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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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16 février 2024

Du Dieu de la mémoire au Dieu d'éternité, par John Martin. La vierge, l'enfant, le sage

En cette période proche de Noël, voici un texte de Frère John Martin Sahajananda, bénédictin, qui rappelle l'urgence d'aller au-delà des divisions entre chrétiens et entre religions. Il met en valeur les archétypes de la vierge, de l'enfant et du sage dans la tradition chrétienne, en donnant aussi un éclairage à partir de la tradition hindoue.

Frère John Martin est né en Inde. Il a été longtemps responsable de l'ashram du Shantivanam fondé par Jules Monchanin et Henri le Saux / Swami Abhishiktananda (nous avons commémoré récemment le 50e anniversaire de sa mort). Il intervient encore quotidiennement à l'ashram quand il est en Inde et non en tournée en Europe (en particulier au Forum 104) et en Amérique du Nord. On trouvera de nombreuses choses sur son site (http://www.frerejohn.com/index.php)

Il a écrit plusieurs livres dont certains parus en français : Au-delà des religions (Ed. Les Deux Océans, Paris, 2011) ; Vous êtes la Lumière (Ed. Les Deux Océans, 2013) ; Un nouveau chant de la création (Ed. Les Deux Océans, 2013) ; La Nouvelle Annonciation (Ed. Luc, 2014) ; Qu’est-ce que la vérité ? (Ed. Les Deux Océans, 2016) ; Vivre en Plénitude (Ed. Les Deux Océans, 2019) ; et en 2023 : Faith-book-Vers-l'Unité[1] Vol.1 où il livre jour après jour le fruit de ses recherches.

Il allie des connaissances approfondies du christianisme et de l'hindouisme, ce qui lui permet de proposer une compréhension plus large, du message du Christ et à une spiritualité au-delà des religions.

Cet article date d'il y a presque vingt ans, il était paru dans la revue "Terre du ciel", n° 71, janvier-février 2005 (n° épuisé), cette revue a cessé de paraître en 2006.

L'article contient une mini-présentation à deux endroits, elle est mise en italique et en retrait.

 

 

 

Du Dieu de la mémoire au Dieu d'éternité

Frère John Martin Sahajananda

 

  • « Quand les femmes arrivèrent au tombeau voir Jésus, les anges lui dirent : 'Pourquoi rechercher vous le vivant parmi les morts ?' » Ce verset de l'Évangile de Luc pourrait, à lui seul, illustrer le message de Frère John Martin : nous cherchons ce qui est vivant dans ce qui est mort et notre vie s'enlise dans la reproduction mécanique du passé au lieu d'être créatif, nous enfermant dans des divisions au lieu de nous ouvrir à ce qui unit et qui a été donné en partage à tous les hommes.

 

Le monde divisé.

Aujourd'hui nous vivons dans un monde divisé. Le Christ est non seulement la source de divisions entre chrétiens, mais aussi contre le christianisme et les autres religions du monde. Des efforts ont été faits pour rassembler les chrétiens au nom de l'œcuménisme et rapprocher les religions en général au nom du dialogue interreligieux. Ces efforts cependant n'ont pas abouti à l'unité mais plutôt à l'acceptation des divisions avec lesquelles apprendre à vivre, et même s'ils sont louables, ils ne pourront jamais conduire à l'unité recherchée. La raison en est que nous essayons d'arriver à cette unité par un retour à nos mémoires, à nos Écritures et nos traditions, que nous cherchons le vivant parmi les morts !

Le passé ne peut nous unir, seul le futur le peut. C'est notre destinée commune, et non les stratégies, qui peut unir l'humanité. L'appel de Dieu aux femmes et aux hommes d'aujourd'hui est une recherche du Dieu d'éternité, une recherche de la vierge et du pays neuf, de la grotte intérieure, de l'étable non construite par l'esprit humain mais par Dieu, pour nous permettre de revenir à notre source originelle. Seule la parole née dans cette terre vierge et neuve peut guérir les plaies de la division.

 

● Retour à la source originelle

  • Ce chemin de retour à la source originelle, Frère Martin l'accomplit en se nourrissant à la fois à la tradition chrétienne et à la tradition hindoue. De la tradition chrétienne, il aime évoquer les archétypes liés au récit de Noël : la vierge, l'enfant et les mages (les sages).

