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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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17 janvier 2024

Au cœur du zen. Le Soûtra de l'Estrade ou du Don de la Méthode. Par Bernard Sénécal

Voici un article de Bernard Sénécal écrit il y a plus de vingt ans où il présente Le Soûtra de l'Estrade et parle du rapport entre bouddhisme et christianisme. Son texte est ici précédé par une introduction qui donne une présentation du Soûtra, et une présentation de Bernard Sénécal, avec l'annonce de son intervention au centre Assise du 2 au 9 février prochain..

Cet article est paru dans le bulletin des Voies de l'Orient n° 80, Juillet – août - septembre 2001 ; lorsqu'il l'a écrit le 26 février 2001, Bernard Sénécal était à Séoul, Université Sogang,

 

Deux présentations

 

Le Soutra de l'Estrade par Fa-haiLe Soûtra de l'Estrade est un texte fondateur du bouddhisme Chan (Zen en japonais) qui recueille l'enseignement que Hui Neng (jap. Enô) a donné à un public très nombreux depuis son estrade. Il existe essentiellement deux versions de ce soûtra. La plus ancienne, qui est aussi la plus courte, est attribuée à Fáhǎi, disciple de Hui Neng, Elle est basée sur trois versions de l’époque Tang découvertes au début du XXe siècle, l'une à Dunhuang, les deux autres au Japon. Il existe une traduction française : Le Soûtra de l'Estrade du Sixième Patriarche Houei-neng par Fa-hai ; traduit du chinois et commenté par Patrick Carré, Seuil, 1995, collection Points Sagesses.[1]

Voici la 4e de couverture :

  • Le Soûtra de l'Estrade du Sixième Patriarche Houei-neng (638-713) est le texte fondateur du " Tch'an du Sud ", école bouddhiste de l'illumination subite. Il s'agit d'un texte bref, simple, humain, provocateur et décisif : le mode d'emploi de l'ouverture infinie reconnue par l'homme comme son essence et son site originaire ; un manuel de philosophie pratique à l'usage de ceux qui ont pressenti la nécessité de se tenir présents dans l'Eveil. Dans ce parfait manifeste subitiste, le Sixième Patriarche balaie en quelques mots les extrêmes tant de la phraséologie canonique que du silence obstiné des ignorants : son évocation de la Terre pure de Sukhavatî est un chef-d'œuvre d'éloquence ; ses renseignements sur la méditation assise un chef-d'œuvre de non-dit, d'impossible, de " transhumain ". Retrouver son Eveil originaire en voyant l'essence, c'est, avec l'œil, autrement dit avec l'être-là du corps et des sens, percevoir et devenir le summum de l'intelligible, le fond de l'apparence, l'essence de tout et de chaque chose ; la vacuité universelle, absolue absence d'être en soi, insubstantiabilité totale du monde et du moi - en un mot la connaissance transcendante, Prajnaparamita.

 

Bernard Sénécal est un jésuite québécois qui a enseigné le bouddhisme à l’Université Sogang à Séoul en Corée du Sud où il habite depuis 1985. Il dirige aujourd’hui la Way’s End Stone Field Community (Communauté du champ de pierre au bout du chemin) installée à une centaine de kilomètres de Séoul. Cette communauté pratique l’agriculture biologique sur un terrain de 3000 m² et intègre quelques personnes souffrant d’un handicap physique.

Il a écrit des livres et des articles, en particulier un article disponible sur internet, "Le Sūtra de l’Estrade dans la Corée contemporaine", Archives de sciences sociales des religions en 2009[2]. Dans le numéro 6 de la revue papier des Voix d'Assise, il y a un article de lui : "Du rêve de devenir agriculteur à une spiritualité incarnée".

Il vient régulièrement en France et ailleurs pour animer des sessions ou des cours au Centre Sèvres à Paris (RETRAITES_2023_24_B_Sen_cal).

