"Le Champ d'argile, chemin de transformation" par Bénédicte de Nazelle, suivi de témoignages
Pour qui n'a pas participé à une séance de travail sur le Champ d'argile, il est difficile d'imaginer ce que cela peut être, surtout quand on nous dit que « la dimension spirituelle porte et est en même temps l'aboutissement du travail sur soi ».
Plusieurs animatrices du centre Assise[1] proposent ce genre de travail dans le cadre de séances ou de stages. Bénédicte de Nazelle est l'une d'entre elles (Cf. sur http://adecap.eu/benedicte-de-nazelle/. Voici en premier partie de ce message un de ses articles où elle explique le travail proposé (des liens vers d'autres articles sont énumérés à la fin), puis en deuxième partie deux témoignages de personnes ayant participé à un stage. L'ensemble est paru dans la Voix d'Assise n° 49, juillet 2011, bulletin de liaison interne au centre Assise.
En 2020 Bénédicte de NAZELLE animera un stage avec Anna Ladyguina sur le thème "Déméter et Perséphone, A la quête de notre créativité intérieure", alliant Champ d’Argile et mythe initiatique, du vendredi 29 mai 19 h30 au mercredi 03 juin 17 h à la propriété de Saint-Gervais (Val d'Oise), voir Travail initiatique avec un mythe et le Champ d’Argile
I – Le Champ d'argile, chemin de transformation
Bénédicte de Nazelle
Article paru dans la revue Synodies, été 2010
« Lâcher prise » signifie
admettre, laisser s'accomplir sans nous occuper de nos représentations, projections, désirs ou préjugés,
admettre ce que nous rencontrons spontanément qui est Vie ;
admettre ce qui jaillit de l'Être authentique qui en permanence nous meut de l'intérieur. »
(Karlfried Graf Dürckheim, Pratique de la voie intérieure)
Marie-Louise Von Franz, collaboratrice de Jung écrit dans L'homme et ses symboles : « On peut considérer le Soi comme un guide intérieur qui est distinct de la personnalité consciente… » Elle en parle comme du « centre régulateur qui provoque une extension et une maturation croissante de la personnalité », et elle ajoute « mais cet aspect plus riche, plus totale de la psyché n'est d'abord qu'une virtualité innée… Et son degré de développement dépend de la bonne volonté que met le Moi à écouter les messages du Soi… Le Moi doit être capable d'écouter attentivement ; et renonçant à ses fins, à ses projets propres, (il doit être capable) de se consacrer à cette impulsion intérieure de croissance. »
Le champ d'argile, boîte rectangulaire remplie d'argile nous invite à ce chemin. Dispositif très original créé dans les années 70 par Heinz Deuser, dans la mouvance de la thérapie initiatique de Karlfried Graf Dückheim, il offre la possibilité de se rencontrer en profondeur, de contacter les forces créatrices issues du Soi et de les laisser nous transformer. Dans ce travail, c'est l'être profond qui cherche la solution, pas le moi.
Concrètement, on propose à la personne de s'asseoir, de prendre contact les yeux fermés avec le champ d'argile posé sur une table et de laisser faire ce qui vient.
Dans un premier temps, le champ d'argile, c'est l'autre ; c'est un travail de relation : en touchant cet autre, la personne est touchée, elle entre dans un processus formateur et créateur basé sur le sensoriel, et plus largement sur l'haptique[2] qui comprend les perceptions kinesthésiques les proprioseptives, les perceptions venant de tout le corps, c'est-à-dire d'un niveau largement inconscient. La façon qu'elle a de toucher, par exemple avec plus ou moins de pression, avec des mains plus ou moins tendues, va déterminer des sensations, un ressenti et va provoquer des gestes différents ; par exemple, la sensation que c'est dur peut amener la personne soit à taper, soit à pénétrer, soit à pouvoir humidifier, selon ce que ce "dur" éveille en elle dans son histoire personnelle, selon ses besoins et possibilités propres. Les mains vont entrer en mouvement, guidées par une impulsion intérieure. La personne ne sait pas ce qu'elle fait ou ce qu'elle veut faire, il s'agit de laisser faire et de suivre les besoins qui émergent. Lisser, caresser, saisir, diviser, arracher, rassembler, former, enlever... de multiples actions sont possibles qui vont se succéder et qui vont peu à peu amener à la satisfaction du besoin évoqué dans cette séance. En formant et en transformant la matière, la personne se forme et se transforme : en décollant l'argile, elle se décolle d'anciennes relations, en sortant l'argile du champ, elle se crée son espace, etc…
Dans ce travail, on repasse par les différentes étapes de l'ontogenèse pour aller vers une maturation humaine de plus en plus développée, et les besoins, spécifiques à chacun, évoluent : être en contact peau à peau, être touché, être contenu, trouver un vis-à-vis, trouver un équilibre, un appui, des limites, une orientation, trouver sa verticalité, se positionner… Puis se centrer, se sentir dans sa profondeur, trouver une équivalence entre l'autre et soi, sentir l'interdépendance entre l'autre et soi, pour enfin – pour quelques très rares personnes bien sûr – percevoir qu'il n'y a plus de différence entre soi et l'autre.
