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Voies d'Assise : vers l'Unité
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  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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6 mars 2024

Les ambiguïtés du bouddhisme occidental par Dennis Gira

Comprendre le bouddhisme ne va pas de soi, c'est un leitmotiv de Dennis Gira, spécialiste du bouddhisme. Chrétien, il a été directeur adjoint de l'Institut des Sciences et Théologie des religions à l'Institut Catholique de Paris. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le bouddhisme. Lorsqu'il a écrit cet article, il venait de publier avec Fabrice Midal, Jésus, Bouddha, quelle rencontre possible ? (Bayard, 2006). Ami de Jacques Breton, il est plusieurs fois intervenu au Centre Assise pour animer des sessions. Deux messages de lui figurent sur le blog dans le Tag Dennis Gira.

Cet article est paru dans le Monde des religions en juillet-août 2006.

 

Les ambiguïtés du bouddhisme occidental

par Dennis Gira

 

Le bouddhisme offre d'attirantes méthodes de travail sur soi.
Mais est-il toujours bien compris par des Occidentaux
qui tendent à lui appliquer des catégories
qui ne sont pas forcément les siennes ?

 

Les Occidentaux peuvent-ils vraiment comprendre le bouddhisme ? Cette question m'a été posée maintes fois ces dernières années. Je ne peux y répondre par la négative : j'ai trop d'amis occidentaux qui se nourrissent très authentiquement du bouddhisme. Cependant, plus de trente ans d'études bouddhiques, au Japon d'abord, puis en France, m'empêchent de répondre par un "oui" sans nuance. La vérité, me semble-t-il, est que le bouddhisme, même s'il n'est évidemment pas incompréhensible pour les Occidentaux, reste très souvent incompris, pour des raisons liées à la fois aux dispositions de ceux qui s'y intéressent et à la complexité de cette tradition, ancienne de plus de vingt-cinq siècles et riche de tous ses contacts avec les diverses cultures et spiritualités d'Asie.

 

● Ne pas confondre bouddhisme et "auberge espagnole".

La première raison pour laquelle les Occidentaux risquent de passer à côté de ce qui est au cœur du bouddhisme est la difficulté à reconnaître et à accueillir ce qui est vraiment unique.

À ce propos, je pense souvent à certains amis américains qui me rendaient visite au Japon et qui voulaient à tout prix visiter une maison japonaise traditionnelle. Par chance, je connaissais une personne prête à ouvrir sa maison à mes visiteurs. À l'intérieur, ces amis me regardaient, quelque peu désorientés, et demandaient timidement où était la table. Par elle-même, cette question les mettait dans l'incapacité de s'ouvrir à la beauté extraordinaire d'un lieu d'habitation dont la cohérence interne se comprend totalement sans la présence d'une table ! Bref, il est extrêmement difficile de résister à la tentation de chercher d'abord chez autrui ce qui est porteur de sens chez soi, et cela à tous les niveaux.

Ainsi, il nous arrive souvent de chercher d'abord, dans l'édifice majestueux qu'est le bouddhisme, des éléments essentiels à la cohérence interne de notre propre tradition ou vision du monde. Les chrétiens, par exemple, sont souvent convaincus qu'il doit y avoir, dans le bouddhisme, une réalité correspondant à Dieu, à un Dieu personnel qui est amour, qui est en même temps de l'ordre de l'absolu. Il n'y a rien de plus "naturel", car, dans le christianisme, rien ne s'explique sans ce Dieu, et surtout pas le phénomène de l'homme. Et pourtant, dans le bouddhisme, tout s'explique sans Dieu. Et au bout du compte, à cause de l'importance qu'ils accordent à l'existence de Dieu, les chrétiens risquent, consciemment ou inconsciemment, de restructurer la cohérence interne du bouddhisme. Ils cherchent, parfois désespérément, un espace pour ce qui leur semble indispensable à toute démarche spirituelle, à savoir la rencontre avec Dieu. C'est ainsi que l'édifice bouddhique commence à ressembler peu à peu à l'édifice chrétien qui, lui, est réellement structuré par cette rencontre.

