et l'applique. Le résultat est étonnant à tous les plans : musculaire et anatomique, psychique et mental, et même sur le plan spirituel. Il pratique un quart d'heure le matin et un quart d'heure le soir. Il arrive à insérer ces deux temps dans sa journée monastique où le premier office a lieu très tôt et nécessite un lever à 4h 45 !

  • « Les anciens auraient eu peur de cette méthode qui fait des muscles, bombe le torse, donne aux membres plus de modelé et à tout l'homme une allure plus mâle et plus assurée. Dans cette espèce d'euphorie qui suit chacun des exercices, ils auraient flairé du sensualisme ou… quelques pièges du démon. Un homme comme le pape Pie XII a donné l'exemple d'un amour bien entendu du sport. Celui-ci peut être pris ou comme un divertissement ou comme une ascèse. Dans ce dernier cas, il ouvre sur la mystique ! Il mène à Dieu, nécessairement ! »

 

●   Découverte du Yoga en 1955

Il raconte sa découverte à  M. T. Maltèse (p. 79) :

  • « Un confrère me mit en main deux fascicules d'une revue India que diffusait le service de presse de l'ambassade de l'Inde à Bruxelles. Au sommaire, je lis : la sculpture indienne contemporaine. Les poètes chez nous, les miniatures indiennes, le yoga par Shri Biknam Shah, l'écriture indoue…
    Je m'arrêtai à la page du yoga. Je lus ce mot pour la première fois. Nous étions au début de l'année 1955. Les premières lignes m'incitèrent à aller plus loin : “C'est au début de l'âge mûr que la pratique des exercices de Yoga, dénommés asânas, peut rendre le plus de services pour conserver la santé du corps. Elle se révèle extrêmement efficace pour empêcher la sénilité précoce, conserver l'éternelle jeunesse et défier la mort.[17]Pour moi qui, depuis ma guérison, aspire non seulement à mieux vivre mais à vivre plus, la tentation est forte. La suite du texte tient de la révélation : “Le vrai but de tous les asânas (les postures) est de préparer l'homme à acquérir cette quiétude de l'esprit nécessaire à la réalisation du "Suprême" ou "Conscience du Divin".” Je compris alors que depuis un an, avec l'Institut Dynam, j'étais entré en yoga. Un pas de plus et je fais du yoga !
    La brochure décrit et illustre huit exercices. Cette gymnastique immobile semble être plus adaptée à mon tempérament et à ma condition de moine que les mouvements en force du système Dynam. Cette fois, je me sens dans mon élément. Dès le soir, j'essaie. Assoupli par les exercices du Dynam, mon corps, rapidement, arrive à réaliser la plupart des postures : la Perche, la Chandelle, la Charrue, et en particulier le Grand Renversement. Peu après, je me mets en quête de manuels. »

Dans deux cahiers du Val (n° 45, p. 159 et n° 43, p.91) il précise :

  •  « Les manuels sont inexistants ou alors en anglais. Quelques brochures de Kerneïz me tombent sous la main et me permettent de remplacer, chaque matin et chaque soir, la séance d'exercices Dynam par une séance de yoga ; de yoga intégral car j'inclue la méditation. »
  • « Sa morphologie (au Yoga) manifeste le même souci de la doctrine spirituelle que certains sages de chez nous. Je crois à la pensée : saisir l'humain dans l'homme, découvrir tout l'homme et le tout de l'homme, à travers et au-delà de ce qui le manifeste. Guillaume de Saint-Thierry, en particulier, me l'avait appris : au-delà de ce qui sent, vibre, palpite à l'unisson dans la nature (le corps), au-delà de ce qui pense, réfléchit et communie aux idées (l'âme), il y a cela qui est : l'esprit, le moi profond, étincelle de vie divine au-dedans de nous. Pour cet auteur, comme pour le plus simple des Yogis, découvrir ce "moi profond", c'était l'entrée dans la vie spirituelle. Aussi bien, dans le yoga, j'étais chez moi ! »

 

●   Publication d'articles et de livres sur le yoga en 1955-56.

Le livre de Jean Herbert, La Spiritualité indoue, paru en 1944, lui donne l'assurance qui va lui permettre d'écrire puis de publier les livres sur le yoga. Au début il écrit pour lui-même et fait part de ses réflexions à un ami qui part en Inde. Et, bizarre, on vient lui demander un article[18].

