Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 104 159
Archives
15 octobre 2022

"Le dialogue interreligieux, chemin de transformation intérieure", Assises pastorales européennes 2014, Voies de l'Orient

Assises 2014, Voies de l'Orient

Les sixièmes Assises européennes organisées par les Voies de l'Orient avaient pour but d'élaborer un document au sujet de la pratique du dialogue au niveau spirituel.  Il y avait aussi des temps d'information et d'échanges.

Voici 1/ la présentation générale envoyée aux participants avant la rencontre, et 2/ le document élaboré qui est téléchargeable en fichier PDF sur leur site[1].

Voir le message précédent : Association des Voies de l'Orient (1982-2022) : échos de leurs activités et publications

 

Le Dialogue Interreligieux,

Chemin de Transformation Intérieure

 

Présentation générale du colloque  par Pierre de Béthune

 

Depuis 1996, une équipe élargie des ‘Voies de l’Orient’ a déjà organisé cinq colloques qui réunissent des chrétiens engagés dans la rencontre interreligieuse. Poursuivant cette tradition, le sixième sera davantage une session de travail. En effet, les personnes invitées ont toutes déjà une expérience en ce domaine. L’équipe organisatrice propose donc que ce colloque soit bien sûr d’abord un temps d’information et d’échanges, mais que l’on profite également de ce rassemblement pour réaliser ensemble un document au sujet de la pratique du dialogue au niveau spirituel Ce pourrait être une sorte de directoire où seraient précisées les exigences évangéliques et les enjeux théologiques de cette entreprise, pour ensuite dégager des conseils d’accueil, d’audace et de prudence, à l’intention de ceux qui s’engagent sur cette voie.

 

Le contexte  

Depuis un demi-siècle, les rencontres interreligieuses se sont multipliées, en particulier à l’initiative des chrétiens. La pratique du dialogue a conduit à distinguer des lieux ou des dimensions complémentaires : voisinage de la vie quotidienne, participation à des projets communs, approfondissement des doctrines, expérience spirituelle. Cette dernière en particulier invite à porter le regard sur le retentissement de la rencontre en chacun des partenaires. En effet, ceux qui s’y sont sincèrement engagés n’en reviennent pas indemnes. Mais que signifie une telle expérience pour un chrétien ? Ce colloque veut précisément étudier le sens de cette pratique du dialogue réalisé au niveau spirituel.

L’histoire du mouvement dialogal est déjà significative à cet égard. Il y a eu dans les Églises comme un développement organique de la pratique du dialogue interreligieux. La nécessité d’une rencontre explicite et respectueuse s’est d’abord imposée. La Déclaration Nostra Aetate du Concile Vatican II (1965) en est la manifestation la plus évidente. Il est même apparu que le dialogue était une nécessité vitale pour notre monde. Mais les motivations pastorales et sociopolitiques ne sont pas suffisantes. On a peu à peu découvert la nécessité d’une rencontre plus en profondeur avec des témoins d’autres traditions spirituelles. La journée de prière à Assise (1986) était en effet une rencontre des religions en tant que telles. Le dialogue était désormais situé au niveau de la prière et de l’expérience spirituelle.

Certains pionniers, comme Thomas Merton, Henri Le Saux n’avaient d’ailleurs pas attendu les prises de conscience des Églises pour s’aventurer sur ces chemins encore inconnus. Ils ne s’étaient pas bornés à respecter et admirer les traditions spirituelles bouddhiques ou hindoues ; ils les avaient accueillies au foyer de leur propre vie spirituelle. Les ‘Commissions pour le Dialogue Interreligieux Monastique’ (DIM), inspirées par ces grands moines, ont à leur tour développé cette pratique. Mais les moines ne sont évidemment pas les seuls à pratiquer un tel dialogue. Ce que Raimon Panikkar a appelé le dialogue intrareligieux est un dialogue qui se passe à l’intérieur de notre engagement religieux, une rencontre des éléments reçus d’une autre tradition spirituelle avec le cœur de notre propre tradition. Tout croyant qui aborde résolument une autre religion s’expose au défi de vivre ainsi sa foi en dialogue.

 

Les enjeux 

Le temps semble donc venu de faire le point au sujet de cette pratique. Sur la base d’expériences maintenant plus nombreuses, il doit être possible de voir dans quelle mesure et à quelles conditions la rencontre des religions à ce niveau est effectivement bénéfique.

