Sur le thème du HARA (debout ou en zazen), extraits du livre Méditer de K-G Dürckheim
Le mot hara vient du japonais et signifie "ventre". Mais quand on parle du hara à propos du zazen ou à propos d'arts martiaux comme l'aikido et le kinomichi, c'est assez subtil. Dürckheim a tendance à le localiser en un lieu du corps, le situe aussi dans les quatre dimensions (cf. Position juste entre le ciel et la terre et en relation avec le monde), et il insiste pour dire que le hara concerne l'ensemble des gestes, des actions et des attitudes qui ont pour fondement, le point d'appui qu'est le hara.
- Le premier extrait de Méditer propose d'abord un exercice en position debout, puis élargit. Les titres ont été ajoutés.
- Le deuxième extrait concerne le zazen
Pour compléter ce qui est mis ici on pourra lire le livre Hara de Dürckheim publié au Courrier du livre.
Sur le thème du HARA
Deux extraits de Méditer de K-G Dürckheim
I – Première approche du hara
(Méditer, 2e partie, A – ch 2, a et b)
Le mot « hara » vient du japonais et signifie littéralement "ventre". Son sens transposé est celui d’une disposition d’ensemble de l’homme dans le corps qu’il est. Cette attitude, libre de l’emprise du petit moi, est sereinement ancrée dans son centre terrestre (région de l’abdomen et du bassin). S’il possède le hara, l’homme est capable de faire face, facilement et avec sérénité, aux exigences du monde aussi bien qu’à celles de la voie intérieure.
Le hara élimine les obstacles sur la route des réalisations existentielles comme sur le chemin du progrès intérieur. Il assure le rythme de la respiration naturelle et le tonus juste, au-delà de la rigidité comme du relâchement.
● Exercice en position debout.
L’expérience nous apprend que la meilleure marche à suivre pour trouver et exercer le centre de gravité juste consiste en ceci : l’élève se tient debout, ferme et bien droit, les jambes un peu écartées, les bras pendant en souplesse le long du corps, le regard vers l’infini, dans la position que sa condition humaine lui confère : debout et libre, porteur de lumière.
Il est important pour l’élève de toujours partir de cette position fondamentale, tout à fait naturelle : il repose en soi- même avec fermeté et, en même temps, il est relié au monde. Il ne doit pas penser tout d’abord au ventre, à la région lombaire, etc. Plus tard, en se tenant dans cette bonne position d’ensemble, il pourra sentir, du dedans, chaque partie de son corps, en partant de son centre de gravité et en revenant vers lui.
L’exercice du hara consiste à « prendre pied » d’abord consciemment. La sensation dirigée vers les pieds, l’élève prend de plus en plus conscience de ce qu’il éprouve réellement là où ils sont. Il sent le poids qui pèse sur eux s’enfoncer plus profondément dans le sol avec chaque expiration. A travers ses pieds il sent la terre, il sent son propre poids et le fait porter alternativement sur les talons, les orteils et la plante des pieds. Il se sent grandir en tendant vers le haut, depuis la région de l’abdomen et du bassin jusqu’à la racine des cheveux. Le sens de l’enracinement est celui d’une croissance que rien ne contrarie.
Pour développer le hara, il faut se servir consciemment de la respiration naturelle : l’élève écoute sa respiration, la façon dont elle va, va, va, vient — va, va, va, vient, et il utilise le commencement de l’expiration pour se lâcher dans les épaules. Non pas lâcher les épaules, ni surtout les tirer vers le bas (ce serait alors seulement un mouvement du corps) mais se lâcher lui- même, par le corps qu’il est, dans les épaules.