Du 2 au 9 février 2024 il sera au Centre Assise à Saint-Gervais (Val d'Oise), vendredi 2 février (19h00) au vendredi 9 février (16h) 2024 (Jésus le Christ à la rencontre de Gautama le Bouddha ) avec au début une rencontre ouverte à tous le 2 février à 20h dans la salle paroissiale de Magny en Vexin (95420), 1 rue des écoles.

 

Au cœur du zen

Le Soûtra de l'Estrade ou du Don de la Méthode

Par Bernard Sénécal

 

Comment aller au cœur du Zen ? C'est fort simple. Il suffit d'obtenir l'éveil, cette connaissance par excellence, acquise par les bouddhas de tous les temps, qui permet de comprendre l'enchaînement des causes et des effets[3] et d'y mettre fin.

Comment accède-t-on à la libération suprême ainsi définie ?

Où ce centre névralgique du Zen se loge-t-il et quelle en est la clé d'accès ?

C'est à ces questions pratiques, précisément, que répond l'ouvrage cardinal de la tradition zen : le Soûtra de l'Estrade appelé encore Soûtra du Don de la Méthode.

Son auteur chinois, le patriarche Houi-Neng (638-713), sixième et dernier successeur du légendaire Bodhidharma[4], nous convie à une plongée radicale jusqu'à la nappe phréatique d'où ne cesse de jaillir depuis le VIIIe siècle, tout le génie et le dynamisme du bouddhisme Zen.

« Quand tu creuses un puits, n'en creuse qu'un seul ! », aime à rappeler la sagesse populaire extrême-orientale.

Bien au contraire, malheureusement, notre culture de la surinformation nous incite beaucoup plus à la dispersion qu'à la concentration.

Or, c'est justement à creuser que nous invite Maître Houi-Neng, et pas en n'importe quel lieu : là où "ça sent l'eau !".

 

Le point de forage déterminé par ce Grand Sourcier du Zen ? Il n'est autre que le lieu où se noue l'identité du Bouddha historique : le foyer de cristallisation par excellence de l'ensemble de la tradition issue du Çâkyamuni[5] : c'est là que se condense et là d'où émane, tout entière, la diversité, parfois époustouflante, des manifestations du bouddhisme.

C'est à ce titre que le Bouddha, ou son éveil, ou encore une fleur de lotus définissent le cœur d'un mandala bouddhique.

De semblable façon, mais en régime chrétien, le Christ, alpha et oméga, occupe le centre des rosaces de nos églises et de nos cathédrales.

Quoique de façon différente, chacun des deux grands Êtres d'éveil est ainsi la source, et le point de retour, des multiples courants qui procèdent de Lui ; bref, le foyer de convergence d'un ou de multiples univers. Mais quel est donc ce lieu sinon le point « de l'ouverture infinie reconnue par l'homme comme son essence et son site originaire »[6] ?

 

L'errance peut être fort longue avant de saisir, ou, plus exactement, de se laisser saisir par un tel point d'entrée au cœur d'une tradition, quelle qu'elle soit. Y. Raguin, grand spécialiste de l'Extrême-Orient, avait un sens aigu de la durée nécessaire pour qu'apprennent à se découvrir, avec rigueur et en vérité, des univers aussi éloignés l'un que l'autre que, par exemple, les traditions respectivement issues du Bouddha et du Christ. Il aimait dire qu'un bouddhiste, lorsqu'il entre pour la première fois dans l'une de nos cathédrales du Moyen Âge, se trouve aussi dépaysé qu'un Occidental découvrant la statuaire ou l'iconographie d'un grand site bouddhique.

Lequel d'entre nous n'a-t-il pas été saisi, en effet, à un moment ou à l'autre de sa prise de contact avec le monde d'une sagesse inconnue, d'un étonnement ou d'un émerveillement mêlé de confusions et de vertige ?

C'est précisément la grande vertu du Soûtra du Don de la Méthode que de nous conduire sens, sans détour, comme une clef ouvre la porte qui lui correspond, au cœur de l' "édifice" de la tradition Zen.