Au premier abord un tel dialogue n’est pas du tout évident. Ne risquons-nous pas de laisser entrer ainsi un cheval de Troie au cœur de notre vie chrétienne : l’hôte accueilli de la sorte pourrait alors complètement dénaturer notre foi. Mais notre tradition connait aussi la grâce de l’hospitalité. L’accueil inconditionnel de l’autre réalisé dans les échanges et la prière peut alors être une démarche évangélique. Le croyant d’une autre tradition spirituelle est quelquefois même un messager que Dieu nous envoie pour nous réveiller et nous sortir de notre enfermement millénaire.

 

Les exigences 

Il nous faut donc seulement développer de façon enfin cohérente la pratique de l’hospitalité sacrée, si respectée dans toutes les Écritures, et nous trouverons la méthode la plus juste pour rencontrer aujourd’hui les fidèles des autres religions. Or quand on pratique cette hospitalité, il convient de développer un discernement spirituel particulièrement lucide. Car il s’agit de rien de moins que de vérifier si le changement opéré par cet accueil favorise effectivement une nouvelle conversion à l’Évangile. Les expériences heureuses et malheureuses doivent être évoquées, pour dégager quelques règles de conduite.

Aussi la première condition qui s’impose sur ce chemin est la profondeur de l’expérience spirituelle. L’accueil d’un autre croyant au niveau spirituel n’est possible que si un tel espace d’accueil a été préalablement créé. Nous pouvons de fait constater que les pionniers qui ont ouvert cette nouvelle voie du dialogue intrareligieux étaient presque tous des religieux formés par de nombreuses années de vie de prière ou encore des chrétiens particulièrement engagés dans une recherche spirituelle, comme Raimon Panikkar ou Louis Massignon.

Mais il nous faut encore préciser d’autres conditions. Ce colloque devra y travailler en mettant à profit les expériences des participants invités.

 

Pratiquement 

Ces assises comprendront des exposés, quelques évocations de pionniers du dialogue intrareligieux et des témoignages d’expériences actuelles. Mais il y aura également des ateliers au cours desquels les participants échangeront sur le thème du colloque, pour préparer l’élaboration d’un document dont la rédaction finale sera confiée à un petit groupe.

 

***   ***   ***   ***

 

LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX, CHEMIN DE TRANSFORMATION INTÉRIEURE

Expériences et recommandations recueillies par 'Les Voies de l'Orient'

 

Ce document est le message final du Colloque organisé par 'Les Voies de l'Orient" à la Maison du Chant d'Oiseau (Bruxelles) du 29 mai au 1er juin 2014. Cinq de ces colloques avaient déjà été organisés, depuis 1996. Cette fois encore soixante participants y avaient été invités, parce qu'ils avaient une expérience concrète de dialogue. Une quinzaine d'entre eux étaient d'ailleurs membres des commissions pour le dialogue interreligieux monastique (DIM)

Au cours de cette rencontre furent évoquées en particulier quelques grandes figures emblématiques du dialogue intra-religieux, comme Raimon Panikkar, Edmond Pezet, Vincent-Shigeto Oshida, Keiji Nishitani et Henri Le Saux. Les principaux exposés furent prononcés par Swami Amarananda (Genève), Jean-Claude Basset (Genève), Bettina Bäumer (Varanasi), Fabrice Blée (Ottawa), Christophe D'Aloisio (Bruxelles), Pierre de Béthune (Clerlande), Bernard Durel (Strasbourg), Henri Huysegoms (Niigata, Japon), Shafique Keshavjee (Lausanne), Claire Ly (Marseille), Jacques Scheuer (Louvain-la- Neuve), William Skudlarek (Fujimi, Japon) et Bernard Stevens (Louvain-la- Neuve).

Les participants au colloque, répartis en six ateliers d'une dizaine de personnes, se retrouvaient après chaque exposé pour échanger leurs impressions et réfléchir aux éléments essentiels qui se révèlent constitutifs d'un dialogue intra-religieux. Aucun texte ne peut refléter la riche diversité des témoignages et des réflexions échangés durant ces journées. Nous avons néanmoins tenté d'en rassembler ici l'essentiel. Les participants tiennent, en effet, à partager largement le fruit de ces Assises. La rédaction finale a été réalisée par les principaux intervenants, aidés par Françoise Cassiers (Bruxelles), Dennis Gira (Paris) et Jean-Côme Renaudin (Paris).

