Charlotte Jousseaume, écrivain et poète : écouter en profondeur
Sur son site, C. Jousseaume se présente ainsi : "Écouter en profondeur".
Elle a publié Le silence est ma joie (Albin Michel 2010), Quatuor mystique (Cerf 2017), Et le miroir brûla (Cerf 2018) et J'ai marché sur l'écume du ciel (Salvator 2022). Depuis 2017 elle écrit assez souvent dans le mensuel La Vie[1]. Sur son site on trouve de nombreuses propositions d'ateliers ou de sessions : https://charlotte-jousseaume.fr/index.php/ateliers .
Au Centre Assise elle co-animera à Saint-Gervais la session Naître à 2023 « Entrevoir la lumière dans la nuit » du jeudi 29 décembre 2022 (19h) au dimanche 1er janvier 2023 (14h). et elle animera la session Maturité et fécondité de l’être (écriture) du vendredi 5 (19h30) au lundi 8 mai (17h) 2023.
Pour une première approche voici deux textes.
- L'extrait de J’ai marché sur l’écume du Ciel qui figure sur le site d'Assise.
- " Hêtre pleureur", texte paru dans la Vie il y a trois ans, le jeudi 21 novembre 2019
1. Extrait de J’ai marché sur l’écume du Ciel
Dans toute vie, vient le temps de la maturité où le soleil décline pour bientôt se coucher, et où l’attention tournée vers l’extérieur doit laisser place à l’attention tournée vers l’intérieur. Il s’agit de se concentrer, au lieu de se décentrer. Il s’agit de se consacrer, dans toute sa complétude, à ce lent cheminement sans chemin balisé vers le château intérieur. Je crois qu’au moment de la mort, le fruit spirituel de l’être contenu dans le cœur de chair se détache, comme le silex de la falaise, pour être poli dans les eaux du Ciel. À nous devenir une seule chair et de descendre dans notre cœur, de notre vivant, pour fructifier et nous préparer à ce détachement. Qui ne chemine pas vers soi est en danger de se perdre !
2. Hêtre pleureur (fin novembre)
Il commence à faire de plus en plus froid, et les jours se font courts. Comme chaque année, à la mi-novembre, l'automne m'invite à vivre le flux et le reflux, à accorder ma vie spirituelle au rythme vivant des saisons. Je sais qu'il est temps pour moi de fermer mes cahiers d'écriture. L'essentiel ne se joue plus à la surface de la page, mais dans mes profondeurs. Comme la femme-montagne des légendes du Nord, je me fais ventre maternel pour enfouir et garder au chaud en moi le soleil. C'est là, en mon cœur, que la vie va me travailler, ces prochains mois, en silence. Pour que rejaillisse à Pâques Sa lumière.
Le face-à-face avec l'Amour
Notre chemin de vie n'est jamais tout tracé. Parfois, nous butons sur l'adversité, et nous nous fixons un temps dans un face-à-face avec elle. Parfois, nous nous émerveillons de l'Amour et nous nous asseyons, au bord de la route, pour le contempler dans un face-à-face. Ce face-à-face avec l'Amour n'est pas fait d'œillères qui diminuent notre champ de vision. Il est au contraire une invitation à regarder la vie amoureusement dans toutes ses dimensions, à élargir notre champ de vision à 360°. Ne pas prêter attention, ignorer une dimension de soi ferment parfois le chemin de la vie, au lieu de l'ouvrir à la Vie.
Un miracle de la miséricorde
Ces dernières semaines, c'est un hêtre pleureur qui me l'a rappelé, ouvrant mes yeux à la surface des choses, avant que je ne les referme sur moi. J'avais, au cœur de l'été, admiré son port et son feuillage. Et voilà que je l'ai vu perdre ses feuilles et mettre ses branches pleureuses à nu. Du coup, je me suis tournée vers tous les autres arbres, pour les voir en leurs branches. Je me suis mise à lire leur histoire dans leurs branches petites ou grandes, droites ou tordues, vivantes ou mortes, naturelles ou cultivées. Des branches qui racontent le vent, l'ombre et la main des hommes : leur histoire singulière. J'aime écrire pour louer cette montée de sève qui nous fait tous nous élancer vers le ciel, nous mettre en feuilles pour nous nourrir de la lumière, devenir source de vie et fruit spirituel. Or ce hêtre pleureur, en maître, m'a permis de comprendre, dans sa nudité, à quel point cette vie spirituelle en nous est un miracle de la miséricorde. Comme les branches des arbres, je suis tordue, ployée, voire cassée en mon être. Je suis aveugle et boiteuse, et pourtant, je vois et je marche. Mieux, je reste une aveugle "qui" voit, une boiteuse "qui" marche. Toute tordue, ployée ou cassée, je fais miséricordieusement fruit. Une année, j'ai vu un jardinier greffer un arbre fruitier. Une fine entaille pour ouvrir l'arbre porte-greffe, un greffon de quelques centimètres, et de quoi maintenir l'ensemble le temps que les écorces s'unissent. Le baptême n'est-il pas une greffe ? L'Esprit de miséricorde nous ouvre à la Vie. Nous recevons en nous un greffon de l'arbre du Christ, ce Juste « planté près du ruisseau et qui donne son fruit en son temps » (Psaume 1). En Lui, avec Lui et par Lui, nous donnons peu à peu des fruits, non d'injustice, mais de justice. Nous laissons notre nouvelle sève s'allier à la lumière. Nous faisons œuvre de lumière.
Le Christ travaille en nos vies
Face à cet hêtre pleureur, je me suis dit que le Christ est le Jardinier : il sait nous émonder. Les branches émondées en nous, ce ne sont pas les branches vives, cassées par le vent, qui deviennent une lourde croix de bois à faire porter par les autres branches. Les branches émondées en nous, ce sont plutôt les branches qui nous entraînaient vers l'abîme - nos erreurs, nos endurcissements, nos plaintes amères, nos lourds chagrins - et qui, par le doigté du Christ, sont coupés de nous, formant Sa croix de gloire. Qui ne s'est pas réveillé, un matin de Pâques, allégé de ses fautes, couvert de fleurs aux branches ?
[1] Son dernier texte de novembre 2022 est accessible sur https://www.lavie.fr/ma-vie/spiritualite/charlotte-jousseaume-il-est-vrai-que-les-vivants-et-les-morts-sassemblent-dans-une-communion-des-saints-84840.php