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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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21 février 2025

Aller à la rencontre du Maître zen

Dans les monastères zen rinzaï du Japon, lors des sesshin, la rencontre privée entre le maître zen et chaque disciple se fait selon tout un processus

Dans son livre, Dans les monastères zen au Japon, republié en 1997 chez Maisonneuve & Larose Masumi Shibata raconte en particulier ce qu'il a vécu dans un monastère zen au Japon, et donne des indications plus générales. Deux extraits de ce livre figurent dans le présent message : le sanzen (Aller à la rencontre du Maître) et le kôan (utilisé par le maître lors du sanzen).

Vous trouvez d'autres échos de ce qui se passe dans les monastères zen japonais et de l'étude des kôans sur le présent blog (chemin du zen, Textes du zen, Enseignement Eizan Rôshi…)

                                              

Aller à la rencontre du Maître dans un monastère zen rinzaï au Japon

 

I. Le sanzen (Aller à la rencontre du Maître)

 

Au cours de l'exercice de Za-Zen, est pratiqué le San-Zen. Le Za-Zen et le San-Zen constituent l'essentiel de l'école du Zen.

San-Zen signifie « Aller à la rencontre du Maître » pour lui lancer ses pensées propres, et en recevoir ses critiques. Le Maître reçoit séparément chaque unsui, pour un face à face où l'esprit de l'un et de l'autre se trouve mis à nu, de la sorte Maître et unsui s'instruisent mutuellement. Naturellement, ce San-Zen est très utile et instructif pour les unsui, mais aussi le Maître apprend beaucoup de choses de son côté. En général, le San-Zen a lieu deux fois par jour, le matin et le soir. Mais pendant le Sesshin, dont nous parlerons plus loin, le San-Zen a lieu quatre fois par jour. II y a deux sortes de San-Zen : le San-Zen volontaire et le San-Zen obligatoire. Dans le premier, si un moine ne trouve rien a exposer au Maître, il n'est pas obligé de s'adresser à lui. Seuls les moines qui désirent parler au Maître sortent de la salle d'exercice. Mais au moment du San-Zen obligatoire, le Supérieur mène tous les unsui au lieu d'attente (couloir ou pièce spéciale) où tous s'assoient en file. Le San-Zen se déroule de la façon suivante :

Le tintement de la clochette se fait entendre de la pièce du Maître. C'est le signal pour qu'un unsui vienne se présenter. Il s'assoit devant une petite cloche placée dans un support de bois. Après avoir joint les mains en s'inclinant, il prend un maillet et frappe deux coups sur la cloche. La petite cloche reflète exactement, tel un miroir, la psychologie de l'unsui. Le Maître, qui l'écoute attentivement de loin, s'il est perspicace et a du flair, devine quel est I'unsui qui a frappé la cloche et son état psychologique rien qu'aux sons produits par la cloche frappée deux fois. Puis l'unsui, les mains jointes, se dirige le long des couloirs, vers l'endroit où se trouve le Maître. La marche ne doit être ni désordonnée ni précipitée, mais calme, posée. Un Maître avait conseillé a l'auteur : « Marche comme si tes pas devaient laisser leur empreinte sur la terre. » La pièce où siège le Maître est généralement séparée de l'endroit où se trouve la cloche par un long couloir. Si l'unsui qui se dirige vers la pièce du Maître rencontre, dans le couloir, un autre moine qui en revient, ils se saluent l'un l'autre.

En arrivant sur le seuil, debout, mains jointes, l'unsui s'incline. Il s'assoit, met le front à terre ainsi que le revers des deux mains en levant le bout des doigts. Il répète deux fois tous ces gestes. Puis il se relève et, tout en gardant les mains jointes, s'avance devant le Maître et, toujours debout, s'incline. Alors il s'assoit et, posant les paumes de ses mains sur la natte, il s'incline à nouveau. Depuis l'apparition de l'unsui sur le seuil et jusqu'á ce qu'il soit assis face au Maître, le plus important sont les yeux. Le Maître et l'unsui se regardent dans les yeux. Le regard du Maître est aigu, plein de spiritualité, largement ouvert, c'est un regard droit et soutenu. Au début les novices sont déconcertés, mais, eux aussi, doivent apprendre à mettre à nu leur esprit et à charger leur regard de toute sa puissance spirituelle. « Regard du tigre et marche du bœuf » sont l'idéal de l'école du Zen. 1l y a plusieurs types de Maître : « doux comme une brise printanière, rudes comme le givre lourd d'un matin d'automne, effilés comme une lame de rasoir, épais comme la hache ».