 

LA RENCONTRE interreligieuse transforme ceux qui s'y engagent résolument. Toutes les formes de dialogue entre les religions n'exigent pas un tel investissement, mais quand une personne d'une tradition religieuse donnée accueille le témoignage d'une autre tradition au foyer de sa propre vie spirituelle, elle peut s'en trouver interpelée en profondeur, voire transformée. Il s'agit alors de ce que Raimon Panikkar a appelé le 'dialogue intra-religieux'. Il est nécessaire de baliser ce chemin encore peu fréquenté. Le présent document a été élaboré pour y contribuer.

Il a été réalisé par un groupe de personnes au cours d'un colloque organisé à Bruxelles en mai 2014. Venues d'une quinzaine de pays d'Europe et au-delà, membres de plusieurs Églises chrétiennes, c'est en chrétiens qu'ils s'expriment ici. Des personnes et communautés d'autres traditions spirituelles exprimeront pour leur part des réflexions à la fois comparables et originales : c'est la conviction et l'espoir qu'inspire notre expérience du dialogue et qu'attestait la présence à ce colloque de quelques invités adhérant à ces traditions. Les réflexions et suggestions rassemblées ici s'inscrivent dans le mouvement d'ouverture des Églises chrétiennes aux autres traditions spirituelles, tout en se rendant attentives aux gestes d'ouverture à la rencontre provenant de ces autres traditions (notamment bouddhiste et hindoue). Elles se basent sur les déclarations officielles faites par les Églises ces dernières années[2].

Nous avons donc recueilli les témoignages des pionniers et partagé nos propres expériences, pour d'abord préciser ce qu'est ce type de dialogue interreligieux. Nous avons ensuite identifié les risques qu'il comporte, afin de déterminer les conditions exigées pour que cette rencontre respecte toutes les parties. Enfin, il a été possible d'évoquer les enjeux et les fruits de ce dialogue.

 

A. QU'EST-CE QUE LE « DIALOGUE INTRA-RELIGIEUX » ?

Le dialogue intra-religieux est d'abord un dialogue inter-religieux : une rencontre explicite entre adhérents à deux ou plusieurs religions qui attendent de recevoir quelque chose de significatif des autres, au sujet du mystère qui anime tout et tous.

L'espace ouvert par le dialogue permet un accueil de l'autre qui devient une question pour celui qui en prend l'initiative. Ainsi, le dialogue s'intériorise et suscite une transformation intérieure et un approfondissement. Il est le développement silencieux, en chacun des partenaires, de la rencontre et de la découverte qu'ils ont vécues. Cela suppose la prise de conscience d'une interaction entre deux cohérences religieuses et spirituelles au foyer de leur vie spirituelle. Il s'agit donc d'une voie qui vise à réconcilier enracinement et ouverture.

 

B. DIFFICULTÉS ET DÉFIS

S'il ouvre sur une aventure passionnante, le dialogue intra-religieux s'accompagne cependant aussi de remises en question, parfois douloureuses. C'est pourquoi il est si nécessaire d'étudier les conditions que cette pratique réclame. En effet ceux qui n'en ont pas fait l'expérience, ou ont fait une telle expérience dans de mauvaises conditions, le perçoivent comme une menace pour l'identité chrétienne. Aussi ce dialogue se heurte-t-il, dans certains milieux ecclésiaux, à l'incompréhension et même la suspicion.

Mais le dialogue intra-religieux met également le chrétien au défi de repenser des grands thèmes de la foi. Ce défi interpelle en particulier le théologien. Jusqu'où le chrétien, engagé dans la voie du dialogue intra-religieux, peut-il aller dans ses reformulations des doctrines christologiques ? Comment percevoir l'action de l'Esprit dans les autres spiritualités ? En tous les domaines se posent des questions fondamentales.

 

C. CONDITIONS NÉCESSAIRES ET FACTEURS FAVORABLES

Quoi qu'il en soit, le dialogue ne s'improvise pas. Il faut soigneusement vérifier la cohérence de cette démarche.