En août-septembre 1955 le Père Régamey, o. p. fait paraître dans "La Vie spirituelle" l'article "Un Yoga chrétien ?" écrit par J. Déchanet ; c'est le Père Régamey qui invente le titre.

J Déchanet, yogin du Christ, la voie du silenceEn 1956 il publie[19] chez DDB la ‘Voie du silence’ (traduit en anglais en 1960 sous le titre Christian Yoga). Les deux premières éditions sont publiées de façon anonyme, l'auteur étant simplement "Yogin du Christ", ensuite le nom de Déchanet est mentionné comme auteur : « J'ai signé La Voie du silence "Yogin du Christ", et cela même voulait dire que j'entendais faire du Yoga pour m'aider à être "du" Christ. Si j'avais simplement écrit "un Yogi chrétien", l'expression eut fait moins drôle mais elle n'aurait pas souligné l'essentiel de ma visée. »[20]

Avant le concile Vatican II (1962-1965) il est le premier à encourager explicitement les chrétiens à pratiquer le yoga. Aussi est-il connu comme le ‘Père du yoga chrétien’.

Durant ces années il est en correspondance avec Thomas Merton[21].

 

●   Publications en patristique.

Du fait que la collection de Bibliothèque médiévale créée par J. Déchanet n'arrive pas à publier, en 1956 le général des Trappistes, Dom Gabriel Sortais, s'engage à financer la publication d'œuvres cisterciennes ou bénédictines. Finalement J. Déchanet peut publier dans une branche de la collection Sources chrétiennes créée par le Père de Lubac, cette branche s'appelle "Textes monastiques d'Occident".

Mais brutalement le 31 décembre 1956 il apprend qu'il est question de l'envoyer au Congo et donne son accord.

 

●   1957-1964 : sept ans au Katanga (le Zaïre aujourd'hui)).

Le diocèse de Lubumbashi est confié aux bénédictins de Saint-André, et J. Déchanet vit au monastère bénédictin de Kansenia où il est successivement maître des novices et des postulants, et supérieur de la communauté (en fait il est pro-prieur). Il essaie de se faire Bantou avec les Bantous.

  • M. T. Maltèse (p. 24-25) résume ce qu'il vit en Afrique : « La vie des noirs, des gens pauvres qui se contentent de peu, qui sont plus soucieux d'être que d'avoir, le conforte dans son idée que le corps est sacré. Avec eux, il comprend mieux la sagesse du corps qu'il avait découverte avec le yoga. Mais l'Afrique, c'est aussi la remise en cause de certaines normes de l'existence, de la morale. C'est se laisser modeler par la vie, se sensibiliser aux vibrations environnantes, s'imprégner de soleil, se baigner dans l'eau du fleuve, participer au rythme des autres, ne rien imposer, mais partager. Ses confrères, les autres moines blancs, ne lui font pas confiance. Il s'en rend compte. Pourtant les Bantous, dès le premier soir, l'appellent "tata", père en bantou. De fait, il se sent père. […] Kansenia, c'est une entreprise à gérer. L'économe qui part en congé lui montre le chantier, la ferme avec 300 vaches maigres, une sablière (des tonnes de sable doivent partir chaque semaine pour l'Union minière), les ateliers d'art. A-t-il quitté son monastère et Guillaume de Saint Thierry pour remettre sur pied une entreprise commerciale ? La caisse du monastère est en déficit de 2 millions de centimes ! Huit ans plus tard, il aura construit un hôpital, une hôtellerie, des écoles. Et il y aura en caisse deux millions de réserve ! Une autre responsabilité lui est confiée : former des noirs à la vie monastique… »

À partir de 1960 il édite "Les cahiers du Yog" qui deviendront "Les cahiers du Val" en 1968. Du fait que le pays est en guerre, il a des problèmes pour trouver du papier.
En 1962 il publie Exposé sur le Cantique des Cantiques (de Guillaume de Saint-Thierry), Sources chrétiennes n°82 (1962)
En 1964 il publie Yoga chrétien en dix leçons (Yoga in 10 Lessons, English 1965), c'est le texte à peine amandé, d'une brochure dactylographiée intitulée : "Un Yoga pour Africains". En fait la 1ère édition est en allemand (Lucerne 1963) sous le titre Mein Yoga in ten Lexionem. L'édition néerlandaise de 1965 laisse tomber l'étiquette "chrétien".