Un second mouvement suit le premier : « se poser ». A la fin de l’expiration on se pose, on « s’établit » dans le bassin. Lâcher prise en haut et s’établir dans le bassin sont deux aspects d'un seul mouvement, mais pour le débutant ils ne glissent pas du tout naturellement l’un dans l’autre. Pour s’en rendre compte il suffit de lever d’abord les épaules, puis de se lâcher dans le haut du corps : on constatera que rien ne s’est encore passé dans la région de l’abdomen et du bassin : la contraction y est restée la même. Il faut donc quelque chose de plus pour s’y établir. Souvent l’élève est plus ou moins capable de détendre le buste mais il ne peut pas encore prendre appui avec confiance dans le bassin, sans se courber. Il faut qu’il apprenne à observer que, non pas le buste seul mais aussi tout l’abdomen sont chez lui dans un état de contraction qui résiste à la détente. La peur d’entrer réellement en contact avec le sol — peur qui coupe l’homme des forces cosmiques — apparaît ici. Une crispation de la zone abdomen-bassin, siège compris, exprime le manque de sérénité, la peur devant la vie. C’est aussi le signe de nombreux refoulements, en particulier d’ordre sexuel. Une région abdominale et lombaire contractée est souvent, dans le corps que l’on est, un obstacle capital sur le chemin initiatique. Cela paraît bizarre à un homme qui croit pouvoir avancer spirituellement sans transformation corporelle. En prêtant attention à la raideur qui bloque sur elle-même la zone abdomen- bassin, on est amené à remarquer une habitude invétérée : celle de chercher la sécurité en se retenant à la zone du moi. Plus tard l’entraînement à l’exercice permet de fondre en un seul le mouvement de détente des épaules et celui de l’appui dans le bassin. Mieux l’élève saisit l’importance de celui-ci et apprend à le sentir physiquement, plus il se rendra compte qu’il retombe constamment dans le défaut qui consiste à crisper les épaules et à se retenir à la zone du buste : en un mot la détente est encore bien loin.
Il ne faut pas minimiser l’influence de la région abdominale et lombaire sur l’attitude fondamentale de l’homme. La raideur de cette région équivaut à un blocage de toutes les fonctions. De plus l’homme se sépare ainsi des forces cosmiques. Il n’existe aucune maladie, aucune souffrance psychique, dont la guérison ne soit liée à une libre détente de la zone abdomen- bassin.
Un troisième mouvement, par lequel l’homme réalise son unité avec le sol, complète l’ouverture de cette région. Pour que se développe le hara, centre terrestre de l’homme, il faut « admettre » le ventre. Ce centre ne comprend pas exclusivement le bas-ventre mais toute la zone du bassin, reins, région lombaire et siège compris. L’élève a l’impression de prendre de plus en plus la forme d’une poire, ou d’une pyramide. Il se sent largement enraciné dans la terre. Bien sûr, il ne faut pas qu’il se contente de laisser pendre le ventre et encore moins de le gonfler et de le bomber. L’attitude juste consiste à donner un peu de force dans un bas-ventre souple et « accepté » sans complexes. Il importe de sentir cette force de la zone-racine, c’est-à-dire du bas-ventre, de la région lombaire et du tronc entier. On peut encore accroître la conscience de cette force en appuyant le poing, lentement et profondément, dans le ventre, sous le nombril. Ensuite, les épaules restant souples et le reste du corps strictement immobile, on avance la musculature du ventre et on repousse d’un coup sec le « poing intrus ». Si, le ventre laissé dans cette position, on peut tambouriner énergiquement dessus sans que cela fasse mal, la position est ferme et rien ne peut vous renverser.
Cette position comporte pourtant encore une erreur : le creux de l’estomac reste contracté. C’est pourquoi il faut, tout en gardant le bas-ventre légèrement tendu, rendre sa souplesse au creux de l’estomac. D’ailleurs la tension abdominale, assez accentuée aux moments de danger et pendant l’exercice, diminue normalement jusqu’à ne plus être qu’un léger tonus musculaire qui reste permanent. On se sent alors à la fois souple et fermement ancré « en bas » dans le centre de gravité juste.
● L’attitude fondamentale juste en toute position.
A la question : quand faut-il exercer le hara ? la réponse est : toute la journée. Hara caractérise l’attitude fondamentale juste. Il n’y a pas de totale vigilance, pas de libre présence, sans un enracinement dans le centre de gravité juste. Que l’on soit debout, assis ou en marche, droit ou appuyé, que l’on se meuve vite ou lentement : hara ! Être dans le hara c’est recevoir de l’énergie et ne pas la dépenser inutilement.