 

La vierge

Qu'est-ce qu'une vierge ? Physiquement, c'est une personne qui n'a pas eu d'expérience sexuelle, qui est innocente et ignorante. Psychologiquement et spirituellement, c'est une personne qui bloque le processus historique du Dieu de la mémoire et s'ouvre à la réalité vivante du Dieu de l'éternité.

Aussi longtemps que nous donnons une continuité au Dieu de la mémoire à l'intérieur de notre conscience, nous ne sommes pas vierges et donc sommes incapables de donner naissance au Dieu d'éternité. Seule une vierge spirituelle peut le faire.

 

Visite des mages, EthiopieL'enfant

Qu'est-ce qu'un enfant ? C'est un être qui n'est conditionné par aucune expérience. Il n'a pas de nom, pas encore de langage, pas de religion et pas de culture. Un nouveau-né a une psyché non-conditionnée, ouverte à toutes les possibilités. Dans ce sens, un nouveau-né est aussi vierge.

À mesure que l'enfant grandit, il est conditionné par ses parents, par la société et par la culture. Il reçoit un nom, une langue, une religion, une culture. Il perd sa psyché inconditionnée, il perd sa "virginité". Devenir comme un enfant, selon les paroles de Jésus, signifie se libérer de tout conditionnement et retrouver son innocence originelle.

Alors que le nouveau-né est innocent et ignorant, une personne qui, par son innocence, devient comme un enfant, devient, elle, un sage.

 

Le sage

Qu'est-ce qu'un sage ? Ce n'est pas quelqu'un qui aurait accumulé du savoir ni qui connaîtrait par cœur toutes les Écritures, ni qui écrirait des commentaires, mais celui qui, ayant réalisé les limites du savoir et des Écritures, attend que la sagesse apparaisse au ciel de l'éternité. Un sage est une personne qui a atteint les limites de sa propre religion, qui en a réalisé la relativité des frontières et a, par conséquent, réalisé la relativité de celles des autres religions, puisque la Vérité n'a pas de frontières. Une personne sage n'a pas de frontière à défendre ou à étendre. Elle n'a pas de système de vérité à propager. Elle invite simplement les gens à s'ouvrir à la Vérité qui n'a pas de frontière.

 

  • Dans la tradition hindoue, Frère Martin va chercher ce que Vedas disent de semblable à propos de la « Vérité qui n'a pas de frontières ».

La Mundaka Upanishad parle de deux types de connaissance : apara vidhya, la sagesse inférieure, que nous pouvons appeler connaissance, et para vidhya, la sagesse supérieure. Les Vedas, les Écritures révélées, appartiennent à la première catégorie (la connaissance), de même que tous les systèmes de philosophie et les sujets qui leur sont associés. La seconde (la sagesse) l'expérience directe de Dieu à travers laquelle les sages voient Dieu partout. La première est donc une connaissance indirecte de Dieu et la seconde en l'expérience directe. L'indirecte est appelé inférieure et la directe supérieure, ce qui est une définition dévastatrice pour ceux qui basent leur religion uniquement sur les Écritures révélées. Dans ce sens, le sage est quelqu'un qui, après avoir exploré la connaissance indirecte de Dieu, ou apara vidhya, s'ouvre à para vidhya, l'expérience directe de Dieu. Il est alors comme une vierge ou un enfant. Ainsi la nature de la virginité, celle de l'état d'enfance et celle de la sagesse sont identiques.

 

● L'importance des archétypes de la vierge, de l'enfant et du mage, dans la tradition chrétienne.

Dieu, la Vérité, se présentent sous deux aspects : le manifesté et le non manifesté.