La vie là-bas n'est pas facile, les frontières sont fermées et les gens meurent de faim. Un médecin que J. Déchanet est allé voir s'effraie de sa maigreur (35 kg) et lui conseille de prendre des bains de soleil, ce qui lui permet de tenir le coup pour les 3 dernières années[22].

Ses tentatives d’africaniser la culture monastique européenne rencontre des oppositions de la part des autorités ecclésiastiques. Il est destitué de ses fonctions de pro-prieur. Un besoin de repos se fait sentir. Il rentre en Europe[23].

À noter qu'il gardera de là-bas un mot-symbole. En effet, "Eio" est un mot bantou qui veut dire "oui", pleinement oui, un peu comme "amen", en hébreu ou en grec. Approbation joyeuse, option généreuse aussi, c'est d'abord un cri du cœur : on dit "Eio" en pensant "Merci".

 

●   L'ermitage du Champ-dessus de 1964 à 1990 ; le centre "Eio la Vie"

Le 25 septembre 1964, Jean Déchanet rentre en France, il a droit à un temps sabbatique (6 mois à un an). Il souhaite vivre un peu à la montagne, peut-être du fait qu'il a vécu en Afrique sur des Hauts-Plateaux (Les Bianos, 1 200 m.). Lorsqu'il passe chez ses cousins à Gap, ils lui proposent de faire une balade d'une journée, et il choisit d'aller à la Chapelle-en-Valjouffrey où un ermitage a été créé par un bénédictin[24] : sur la terrasse du Champ-Dessus, à 80 m. au-dessus de ce hameau des Alpes qui lui-même est à 973 m., il y a là un chalet et l'eau courante[25], et J. Déchanet apprend que la religieuse qui l'occupe le quitte deux jours après pour aller à l'ermitage du Désert-en-Valjouffrey. Il grimpe et il est conquis. Il va s'y installer, mais a priori il n'a point l'intention de s'enfermer dans l'érémitisme : « Tôt ou tard je reprendrais ma place en mon Abbaye » (Itinéraire d'un rebelle, p. 53)

Le 17 novembre 1964, avec l’accord de son Père Abbé, il s’installe "provisoirement" dans cet ermitage[26]. Il reste en lien avec d'autres puisqu'il descend rencontrer les gens du village : « chaque matin pour la messe, chaque soir pour une sorte de carrefour biblique ».

Carême 1965. Gérard Charrier est le premier visiteur recommandé par des amis de Nancy[27]. Venu pour un mois, Gérard reste six mois. Puis arrivent d'autres personnes, en particulier Madé qui deviendra la femme de Gérard. Des chalets apparaissent, proches de celui de Père Jean[28] : en 1965, à 200 mètres, le Michel-Ange qui est le lieu saint du complexe ; en 1966-67 le Saint-Gérard et le Saint-Jean, chalets dortoirs.

C'est en 1967 que Père Jean reçoit officiellement la permission de résider hors du monastère et de poursuivre l'activité qui se fait à l'ermitage : le centre "Eio la Vie" voit le jour.

Père Jean et ses hôtes en sessionEn 1979, les amis chez qui il passe les vacances de la Toussaint le pousse à acheter un chien, ce qu'il fait, ce sera Samy.

Son activité n'est pas restreinte à l'ermitage. En janvier 1966, on lui demande de venir à Lyon pour travailler avec un groupe et c'est de là que sont nés les CLY (Cercles Lyonnais de Yoga)[29]. Dans les cahiers du Val il donne la parole à de nombreuses personnes comme Gérard Charrier, André Rucquoy, professeurs de yoga.

En 1970 est construit le chalet Issachar, un petit bijou au bord d'une terrasse, lieu de refuge pour Jean Déchanet ; ensuite le Champ-Guillaume (en souvenir de Guillaume de Saint-Thierry) qui sert de cuisine - salle commune. Il y a des terrasses ombragées. En 1977 il y a en tout 7 chalets (salle à manger, dortoirs…). L'ensemble s'appelle le Champ-Dessus. C'est un lieu d'accueil et de ressourcement soit au plan du yoga, soit au plan religieux. Des sessions d'été sont organisées pendant plusieurs années. Par exemple en 1981 Père Jean anime une session avec Jacques Goetmann et Gérard Charrier.

