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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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17 avril 2024

Le cœur du zen, article de Ama Samy de 1993

« Le zen – tout comme le christianisme – présente deux aspects contrastés, voire contradictoires, d'une part : formation, éducation, structure, loi, bien-être, construction et affirmation de soi. ; sur l'autre versant : transformation, conversion, abandon de soi, perte de soi, illumination, salut, grâce – tout l'opposé d'une structure. » Voilà le propos de Ama Samy dans cet article[1] qui date de mars 1993. Il est paru dans la revue des Voies de l'Orient de juin 1993, en annonçant la sesshin zen de fin août qu'Ama Samy allait animer au monastère Notre-Dame de Hurtebise.

AMA Samy est prêtre et maître zen. Après avoir reçu l'autorisation d'enseigner le zen, il a créé sa propre école, Bodhi Sangha, à Perumalmalai, en Inde, où il vit et enseigne (https://www.bodhisangha.net/index.php/en/zen-teachers/ama-samy).

D'autres messages de lui figurent dans le tag Ama Samy. L'article se termine par un kôan du Mumonkan, d'autres textes de ce recueil figurent sur le présent blog[2].

 

Le cœur du zen

Par Ama Samy

 

J'ai déjà écrit quelque peu à propos de mon expérience du zen au Japon et au sujet de la relation de maître à disciple. J'aimerais ajouter une remarque importante. Je m'en tiendrai ici à une courte indication.

Le zen constitue au Japon une voie religieuse, une religion et une institution. Il ne peut en être qu'ainsi (voir le livre de Bernard Faure, The Rhetoric of Immediacety, Princeton Univ. Press, 1991). Ce qu'on appelle "pur zen" ne pourrait subsister tel quel, sans appui. Mais ce qui fait défaut dans le zen institutionnel, c'est la prise de conscience et l'acceptation de ce fait ainsi que le courage et l'humilité nécessaires pour retourner encore et toujours au cœur et à la source.

Le zen – tout comme le christianisme – présente deux aspects contrastés, voire contradictoires :

  • D'une part : formation, éducation, structure, loi, bien-être, construction et affirmation de soi.
  • Sur l'autre versant : transformation, conversion, abandon de soi, perte de soi, illumination, salut, grâce – tout l'opposé d'une structure.

Le premier aspect porte sur la croissance, l'adaptation, l'ajustement, l'apprentissage, la maîtrise de soi, l'évolution. Le second consiste en un lâcher-prise, un abandon, une discontinuité, une irruption "de l'extérieur" ; il est sans durée, sans cause, "soudain", subversif ; il instaure une rupture dans la formation, la structure, la continuité.

Pour faire bref, j'utiliserai "formation" pour la première dimension et "transformation" pour la seconde.

 

Le cœur du zen est transformation ; cela implique une conversion, un abandon de soi, une perte de soi. La transformation ne peut être produite, programmée, provoquée. Cependant la formation préalable dispose à la transformation. Sans une telle formation, la transformation ne sera ni reconnue ni certifiée.

Après la transformation, une formation continue s'impose pour garder vivant l'esprit et aussi pour se maintenir ouvert à de nouvelles transformations.

 

La transformation se produit dans l'entre-deux, là où la loi, la structure, l'institution et la formation échouent ou tombent en panne, là où l'ego perd pied et se voit dépossédé de sa sécurité. C'est le désert, le vide. La transformation a lieu dans le vide, dans la décision et le choix d'un lâcher-prise, d'un abandon de soi. Il peut y avoir un abandon de soi à plusieurs niveaux, mais pour être véritable, ce sera un abandon de soi dans la vacuité, pour ainsi dire, sans lieu où se tenir. Ce sera une irruption de la Vacuité et du Mystère. Pas un marchandage où l'on “s'abandonne pour mieux se trouver” ; à ce niveau, en effet, même l'observation de soi n'est plus possible.

Cela se produit dans l'entre-deux de vos contacts, des travaux et des défis de votre existence. Cela se passe par l'entremise des personnes, des choses et des événements de votre vie. Et dans l'entre-deux des relations de maître à disciple. Dans cet entre-deux, la force se libère et la vie devient créative.

 

Le maître se présente comme un symbole de la transformation – mais aussi de la formation.

Il m'est arrivé d'utiliser, l'un pour l'autre, "maître" et "enseignant". C'est pour montrer qu'il y a deux faces. Il ou elle doit inspirer, guider, mettre au défi, mettre à l'épreuve le disciple –d'abord à travers une formation. Toute cette formation doit préparer le disciple à la transformation. La bonne volonté et l'empressement du disciple sont alors décisifs.

Il peut arriver que l'on soit poussé à la transformation de façon prématurée ou contrainte, avec des conséquences désastreuses. Il peut y avoir aussi mauvaise interprétation de la transformation. Inutile de s'étendre sur tout ceci.

Le maître peut être l'instrument de la transformation ; il ou elle n'en est ni la cause ni le gérant. Le maître est le témoin et le prophète de la transformation ; on ne devrait pas faire de lui un simple instrument de formation permettant au disciple de travailler à la construction de soi.

 

Je terminerai par un apologue de la tradition zen (recueil Mumokan, cas n° 44).

« Maître Basho dit aux moines : “Si vous avez un bâton, je vous en donnerai un ; si vous n'en avez pas, je vous l'enlèverai”. »

Mumon ajoute ce commentaire :

« Cela vous aide à traverser la rivière là où le pont est détruit. Cela vous accompagne quand vous retournez au village par une nuit sans lune. Si vous appelez cela un bâton, vous irez en enfer à la vitesse d'une flèche.

Maintenant je vous pose la question : Y a-t-il quelqu'un qui veuille mourir avec cela et vivre avec cela ? »

 

[1] La traduction a été effectuée par Francis Pierson les Jacques Scheuer.

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