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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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10 juin 2022

“De la voie taoïste à la voie christique”, interview de François Cheng pour la revue Prier en 2020

Pour honorer l'apellation "voie chrétienne" qui est le titre de cette catégorie du blog dans lequel se trouve ce message, voici des extraits d'une interview (en accès gratuit) parue sur le site de la Vie, réalisée pour la revue Prier, une grande partie étant parue dans le numéro 419 de mars 2020 (voir note [1]). Voir le reste de l'interview sur https://www.lavie.fr/christianisme/temoignage/francois-cheng-revient-sur-son-itineraire-spirituel-2937.php.

En annexe a été ajouté un extrait du discours prononcé par F. Cheng devant l’Institut Catholique de Paris qui lui a décerné en 2007 le titre de "docteur honoris causa", il y dit que que le Christ est « le bien absolu répondant au mal radical ». Dans la partie de l'interview non mise ici il en parle.

François Cheng parle ici de "voie christique" en se réfèrant à ce que dit Jésus en Jean 14, 6 : « Je suis la voie, la vérité, la vie », mais on peut aussi se référer au nom qui désigne à quatre reprises les premiers chrétiens dans les Actes : "quelques-uns de la Voie" (Ac 9, 2), voir aussi Ac 19,9 et 23, et Ac 24, 22.

Voici la photo du début de l'article paru dans La Vie, n° 3973, Les Essentiels, jeudi 21 octobre 2021, et reprenant l'article de Prier n° 419.

Du tao à la voie christique, La Vie n 3973, 21-10-2021

 

François Cheng :

“De la voie taoïste à la voie christique”

Extrait de l'interview réalisée par François Huguenin (revue Prier)

 

(...)

Dans quelle culture spirituelle avez-vous baigné en Chine ? Était-ce le confucianisme ? Ou plutôt le taoïsme ?

La Chine dans laquelle j’ai grandi a été dominée très tôt par 2 courants de pensée majeurs : le taoïsme et le confucianisme, apparus vers le VIe siècle avant notre ère. Le taoïsme, légèrement antérieur, déploie une vision du cosmos à partir du concept de tao (voie). Il situe l’homme par rapport à l’univers vivant, animé par le souffle primordial. Le confucianisme, tout en emprun-tant les éléments du tao, cherche à fixer des règles d’harmonie pour l’organisation sociale.

Le premier courant met l’accent sur l’individu habité par le besoin de liberté, et le second sur les obligations de l’individu inséré dans la société. Ces deux visions sont donc en opposition tout en se complétant, en sorte que, par la suite, nombre de lettrés ont été adeptes des deux dans leur manière de vivre leur relation avec la société et avec la nature. Un troisième courant, le bouddhisme, a été introduit en Chine presque 1 000 ans plus tard.

 

Quelles ont été les circonstances de votre départ et comment avez-vous appris la langue française jusqu’à l’écrire de façon si poétique et ciselée ?

Je suis venu en France en 1948, parce que mon père participait à la fondation de l’Unesco. Débarqué à Paris à près de 20 ans, sans connaître un mot de français, l’apprentissage de cette langue est devenu la grande affaire de ma vie. Cet apprentissage avait pour but non seulement de me débrouiller dans la vie pratique, mais aussi d’en faire l’outil sacré de ma création. Ce fut une très longue lutte – dix ans, vingt ans, trente ans – parsemée de rudes épreuves. Que de moments de découragement, pour ne pas dire de désespoir ! Un jour pourtant, tel un marcheur qui, après une interminable traversée du désert, débouche sur une vallée verdoyante, j’ai éprouvé l’indicible sensation de félicité de renommer toutes choses à neuf, comme au matin du monde. Je faisais enfin corps avec le français !

 

(...)

