"Sagesse et compassion, Les deux ailes du bouddhisme", un livre de Jacques Scheuer
Chaque chapitre de ce livre aborde la sagesse et la compassion dans le bouddhisme selon divers aspects : la décision du Bouddha d’enseigner aux autres la Voie qu’il a découverte, le lien existant entre la pratique du don (générosité) et la pratique de la sagesse et de la compassion, etc. Certains chapitres nous introduisent dans les grands textes du bouddhisme : Le Sûtra du Lotus, L’enseignement de Vimalakirti, La Marche vers l’Éveil, chacun de ces textes parlant à sa manière de la sagesse et de la compassion. D’autres chapitres nous emmènent en Chine et au Tibet. Le livre s’achève par un regard sur le "bouddhisme engagé".
Ce message commence par la présentation de Jacques Scheuer figurant sur le livre, suivie d'une petite publicité pour une série de 4 conférences qu'il donne à Paris en novembre 2023. Pour le livre lui-même figurent : la 4e de couverture, une recension de Dennis Gira parue sur le site du DIM (Dialogue Inter-religieux Monastique), la fin de la préface de Philippe Cornu, et le début de l'Avant-Propos de Jacques Scheuer[1].
Qui est Jacques Scheuer ?
Jacques Scheuer est jésuite, docteur en sciences indiennes (Université Paris III / Sorbonne).
Expert en religions orientales, sanskritiste et fin connaisseur de l'Inde plurimillénaire, professeur à Louvain-la-Neuve (Belgique) et au centre Sèvres de Paris, Jacques Scheuer est un chrétien dont le savoir et l'expérience nous invitent — au-delà du bouddhisme mais à travers lui — à réintroduire les couleurs et la richesse des valeurs humaines dans le respect de chacun et de tous. Il a publié d'autres livres, le dernier en date étant Parole et silence - Un patrimoine de l'Inde hindoue, avec une préface de Colette Poggi, Ed. des Deux Océans, 2022.
Il donne en novembre prochain 4 courtes[2] conférences au Centre Sèvres à Paris.
Quatre figures de la spiritualité hindoue, mercredis de novembre, de 12h45 à 13h30
Brèves mais intenses, une série de quatre rencontres avec des femmes et des hommes, témoins remarquables de la quête intérieure selon les traditions de l’hindouisme. Nous parcourrons ensemble quelques extraits de leurs chants. (Chaque séance du cycle peut être suivie de façon autonome)
- 8 nov. : Utpaladeva (Cachemire, 10e siècle) : « rien n’aide à Te voir, rien n’empêche de Te voir »
- 15 nov. : Râmânuja (Tamilnadu, 11e-12e siècles) : « l’exercice continu de la mémoire, à la manière d’une coulée d’huile »
- 22 nov. : Lalla (Cachemire, 14e siècle) : « ayant franchi la porte du jardin de mon cœur »
- 29 nov. : Mîrâbâî (Rajasthan, 16e siècle) : « quand Il est entré dans mon jardin, je m’étais assoupie »
Sagesse et compassion
Les deux ailes du bouddhisme
Ce livre est écrit par Jacques Scheuer avec une préface de Philippe Cornu, bouddhiste et spécialiste du bouddhisme[3]. Le livre est paru le 15 avril 2021 chez Deux Océans.
Une enquête accessible pour comprendre les rapports complexes entre sagesse et compassion, piliers fondamentaux du bouddhisme, tels qu'ils sont progressivement apparus dans différents courants de la pensée et de la pratique du bouddhisme. L'auteur, Jacques Scheuer, est professeur émérite d'histoire des religions de l'Asie (Louvain-la-Neuve).
De même qu'un oiseau ne saurait voler d'une seule aile, de même, la Voie du Bouddha est l'union de la sagesse et de la compassion.
C'est à une découverte claire et pédagogique du bouddhisme que Jacques Scheuer nous invite dans cet ouvrage. Ainsi, au fil des siècles et aux quatre coins de l'Asie, les différents courants de la tradition n'ont cessé de creuser l'intime relation de la sagesse et de la compassion, deux piliers bouddhiques fondamentaux, indissociables et indispensables tout au long du chemin vers l'Éveil.
Mais il y a bien davantage à découvrir dans cet ouvrage, car, comme le souligne Philippe Cornu dans sa préface, le sujet a une portée universelle particulièrement pertinente dans notre monde actuel globalisé. En effet, le bouddhisme nous dévoile ce qui nous manque le plus aujourd'hui : un authentique souci de l'autre, éclairé par la sagesse et par la connaissance des interdépendances multiples de notre société hypermoderne déboussolée.
Toutefois, pour en recueillir quelque fruit, nous n'avons pas à " devenir " bouddhistes : chrétien, l'auteur est intimement convaincu que le message bouddhique de sagesse et de compassion abrite de précieuses ressources pour tous les habitants de notre maison commune.