Ce qui est manifesté devient le Dieu de la mémoire, le Dieu du passé, le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Ce qui est non-manifesté est Dieu quand il affirme : « Je suis celui qui se nomme "Je suis" ». En tant que "Je suis", Dieu transcende toujours notre mémoire. Il est comme une rivière qui coule continuellement et ne s'assèche jamais. Le Dieu de la mémoire est comme un pot tiré de la rivière. Quand le Dieu du passé est absolutisé, la porte ouvrant sur le Dieu vivant est fermée, et le contact direct avec lui est perdu. La plupart des gens se contentent de l'eau du pot apporté de la rivière et oublient malheureusement l'eau vive de la rivière. La tradition, le non-vierge, prend alors sur elle la tâche de donner une continuité à la mémoire. Jésus a dit à la Samaritaine, quand elle tirait de l'eau du puits de Jacob : « Quiconque boit de cette eau aura encore soif ; mais celui qui boira de l'eau que je lui donne n'aura plus jamais soif. Au contraire, l'eau que je lui donnerai deviendra en lui source d'eau jaillissante en vie éternelle. » Le puits de Jacob symbolise le Dieu de la mémoire, de la tradition. Jésus aussi a bu de ce puits, mais il a trouvé ensuite le puits intérieur et n'a plus été dépendant du puits de Jacob. Il n'a pas invité la Samaritaine à cesser de boire au puits de Jacob et à boire de son puits, car la Samaritaine n'aurait fait alors que passer d'une dépendance à une autre. Jésus faisant allusion à la source cachée dans le propre cœur de la Samaritaine, l'incitait à creuser son propre puis, à trouver l'eau vive à l'intérieur d'elle-même, et à n'avoir plus besoin ni du puits de Jacob ni de son puits à lui.

La difficulté rencontrée lorsqu'on s'adresse au Dieu de la mémoire est que cela crée des divisions au sein de l'humanité. Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob divise d'humanité entre juifs et gentils. Il y a des frontières à défendre ou à étendre.

Dans la Kena Upanishad, il est écrit que celui qui dit connaître Dieu ne le connaît pas. Celui qui dit ne pas le connaître ne le connaît pas non plus. Mais celui qui dit connaître Dieu sans pouvoir rien en dire, celui-là le connaît. Connaître le Dieu de la mémoire, le Dieu des Écritures, et en même temps être dans un état d'inconnaissance, voilà l'essence de ce que sont une vierge, un enfant et un sage.

C'est pour cette raison que Dieu a besoin des trois : pour interrompre la continuité du Dieu de la mémoire et donner naissance au Dieu d'éternité qui seule peut unir l'humanité. Le Dieu d'éternité n'abolit pas le Dieu de la mémoire, mais permet de réaliser pleinement notre connaissance de lui.

 

● Du chemin extérieur à la voie de l'intériorité.

Jésus naquit dans la tradition juive. Il fut nourri par le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, puis découvrit les limitations de sa tradition qui divise l'humanité en juifs et non-juifs et empêchait le peuple d'entrer dans les eaux vives, le Dieu vivant. Il s'affranchit alors de la matrice du judaïsme, quitta le Dieu de la mémoire et donna naissance au Dieu d'éternité.

La voie de l'extériorité laissa place à la voie de l'intériorité. L'appel à être vierge, enfant et sage avait été entendu. Il n'y avait plus de religion à laquelle appartenir. Il n'y avait plus de modèle à suivre et il pouvait dire : « Je suis la voie, la vérité et la vie ». Cette affirmation est le sommet du voyage spirituel. Une personne qui le dit ne demande pas aux autres de la suivre, mais les invite à découvrir cette potentialité pour eux-mêmes, afin qu'ils puissent à leur tour le déclarer eux aussi. Cette sagesse éternelle brise les murs de la division et pose un Dieu pour une humanité rassemblée : il n'y a alors qu'un seul Dieu et une seule humanité. La sagesse éternelle abolit toutes les frontières, annonce la paix, établit un nouveau ciel et une nouvelle terre. Jésus ne prêcha pas la conversion d'une vie immorale en une vie morale, mais en une vie qui transcende à la fois immoralité et moralité et qui promette à ceux qui entendent ses paroles d'entrer dans la plénitude du Royaume. Jésus invite à faire cette expérience par soi-même.

Avec la naissance du Christ, la manifestation de Dieu atteint donc son point culminant dans la religion juive. Les mages (les sages) virent les limites de ce qu'ils avaient connu jusque-là, virent les limites de leur esprit, de leurs connaissances et de leur mémoire. Le voyage des trois mages est le symbole du voyage de l'humanité (individuellement et collectivement), du voyage de notre recherche humaine de la Vérité. Celui qui réunit en lui les qualités de la vierge, de l'enfant et du sage peut entendre l'appel de Dieu à faire ce voyage vers la source de son être intérieur, la terre vierge, à l'intérieur de lui. C'est l'endroit où il rencontre le Dieu Vivant, le Bien-Aimé, directement. Jusqu'alors, il n'avait entendu parler de Lui qu'indirectement, à travers Sa tradition et Ses Écritures ; à présent il est appelé à Le rencontrer directement. L'humanité est ainsi faite, cependant, qu'elle réduisit à un Dieu de la mémoire cette Parole éternelle et ferma ainsi la porte au Dieu d'éternité. L'humanité se trouva alors divisée, cette fois, entre chrétiens et non-chrétiens.