À partir de 1982 ce sera simplement "portes-ouvertes". Dans les années 1981 des articles paraissent dans La Vie et dans Panorama et amènent de nombreux visiteurs.

Le centre s'appelle "Eio la Vie". « Cet Eio mystérieux n'est rien d'autre, pour un Bantou, que l'expression du désir d'entrer dans le plan divin pour faire usage de l'existence telle qu'elle jaillit du cœur et de la pensée du Créateur de l'univers. »

Voici l'invite suspendue au Saint-Guillaume :

  • « Toi qui, pour la première fois, pose le pied en cet enclos, réalise dès que tu peux…
    Il n'y a pas au Champ-Dessus un genre de communauté mais une famille, et c'est bien mieux.
    Ne sois ni surpris, ni choqué, si l'on s'embrasse, si l'on se dit "tu" comme il sied entre frères et sœurs.
    Nul le songe à te demander si tu es chrétien. À quel parti politique tu as jugé bon de t'inscrire. Ici on est avant tout des hommes, désireux de se comprendre, de s'aider à aimer. Qui ? Quoi ? La vie, les autres, soi-même…
    Tu frappes à la porte ? On t'accueille. Ne reste pas sur le seuil. Entre vraiment. Sois avec nous. Sois "de" nous !
    Sans doute attends-tu quelque chose ? De toi-même, nous espérons recevoir autant, sinon plus. L'accueil est dans la rencontre. Et la rencontre est partage. Sois simplement ce que tu es. Ce que tu as, manifeste-le. N'aie point peur, tu seras compris.
    Si le Père semble occupé, peu disponible ou peu bavard prends patience, cela viendra ! La montagne doit te l'apprendre : la parole ne se dit bien que dans l'aura du silence. »

Charte du cenre Eio la VieVoici la charte affichée au Saint-Guillaume :

  • « Le centre "Eio la Vie" n'est pas un gîte d'étape. Encore moins un genre d'hôtel. On y reçoit bien volontiers en qualité d'hôtes les personnes en recherche, soucieuses de se ressourcer ou simplement de réfléchir.
    Ce n'est ni un ashram ni un centre de Yoga, encore que certain Yoga y soit à l'honneur.
    On vous offre une vie familiale ; partagée.
    Sachez en profiter. Ouvrez-vous. Partagez surtout.
    Les causeries, les échanges, comme les réunions liturgiques, sont facultatives.
    Sachez profiter des occasions qui sont données de vous épanouir vraiment et de faire accueil à la vie : la vôtre, celle de chacun. »

 Père Jean est lié au village, et en 1979 il devient officiellement curé. En 1981 il écrit : « Marguerite, Jeannette et Ninette, c'est, en somme, grâce à vous que je tiens bon dans ma solitude. Chaque matin que Dieu fait, le café m'attend chez "la Guitte", et Émile, quel que soit le temps, dépose mon courrier chez Jeannette. Chaque dimanche Robert est là pour m'accueillir à la cure et m'apporte ce qu'il faut pour réchauffer la chapelle d'hiver. »[30] Dans la cure, les villageois lui rénovent une chambre confortable où il peut dormir en cas de besoin.

Comme le dit M. T. Maltèse en 1981 : « Aujourd'hui, on Valjouffrey, des sessions sont organisées sur le yoga, sur l'évangile de Jean, sur les icônes ou d'autres sujets. Les personnes qui s'y réunissent sont différentes d'une session à l'autre, d'un thème à l'autre. Jean Déchanet ne participe pas à toutes. Les rencontres sont animées par Gérard pour le yoga, le Père Goetmann pour l'exégèse biblique, et d'autres personnes pour d'autres sujets. »[31]

Père Jean répond également à des invitations extérieures. C'est en 1967 qu'il devient ami de Jean Herbert. Il l'a rencontré à Bruxelles à l'occasion des Journées internationales de Yoga, les premières du genre, réalisées par André van Lysbeth, Il avait été demandé à Père Jean de situer le Yoga dans la vie chrétienne.