N'est-il pas urgent de cultiver sagesse et compassion pour retrouver ce lien d'amour avec l'humanité, et avec la vie dans son ensemble, en tirant des leçons de la sagesse d'autrui ?
● Recension de Dennis Gira qui figure sur le site du DIM en 2021[4]
On dit que la meilleure manière de d’approfondir un sujet, c’est de l’enseigner. Voilà un livre qui en donne la preuve. Il est le bon fruit des années durant lesquelles Jacques Scheuer a enseigné les religions extrême-orientales, dont le bouddhisme, à l’Université catholique de Louvain-la-Neuve et aux Facultés jésuites de Paris (Centre Sèvres), pour ne pas parler de sa longue présence aux Voies de l’Orient (Belgique). L’auteur est aussi un des ceux qui ont la capacité appréciable de prendre ses lecteurs par la main pour les conduire, page après page, à travers des sujets qui sont d’un abord difficile. Il annonce clairement dans son avant-propos la double tâche qu’il assume : « préciser le sens et la portée de ce qu’est la « sagesse », de ce qu’est la « compassion » et « explorer la nature de leur lien, de ce qui les différencie et les unit, de ce qui accorde à l’une comme à l’autre d’être vraiment ce qu’elle est – dans la lumière du bouddhisme » (p. 22).
Pour saisir la nature des obstacles qui guettent quiconque désire faire un travail de ce genre, il suffit de penser au fait que très, très souvent il n’existe pas dans les langues occidentales d’équivalents des termes bouddhiques qui sont ceux qu’on trouve dans les langues comme le sanscrit ou le chinois (l’auteur explique fort bien ce problème, cf. p. 22-24). Et puis; le bouddhisme, selon l’époque, le courant ou école, la culture et les religions dominantes dans les régions où il est apporté, devient pluriel à cause des multiples facteurs auxquels il doit s’adapter… tout en gardant une réelle unité. Mais le bouddhisme continue d’une façon ou d’une autre à s’organiser autour de la « sagesse » et de «la « compassion », même si la manière dont elles se situent l’une par rapport à l’autre peut varier « avec des étapes en ‘clé’ de sagesse » alternant « avec d’autres en ‘clé’ de compassion ». Et à travers seize chapitres l’auteur donne des pistes pour comprendre ce qu’il appelle « un heureux mouvement sans commencement et sans fin ».
Les « deux ailes du bouddhisme » sont la constante présente tout au long de ces chapitres, mais chacun aborde la question à partir de l’un ou l’autre aspect essentiel : la décision du Bouddha d’enseigner aux autres la Voie qu’il a découverte, par exemple, ou le lien qui existe entre la pratique du don (générosité) et celle de la « sagesse » et de la « compassion ». Dans certains de ces chapitres nous découvrons des grands textes du bouddhisme : Le Sûtra du Lotus, L’enseignement de Vimalakirti, La Marche vers l’Éveil qui « parlent » chacun à sa manière de la « sagesse » et de la « compassion ». D’autres chapitres encore nous emmènent en Chine et au Tibet toujours pour nous aider à mieux comprendre comment fonctionnent ces deux ailes du bouddhisme. Le livre s’achève par un chapitre très intéressant sur le « bouddhisme engagé » qui nous en montre la spécificité et la pertinence pour notre monde d’aujourd’hui, en s’appuyant sur deux figures bien connues en France (le Dalaï Lama et Thich Nhat Hanh) et une plus connue aux USA (David Loy).
Un des aspects les plus impressionnants de ce livre est l’utilisation très astucieuse des extraits (tous courts et tous pertinents) tirés le plus souvent des textes canoniques du bouddhisme et parfois des auteurs contemporains. L’auteur attire l’attention du lecteur sur un terme extrêmement important dans le bouddhisme (surtout du Grand Véhicule) mais auquel on n’accorde que rarement l’attention qu’il mérite. Il s’agit du terme « Spontanéité » (sous ses différentes formes) : c’est une des clés pour comprendre la cohérence interne de quasiment toutes les écoles qui s’inspirent de l’enseignement du Grand Véhicule sur la « nature de bouddha ».
Un livre indispensable pour tous ceux qui souhaitent découvrir le bouddhisme ou même approfondir une connaissance déjà acquise. Ni trop technique, ni trop simple, il aura également une place de choix dans la bibliothèque de ceux qui cherchent à comprendre pourquoi tant d’occidentaux sont attirés par cette tradition.
● Fin de la préface de Philippe Cornu.
