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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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5 octobre 2023

Le symbolisme de l’eau. 1. L'eau et la cosmogenèse. Conférence de Jean Marchal

Jean Marchal a donné la conférence sur le symbolisme de l'eau lors des Assises nationales de yoga en 1995. Les conférences de ces Assises ont été réunies dans Les chemins du corps, Albin Michel, 1996[1]. Voici la première des quatre parties de la conférence, celle concerne l'eau et la cosmogénèse (formation et évolution du monde). 

Jean Marchal est un ami de Jacques Breton à qui est dédié ce blog. Ancien interne des hôpitaux de Paris, lorsqu'il était en activité, J. Marchal était médecin, psychothérapeute et enseignait le langage des symboles à l'École Française de Yoga. Ouvert à ce langage par l'influence de Lanza del Vasto et par la "psychologie des profondeurs" de Jung, il a suivi l'enseignement de K-G Dürckheim ainsi que celui d'Arnaud Desjardins. Il a écrit plusieurs livres dont trois sont cités en note. D'autres messages de lui sont dans le tag Jean Marchal.

D'autres messages du blog abordent le symbolisme de l'eau (avec J. Breton ou Maître Masamichi Noro), voir en note[2].

1. L'eau et la cosmogenèse, présent message
2. Les propriétés physico-chimiques de l'eau, non transcrit sur le blog
3. L'eau qui submerge et qui sépare, prochain message
4. L'eau salvatrice. message suivant

 

 

Le symbolisme de l’eau

Par Jean Marchal

 

Nous sommes ici, dans cette ville d'Aix-les-Bains, en un lieu consacré à l'eau, non seulement par sa fonction de station thermale, mais déjà par son nom même. En effet Aix vient du nom latin aqua, qui a donné en espagnol agua et en français "algues" ("Chaudes Algues"), puis Aix. Nous allons donc consacrer quelques instants à méditer sur le symbolisme de l'eau, et par là sur l'origine, le développement, la préservation et la restauration de la vie à travers les millénaires de son histoire, qui remonte au fond des temps.

1. L'EAU ET LA COSMOGENÈSE

 

Création, séparation des eaux, Monreale (Sicile), Cathédrale, XIIeLes récits de la création du monde, dans beaucoup de traditions religieuses, accordent à l'eau une place primordiale dans le processus de la cosmogenèse : nous en retiendrons deux, ceux de la Bible et du Coran.

1/ Dans le livre de la Genèse par lequel commence la Bible, il est écrit : « Au commencement Dieu créa le ciel et la terre. La Terre était informe et vide, et les ténèbres couvraient l'abîme, et l'Esprit de Dieu était porté sur les eaux… » Puis Dieu créa la lumière qu' il sépara des ténèbres, et dit ensuite : « Que le firmament soit fait au milieu des eaux et sépare les eaux d'en haut et les eaux d'en bas. »

On peut voir,

  • dans les eaux d'en haut, l'image du réservoir à partir duquel naîtront les entités du monde invisible, du "corps subtil universel" ;
  • et dans les eaux d'en bas, l'image du réservoir d'où seront tirées toutes les formes du monde visible.

Plus loin Dieu dit encore : « Que les eaux d'en bas se rassemblent en un seul lieu, et que le sec apparaisse. Et Dieu donna au sec le nom de terre, et le nom de mer à toutes les eaux rassemblées. » Puis Dieu habilla la terre de la végétation et la peupla des animaux terrestres, comme il peupla le ciel des oiseaux et la mer des poissons, avant de créer l'être humain à son image pour qu'il règne sur cette création.

L'élément sec, la terre, naît donc à partir de "l'eau d'en bas" qui correspond probablement à l'eau que nous connaissons, et dont la science actuelle nous a appris que la vie a commencé en son sein : la vie végétale et la vie animale sont nées dans la mer avant de conquérir la terre. Dans la révélation biblique comme dans les conceptions scientifiques modernes, l'eau apparaît comme la matrice de la vie.

2/ On peut trouver une vision identique dans le Coran ; au chapitre XXI, 30 nous lisons : « Au commencement, l'eau et la terre formaient une masse compacte ; nous les avons séparées et créé de l'eau toute chose vivante », et au chapitre XXIV, 45 « Dieu a créé tous les êtres vivants à partir de l'eau » et au chapitre XXIV, 54 : « C'est lui qui de l'eau a créé un homme, puis il a tiré de celui-ci une descendance d'hommes et de femmes. »

 

De ces textes inspirés, il semble résulter que l'Être humain tire sa forme d'une double origine :

  • sa forme matérielle, de l'eau,
  • sa forme spirituelle, de l'Esprit même de Dieu.

Ou, pour dire les choses autrement, que son être prend son origine de deux pôles :

  • un pôle substantiel, l'eau,
  • et un pôle essentiel, l'Esprit.

En cela il se différencie des anges dont le pôle essentiel est toujours l'Esprit, mais le pôle substantiel le feu.