La mémoire de Dieu qui divise l'humanité est celle qui a perdu le contact avec la fontaine d'eau vive. Une religion fondée sur la mémoire repose sur l'apara vidhya, la sagesse inférieure. Jésus n'a pas trouvé son enseignement dans la mémoire des Écritures, mais dans les enseignements de para vidhya, l'expérience directe qui, seule, peut briser les barrières et guérir les plaies de la division. Car la nature de la sagesse fait qu'elle ne divise pas l'humanité mais l'unit.

 

● Vie mécanique et vie créative.

Les scribes et les pharisiens amenèrent à Jésus une femme ayant commis un adultère et lui posèrent cette question tortueuse : « Maître, cette femme a été surprise en flagrant délit d'adultère. Moïse nous commande de lapider une telle personne. Et toi qu'en dis-tu ? » Ils voulaient le piéger. Si Jésus avait dit : « Ne la lapidez pas », ils l'auraient alors accusé de ne pas respecter la loi de Moïse. S'il avait dit : « Lapidez-là », ils auraient pu lui dire : « Tu es un homme de Dieu et tu n'as pas de compassion pour cette femme ». Ces deux réponses les auraient confortés dans leur condamnation de Jésus. Mais Jésus leur répondit : « Que celui de vous qui est sans péché lui jette la première pierre ».

D'où venait cette réponse ? Certainement pas de la mémoire, du passé, de la pensée, parce que personne n'avait dit cela avant Jésus. Il fit une réponse créative, immédiate et inspirée, qui vint de l'au-delà de la mémoire et qui était appropriée à cette situation particulière. Après l'avoir entendu, les pharisiens partirent, en commençant par les plus vieux.

Il y a deux façons de vivre notre vie. L'une est créative et l'autre mécanique. Dieu est créatif et a créé l'humanité pour qu'elle vive de manière créative. Mais l'humanité est tombée d'une existence créative à une existence mécanique. Vivre une vie mécanique, c'est vivre de façon fixe, inflexible, répétitive, une vie où il n'y a qu'imitation, dans laquelle nous mettons aveuglément le passé dans le présent et, à son tour, le présent dans le futur. Ce type de vie ne peut pas réellement être appelée "Vie". Nous pouvons vivre comme cela cent ans et en tirer autant d'expérience qu'en une seule journée. À l'opposé de cela est la vie créative. D'elle, nous ne pouvons rien dire, car, au moment où nous la définirions, elle deviendrait mécanique. Nous ne pouvons la définir qu'en termes négatifs ; la vie créative est celle qui n'est pas mécanique. C'est celle qui manifeste le Royaume de Dieu.

 

● Royaume de Dieu et sanatana dharma

Dans la tradition hindoue, la vie de l'homme présente quatre étapes : la première, brahmacharya est celle de l'étude des Écritures. La deuxième, grihastha, est celle de la prise de responsabilité dans la société, nécessaire à la continuité et à la tradition. Au cours de ces étapes, la brahmachari et le grihastha suivent la loi de la tradition et de la continuité. La troisième étape, vanaprastha, est la vie érémitique, le début du processus de discontinuité, l'état suprême. Un sannyasi vit selon la volonté éternelle de Dieu, appelée sanatana dharma. Il n'est pas lié par la tradition.

Le terme équivalent dans le Nouveau Testament à sanatana dharma est le "Royaume de Dieu". Quand Jésus invite ceux qui l'écoutent à chercher le Royaume de Dieu et sa plénitude, il les invite à ce sanatana dharma, à la volonté éternelle de Dieu, à quitter ce dharma qui vient des Écritures, de la tradition, et qui risque d'être répété jusqu'à leur mort mécaniquement, par simple soumission et sans effort de pensée ou de découverte personnelle.