Comme le fait remarquer l'auteur (Jacques Scheuer), la compassion bouddhique est aussi victime, dans nos esprits, d'une terminologie mal adaptée : elle n'est pas "souffrir avec" au sens de ressentir une écrasante empathie pour ceux qui souffrent. Elle est essentiellement agissante, et c'est là son secret. Mais pour être efficace au regard d'autrui, elle ne peut se fonder sur le seul élan du cœur ou la bonne volonté puisque nos émotions sont inévitablement teintées par notre égocentrisme et nos attachements. Pour que l'amour inconditionnel porte ses fruits, il lui faut s'appuyer sur la connaissance juste de la réalité de l'existence. Le Bouddha n'a cessé de le dire : connaître les causes et conditions de la souffrance est le chemin le plus direct pour se doter des moyens de l'éradiquer. Traquer l'illusion en soi, c'est aussi reconnaître sans les juger les ressorts de l'illusion chez autrui et pouvoir lui enseigner les moyens de la désamorcer. Quand une personne tombe, il faut certes la relever, mais ce geste ne suffit pas : la compassion éclairée par la lampe de la sagesse consiste à enseigner à cette personne les moyens de ne plus rechuter. Dès lors, on comprend combien connaissance et amour vont de pair. L'un inspire l'autre et la connaissance éclaire l'amour de telle manière qu'il s'ouvre à tout ce qui vit et devient alors une compassion agissante inépuisable.
Nous n'avons pas à devenir "bouddhistes", et l'auteur, s'il a parfaitement discerné les enjeux de la sagesse et de la compassion bouddhiques, a su rester chrétien. Mais il nous montre combien on pourrait tous bénéficier des apports d'une sagesse venue d'ailleurs. Puisque nous vivons prétendument dans un monde globalisé où circule la pensée de tous, n'est-il pas urgent d'arrêter un moment notre fuite en avant en tirant des leçons de la sagesse d'autrui ? Plutôt que de poursuivre notre course folle ou de désespérer, ne serait-il pas plus profitable de cultiver sagesse et compassion pour retrouver ce lien d'amour avec l'humanité, la vie dans son ensemble et un peu de bonheur dans une attitude généreuse à l'égard des êtres sensibles que nous côtoyons ? Dans la grisaille monochrome du monde globalisé, il est temps de réintroduire les couleurs et la richesse des valeurs humaines dans le respect de chacun et de tous.
● Début de l'Avant-Propos de Jacques Scheuer.
Deux courtes citations extraites de brefs sûtra conservés en traduction chinoise pourraient, dans leur parallélisme, planter le décor en vue de notre exploration :
- « Voici un homme qui apparaît dans le monde et aussitôt apparaît dans le monde la lumière de la Sagesse. Qui est cet homme ? C'est un Réalisé, un Saint, un Tout-Illuminé.
- Voici un homme qui apparaît dans le monde pour le bénéfice de beaucoup d'être, pour l'apaisement de beaucoup d'être, par compassion pour les multitudes qui sont dans le monde, en vue de faire obtenir au Dieu et aux hommes d'honneur et soutien. Qui est cet homme ? C'est un Réalisé, un Saint, un Tout-Illuminé.»
Dans leur simplicité, mais aussi par ce que l'on pourrait appeler leurs ambitions voire leur prétention, ces deux affirmations énoncent et annoncent le double thème de notre recherche : "sagesse" et "compassion". Plus précisément : si personne ne songe à mettre en doute l'importance de l'une et de l'autre dans le patrimoine bouddhique, la véritable question porte sur leur relation. Bien des textes, dans l'immense littérature bouddhique, développent et mettent en lumière le thème de la sagesse, de l'idéal qu'elle représente, de sa juste compréhension, des conditions de son accès et de son déploiement, de la saveur de ses fruits. Au point, parfois, de laisser dans l'ombre la compassion, donnant par là l'impression que la voie du Bouddha est avant tout affaire de réflexion, de compréhension, d'intelligence, de philosophie – celle-ci n'est-elle pas amour de la sagesse ? D'autres textes cependant, charriés par d'autres courants au sein de l'immense océan bouddhique, célèbrent l'héroïque compassion d'êtres voués à soulager toutes les formes de souffrance. Le message du bouddhisme serait-il plutôt affaire de tripes ou encore de cœur ?
Ce qui affleure ainsi doublement dans les textes, qu'ils soient anciens ou contemporains, se retrouverait bien sûr dans les images, les représentations artistiques et plus encore dans les modes de vie et les comportements quotidiens de celles et ceux qui se disent disciple du Bouddha. Il apparaît donc une double tâche s'impose : préciser le sens et la portée de ce qu'est la "sagesse", de ce qu'est la "compassion". Et surtout : explorer la nature de leur lien, de ce qui les différencie et les unit, de ce qui accorde à l'une comme à l'autre d'être vraiment ce qu'elle est – dans la lumière du bouddhisme. Les chapitres qui suivent se présentent comme autant d'explorations de ce nœud.
[1] On peut trouver un extrait du livre sur Googls Books.
[2] A propos des cycles de conférences Croq’Théo et Croq’Philo : Une pause théologique et philosophique de 45 minutes à l’heure du déjeuner, pour une première approche de grandes questions universelles. Chaque thème est développé par un enseignant du Centre Sèvres. Les conférences sont proposées en participation libre.
[3] Philippe Cornu est professeur à l’UCL (Belgique), il est l’un des spécialistes universitaires du bouddhisme les plus reconnus en France. Il est notamment l’auteur du Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme (Seuil, 2006).