En 1985 il écrit : « Des années durant, j'ai accepté d'animer des rencontres de yoga, voire des sessions de 8 à 10 jours aux quatre coins de France : Lyon, Lille, Cherbourg, Paris, Versailles, Nancy, Mauriac, Bordeaux, Bayonne, Aix en Provence, Clermont-Ferrand, Toulon, Sallanches, m'ont accueilli, sans oublier les rencontres au Balcon de Belledonne (entre Grenoble et Chambéry) qui ont amorcé la série. Quatre ou cinq fois je me suis vu dans l'obligation de passer les frontières et… les mers, pour exposer à Milan, à Madrid, à Bruxelles et au Québec dans quel contexte le yoga de l'Inde pouvait effectivement pénétrer et informer les milieux authentiquement chrétiens. Je ne reviens pas ici sur ce que j'ai appelé la "bataille du yoga", réaction, parfois brutale, de certains milieux – intégristes pour la plupart – à l'introduction du yoga – disons de certain yoga au cœur de la vie chrétienne. Il me paraît aujourd'hui que le principe de yoga chrétien est reconnu, nonobstant, de-ci, delà, quelques erreurs ou maladresses. »[32]

Comme le dit M. T. Maltèse, il entraîne les autres dans son sillage :

  • « Parmi ces autres, le père Goetmann, exégète orthodoxe. Lors d'une session sur saint Jean l'évangéliste, il me dit : “ Jean Déchanet est un homme complet qui m'a aidé à construire mon soubassement profond : l'enracinement de ma foi dans la liberté. À partir du réel, il dégage un enseignement humain fait de sagesse et d'intelligence concrètes. Son savoir est un savoir de vie savoureuse et d'amour… Il n'instaure pas de prière commune, mais sa vie en esprit et en vérité aide à la faire éclore.” »[33]

 

En plus de la revue trimestrielle "Les cahiers du Val", il publie des livres sur le Yoga : Journal d’un Yogi Tome 1 en 1967 et tome 2 en 1969 ; Va où ton cœur te mène. Au-delà du yoga en 1972 ; Oui à la vie. Vivant et libre en 1975 ; La Parabole de l'amour, votre corps, qu'annonce-t-il de votre âme ? en 1976 ; Itinéraire d'un rebelle en 1982. Marie-Thérèse Maltèse écrit Jean Déchanet, l'ermite du Valjouffrey en 1981[34].

J. Déchanet continue son travail sur Guillaume de Saint-Thierry et publie : Lettre aux frères du Mont-Dieu[35] [Lettre d’or] (de Guillaume de Saint-Thierry), Sources chrétiennes n°223, 444 pages (1975) ; Guillaume de Saint-Thierry, aux sources d'une pensée, Paris, Éditions Beauchesne, 1978, 150 pp. ; Le Miroir de la Foi (de Guillaume de Saint-Thierry), Sources chrétiennes n°301 (1983).

 

Automne 1990, à 84 ans, après 24 ans de séjour à Valjouffrey Dom Déchanet réintègre son monastère de Bruges. Il y meurt le 19 mai 1992.

 

IV – Bibliographie de J. Déchanet

 

Livres à propos de Guillaume de Saint-Thiery

  • Méditations et prières... (de Guillaume de Saint-Thierry) traduction par Déchanet, Bruxelles, Éd. Universitaires, 1945, 244pp.
  • Exposé sur le Cantique des Cantiques (de Guillaume de Saint-Thierry), Sources chrétiennes n°82 (1962). 420 pp.
  • Lettre aux frères du Mont-Dieu [Lettre d’or] (de Guillaume de Saint-Thierry), Sources chrétiennes n°223 (1975). 440 pp.
  • Le Miroir de la Foi (de Guillaume de Saint-Thierry), Sources chrétiennes n°301. (1983). 208 pp.
  • Guillaume de Saint-Thierry, aux sources d'une pensée, Paris, Éditions Beauchesne, 1978, 150 pp.