Le dialogue à ce niveau est d'abord la réponse à un appel de Dieu. Il est essentiel d'en prendre conscience : c'est la première condition à vérifier si l'on veut s'engager sur cette voie. Comme on a pu le voir chez les pionniers du dialogue, cette rencontre interreligieuse ne relève pas d'un goût personnel, mais d'une aspiration profonde à laquelle on accepte de répondre. Elle est un acte de foi qui cherche à rencontrer la foi de l'interlocuteur. Elle se vit toujours explicitement en communion avec toute l'Église. Il nous faut donc constamment vérifier la motivation qui nous porte à la rencontre. Elle doit toujours être purifiée de toute recherche de profit immédiat, même spirituel. Et, paradoxalement, elle doit aussi être portée par l'espérance de recevoir une grâce de notre interlocuteur.

 

L'environnement de ce dialogue est souvent déterminant.

De multiples facteurs et circonstances favorisent en tout cas le développement d'une rencontre en profondeur : l'amitié, les situations interculturelles, comme par exemple les couples mixtes, des séjours à l'étranger, la pratique de la méditation silencieuse, une expérience de non-dualité, la vue d'un grand maître spirituel, des œuvres d'art, les lieux sacrés, le pèlerinage. Il faut d'ailleurs souhaiter que se multiplient des lieux ouverts à la rencontre intra- religieuse, des lieux où partager des découvertes, confronter des expériences, mais aussi opérer le discernement nécessaire. Car il faut toujours s'assurer que les maîtres qui proposent de rencontrer leurs traditions sont effectivement des témoins fiables. En outre il est conseillé de rencontrer des bons témoins de la rencontre intra-religieuse et de s'en inspirer, sans pour autant les imiter. Il est très utile d'être accompagné par une personne expérimentée dans cette voie.

Parmi les circonstances les plus favorables à l'approfondissement du dialogue, il faut d'abord noter la prière -- ou du moins l'expérience de rejoindre l'autre dans le mouvement profond de sa prière. Mais il faut mentionner plus généralement toutes les situations qui permettent de vivre une expérience en communion avec un croyant d'une autre tradition : travailler ensemble, lire ensemble des textes sacrés des uns et des autres, recevoir et donner l'hospitalité, surtout en des lieux caractéristiques, comme certains moines et moniales (et bien d'autres !) ont pu le faire.

Signalons enfin la nécessité, au cours des échanges verbaux, de clarifier et de bien peser le sens des concepts clés, comme religion/spiritualité, interreligieux/intra-religieux, prière/méditation, expérience, vérité, altérité, syncrétisme, car si l'on n'évite pas les quiproquo, le dialogue finit dans la confusion.

 

Par ailleurs, il convient de préciser quelles sont les dispositions intérieures qui permettent de s'engager avec fruit dans un dialogue au niveau de l'expérience spirituelle. A la base de toutes ces dispositions, il y a la maturité spirituelle, l'enracinement dans sa tradition, c'est-à-dire non seulement une bonne connaissance de sa propre tradition, mais une réelle expérience de foi, nourrie dans la prière. Alors la capacité d'évoluer et de changer est assurée, sans le risque de voir sa foi dénaturée.

Cette maturité s'exprime également par l'humilité, tant dans les relations entre les personnes que dans les énoncés de doctrine. Il importe, en effet, de reconnaître les limites des formulations doctrinales tout en étant sensible à leur importance comme vecteur de vérité. C'est pourquoi cette humilité est source de liberté et d'audace, car elle est fondée sur la vérité vécue, expérimentée dans la prière.

 

D. QUELQUES FRUITS DU DIALOGUE INTRA-RELIGIEUX

Vécu en esprit d'humilité, le dialogue intra-religieux est également l'occasion d'un approfondissement de sa propre foi. Il met en route un processus de dépouillement, puis de transformation, et enfin d'unification, quand, au terme d'une expérience de remise en question, il permet de ressaisir l'essentiel de la foi chrétienne et d'aller au cœur de sa propre tradition. Aidant à repenser pour aujourd'hui la foi chrétienne, le dialogue offre la possibilité d'un renouveau dans la façon de vivre les rites et de proposer le message évangélique.
Le dialogue intra-religieux nous invite en outre à redécouvrir la dimension du mystère, l'importance du non-discursif et du silence. Il invite à redécouvrir les mystiques. Il encourage à s'engager dans une prière au-delà des paroles et des concepts. Le dialogue intra-religieux prédispose ainsi à la redécouverte de la tradition apophatique. Il manifeste la relativité des mots que l'on utilise pour exprimer son expérience spirituelle. Nous constatons que la pratique du zen ou d'autres formes orientales de méditation contribue à une redécouverte de cette tradition chrétienne. Il apparait ainsi qu'en certaines circonstances une prière vécue ensemble peut être l'aboutissement du dialogue interreligieux.

