Assise est un centre "spirituel" : qu'est-ce que cela veut dire ?
Le centre Assise se définit comme un "centre spirituel". Mais ce mot, à notre époque, prend des significations bien différentes.
Jacques Breton qui a fondé ce centre, essaie ici de dire ce qu'il met sous le mot "spirituel". il précise qu' « Un centre spirituel est donc un lieu où souffle l'Esprit afin que tout homme puisse bénéficier de sa présence » mais que cette spiritualisation de l'homme ne se fait pas sans transformation et exige donc effort, abandon, ruptures et passages douloureux...
Assise est un centre "spirituel" :
Qu'est-ce que cela veut dire ?
La Voix d'Assise n° 1, avril 1994
Il est toujours difficile de parler d'un centre d'une manière objective quand on en est soi-même responsable. Trop engagé, nous n'avons pas le recul nécessaire pour en témoigner en vérité. Du moins, je peux redéfinir les axes autour desquels évolue le centre, les fondements sur lesquels il repose et dont je suis le garant. Bien souvent, j'ai parlé des trois piliers – Graf Dürckheim, le zen, la tradition chrétienne – sur lesquels repose Assise. Ici je voudrais les présenter d'une manière autre, peut-être plus essentielle.
Assise se définit comme un "centre spirituel". Mais ce mot, à notre époque, prend des significations bien différentes.
Bien souvent le spirituel est identifié aux valeurs humaines comme la paix, le respect, la justice, la liberté… Les valeurs sont perçues comme le fruit de l'effort humain, de la mise en ordre psychologique, d'activités humanitaires. Il n'y a pas de référence à un au-delà de nous-mêmes et, si elle existe, elle est purement utopique.
Pour d'autres, dans le sens inverse, le spirituel s'identifie au religieux. La vie spirituelle consiste à adhérer à un dogme, une doctrine, à participer aux rites, à suivre une éthique, à maintenir quelques temps de prière. Malheureusement l'homme dit religieux n'est pas forcément spirituel, il peut demeurer dans un certain formalisme où rien n'est fait pour développer les valeurs humaines dont nous parlons plus haut.
Il me paraît important pour définir le spirituel de revenir à l'origine du mot Esprit, mot qui lui-même est très lié au souffle. En latin, en grec, en hébreu, dans l'Inde, en Chine, c'est le même terme qui traduit l'un et l'autre[1]. Et dans toutes les grandes traditions, ce Souffle, cet Esprit est perçu comme la présence de l'Absolu à l'œuvre dans notre humanité et dans l'univers. Tous les mystiques en font l'expérience comme la réalité par excellence et non comme le fruit de notre fantasme, de notre imagination. C'est la seule réalité qui peut combler l'homme et l'acheminer vers sa pleine réalisation. Par lui-même l'homme ne peut espérer atteindre cette plénitude. Il vit dans un monde trop limité et un abîme le sépare de cet Absolu auquel il aspire. Tout son effort consistera à s'ouvrir à cette Puissance, cette Sagesse, cet Amour qui est l'Esprit. Grâce à lui il prendra conscience de ses limites, de ses faiblesses, de ses failles. Il souffrira de se sentir si éloigné de la réalité qu'il voudrait être. Dans la mesure où il acceptera de vivre de cet Esprit, il trouvera toujours en Lui la lumière, le courage, pour accepter sa pauvreté et participer à l'œuvre de sa transformation qui, peu à peu, l'acheminera vers le but de sa vie. Il peut aussi refuser cet Esprit par suffisance, par orgueil, par manque de foi. Mais l'homme laissé à lui-même ira à sa perte. Il peut se leurrer, chercher des compensations, s'enfermer dans son petit univers, il ne sera jamais heureux.