La pièce dans laquelle le Maître forge les unsui s'appelle : « Champ de bataille pour la Loi ». Le Maître et le disciple se mettent en état de correspondance totale, au péril de la vie, afin de se délivrer de la vie-et-mort. Feu Maître Hashiguchi, sous la direction duquel l'auteur médita, le reçut en San-Zen jusqu'à la semaine précédant sa mort, c'est-à-dire tant qu'il put se tenir assis. L'auteur avait pu remarquer lui-même, chez ce grand malade allongé, une grande faiblesse, une respiration difficile. Mais lorsque l'auteur donnait le signal de son San-Zen, Maître Hashiguchi s'asseyait immédiatement sur son lit de malade, et une fois assis pour le San-Zen de l'auteur, ses yeux lançaient des éclairs et il se campait vite comme un rocher immuable. Son attitude était sereine et l'auteur trouva qu'il était alors comme dans son état ordinaire. Ainsi, l'auteur fut frappé par sa fidélité et son attachement à la Voie, n'hésitant pas à lui sacrifier sa vie.

Si un unsui répugne au San-Zen, le Supérieur l'y oblige, quitte a l'y contraindre par la force, surtout si le Maître est sévère et que l'unsui ne trouve rien à lui dire. Parfois certains unsui s'agrippent à un pilier ou à n'importe quoi pour ne pas y aller. « Entrez par la porte étroite ... resserré est le chemin qui mène a la vie » [Mat. 7-13, 14]. Situation sans issue et paradoxale : devant l'unsui, le Maître « abrupt », tel que le souhaite le Zen, et derrière, le Supérieur, qui le fouette ; alors I'unsui est au pied du mur d'où il devra lui-même prendre son départ. C'est une expérience que tous nous pouvons faire dans la vie quotidienne : c'est au plus profond du désespoir qu'une nouvelle vie peut brusquement commencer. Aujourd'hui, cette « batterie » entre un unsui, son Supérieur et le Maître est tombée en désuétude et a un aspect un peu théâtral, L'intervention du Supérieur est souvent superflue, mais il y a eu - et il y a encore - de bons exemples de l'efficacité de cette intervention. Ce fut le cas du fondateur de l'école Rinzaï, Lin-tsi (en japonais, Rinzaï) (IXe siècle) :

Lin-tsi vivait dans la communauté dc Houang-po. Tous ses actes étaient purs et sans tache. Le Supérieur (Mou-tcheou) en était très touché et pensait : « Bien que ce ne soit qu'un novice, il est différent de tous les autres. » Il finit par lui demander : « Révérend ! Depuis combien de temps êtes-vous déjà ici ? » Lin-tsi : « Trois ans. » Le Supérieur : « Avez-vous déjà questionné le Maître auparavant ? » Lin-tsi : « Non, jarnais. Je ne sais quelle question lui poser. » Le Supérieur : « Pourquoi ne lui posez-vous pas cette question : « Quel est le sens ultime de la Loi du Bouddha ? »

Alors Lin-tsi alla le demander au Maître. Avant même qu'il ait eu le temps de terminer sa phrase, Houang-po le frappa. Lin-tsi s'en revint. Le Supérieur : « Alors, comment s'est passé votre entretien ? » Lin-tsi : « Je n'ai même pas pu terminer, le Maître m'a frappé. Je ne comprends pas. » Le Supérieur : « Allez lui reposer une seconde fois la même question. »

Lin-tsi retourna lui poser la même question. Houang-po le refrappa. Et ainsi, Lin-tsi reposa trois fois sa question et à chaque fois il fut frappé. Il s'en revint auprès du Supérieur et avoua : « Grâce à vous, j'ai eu la chance d'être poussé à rencontrer le Maître. Je l'ai questionné trois fois et trois fois il me frappa. Je m'en veux de ne pas comprendre 1e sens profond à cause de quelque entrave naturelle. Je vais partir pour quelque temps. » Le Supérieur : « Si vous vous en allez, allez saluer le Maître avant de partir. » Lin-tsi joignit les mains, salua et s'éloigna.

Le Supérieur alla le premier voir le Maître : « Le novice qui vous a interrogé a des dispositions. S'il vient vous dire au revoir, indiquez-lui un autre Maître. Si nous l'élevons pour qu'il devienne comme un grand arbre à l'avenir, il apportera une grande fraicheur sur la terre. » A son tour, Lin-tsi se présenta devant le Maître afin de lui faire ses adieux. Celui-ci lui conseilla : « Ne va pas ailleurs que chez Ta-yu. Ne va que chez lui ! Il t'enseignera sûrement. »