 

Pour les Chinois, l'eau des origines symbolise l'infinité des possibilités de manifestations que Dieu porte en lui avant la création, à l'état indifférencié de pures potentialités, et qui vont se manifester dans la multiplicité indéfinie des formes qui naissent dans le cosmos, depuis l'origine jusqu'à la fin des temps. C'est ce passage de l'essence à l'existence par l'action du Verbe divin que symbolise en Inde l'action de Purusha sur Prakriti, réservoir de formes indifférenciées appelées à l'existence par l'Esprit. L'eau est éminemment apte à symboliser cette potentialité de "Prakriti" dans la mesure où elle n'a aucune forme particulière, mais peut prendre provisoirement toutes les formes selon le contenant dans lequel elle est versée : aussi bien celle du verre à dents que celle de l'Océan Pacifique tel qu'un globe terrestre le représente en réduction !

D'autre part, l'eau est le seul des éléments qui puisse passer par les trois états de la matière selon la température à laquelle elle est soumise :

  • solide dans la glace,
  • liquide à l'état ordinaire,
  • vaporeuse à l'ébullition.

Cette possibilité de pouvoir prendre toutes les formes et d'épouser tous les états de la matière fonde l'aspect principal du symbolisme de l'eau : l'eau réservoir de formes, et sa propriété fondamentale : l'eau véhicule de la vie.

Sous l'influence et l'action du Verbe divin, de Purusha, l'eau des origines donne naissance à toutes les formes visibles. Mais c'est par l'action des nombres que l'impact sur la substance pure peut cristalliser ces formes dans l'existence et les y individualiser. Comme l'écrit Lanza del Vasto dans son poème "Soliloque d'Ucello" du Chiffre des choses (éd. Denoël) :

    Un, trois, sept, neuf, dix, douze, divins nombres
    Étoiles du savoir, joyaux de l'ombre,
    Instruments saints du divin constructeur,
    Malgré le poids de sa chair de péché
    Le vieil oiseau qui vous a tant cherchés
    S'attache à vous, maîtres de leur hauteur.

Et le pape Pie XI rappelle, dans une encyclique, que « l'univers n'est resplendissant de divine beauté que parce qu'une divine combinaison des nombres, une mathématique, règle ses mouvements », et la Bible nous dit : « Dieu a tout créé avec nombres, poids et mesures.[3] »

 

En Chine, un autre aspect du symbolisme de l'eau et de sa place dans la cosmogenèse est suggéré par le concept du "Yin-Yang". Pour les Chinois, la bipolarisation de l'Unité primordiale, du Principe unique, en deux forces antagonistes et complémentaires, Yin et Yang, est à l'origine du déploiement de toutes les formes du cosmos. C'est ce qu'ils expriment dans cette formule :

  • « L'un engendre deux (Yin et Yang), deux engendre trois, et trois engendrent les dix mille êtres (c'est-à-dire tout le monde visible et invisible). »

Donc, ce sont les deux forces primordiales, Yang et Yin, mâle et femelle, ou lumineuse et ténébreuse, dont l'interaction continuelle (qui est le trois) crée le monde.

Parmi les cinq éléments chinois, c'est le feu qui symbolise la force Yang et l'eau la force Yin.

Cette conception cosmologique s'exprime éminemment dans la peinture chinoise de paysage, où l'eau, toujours présente sous la forme dynamique (la cascade) ou statique (le lac) symbolise le Yin, et où le Yang est suggéré par la solidité du roc des montagnes. La peinture de paysage est d'ailleurs appelée "peinture de montagne et eau" et obéit à des règles respectées depuis plus d'un millénaire, qui amènent le peintre à suggérer la naissance toujours renouvelée du monde plutôt qu'à représenter un paysage réel. L'eau y apparaît souvent sous sa forme de vapeur, de brouillards, qui s'infiltrent et circulent entre monts et vallées et suggèrent sa matière subtile et la présence du Yin partout où s'affirme le Yang.

Rose du transept de cathédrale de LausanneCette représentation de l'eau et du feu comme symboles des deux forces créant le cosmos se retrouve en Occident au XIIIe siècle, notamment dans la rose du transept sud de la cathédrale de Lausanne qui exprime la vision cosmologique de l'homme médiéval. Ce gigantesque et splendide "mandala" de verre montre en son centre Dieu créant le monde et, tout autour, répartis par groupes de quatre sur toute sa surface, les 12 signes du zodiaque en relation avec les quatre éléments et les quatre saisons, les quatre techniques divinatoires basées sur les quatre éléments, etc. Parmi les quatre éléments, le feu est représenté en haut de la rose avec le soleil et son char, et l'eau en bas avec la lune : elle est figurée par une femme nourrissant de son sein deux poissons.

Le symbolisme du poisson comme puissance de vie se retrouve d'ailleurs aussi bien en Inde, où il guide sur l'océan primordial l'Œuf d'Or d'où naîtra la vie, qu'en Occident où, au 1er siècle, le Christ était souvent représenté comme poisson.



[1] Le livre est présenté par Ysé Tardan-Masquelier. On y trouve les interventions de Maurice Abiven, d'Henri Bourgeois, Jean-Marc Kespi, Varenka et Olivier Marc, Jean Marchal, Louis Pettiti, François Roux, Jean-Pierre Schnetzler, Christiane Singer, Annick de Souzenelle, Alfred Tomatis et Francisco Varela

[3] D'après Sagesse 11, 20.

 

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