Toutes les grandes traditions religieuses offrent les moyens, les méthodes, pour nous aider à nous ouvrir à cet Esprit. Elles vont différer sur la relation de l'homme à cette réalité intérieure. Ainsi les traditions orientales mettent beaucoup plus l'accent sur l'abandon total de l'homme à cet Esprit. Au contraire, le christianisme, à la suite du Christ, insiste davantage sur sa collaboration avec l'Esprit divin. Et, dans cette tradition, l'Esprit nous est donné : « Si tu savais le don de Dieu… » (Jn 4, 10) ; « Combien plus le Père céleste donnera-t-il l'Esprit Saint à ceux qui le demandent » (Luc 11, 13). Et, selon saint Paul, Il s'unit à l'esprit de l'homme non pour prendre sa place mais pour développer son intelligence, fortifier sa volonté, ouvrir son cœur à la sagesse et à l'amour divin. On pourrait dire que l'Esprit divin se donne à l'homme pour que l'homme devienne Dieu.
Un centre spirituel sera donc un lieu où soufflera l'Esprit afin que tout homme puisse bénéficier de cette présence.
De plus, il faut bien comprendre que cette spiritualisation de l'homme ne se fait pas sans transformation et exige donc effort, abandon, ruptures et passages douloureux. Si nous avons déjà tant de difficultés à voir clair en nous-mêmes sur le plan psychique, à tel point qu'il nous faudra faire appel à un thérapeute, a fortiori, sur le plan spirituel, que de confusion entre ce que nous croyons venir de l'Esprit et notre inconscient psychique. Et combien projettent sur Dieu leurs fantasmes, leurs problèmes non résolus, leurs sentiment non exprimés, leur imagination. D'autre part, nous savons aussi combien il nous faut de temps, de travail, de préparation, pour développer un art quel qu'il soit. À part quelques génies, les artistes se sont formés sous la direction d'un maître qui leur a fait partager son expérience. Et c'est peu à peu, qu'ils puiseront en eux-mêmes leur propre inspiration.
Or, la vie spirituelle est un art par excellence qui demande tout un apprentissage qui se fera sous la direction d'un maître spirituel lui-même expérimenté. Comme dans l'art, il y a différentes écoles qui se rattachent à une grande tradition. Cette transmission de maître à disciples remonte jusqu'au fondateur : pour le bouddhisme se sera Bouddha, pour le chrétien le Christ… Mais ces traditions, tout en restant parfaitement fidèles à l'Esprit qui les anime, mettront plus l'accent sur un aspect ou un autre de cet Esprit. Par exemple, dans l'Église catholique, il existe différentes spiritualités : franciscaine, ignatienne, dominicaine, carmélitaine…
Assise n'a pas la prétention de créer une spiritualité, mais le Souffle qui l'anime va donner au Centre sa propre spécificité. Tout en demeurant dans la tradition chrétienne, il s'ouvre à la tradition bouddhiste à travers le zen. Sans doute, cette rencontre est très délicate mais combien enrichissante. Peut-être n'est-elle pas sans risque, mais le chemin spirituel est un risque permanent qu'il faut savoir mesurer. Je crois qu'elle correspond à notre époque actuelle où nous ne voulons plus, entre les traditions, ni nous faire la guerre, ni nous ignorer, mais au contraire collaborer. C'est le même Esprit qui souffle.
Si certains orientaux se sont surtout intéressés à la nature profonde de l'homme : « Qui suis-je ? », les occidentaux grâce au Christ ont perçu l'homme comme une personne en tant que relation d'amour.
Sans tomber dans le syncrétisme, cette ouverture au zen peut être, pour le chrétien, une possibilité de purifier et d'approfondir sa foi. Encore faut-il que le Centre Assise donne les moyens d'aider ceux qui y participent, à cheminer dans cet Esprit.
C'est ce que nous cherchons à réaliser dans ce Centre, en faisant appel à différents animateurs dont certains se sont formés auprès de Graf Dürckheim, ce sage qui a fait le lien entre l'Orient et l'Occident. C'est aussi l'œuvre de nous tous où chacun apporte sa propre expérience pour que l'Esprit circule et fasse d'Assise un lieu de vie et de rencontres.
Jacques Breton
[1] En hébreu le mot rouah désigne l'esprit, le souffle, le vent. Même chose pour pneuma en grec. Pour le chinois, François Cheng parle de la notion de shen-ch'i (Souffle-Esprit),