 

On aurait cependant grand tort de manquer ce que le Patriarche Houi-Neng ne cesse de nous répéter : « Aucune structure ne subsiste dans l'instant de l'éveil ». En effet, non seulement toutes les constructions de notre esprit s'effondrent-elles dans l'éclair de l'illumination, mais rien ne saurait non plus préparer, de près ou de loin, le jaillissement dans la conscience de la Sagesse Suprême[7]. Il n'y a, en définitive, qu'une seule et unique chose à faire : laisser advenir, tout simplement, la nature constitutive du fondement ultime de tout homme ; autrement dit, ne rien faire.

« Mais dans ces conditions, à quoi bon lire le Soûtra de l'Estrade ? »

C'est ici que réside tout le génie, paradoxal s'il en est, de ce texte fondateur de l'école bouddhiste qualifiée, fort justement, de "subitiste". En authentique médiation, l'ouvrage s'efface, complètement, pour permettre la naissance de l'expérience qu'il a la fonction d'induire.

 

Condensé de la quintessence de la pensée du bouddhisme Mahâyâna (doctrine de la vacuité de Nâgârjuna, Soûtra du Nirvâna, du Cœur, du Diamant et bien d'autres encore), le Don de la Méthode a l'audace de s'adresser, non pas exclusivement aux moines et aux moniales, mais bien à toutes celles et ceux qui œuvrent  au cœur de la cité.

 

Pour qui sait entendre, l'enseignement du sixième Patriarche est

   un cri en faveur de la simplicité ;
   un appel à se laisser saisir par la Sagesse plus qu'à chercher à s'en emparer ;
   une invitation à découvrir que le résultat qui semble dépendre le plus de nos efforts se trouve, en définitive, tout à fait au-delà.

 

Laisser jouer le Soûtra du Don de la Méthode sur l'Évangile de Jésus le Christ donne naissance à de puissants effets de sens.

Il ne s'agit en rien de confusion ou de syncrétisme.

Une fleur de lotus n'est pas – et ne sera jamais – une croix.

Mais il s'avère, à l'expérience, que le lotus peut aider à intérioriser, plus avant, ce que nous révèle la croix. Il est vrai que les visions du monde sous-jacentes, doctrines nâgârjunienne de la vacuité et chrétienne de la création, sont fondamentalement et radicalement différentes. Elles n'en peuvent pas moins s'interpeller de façon féconde. N'est-ce pas toujours dans une communication que seule peut jaillir l'étincelle de la Vérité ?

Bien des accents du Soûtra de l'Estrade résonnent comme une douce et forte invitation à naître de nouveau, depuis la Source « plus intime à moi que moi-même[8] », pour vivre de l'éveil du Christ.



[1] « De nos jours, Huineng est considéré par les adeptes du Zen comme le "sixième patriarche (en terre de Chine)" de la lignée. Pour pratique qu’elle soit, l’idée n’est pas tout à fait exacte. Le lecteur soucieux de vérité historique devrait se pencher sur la thèse de Bernard Faure, Le bouddhisme ch’an en mal d’histoire : genèse d’une tradition religieuse dans la Chine des T’ang. S’il veut lire le contraire, je lui recommande les Entretiens de Chen-houei, traduits par Gernet. Et si tout cela emporte son intérêt, qu’il aille fureter dans les hauteurs du Concile de Lhassa, où Demiéville nous montre comment les subitistes chinois ont perdu le débat sous la menace des gradualistes tibétains. » (Patrick Carré, "Huineng, Patriarche du Chan Chinois", note 9, http://fanglong.free.fr/benwu.pdf)

[3] La loi de causalité appelée production "conditionnée"

[4] Selon la tradition, Bodhidharma (vers 532) est à la fois le 28e successeur indien du Bouddha historique et le premier Patriarche du Tc'an (Zen) en Chine. [Ajout : voir la note 1]

[5] "Le Sage des Çakya", l'un des noms du Bouddha historique.

[6] Fa-hai, le Soûtra de l'Estrade du Sixième Patriarche Houi-Neng, Paris, Seuil, 1995, traduction de Patrick Carré, p. 9.

[7] Prajñaparamita.

[8] Saint Augustin, Les Confessions.

 

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