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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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15 août 2023

Bernard Durel lit la guérison de l'aveugle Bartimée comme restauration complète d'une personne, de la communauté, du monde

Le récit de Marc 10, 46-52 rapporte un acte de guérison du Christ, un parmi beaucoup d'autres dans l’Évangile. Certains lisent ces récits comme des preuves de la puissance divine du Christ.

Il y a une vingtaine d'années, Bernard Durel a prononcé une homélie sur ce texte, en précisant que c'est ce qu'il avait découvert chez Graf  Dürckheim (et d'autres qui lui) qui lui avait permis de lire autrrement. En effet, il centre son attention sur le cheminement de Bartimée, sur le dialogue qui s'instaure avec Jésus… il situe aussi Bartimée au sein d'une communauté.

Voici l'essentiel de cette homélie où il fait des parallèles avec d'autres récits : la multiplication des pains, le paralysé qu'on descend par le toit, la belle-mère de Simon (les références ont été ajoutées).

 

 Guérison de l'aveugle Bartimée

 

Jésus et l'aveugle, Berna LopezÉvangile : Marc 10, 46-52.

  • Tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, un mendiant aveugle, Bartimée, le fils de Timée, était assis au bord de la route. Apprenant que c'était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Jésus, fils de David, ait pitié de moi ! » Beaucoup de gens l'interpellaient vivement pour le faire taire, mais il criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! »
    Jésus s'arrête et dit : « Appelez-le. » On appelle donc l'aveugle, et on lui dit : « Confiance, lève-toi ; il t'appelle. » L'aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Jésus lui dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? – Rabbouni, que je voie. » Et Jésus lui dit : « Va, ta foi t'a sauvé. »
    Aussitôt l'homme se mit à voir et il suivait Jésus sur la route.

 

L'Évangile qui nous est proposé est tout à fait important pour nous... Nous voyons, parmi bien d'autres récits, que Jésus s'approche, entre en relation, se laisse toucher par la souffrance des autres.

Nous prendrons quelques instants pour nous adapter à l'impact de ce récit, parce que nous savons bien qu'à différentes occasions Jésus guérit des malades, des paralysés, des possédés, des lépreux. Dans l'apologétique traditionnelle on lisait cela comme des preuves de sa divinité, et on ne se souciait pas beaucoup du comment de ces guérisons. Moi-même je ne l'ai pas fait jusqu'à ma rencontre avec Dürckheim et avec d'autres chemins dans ma vie.

Souvent c'est très laconique : « Il imposait les mainsII disait une parole » … Mais dans bon nombre de récits, il y a un peu plus : les circonstances, les avants, les tenants et les aboutissants, les "comment", le rôle des autres. Là il y a des aspects de notre relation à la souffrance des autres sur lesquels il y aura à revenir… A ce sujet, on pourrait évoquer, par exemple, ce merveilleux récit où, avec des variantes d'ailleurs, les gens viennent trouver Jésus au sujet du fils du centurion, un officier romain, un païen. Ils ne sont pas tout à fait sûrs que Jésus va vouloir se mobiliser pour une telle affaire. On voit vivre ainsi tout un milieu, et la guérison va apparaître dans une relation de dialogue.

C'est un peu caricatural – mais une caricature qui, hélas, se vérifie parfois – on ne voit pas Jésus le matin faisant son plan de guérison, disant : Ce matin on va s'attaquer à tel quartier, on va s'occuper des lépreux, on va réunir les gens sur la place… Ce n'est pas du tout ainsi que cela se passe.

 

Mais souvent, comme ici, il y a toute une histoire : cet homme crie, appelle Jésus, prend l'initiative. Jésus passe son chemin. Cet homme appelle au secours : « Aie pitié de moi. », ce qui évoque, en arrière-fond, qu'il a entendu parler de ce Jésus qui passe, et il tente sa chance. Il appelle au secours et il crie. Les choses ne se passent pas très bien puisqu'on le fait taire, on l'empêche d'avancer...