J Déchanet, Mon coeur et DieuLivres sur 'Yoga et vie chrétienne'

  • La voie du silence (yoga pour chrétien), Paris, DDB, 1959. 232 pp.
  • Yoga chrétien en dix leçons, Paris, DDB, 1964.
  • Journal d'un yogi, mon corps et moi, Paris, Le Courrier du livre, 1967. 153 pp.
  • Journal d’un yogi, mon cœur et Dieu, Paris, Le Courrier du livre, 1969.
  • Va où ton cœur te mène. Au-delà du yoga, Paris, DDB, 1972, 174pp.
  • Oui à la vie. Vivant et libre, Paris, DDB, 1975, 155pp.
  • La Parabole de l'amour, votre corps, qu'annonce-t-il de votre âme ?, Paris, DDB, 1976, 198pp.
  • Itinéraire d'un rebelle, Paris, DDB, 1982. 128 pp.

Les cahiers[36]

  • 1960- 1963. Les cahiers du Yog[37], édités au Kansénia, Afrique (8 numéros). [en 1962 il y a cent abonnés]
  • 1964-1965. Les cahiers du Yog (2 numéros) et Les cahiers du Yoga chrétien (4 numéros), édités à Nancy.
  • 1966-1967. Les cahiers du yoga, en 1966, (2 numéros) ; Les cahiers du yoga chrétien (2 numéros), édités à Valjouffrey et Nancy.
  •  1968-69 Revue du Yoga chrétien édité à Nancy (6 numéros)
  •  1968-1988. Les cahiers du Val (75 numéros) avec, entre 1971 et 1980 un supplément intitulé au début Eio, la vie ! (fascicules I à VI à part), le VII est le n° 51, le VIII est le n° 53. [en 1977 il y a plus de 800 abonnés]

Eio la Vie, le lotus aux mille pétales



[1] Comme on le voit dans le II, Jean Déchanet a commencé à ouvrir son corps grâce aux cours par correspondance du Dynam Institut. Or c'est le cas aussi de Jacques Breton même s'il en a rarement parlé. À noter que dans la liste 2010 de la bibliothèque du Centre Assise créé par Jacques Breton, figurent les deux tomes du Journal d'un yogi de J. Déchanet, le Tome 2 (Mon cœur et Dieu) étant même en double, signe que J. Breton s'y est référé.

[3] Voir ses interventions sr le zen, et les messages où il parle du kinomichi.

[4] C'est moi, Christiane Marmèche, l'auteur du blog des Voies d'Assise, qui ai réalisé ce dossier-hommage. En 1978 et 1979, à une époque où je pratiquais le yoga –, j'ai participé avec mon mari à des sessions de juillet à l'ermitage du Père Jean (en 1979 nous avions avec nous Myriam qui avait trois mois). C'est un souvenir qui m'est cher, et je suis restée attachée à ce que faisait Père Jean, restant abonnée aux cahiers du Val. Sur internet on trouve peu de choses concernant Père Jean. Je signale un site sur lequel se trouvent des photos dont certaines me rappellent de bons souvenirs : https://yogafaith.org/christian-yoga-dechanet-breath-prayers-and-whole-worship/

[5] Journal d'un yogi, Tome 2 : Mon cœur et Dieu en epub ou PDF ; Yoga chrétien en dix leçons en PDF (https://www.furet.com/auteur/6172419/Jean+Marie+Dechanet)

[6] « Que tout votre être, l'esprit, l'âme et le corps, soit conservé irréprochable lors de l'avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ » (1 Thess, 5, 23)

[7] Journal d'un yogi, mon corps et moi, p.57.

[8] La traversée des illusions, Gallimard, 1977, p. 164-168

[9] Préface écrite au Katanga le 1er novembre 1957.

[10] Paru dans "Eio la Vie" 2ème partie, 1972, p. 51, à un endroit où il parle de sexualité. Il poursuit : « Entre 7 et 12 ans, bien sûr, j'avais fait comme tous les autres. Sur les foins, derrière les fagots. On dit les gars de la campagne plus vicieux que ceux de la ville. Ce n'est pas vrai. Ils voient, dans les cours de ferme, les animaux s'accoupler. On les appelle pour "tirer un veau". Ils ont plus d'occasions sans doute de s'isoler avec des filles. Mais, plus réalistes, moins entourés de mystère, leur "passion animale" est plus saine. »

[11] Le chef-d'œuvre de Guillaume, son testament, c'est, en 1144, la Lettre aux frères du Mont-Dieu, écrite à l’occasion d’un voyage fait vers 1144 dans une chartreuse récemment fondée, dont les frères sont en butte à la critique. Guillaume meurt en 1148. Son succès est immense : sous le nom de saint Bernard, l'opuscule pénétrera tous les milieux, religieux, cléricaux, universitaires aussi (les manuscrits connus : plus de 270, en font foi) de l'Europe.