Alors Lin-tsi s'en alla chez Ta-yu qui lui demanda : « D'où viens-tu ? » – Lin-tsi : « De chez Houang-po. » – Ta-yu : « Que dit Houang-po ? » – Lin-tsi : « Je lui ai répété trois fois : « Quel est le sens ultime de la Loi du Bouddha ? » et trois fois je fus frappé. Je ne comprends pas si c'est parce que j'ai fait une faute ou non. » – Ta-yu : « Comme Houang-po a été bon pour toi ! Il a fait le maximum pour toi ! Malgré cela, tu viens jusqu'ici en disant que tu te demandes si tu as fait une faute ou non. » – A ces mots, Lin-tsi s'éveilla et dit : « La Loi de Houang-po n'est rien depuis l'origine. »

Dès ce moment, Lin-tsi déborda d'activité religieuse. De tout cela il ressort que l'action du Supérieur Mou-tcheou était de première importance. C'est un cas assez rare. Et aussi, dans cette histoire, les quatre souffles sont parfaitement à l'unisson comme quatre bons acteurs sur une scène de théâtre.

 

II. Les Kôan

 

Lorsque la relation Maître-disciple est idéale, le disciple saisit où réside son problème et le dévoile au Maître, et le Maître sonde le disciple afin de l'aider à aller plus profondément. Mais il n'en est ainsi qu'avec des Maîtres capables d'originalité et des disciples aux bonnes qualités, ce qui n'est pas toujours le cas.

Aussi, dans l'école du Zen, s'élabora le système des kôans… On dit qu'il y a 1 700 kôans, mais, en fait, ils sont beaucoup plus nombreux. Kôan signifie littéralement « document public », c'est-á-dire que, tel un fonctionnaire, le zéniste se sert des kôans pour éprouver l'authenticité de son Illumination. Ces kôans sont tirés des paroles et des actes des Anciens. Pour premier kôan, le Maître choisit en général le « Mû », de Tchao-tcheou, ou le « Son d'une seule main » de Hakuin qui sont appelés « Les kôans pour comprendre le Corps de la Loi ». Grace à eux, le novice doit parvenir a l'Eveil, Le premier de ces deux kôans figure dans Passe-sans-porte 1 : « Un moine demande au précepteur Tchao-tcheou : « Le chien a-t-il aussi la Nature-de-Bouddha ? » Tcheou lui répond : « Mû ! » Longtemps ce kôan fut utilisé en premier, mais Hakuin (1685-1768) pensait que « le Son d'une seule main » fait naitre plus d'interrogations chez les novices et l'adopta à la place du premier, car, comme le dit un proverbe du Zen, « à plus grande interrogation plus grand éveil ».

Voici quelques détails supplémentaires sur ce kôan : lorsque nous faisons claquer nos mains, cela fait un certain bruit ; alors, quel bruit produira une seule main ?

Si le novice saisit le Principe, I'Un, grâce à ce kôan, le Maître lui donnera alors successivement d'autres kôans annexes, grâce auxquels il pourra désormais aborder les actes découlant du Principe. Ainsi :

1. Le bruit d'une seule main peut-il être tranché ou non ?

2. S'il est impossible de le trancher, pourquoi ?

3. Quel est le bruit d'une seule main avant d'être né des parents ?

4. Quel est le bruit d'une seule main après l'incinération ?

5. Quel est le bruit d'une seule main au sommet du mont Fuji ?

6. Quel est le paysage vu du mont Fuji ?

7. Pourquoi entendez-vous le bruit d'une seule main ?

8. Que faire avec le bruit d'une seule main ?

9. Faites-moi entendre le bruit d'une seule main.

10. Arrêtez les deux bagarreurs qui se trouvent sur l'antre rive de la rivière.

11. Relevez-moi sans me toucher.

12. Frappez le tambour de l'espace à l'aide du bâton mont Fuji.

13. Que deviens-tu si le globe terrestre éclate ?

14. Avale d'un seul coup l'océan Pacifique.

Ensuite, les kôans proposés découlent des actes à la signification profonde et des belles paroles des Maîtres anciens du Zen. Nous ne nous attarderons pas ici à des citations et prions le lecteur de se reporter pour cela a un recueil de kôans tel le Passe-sans-porte. Les réponses de l'unsui dans la pièce du Maître se passent de longues explications, elles doivent être simples, immédiates, directes et présentées très souvent par des actes.

Mais cela ne veut pas dire que le Zen ne peut être approfondi sans kôan. Certains Maîtres du Zen ont été contre le système des kôans, tels que Suzuki Shősan, Bankei (tous deux vécurent au XVIIe siècle). Si l'on s'exerce à l'aide du système des kôans, l'objet change, ce qui suscite l'intérêt des pratiquants, mais en revanche cela peut le perturber et lui interdire toute spontanéité. L'essentiel est que le pratiquant approfondisse en puisant au plus intime de lui-même.

 

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