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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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2 décembre 2023

"Le Trésor et la Perle" (Mt 13), homélie de Jean-Pierre Lintnaf de 1999

Cette homélie figure en annexe du livre présenté dans le message précédent, "Préface de Jacques Breton à "La Perle rare ou la Quête du Sens" de Zozime". L'homélie a été prononcée le dimanche 25 juillet 1999 par le père Jean-Pierre Lintnaf en l'église Saint-Andéol, Bourg-Saint-Andéol, dans l'Ardèche. Il évoque d'ailleurs la figure de saint Andéol.

Parabole de la PerleVoici le texte de Matthieu 13:

  • « 44Le Royaume des cieux est comparable à un trésor qui était caché dans un champ et qu’un homme a découvert : il le cache à nouveau et, dans sa joie, il s’en va, met en vente tout ce qu’il a et il achète ce champ. 45Le Royaume des cieux est encore comparable à un marchand qui cherchait des perles fines. 46Ayant trouvé une perle de grand prix, il s’en est allé vendre tout ce qu’il avait et il l’a achetée. » (Matthieu 13).

 

 

Homélie sur le Trésor et la Perle

 

Qui étaient donc, ces hommes et ces femmes remontant ce fleuve [le Rhône] et cette vallée au fil des siècles, et dont nous sommes les héritiers ?

  • Des guerriers ? Mais pour quelle conquête ?
  • Des marchands ? Mais pour quel négoce ?
  • Des financiers ? Mais pour quelles richesses ?

Non ! Ils avaient seulement découvert un trésor, et ils étaient habités par une passion : partager ce trésor. Leur vie avait été bousculée, fascinée, transfigurée : ils avaient trouvé la Perle sans prix. La folie douce les avait saisis de celui qui sait « qu'il a trouvé ». Rien ne compte plus d'autre. Il faut qu'il dise, qu'il chante, qu'il coure.

Se lève alors la race des pèlerins, des randonneurs, des porteurs de faire-part. D'Abraham à saint Paul, de saint Paul à saint Irénée, de saint Andéol à saint Césaire d'Arles et à ceux d'aujourd'hui. Folie douce de ceux qui ne savent plus qu'une chose : il faut partir, il faut prendre la route, partager la Bonne Nouvelle : les noces de Dieu avec l'humanité. La voilà, la bonne nouvelle : « Toi tu seras appelé "ma préférence", cette terre deviendra "l'épousée". » (Isaïe 61).

« Lève-toi et pars », est-il dit à Abraham. « Il partit, ne sachant ou il allait », dit la lettre aux Hébreux. Et un Père[1] de l'Église du IVe siècle, commentant ce texte et en venant à cette phrase : « Il partit, ne sachant ou il allait », note : « signe qu'il était dans la bonne direction ». Folie douce, en vérité, que cette errance.

 

Ces marchands de Dieu, ces partageurs de trésor, sont soulevés par une passion. Ils savent que ce monde, en dépit des apparences, n'est ni absurde ni idiot. Ils savent que tout jaillit d'une tendresse, que tout déferle vers un océan de vie et d'amour, balayant toute mort, faisant de toute souffrance un accouchement. C'est l'homme qui, trop souvent, est idiot et absurde. Ils savent que le pire n'est pas toujours sûr, et que le meilleur est souvent possible.

Alors, qu'ils se lèvent aujourd'hui, ces partageurs de trésor ! Qu'ils secouent ce monde triste où le désenchantement est de règle, où tout est dû parce qu'au fond plus rien n'a de prix, où les moyens de vivre sont confondus avec les raisons de vivre. Plus rien n'est vraiment important. « Je hais ce monde de toute mon âme, on y meurt de soif », disait déjà Antoine de Saint-Exupéry. Gloire au ludique ? Bonjour tristesse, oui ! Plus de raison de vivre, pas de sens, toute quête est vaine ! Hors le fric, tout est fable et mirage. C'est trop beau pour être vrai. Illusion d'un homme qui s'invente des consolations parce qu'il a peur de la vie et de la mort. La mariée est trop belle !

Et pourtant… si c'était vrai ! Écoutez cette histoire.

  • Un homme s'était perdu dans le désert, et l'ardeur du désert le déshydratait peu à peu. C'est alors que dans le lointain, il apparut une oasis : « Ah ! C'est un mirage, pensa-t-il, on me l'avait dit. C'est un miroitement qui se joue de moi. » Il vit les palmiers. Il vit l'herbe et la source. Et le pauvre homme gémit : « C'est la soif qui me fait délirer et qui induit en erreur ma pauvre tête ». Il entendit l'eau qui coulait : « Voilà mon oreille hallucinée, pensa-t-il. Mais que la nature est donc cruelle ! »
  • Quelque temps plus tard, passant par là, deux bédouins le trouvèrent mort. « Comprends-tu cela ? demande le premier au second, les dattes sont presque à la portée de sa bouche, l'eau coule à côté de lui, et il est mort de soif ! » Et l'autre répondit : « Oui, oui, c'est un homme moderne ».

Alors, si ce n'est pas un mirage, elle est où cette oasis, il est où, ce trésor, elle est où, cette source ?

Cette source, elle nous vient des siècles, et elle jaillit en chacun de nous. Elle vient des siècles comme un torrent qui charrie le meilleur et le pire, de la boue et des pépites d'or. « L'Église est peut-être un vieux tuyau rouillé, mais c'est par ce vieux tuyau rouillé que l'eau vive de l'Évangile est venue jusqu'à nous ».

La source, elle est aussi en moi, en toi. Plonge pour découvrir la perle précieuse, la perle rare, plonge profondément ! Creuse ton puits, et l'eau jaillira, cette Eau dont Jésus a dit : « Qui croit en moi, des torrents d'eaux vives jailliront de sa poitrine (de son ventre) ». « La source est en toi, elle ne vient pas de dehors, car le Royaume de Dieu est en nous » (Origène).

Porteur de trésor, lumière du monde, sel de la terre. Quelle prétention ! Et pourtant, oui, nous le sommes ; mais nous portons ces merveilles dans les vases fragiles que nous sommes. Héritiers modernes, mais chargés à notre tour de faire part et d'inviter aux noces.

Ils avaient découvert et partagé le trésor, ces hommes comme Irénée et Andéol, venus d'Asie Mineure jusqu'en ces lieux. Ils avaient découvert le vrai trésor, les trappistes de Tibhirine qu'on a assassinés parce qu'ils se voulaient frères de tous. « Le prophète a dit la vérité, il doit être exécuté ».

Il a découvert et partagé ce trésor, ce petit moine serbe du Kosovo qui, en silence, durant des mois, a accueilli dans son monastère tous les pourchassés, tous les blessés, serbophones ou albanophones. Il avait entre les mains et dans le cœur une arme infiniment plus précieuse pour le bonheur du monde qu'une kalachnikov ou qu'un fusil d'assaut : le souffle même de Dieu.

Nous respirons de ce souffle ; voilà la Perle, voilà le Trésor. Jusqu'à la fin des temps, nous sommes les mains et le cœur de Dieu.



[1] Il s'agit sans doute de saint Grégoire de Nysse (335-395), dont la phrase est souvent citée dans la traduction suivante :  « Abraham partit ne sachant où il allait, et parce qu'il ne savait pas où il allait, il savait qu'il était dans la vérité ». Il commentait Hébreux 11, 8.

 

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