Cette tendance à rechercher dans le bouddhisme ce qui nous est essentiel ne se limite pas aux chrétiens. Ainsi, nombre d'Occidentaux qui ne croient plus du tout en Dieu, reconnaissent dans le bouddhisme une tradition "athée" proposant une voie intérieure balisée depuis des millénaires par des maîtres qualifiés. Les bouddhistes nés dans les pays bouddhiques ne sont pourtant pas "athées". Et ils n'apprécient pas que les Occidentaux les obligent, en quelque sorte, à se situer dans une question qui n'est pas la leur : celle de Dieu. En fait, cette question ne les effleure pas ; ils ne sont ni "athées", ni "agnostiques", ni "croyants", ils sont ailleurs. Le véritable défi consiste à découvrir cet "ailleurs", à y entrer et à en comprendre la cohérence. Et ce n'est pas toujours facile.

 

● « Traduire, c'est trahir ».

Une autre grande difficulté à laquelle se heurte un Occidental qui s'intéresse au bouddhisme est liée à la langue. Tout se résume dans l'adage « traduire c'est trahir ». Les langues bouddhiques (le pali, le sanskrit, le chinois, le japonais, le tibétain) échappent souvent à tous nos efforts de traduction ! Par exemple, comment comprendre l'enseignement du Bouddha lorsque, selon les traductions françaises des textes bouddhiques, il affirme que tout est "souffrance" (première des Quatre Nobles Vérités) et que l'origine de cette souffrance est le "désir" ? Il ne faut pas oublier que ces expressions, et tant d'autres que nous employons pour parler de l'expérience de l'enseignement du Bouddha, sont tributaires de notre tradition (judéo-chrétienne, grecque, latine…). Pour comprendre vraiment ce qu'est le bouddhisme, il importe d'être toujours conscient du décalage considérable qui existe entre l'expérience du Bouddha et les mots français que nous employons pour en parler. Sans cette lucidité de base, les possibilités de malentendus se multiplient presque à l'infini.

 

● Méditation mais aussi discipline morale, mentale…

La troisième difficulté est la tentation de confondre une partie de la tradition bouddhiste avec son tout. En Occident, un très fort accent est mis sur la méditation au détriment de la discipline morale ou éthique, très exigeante, qui fait pourtant partie, elle aussi, de la voie bouddhiste. Les préceptes qui concernent le respect de la vie, l'usage de la parole, la place accordée aux biens matériels, la vie sexuelle, etc., sont souvent tout simplement laissées de côté. C'est bien dommage, car c'est en vivant selon ces préceptes que les bouddhistes intègrent à leur vie ce qu'ils comprennent grâce à leur pratique de la discipline mentale.

Cette difficulté peut aussi aboutir à une confusion entre le type de bouddhisme que l'on pratique, ou auquel on s'intéresse, et la grande tradition bouddhiste. On peut comprendre que celui qui pratique le Zen soit convaincu que cette forme du bouddhisme est la meilleure pour lui. Mais qu'il garde à l'esprit le fait que l'édifice bouddhiste est beaucoup plus vaste que la "salle zen" qui en fait partie. C'est par son effort de comprendre les "autres bouddhismes" qu'il pourra approfondir sa connaissance du bouddhisme qu'il pratique.

 

=> L'appel à un changement radical.

Comprendre le bouddhisme en profondeur n'est donc pas facile pour les Occidentaux. Mais il faut reconnaître que ce n'est pas facile non plus pour ceux qui vivent dans les pays bouddhistes ! Car, finalement, le bouddhisme exige de chacun une véritable conversion intérieure, un abandon de soi, un changement radical de sa manière de penser et d'être dans ce monde. Et personne n'aime ça ! C'est sans doute d'ailleurs la résistance à cette métamorphose qui constitue la plus grande difficulté pour tous ceux qui veulent entrer pleinement dans l'expérience du Bouddha.

 

Gira, Comprendre le bouddhisme

 

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