Par ailleurs ce contact avec d'autres traditions, notamment orientales (yoga, pratiques taoïstes, méditation bouddhique...) invite à découvrir ou redécouvrir le corps comme lieu de spiritualité. Il nous suggère de renouer avec une anthropologie qui met en évidence le rôle du corps dans la démarche spirituelle. Ce faisant, il permet de se relier à la nature avec respect et de façon plus juste. Ces enseignements et pratiques aident à accueillir nos fragilités, ce qui, du même coup, renforce l'humilité.

Notons encore que le dialogue intra-religieux invite à s'ouvrir à l'action de l'Esprit au-delà de l'Église. Il permet de dépasser une vision trop institutionnelle et autocentrée de l'Église, une vision qui risque également de nous couper des véritables enjeux du monde actuel dans sa diversité.

 

E. L'AVENIR DU DIALOGUE INTRA-RELIGIEUX

Plusieurs questions demeurent. La démarche de la rencontre 'de la foi à la foi' est, en effet, très récente. Jusqu'il y a peu elle était inimaginable et même interdite ; aujourd'hui, elle suscite encore des réticences chez de nombreux croyants. Mais nous sommes persuadés que cette possibilité d'approfondissement du dialogue est déterminante pour les rencontres interreligieuses et interconvictionnelles.

Il est évident que l'avenir de l'humanité dépend de notre capacité de mener un dialogue, ou au moins des négociations, entre des personnes très différentes et aux intérêts concurrents. Toutes les formes de dialogue, tant au niveau concret de la vie quotidienne, que dans la collaboration ou par des échanges explicites et respectueux sur ces différences, toutes sont d'ailleurs décisives. Mais nous pensons que le dialogue de l'expérience spirituelle, quant à lui, est essentiel pour l'avenir des religions. En effet si une rencontre au niveau le plus profond, là où tous les croyants se savent dépassés par le mystère, si un tel dialogue se révélait impossible, c'est tout l'édifice du dialogue qui serait fragilisé, voire menacé d'écroulement. Et toutes les religions sont aujourd'hui appelées à se rencontrer au niveau le plus essentiel, comme cela a été possible à Assise en 1986.

Par ailleurs, nous sommes heureux de constater que certaines personnes qui ne retiennent que quelques méthodes spirituelles des traditions religieuses dans un but thérapeutique y trouvent une aide précieuse. C'est, par exemple, le cas de la méditation 'de la pleine conscience' (mindfulness). Mais pour assurer le bon développement d'un dialogue au niveau de l'expérience spirituelle, nous restons soucieux de ne jamais laisser une tradition spirituelle être instrumentalisée et réduite à ses techniques psychosomatiques.

Nous sommes aussi bien conscients de ne pas être les détenteurs d'un privilège réservé aux seuls 'spirituels' ! Nous reconnaissons que d'autres sont également sur ce chemin, en particulier des personnes dont l'enracinement religieux est faible ou inexistant. Nous découvrons avec joie que ces personnes, sans engagement religieux, mais qui adoptent des pratiques élaborées dans les religions pour progresser dans leur recherche, aboutissent également à des expériences spirituelles remarquables. Toutefois, puisque nous avons échangé entre chrétiens, il ne nous est ni possible ni nécessaire d'en dire plus à ce sujet.
En conclusion, nous devons reconnaitre que la rencontre à ce niveau ne fait que commencer. Des pionniers ont ouvert une brèche, mais beaucoup de questions doivent encore être travaillées. Ce dialogue intra-religieux n'est pas réservé aux moines et religieuses. Tout chrétien est invité, si les circonstances le lui permettent, à situer ses rencontres interreligieuses et interconvictionnelles à ce niveau. Il peut ainsi apporter une contribution essentielle à la vie des Églises pour qu'elles puissent développer leur vocation à la fraternité universelle.



[2] En particulier : ‘Dialogue et Annonce’, un document publié conjointement par la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples et le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux (1991), ‘Lignes directrices sur le dialogue avec les religions et idéologies de notre temps’ du Conseil Œcuménique des Églises (Genève, 1979), et ‘Contemplation et Dialogue Interreligieux’, Repères et perspectives puisées dans l’expérience des moines. Bulletin du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux, n° 84 (1993)

 

Commentaires