Sur le chemin initiatique, il importe de maîtriser le hara parce qu’il fait disparaître à la fois le mauvais centre de gravité (situé trop haut) et la suprématie du petit moi. L’élève qui possède le hara voit se dégager ainsi le chemin qui mène à la perception de l’être essentiel, bloqué auparavant par le moi. Quelle que soit sa forme — depuis le petit moi, en passant par le moi existentiel libéré de l'égocentrisme jusqu’au moi véritable qui porte témoignage à la conscience du Soi en l’être essentiel — le moi a toujours une correspondance corporelle. Mais, en tant que mode conscient de lui-même de l’existence humaine, il est toujours aussi une façon particulière de s’incarner dans le corps que l’on est. Il n’existe pas de réalité spirituelle sans une formule de structure qui lui corresponde. L’idée la plus fugitive provoque une variation physique — le simple fait, par exemple, de penser à une des voyelles amène la sensation d’une forme intérieure différente du corps que l’on est. De même, l’état d’esprit initiatique, lui aussi, détermine une certaine façon physique d’exister et, réciproquement, celle-ci facilite et affermit cet état d’esprit. A l’attitude fondamentale initiatique correspond une disposition du corps qui réduit le pouvoir d’un moi opposé à la découverte de l’être essentiel. Un homme qui « monte comme une soupe au lait » est bien éloigné de l’attitude initiatique fondamentale. Celle-ci implique à l’égard du monde un calme contrôle que le hara seul rend possible. Acquérir le hara, c’est à la fois élargir, approfondir et élever son horizon jusqu’à une dimension spirituelle. Sans hara on ne peut transcender une vision existentielle limitée à l’espace vital du petit moi.
● Position juste entre le ciel et la terre et en relation avec le monde.
Un maintien juste, c’est-à-dire ancré dans le centre de gravité exact, engendre toujours une relation juste à la verticale et à l’horizontale. La stabilité verticale dépend de la force d’enracinement, de la largeur et de la fermeté de l’horizontale. Une image adéquate de celle-ci, en particulier pour la bonne position de l’assise, est la masse des racines, la souche. Par elle l’arbre pousse ses racines toujours plus profondément et plus largement dans la terre, tandis que sa cime s’élève toujours plus librement vers le ciel.
Une tenue exacte se manifeste dans la position juste de l’homme entre le ciel et la terre et dans sa relation fondamentale avec le monde. De ce maintien dépend le degré d’indépendance, la façon juste d’être ouvert ou fermé, ou au contraire d’être, stérilement, livré au monde sans défense ou emprisonné en soi-même.
Une vie pré-initiatique propre à épanouir normalement le moi comporte naturellement déjà l’entraînement à un maintien juste. L’exercice de celui-ci ne se pratique pas dans le même esprit si le but de l’élève est le contact avec l’être essentiel, qui est caché par une attitude fausse et rendu accessible par une attitude juste. L’obstacle qui s’oppose à celle-ci dans le domaine de l’efficacité — le moi qui oscille entre la contraction et le relâchement — empêche aussi le contact avec l’être essentiel et sa manifestation en une forme juste.
Le hara, exercice préparatoire et contrôle de la forme, fait partie de la voie initiatique. En effet, celle-ci n’implique pas seulement l’expérience libératrice d’unité avec l’être essentiel, mais aussi la réalisation d’une personne humaine conforme à cet Être, capable de lui porter témoignage dans son combat avec le monde.
II – LE ZAZEN
(Méditer, 2e partie, B, début du ch. I)
La pratique de l’assise est l’exercice fondamental sur la voie initiatique. La première image qui se présente à l’esprit quand on pense à la méditation est donc celle d’un moine assis, sans mouvement, abîmé en lui-même. L’assise, dans une immobilité et un recueillement parfaits, est l’exercice sur lequel se fonde toute vie méditative.
A propos de cette assise, de nombreuses questions se posent. Existe-t-il une posture juste et d’autres fausses ? Est-il nécessaire de s’asseoir par terre ou bien le résultat sera-t-il le même sur une chaise ? Une posture rigoureusement droite est-elle la seule possible ou peut-on adopter aussi la position du « cocher de fiacre » ? Est-il possible de méditer étendu ? A ces questions on peut répondre que, à celui qui cherche sincèrement et avec la disposition d’esprit convenable, n’importe quelle posture permet de progresser. Cependant, nous pensons que la posture héritée de la tradition Zen, c’est-à-dire celle du Zazen, est la plus bénéfique. La forme stricte, le « oui » à cette forme disciplinée, qui repose en même temps dans son centre de gravité naturel, est inscrite dans le corps de l’homme d’Occident. Ceci est d’autant plus vrai que l’on peut répondre à ses exigences essentielles non seulement en adoptant la « posture de Bouddha » mais aussi en s’asseyant simplement sur une chaise.