Il faut que cet homme crie, qu'il exprime sa détresse – et on va voir comment Jésus va amplifier cela – il faut que cet homme ne se considère pas comme un cas, un "patient" selon le vocabulaire d'aujourd'hui. Il est un sujet qui crie, qui se redresse et qui, dans un instant, lorsque cela lui sera proposé, va se dresser sur ses jambes et se mettre à courir. En tout cas ce n'est pas Jésus qui lui tombe dessus pour lui faire du bien. C'est un autre mouvement. Ce qui va se passer présuppose qu'une relation s'instaure, dans les cris, dans l'épreuve, dans les difficultés, dans cette demande qu'il exprime. Et Jésus – pour prendre une expression familière – mouille cet homme.

À la multiplication des pains, ce n'est pas Jésus qui va donner à manger aux 5000 personnes à partir des 5 pains [cf. Marc 6, 37], mais Jésus mouille ses disciples, comme il le fait ici où il dit : « Appelez-le. » C'est un sujet qui est guéri, mais c'est aussi une guérison de la communauté... Donc Bartimée a été guéri, mais aussi d'autres, de quelque façon, dans d'autres lieux.

« Confiance, lève-toi » c'est déjà une guérison. Cet homme était exclu, le voilà au centre.

Et puis, arrive alors la phrase principale qui manque souvent dans nos relations de soins : « Que veux-tu ? » Souvent on saute cette étape et on guette la guérison : « Lève-toi et marche. » … Non, d'abord : « Que veux-tu ? » Ce n'est pas seulement de ce qui est utile dont il a besoin.

Dans l'histoire du paralysé qu'on descend à travers le toit [cf. Marc 2,1-10], là aussi la détresse est évidente et pourtant Jésus, comme si souvent (je crois que, même quand le récit ne le dit pas, il a posé cette question d'une façon ou d'une autre) dira : « Que veux-tu ? » Il ne s'agit pas d'un cas, d'une détresse parmi d'autres. Il s'agit d'un être humain précis qui est là sur le chemin. Tout est en place : « Que veux-tu ? » Et là apparaît une distinction... entre la maladie, la détresse de cet homme et puis le malade.

Je reviens un instant à l'histoire du paralysé qu'on descend à travers le toit : Jésus, le voyant devant lui, dit : « Tes péchés sont pardonnés. » Qu'est-ce que cela a à faire avec la situation de cet homme qu'on a apporté sur un brancard ? Pourtant le bénéficiaire ne dit pas à Jésus : Commence par ma jambe. Il se tait et je pense qu'il accepte la parole qui lui a été dite. Parce que Jésus a vu, non pas une jambe paralysée, mais un être humain. Et il a vu le cœur de la détresse de cet homme. Plus grande encore que sa jambe paralysée – dont il s'occupera plus tard – comme d'un signe de la première guérison – plus grave que la détresse physique, il y a une détresse secrète. Peut-être cet homme est-il résigné, révolté, peut-être cet homme a-t-il envié son entourage… Jésus focalise donc sur quelque chose de plus mystérieux qui est plus important.

Donc ce qui est au centre, ce n'est pas un objet, un phénomène, c'est un sujet.

Et pour Bartimée, voilà qu'arrive, comme si souvent dans les évangiles, la conclusion : « Ta foi t'a sauvé. » Non pas : Je t'ai guéri ou quelque formule magique mettant le centre de gravité du côté du guérisseur. Depuis le début, et encore là, le centre de gravité est du côté du sujet : « Ta foi t'a sauvé », c'est-à-dire : Tu n'as pas fait obstacle, tu as été disponible, tu t'es levé dès qu'on t'a invité à le faire ; tu es un homme transparent, et les forces de guérison auxquelles tu crois, quelles qu'elles soient, ont pu agir. Tu étais là.

Par ces différentes annotations du récit, depuis les premiers cris de cet homme et les interventions des uns et des autres, on voit que Jésus, au fond, crée un espace d'accueil pour les forces de guérison, les bonnes forces.

Et, au fond, la phrase principale est la dernière : « Aussitôt l'homme se mit à voir et il suivait Jésus sur la route. » C'est-à-dire que cet homme, pour la première fois, a la possibilité de prendre sa place dans la caravane humaine.

Nous avons un parallèle de cela dans la guérison de la belle-mère de Pierre, Jésus arrive dans la maison, elle guérit et, immédiatement après, il est dit : « Et elle passait parmi eux et elle les servait. » (Marc 1, 31).

Ce qui est au centre de ce récit, ce n'est pas le miracle, mais la restauration complète d'une personne humaine, de la communauté et finalement du monde.

 

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