[12] M-T Maltèse, p. 70

[13] Jean François Louis Chardon (1595-1651), religieux dominicain, théologien mystique français, auteur spirituel connu pour son ouvrage La Croix de Jésus.

[14] Il s'agit du Dr De Poorter, grand mutilé de la guerre 14-18.

[15] Les cahiers du Val 71, p.16.

[16] M-T Maltèse, p. 78.

[17] Le texte complet de l'article est paru dans Les cahiers du Val, fascicule 55, été 1981.

[18] Dans cahiers du Val 57, p. 7, il dit qu'en août 1955 il a écrit une trentaine de pages et les a données à Francis Mahieu, un moine de Chimay qui va faire un séjour en Inde dans l'ashram du Père Monchanin.

[19] À la suite de l'article paru dans la Vie spirituelle, un mois après, un éditeur est venu voir J. Déchanet : : « Un beau jour surgit l'importun : un éditeur parisien qui avait eu vent de mon étrange expérience. Il m'expliqua longuement qu'il était urgent de partager libéralement ce que j'avais découvert. Le Yog avait, depuis quelque temps, passé les frontières. Il avait, à Paris et aux alentours, ses propagandistes, plus ou moins éclairés, plus ou moins conscients du dépaysement qu'imposait la pensée latine la sagesse, la philosophie du Yog. Mon expérience devait aider à voir plus clair. Elle était appelée surtout à lever les barrières, à rassurer et à guider les chrétiens engagés… Je me laissais faire. Trois mois après la visite de l'éditeur, le livre était prêt. Un dominicain de mes amis en censura quelques passages. Et dès 1956, La voie du silence se mit en vente, sous un anonymat prudent… » (Cahiers du Val n° 43, p. 91-92)

[20] Note 2, La Voie du silence 3e édition, p. 14

[21] « La contemplation c'est la Croix, l'isolement, l'incompréhension, ce sont ces mains largement tendues pour recevoir de manu Domine tout ce qu'il lui plaira. Les Maîtres antiques peuvent nous aider (car ils ont connu cela) mais à nous de faire la synthèse de tant de contradictions qui viennent peupler notre vie. » (Lettre de J. Déchanet à T. Merton, 12 mars 1961)

[22] Cf. Les cahiers du Val 71, p.  23.

[23] « Mon expérience africaine m'a tout appris de l'institution. Celle qui m'avait accueilli et que j'aimais, n'a pu me trahir que parce qu'elle trahissait, depuis toujours, sa mission. Lâché par elle j'ai mieux compris que – lentement modelé par elle – je pouvais et je devais apprendre à me passer d'elle. Ce fut, non pas difficile, mais éprouvant. Les premiers mois de liberté, ici, au Val, furent autre chose qu'une libération effective. Le filet était rompu ; je ne savais pas encore voler. Certaine angoisse, divers scrupules hantaient mes nuits. J'ai tenu bon, et pour finir je suis toujours bénédictin ! » (Cahiers du Val 51, p. 5)

[24] Père Jean a parlé de cette rencontre à Valjouffrey. « La revue Ecclesia avait raconté l'aventure d'un moine bénédictin qui s'employait, depuis quelques ans à ressusciter chez nous la vie érémitique, si populaire et si féconde au temps même de saint Benoît et si méconnue aujourd'hui. […] Voici le Père Grummel. Il a lu mes livres et semble s'intéresser à ce Yoga qui réhabilite la nature et ouvre un chemin vers Dieu. “ Vous cherchez une solitude ? Inutile d'aller plus loin. Il y a là-haut tout ce dont vous pouvez rêver : un chalet avec l'eau courante, il sera libre dans deux jours. La religieuse qui l'habite veut une plus grande solitude.… Elle va s'installer au Désert, dans un chalet tout semblable, mais beaucoup moins confortable.” » (Cahier du Val 63, p. 36). Dans le village « résidait il y a 10 ans un moine ermite, le père Vernay. Bénédictin d'En Calcat, ce solitaire avait pris sur lui de faire revivre en cette contrée prédestinée – on est tout près des hauts pâturages où vint pleurer Notre-Dame de la Salette – une des formes, un des aspects, trop oublié aujourd'hui de la vie monastique : l'érémitisme. À cet effet il a pu planter, au prix d'efforts inouïs, en la vallée de Valjouffrey, un certain nombre d'ermitages, simples chalets de montagne, bien à l'écart dans les bois ou les clairières… » (Cahier du Val 58, p.19). Le Père Vernay a créé la Société civile immobilière de Valjouffrey pour l'achat des matériaux et la location des terrains. Le jour où Jean Déchanet vient avec ses cousins, le père Vernay est absent, il tombe sur le Père Grummel qui loge à l'hôtel du village et a lu ses livres.