Mais la voie du sanatana dharma consiste à suivre la loi intérieure, la voie intérieure. C'est la voie de la mort continue, une mort au passé et un passage dans l'éternel présent. En cela, la volonté de Dieu n'est pas fixée une fois pour toutes, mais se manifeste d'instant en instant. La voie du Royaume de Dieu est celle d'une mort, ou renonciation, permanente. Jésus l'a dit : « Les renards ont des terriers, et les oiseaux du ciel, des nids ; le Fils de l'homme, lui, n'a pas où poser sa tête ».

Habituellement, la tradition révèle ou présente la volonté théorique de Dieu en une impressionnante (et non nécessaire) plénitude, faisant d'elle un lourd fardeau à porter tout au long de la vie. Mais dans le Royaume de Dieu, la volonté de Dieu est dispensée d'instant en instant de telle manière que l'on peut avancer avec légèreté et sans aucun fardeau.

Une religion qui est une véritable vierge mère montre à ses enfants l'état qui est au-delà de ses propres structures. Une religion en tant que vierge mère donne naissance à un enfant plus grand qu'elle ne l'est. Elle choisit le futur au nom du futur. Elle est donneuse de vie.

Une religion qui n'est pas vierge conçoit, mais ne donne jamais la vie. Elle choisit le futur dans la continuité du passé. Elle est preneuse de vie.

Tant que l'on donne une continuité au passé, on vit une vie empruntée et mécanique. Quand le passé prend fin, alors le futur issu de sa continuité prend fin aussi. Le temps psychologique prend ainsi fin et l'éternité se manifeste. C'est un état de virginité, de renaissance d'enfance spirituelle où l'on quitte la matrice du Dieu de la mémoire et l'on entre dans le Dieu d'éternité. C'est l'état d'illumination, un état où Dieu naît dans le monde et où l'être humain naît en Dieu. C'est un vrai Noël. C'est le Royaume de l'authenticité où personne ne marche dans les traces laissées par un autre, ni ne laisse de traces qu'un autre aurait à suivre. C'est l'état de non-dualité ontologique, selon cette parole de Jésus : « Le Père et moi, nous sommes un. »

Cette déclaration, contrairement à ce qu'elle peut paraître de l'extérieur, n'est pas orgueilleuse, mais bien un constat de profonde humilité. La révolution spirituelle et l'accomplissement apporté par Jésus à sa propre tradition est cette dignité de l'être humain, manifestée dans l'image et la ressemblance de Dieu qui a le pouvoir de transcender les religions, les voies extérieures, et d'affirmer avec audace : « Je suis le chemin, la vérité et la vie ». C'est la plus libératrice et la plus humble affirmation que Jésus ait faite : libératrice parce que Jésus s'est ainsi libéré des fardeaux du passé ; humble, parce que cette affirmation en elle-même ne devient pas un fardeau pour le futur. C'est la bonne nouvelle que le christianisme a encore à annoncer et qui seule peut briser les murs de la division entre les Églises chrétiennes et les barrières avec les religions en général.

Cependant, c'est la moitié seulement de la bonne nouvelle. Noël n'est pas seulement la naissance de Dieu dans le monde, c'est aussi la renaissance de l'être humain en Dieu. Jésus, qui a dit : « Je suis la lumière du monde », a dit aussi : « Vous êtes la lumière du monde ». Le christianisme doit annoncer à toute l'humanité : vous êtes la voie, la vérité et la vie, découvrez-le par votre renaissance.

La religion a souvent étouffé l'esprit humain et l'a enseveli dans la chambre funéraire de sa structure, Jésus l'a ouverte et l'a transformée en une matrice qui ne fait pas que concevoir, mais fait également naître. L'expérience de la résurrection est de même nature : c'est celle d'une renaissance. Noël et Pâques ne sont pas deux expériences différentes, mais une seule : celle de la renaissance de l'homme dans la liberté du Royaume de Dieu, dans la vérité qui n'a pas de frontière.

Annoncer la résurrection de Jésus et en même temps ensevelir l'esprit de son peuple dans les chambres funéraires d'une tradition religieuse structurée est contraire au message du Christ.

Annoncer la moitié de l'Évangile donne un Dieu, un Christ, une religion, une Église qui, tel Hérode, a ses frontières à protéger et à étendre. Ses frontières excluent tous les autres. Là où il y a des frontières, il y a violence et risque de guerre.

Annoncer l'Évangile dans sa plénitude donne un Dieu, un Christ, une religion et une Église sans frontières et qui embrassent alors le monde entier.

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