L’assise dans la posture du Zazen est un exercice initiatique au service de l’union avec l’être essentiel. Grâce à elle on doit éliminer ce qui fait obstacle à cette union et favoriser ce qui la rend possible. Les seules indications apportées par la tradition du Zen concernent la position physique et la disposition d’esprit fondamentale requises. En dehors de cette base, la nature des buts poursuivis et leurs conditions préalables permettent de nombreuses suggestions s’appuyant sur l’expérience et destinées au progrès sur la voie intérieure.
La tradition du Zen exige avant tout dans l’assise une verticale juste. Il faut se tenir, selon l’expression du maître Zen, « comme si l’on voulait enfoncer le sol avec le siège et percer le plafond avec la tête ». C’est l’assise dans le hara, où toute l’énergie est ancrée dans la région de l’abdomen et du bassin. Pendant l’exercice, le contact avec le sol rend les os du bassin de plus en plus sensibles et donne l’impression d’occuper une surface toujours plus large. C’est un abandon à la terre, qui progresse en profondeur, une union avec cette terre dans laquelle on s’enracine. Une véritable présence du hara évite le risque d'affaissement ou d’évasion dans le relâchement intérieur. Il faut, pour se tenir droit, que le centre de gravité se trouve dans le hara. A son tour, cette attitude elle-même affermit le hara lorsqu’on réussit à garder une légère tension dans le bas-ventre, à répartir le poids du corps également sur les cuisses, pendant que le siège s’étire un peu en arrière. L’expression ironique du Zen, à propos de cette position est :
« Contempler le soleil avec l’anus. »
La difficulté, lorsqu’on cherche à être « là » de la façon juste dans le buste est d’éviter la crispation des épaules. Le débutant donne souvent l’impression que son corps est suspendu à ses épaules levées comme à un porte-manteau. Un véritable enracinement au bas du tronc permet une souple détente du buste. Quand la verticale est bonne, chaque vertèbre porte tout naturellement la suivante et la colonne vertébrale entière supporte la tête qui, le menton légèrement rentré, marque la relation de son sommet avec le « ciel ». Dans un rapport, justement vécu, de l’homme avec le ciel et la terre, celle-ci, telle qu’elle est sentie dans une bonne assise, représente le lieu d’un enracinement profond dans le sol nourricier qui assure la croissance vers le haut. La verticale forme le lien entre le ciel et la terre. Elle figure l’épanouissement de soi-même par la « couronne » de vie, la cime de l’arbre. La forme juste s’y accomplit et s’ouvre vers le haut comme une coupe recevant la bénédiction céleste.
L’orientation vers le haut est un échec quand cette montée fait perdre à l’homme son attache au sol. D’autre part, une relation négative à la terre se produit lorsque le méditant se laisse absorber et dissoudre, qu’il n’arrive plus à remonter à la surface. L’homme affermi dans le hara fait face aux dangers, venus d’en haut ou d’en bas, qui le menacent car, tandis qu’il s’ouvre vers le haut, il reste fermement soutenu en bas et latéralement. Il ne peut ni s’effondrer ni se laisser aller. Dans tous les cas, les bienfaits de la verticale dépendent d’une puissante horizontale, située dans la région de l’abdomen et du bassin.
Une bonne assise — par terre ou sur une chaise, veut que les genoux se trouvent plus bas que le bassin. L’assise sur le sol comporte trois positions possibles : 1) le lotus parfait : le pied droit repose sur la cuisse gauche et le pied gauche sur la cuisse droite ; 2) le demi-lotus : on pose seulement un des pieds sur la cuisse opposée ; 3) l’assise ordinaire, les jambes croisées ou rentrées sous le siège. Enfin, une dernière position consiste à s’asseoir sur les talons, avec ou sans coussin entre les mollets et le postérieur.
Les mains s’appuient sur le ventre, un peu au-dessous du nombril, les doigts de la main gauche posés sur ceux de la main droite, de façon à ce que les pouces se rejoignent à leur extrémité et forment un cercle avec les index.
Même si, pour le débutant, il peut être utile de fermer les yeux au commencement de l’exercice afin de « retirer » en soi-même tous les sens, il faut ensuite les laisser légèrement ouverts pendant la méditation. Le regard se porte sur un point situé à environ un mètre cinquante de distance et y reste posé, avec calme, sans fixer.
S’engager dans la pratique du Zazen, selon le véritable esprit du Zen, c’est se soumettre à une stricte discipline. Celle-ci s’applique à la posture aussi bien qu’à la concentration pendant la méditation et à la fidélité aux horaires d’exercice.