Méditer, pour mieux découvrir le Christ, Entretien avec B. Billot, de 2011
« Les pratiques de méditation aident à dégager l'accès au cœur profond » nous dit Benoît Billot.
Le précédent message présentait Benoît Billot et son dernier livre sur les rencontres inter-monastiques organisées en 1983 par le Vatican. Voici un entretien paru dans La Croix, n° 38894 du 12 février 2011 (https://www.la-croix.com/), réalisé par Martine de SAUTO.
Dans l'entretien, Benoît évoque Guigues Le Chartreux (XIIe siècle) qui évoque quatre degrés de contemplation, un extrait figure en annexe.
Méditer, pour mieux découvrir le Christ
Entretien avec F. Benoît Billot
Le P. Benoît Billot, engagé dans le dialogue interreligieux monastique, a fondé en 1985, à Choisy-le-Roi (Val de-Marne), la Maison de Tobie, qui propose une initiation à diverses écoles de méditation silencieuse. Il explique l'apport des pratiques venues d'Asie.à la méditation chrétienne
Qu'est-ce que la méditation ?
F. Benoît Billot : Méditer vient du latin meditari, dérivé de mederi, qui signifie « prendre soin ». La méditation, sous ses quatre formes principales, est l'exercice qui permet de prendre soin de la vie intérieure.
La méditation de la Parole, appelée aussi lectio divina, qui trouve sa source dans la tradition juive de rumination de la Parole biblique, s'est épanouie au IVe siècle chez les Pères du désert. C'est la première pratique à laquelle on a appliqué le terme de « méditation ». Elle nous a été transmise notamment par Benoît de Nursie (VIe siècle), qui l'a inscrite dans sa règle, puis a connu une nouvelle expansion au XIIe siècle avec Richard de Saint-Victor et Guigues le Chartreux qui a établi une méthode de lectio divina en quatre étapes : la lecture lente du texte, pour qu'il prenne de l'intensité à l'intérieur de soi ; la méditation, moment réflexif pour comprendre le texte, suivie d'une relecture où peut être un mot accroche, éveille quelque chose en soi ; enfin, l'oratio, temps d'oraison à partir de ce qu'on a découvert, pendant lequel on reste en silence, dans l'ouverture au Tout Autre. C'est par ce point que la méditation chrétienne rejoint la méditation asiatique. La prière du cœur est une pratique tout aussi ancienne.
En quoi celle-ci favorise-t-elle la méditation ?
Les Pères du désert étaient des ermites, dont la prière perdurait pendant qu'ils occupaient leurs mains à de petits travaux. Elle était soutenue par la répétition d'une formule extraite du Premier ou du Second testament : « Seigneur viens à mon aide », ou un verset du Notre Père, ou cette formule de l'Apocalypse : « Maranatha », « Viens Seigneur ». La formule retransmise par les Pères orthodoxes, que l'on a nommée prière du coeur ou prière de Jésus (« Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi pêcheur »), est aujourd'hui la plus célèbre. La répétition permet d'aller vers le centre de soi-même perçu comme le sanctuaire intérieur dans lequel vient habiter la Trinité sainte. Cette pratique est insérée dans ce que l'orthodoxie appelle la Tradition hésychaste qui signifie à la fois retrait, paix, silence.
La relecture de vie est-elle une forme de méditation chrétienne ?
Oui. Saint Ignace (XVIe siècle) a proposé une forme de méditation pour la relecture de la vie quotidienne qui reprend sa pédagogie des Exercices spirituels et permet de se concentrer sur ses mouvements intérieurs, de saisir les moments où l'Esprit Saint agit et les appels qu'il lance, de repérer ce qui fait obstacle. L'Action catholique a également développé au XXe siècle une forme de méditation sur la vie qui prend en compte ces dimensions individuelle et collective.
Qu'ont en commun ces pratiques spirituelles chrétiennes ?