 

Quel jeune homme étiez-vous ? On vous imagine inquiet, fortement affecté par le monde qui vous entoure, peut-être pas encore l’homme sage que vous êtes devenu…

Enfant hypersensible, j’ai été cependant un écolier puis un élève appliqué, cela jusqu’au bac. Au-delà, je n’ai plus réussi d’examens. Je devenais un inadapté et un tourment pour mes parents, à la suite d’une longue fugue que j’avais faite. Incapable de choisir des études, de me débrouiller correctement dans la vie pratique, je me voyais pour toujours être en marge, tenaillé par l’angoisse existentielle.

Les blessures que j'ai causées me font éprouver une tendresse immense pour ceux qui souffrent.

Dans cette seconde moitié de ma vie, je suis profondément travaillé par les remords, à cause des blessures reçues et des blessures causées aux autres. Même maintenant, maintes fois, par inconscience ou maladresse, je blesse encore. D’où, chez moi, une compréhension et une tendresse immense pour tous ceux qui souffrent.

Une seule constance dans ma vie : à partir de 15 ans, un confus mais ardent désir d’écrire. Un chant en moi, enfoui, tenace, qui cherche sans relâche à s’exprimer.

 

Vous avez reçu le baptême en 1969, mais vous ne vous déclarez pas catholique ni chrétien. Vous affirmez avoir choisi « la voie christique », qu’est-ce à dire ?

Je n’ai jamais refusé qu’on me considère comme un chrétien ou un catholique. Simplement, il y a le fait que cette appellation offre, dans l’esprit des gens, une image souvent trop conventionnelle, trop figée. Je viens de très loin. J’éprouve le besoin, vraiment vital, de cerner de plus près une compréhension et un vécu particuliers. Il n’y entre aucune recherche prétentieuse d’une singularité. Au contraire, en toute humilité, par l’affirmation plus exacte de ma vérité, je m’oblige à une manière de vivre au ras de l’humus, sans affichage, sans étiquette.

 

Comment conciliez-vous la voie du tao et le Christ ?

Je viens de loin, ai-je dit. Je portais en moi la vision du tao, « la voie », vision d’un univers vivant en devenir, animé par le qi, le « souffle-esprit ». Plus tard, bien plus tard, après avoir connu les extrêmes conditions humaines, lorsque j’ai entendu l’affirmation du Christ : « Je suis la voie, la vérité, la vie », j’ai reconnu là une « voie incarnée » qui donne vérité et vie à la voie taoïste qui m’habitait. De la voie taoïste à la voie christique, il n’y eut aucun renoncement ; une authentique ouverture est offerte, qui permet avancement et accomplissement. « J’ai embrassé la voie christique », voilà la formule la plus juste, en ce qui me concerne.

 

(...)

 

« L’âme est le lieu de l’unicité de la personne », dites-vous. Toute votre œuvre n’est-elle pas une écoute du battement du cœur, de la vibration de l’âme ? Est-ce que cela ne vous a pas conduit à écrire dans une langue de plus en plus sobre comme dans vos quatrains (Enfin le royaume, Gallimard, 2018) ?

La base et le sommet de ma création, s’il m’est permis de le dire, est la poésie. À force d’affronter l’écriture et le temps, à force d’élagage et de dépouillement, l’âme irréductible du poète parvient à ce langage essentiel que tente de définir le quatrain suivant :

  • « Mais il reste la nuit /
    Où la braise en souffrance /
    Épure mille charbons /
    En unique diamant. »

 

(...)

 

Vous avez écrit Cinq méditations sur la mort. La mort qui nous attend tous est le dénuement par excellence. Comment la percevez-vous ?

Au niveau de l’existence terrestre, c’est la conscience de la mort qui suscite en nous l’élan vers la vie, qui nous pousse à vouloir créer afin de nous dépasser. C’est aussi la mort qui permet à l’ordre de la vie de se renouveler, qui donne à toute vie une chance d’accéder à la transformation, voire à la transfiguration. En réalité, la mort physique est une loi imposée par la vie même. La vie a primauté sur la mort, et non l’inverse. La vie est-elle un fruit du hasard, un épiphénomène ?