[25] Un réservoir assez vaste domine l'ermitage. Il est alimenté par une conduite d'eau de plusieurs kilomètres qui traverse, sur une centaine de mètres, la dépression du Béranger. Le problème c'est que, aux premières gelées la conduite est prise. Et plus d'une fois cette conduite a été endommagée, Père Jean a dû aller la réparer.

[26] La neige tombe dès novembre, Père Jean a donc emménagé à un moment assez difficile où le thermomètre la nuit peut descendre à – 15…. Il signale quatre problèmes en plus des problèmes éventuels de conduite d'eau : aller récupérer du bois pour le poêle ; se ravitailler (il n'y a aucun marchand au village, un fourgon communal prend les commandes deux fois par semaine et rapporte d'Entraigues juste ce qu'il faut pour ne pas mourir de faim) ; recevoir le courrier (le facteur passe entre 9 et 10 h, Père Jean récupère son courrier chez une femme du village) ; dégager la piste qui descend au village quand il y a de la neige ou qu'il y a du verglas. Vers la fin de sa vie à Valjouffrey, il dit qu'il a vu passer une trentaine de prétendants à être ermites dans l'un des chalets créés par le Père Vernay – il y a en tout 4 ermitages plus 2 résidences un peu plus vastes – mais qu'ils n'étaient que deux à s'être vraiment installés (lui et sœur André arrivée ans avant lui et qui est à l'ermitage du Désert).

[27] « Gérard cherchait sa route. Après le séminaire, après un voyage à Boquen avec Dom Alexis, et une expérience avec Lanza del Vasto, il arrive ici, pendant le carême de l'année 1965. Il partage avec moi l'ascèse et la solitude. Il me dépassait en vigueur et fermeté. Nourri des idées de Dom Alexis, je craignais qu'il glissât dans notre vie ce côté dur, presque inhumain, de l'ascèse pratiquée à Boquen. » (M-T Maltèse, p. 111)

[28] A partir de ce moment, Jean Déchanet est appelé "Père Jean" dans ce dossier.

[29] Dans Les cahiers du Val de l'été 1987 Père Jean parle d'une fête qui vient d'avoir lieu là-bas où il est présent ainsi que Gérard Charrier. Le lien de Père Jean avec le CLY a donc duré jusqu'au bout.

[30] Les cahiers du Val 57, p. 25.

[31] M-T Maltèse, p. 30. En fait Jacques Goetmann n'a animé qu'une session.

[32] Les cahiers du Val 69, p.3.

[33] M-T Maltèse, p. 29-30

[34] Dans ces années-là il est en lien avec Jean Sulivan qui le pousse à publier, et à se laisser interviewer.

[35] J. Déchanet y travaille depuis avant l'Afrique, mais n'a pu reprendre qu'à son ermitage : « C'est en mon chalet que je pus remettre sur le chantier l'édition définitive – latin- français – du chef d'œuvre de Guillaume : La lettre aux frères du Mont-Dieu (1975). J'avais sous la main une centaine de manuscrits et j'avais pu les classer par familles. Dur et passionnant travail ! Il m'avait tenu en haleine durant trente ans ! » (Cahiers du Val, fascicule 66, p.27).

[36] Leur histoire est racontée dans Les cahiers du Val, fascicule 47, été 1979.

[37] « Nous appelons YOG la discipline qui est à la base du Yoga, des nombreux Yogas de l'Inde. Nous distinguons ainsi le principe fondamental de ces applications concrètes, et surtout de tel ou tel système philosophique dont il peut être solidaire en Orient. » (Cahiers du Val 56, p. 3.

 

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