Elles n'ont d'autre but que de dégager l'accès à ce que l'Ancien Testament appelle « le Cœur profond » et que l'Apôtre Paul nomme le « Temple de Dieu ». Il existe dans les tréfonds de chaque homme, au-delà des couches de l'inconscient, des souvenirs enfouis, des réflexes acquis, un lieu sacré ouvert à l'Infini de Dieu, pour le chrétien, lieu d'accueil de la Trinité sainte.
Comment les chrétiens se sont-ils intéressés aux méditations venues d'Asie ?
Au XVIe siècle, Jean de la Croix, qui pratiquait la lectio divina, en a développé la quatrième étape, la contemplation, pour parvenir à ce qu'il a appelé une attention aimante. Il ouvrait alors la porte à d'autres types de méditation, même si son attention était tout entière relation au Christ vers lequel il laissait monter son amour et dont il accueillait l'amour. Au milieu du XXe siècle, des précurseurs comme Henri Le Saux et Jules Monchanin se sont initiés en Inde aux traditions asiatiques de méditation. Ils ont contribué à les faire connaître. Il s'agit d'une méditation sans objet, qui vise à ne faire qu'un avec le divin qui est en soi. Une position très étudiée favorise la respiration et l'attention profondes, permet d'accueillir les pensées qui agitent l'esprit sans se laisser dominer par elles. Cette méditation permet d'entrer dans la conscience de cette réalité plus profonde que les bouddhistes appellent Busshô, les hindous Atman, et qui est d'ordre transcendant.
Qu'apportent ces pratiques à la Tradition chrétienne ?
Elles peuvent rappeler à l'Église une tradition qu'elle a trop oubliée : l'apophatisme, selon laquelle la réalité de Dieu est au-delà des mots, des images, des dogmes. Saint Grégoire de Nazianze, Denys l'Aréopagite qui a influencé Jean de la Croix, Maître Eckhart et les mystiques rhénans, l'ont exprimé. L'Asie nous enseigne aussi que le corps participe à la prière et nous montre comment être présent, non à ce qui s'est passé hier ou se passera demain, mais au moment présent, en son temple intérieur, là où le chrétien entre en relation, en dialogue intime et profond avec Dieu.
ANNEXE.
Les quatre degrés de contemplation par Guigues Le Chartreux (XIIe siècle)
Un jour, durant le travail des mains, tandis que je songeais aux exercices de l'homme spirituel, voilà que tout à coup j'aperçois quatre degrés : lecture, méditation, prière, contemplation. C'est l'échelle des cloistriers, qui les fait monter de la terre au ciel. Elle a peu d'échelons : elle est très haute cependant, d'incroyable longueur. La base repose sur la terre ; le sommet dépasse les nuées et pénètre les profondeurs des cieux. De ces échelons les nom, nombre, ordre et usage sont distincts. (...) La lecture est l'étude attentive, faite par un esprit appliqué, des Saintes Écritures. La méditation est l'investigation soigneuse à l'aide de la raison, d'une vérité cachée. La prière est l'élévation du cœur vers Dieu pour éloigner le mal et obtenir le bien. La contemplation est l'élévation en Dieu de l'âme ravie dans le savourement des joies éternelles. (...) Tous les degrés de notre échelle se tiennent ensemble et ils dépendent l'un de l'autre. La lecture est le fondement ; elle fournit la matière et vous engage à méditer. La méditation recherche avec soin ce qu'il faut désirer, elle creuse et met au jour le trésor souhaité ; mais incapable de le saisir, elle nous excite à prier. La prière, se dressant de toutes ses forces vers le Seigneur, demande le désirable trésor de la contemplation. Enfin, la contemplation vient récompenser le travail de ses trois sœurs et enivrer de la douce rosée céleste l'âme altérée de Dieu. La lecture est donc un exercice externe. C'est l'échelon des commençants. La méditation, un acte intérieur de l'intelligence. C'est l'échelon de ceux qui progressent. La prière, l'action d'une âme pleine de désir. C'est l'échelon de ceux qui sont à Dieu. La contemplation dépasse tout le sentir et le savoir. C'est l'échelon des bienheureux. »