Beaucoup d’astrophysiciens s’extasient en exaltant la splendeur de l’Univers, tout en qualifiant nos existences de « poussière d’étoiles ». L’un d’entre eux, Stephen Hawking, a eu le mérite de dire : « Cet Univers, au fond, ne serait pas intéressant s’il n’y avait pas des êtres qu’on peut aimer. » L’aboutissement de la Création n’est pas l’univers physique, mais la vie, qui est l’unique aventure en devenir – la voie – dont nous faisons partie. Sans notre regard éveillé et notre cœur battant, toute la splendeur d’aurore et tout le ciel étoilé seraient vains.

Que ressentez-vous devant cette ultime échéance ?

Je porte en moi tant de deuils d’êtres chers et tant de mes propres expériences de mort… Cependant, d’avoir été bouleversé tant de fois devant la gloire de la Création suffit à m’emplir de gratitude. Le mot qui me vient aux lèvres est : merci !

                                             

 

ANNEXE ajoutée

Né à Nanchang en 1929, F. Cheng vit, enfant, les horreurs de la guerre sino-japonaise et celles de la guerre civile chinoise. Il n’a pas 20 ans lorsqu’il se retrouve seul à Paris – sa famille s’est exilée aux États-Unis, lui veut rester même s’il ne parle pas un mot de français.

 

Extrait de son discours à l’Institut Catholique de Paris, 16 octobre 2007 :

  • « Je suis cet être qui a vécu tout au long du xxe siècle. J’ai été témoin, directement ou indirectement, d’événements tragiques qui ont contribué à creuser l’abîme pour ainsi dire sans fond de la condition humaine. […] À un moment donné, j’ai compris qu’au sein de l’humanité, il avait fallu que quelqu’un vînt pour dévisager le mal absolu et envisager le bien absolu [et] les prendre en charge, cela au prix de sa vie, offerte comme un don total, afin de démontrer que le bien absolu est possible, que l’absurdité et le désespoir ne sont pas notre issue. C’est ce qu’on appelle une vérité incarnée ; c’est ce qu’a accompli le Christ, en qui le bien absolu s’était manifesté comme amour absolu. Ce qu’il a accompli est proprement sur-humain […].
    Que cet accomplissement fût porté par le divin, qu’il révèle par là la part divine de la destinée humaine, c’est une vision que j’accepte aussi. C’est dire que j’épouse volontiers la voie christique. Mon engagement relève de l’adhésion et non de la « croyance ». […]
    Cela est-il en contradiction avec ma vision cosmologique de base, laquelle venait de la grande intuition taoïste ? Nullement. […] Dans cette vision qui m’est native, je me sens charnellement en connivence avec l’univers vivant ; je ne l’abandonnerai pas et je n’ai pas à l’abandonner. Elle me permet au contraire de vivre pleinement la voie christique, celle par laquelle la destinée humaine est portée à son plus haut degré d’exigence et de réalisation ».

 



[1] Cet article est paru dans Prier, numéro 419 de mars 2020, mensuel composé de deux supports. Son livret Prier au quotidien offre l’Évangile du jour, et les lectures de la messe du dimanche. Le magazine présente reportages, témoignages de foi, formation à la vie intérieure grâce à des chroniqueurs comme Martin Steffens, Anselm Grün, Patrice Gourrier, sans oublier la dimension culturelle avec la présentation de films, œuvres d’art, livres… Ces deux supports constituent ensemble le seul titre de presse qui couvre tous les aspects de la vie spirituelle. Pour s'abonner, rendez-vous sur le site de Prier.

L'article a été repris sous le titre "Du tao à la voie christique" dans La Vie, no. 3973 Les Essentiels, jeudi 21 octobre 2021.

N'ayant pas demandé à La Vie l'autorisation de reprendre l'ensemble de l'interview, je n'ai mis que des extraits (l'ensemble figure sur https://www.lavie.fr/christianisme/temoignage/francois-cheng-revient-sur-son-itineraire-spirituel-2937.php ). D'autres articles où François Cheng est interviewé sont réservés aux abonnés de la revue, voir https://www.lavie.fr/papier/2014/3607/agrave-voix-nue-franccedilois-cheng-19663.php

 

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