Pour Heinz Deuser, il y a dans le Champ d'argile tout ce qui est nécessaire pour le développement humain.
L'accompagnateur, par sa présence, donne sécurité et contenant, il soutient par de brèves interventions verbales tous les gestes portés par l'élan vital, par l'énergie de vie : « Suivez tous les besoins des mains, suivez toutes les impulsions. »
Il s'agit toujours de répondre à un besoin profond, inconscient, et pour cela il faut lâcher d'anciens vécus relationnels ; au cours du processus qui dure d'une demi-heure à une heure, la personne rencontre parfois des peurs, des blocages, il y a souvent conflit entre ce que voudrait son être et des résistances provenant de tous les gestes empêchés de son histoire, liés à des manques, à des souffrances, à des interdits… Le thérapeute est là pour l'aider à se remettre dans le courant de la vie et à prendre le risque du nouveau, de l'inconnu.
Quand tous les mouvements ont pris forme, c'est la fin du travail, la gestalt optimale : c'est en général une forme très simple, unifiée, unifiante, centrée, lorsque la personne a pu aller au bout de son processus. Celle-ci s'ajuste et ajuste la position du cadre et de ses mains, elle se redresse et trouve sa verticalité. Elle sent dans son corps que tout est accompli pour cette séance.
Une femme d'une cinquantaine d'années me disait dernièrement à la fin de la séance : « impression de dignité, de légèreté… au seuil de quelque chose, une porte ouverte, quelque chose d'immense. »
Dans le travail au champ d'argile, la personne se transforme à son rythme, guidée par l'intelligence de la vie, pour devenir de plus en plus elle-même, vivante et vaste ; en agissant, elle se prend peu à peu en main et devient de plus en plus consciente d'elle-même. Le travail au champ d'argile conduit à une plénitude, à l'accomplissement de soi.
Pour conclure, je voudrais citer Heinz Deuser, le créateur de la méthode :
« Nous nous trouvons comme êtres vivants dans la vie et nous devons nous réaliser dans la vie. La vie elle-même devient urgence, et cette urgence – à travers les crises – cherche une réalisation, tend vers un accomplissement. Le manque est l'inaccompli, c'est-à-dire la vie elle-même qui aimerait trouver sa forme à travers nous-mêmes. Elle s'exprime dans le besoin d'agir auquel nous somme invités en nous trouvant devant le champ d'argile. »
Bénédicte de Nazelle est psychothérapeute, formatrice, responsable de l’Institut Francophone de Formation au Champ d’Argile (IFFCA) ; membre titulaire du SNPPsy depuis 1992 (Syndicat National des Praticiens en Psychothérapie et Psychanalyse). Elle reçoit en séances individuelles sur rendez-vous à Paris 15ème et anime des stages (contact nazelle@free.fr, plus d'informations sur http://adecap.eu/benedicte-de-nazelle/ ). Autres articles de Bénédicte de Nazelle :
- Le Champ d’argile®, Sagesse du corps, Sagesse de la terre : Article paru dans le journal des thérapeutes biodynamiques – le canard biodynamique – été 2010 – lire l’article –
- Le Travail au Champ d’Argile®, chemin de connaissance de soi et de transformation, basé sur l’haptique : Article paru dans le journal la Revue Française de Yoga, n° 42 – Juillet 2010 – lire l’article –
- Le Champ d’argile®, chemin de transformation : Revue du GRETT, Groupe de Recherches et d’Etudes en Thérapies Transpersonnelles – Eté 2010 – lire l’article –
II – Deux témoignages après une session de Champ d'argile
1) Premier témoignage : expérience du travail avec le Champ d'argile.
Comment parler travail sur le Champ d'argile ? Comment trouver les mots assez sensibles pour évoquer le travail prodigieux qui s'accomplit au cœur d'un simple cadre de bois empli de cette matière brute qu'est l'argile ?
Cette technique a été mise au point par le professeur allemand du nom de Hein Denser dans les années 1970. Elle s'inscrit parfaitement dans le chemin de développement personnel et de thérapie initiatique ouvert par Graf Dückheim.
Je l'ai découvert au centre Assise auprès de Barbara Osterwald en 1998 et depuis, je la pratique avec Bénédicte de Nazelle lors de séances individuelles ou de week-ends. C'est un véritable chemin de connaissance et d'épanouissement de soi. On me demande souvent pourquoi je poursuis cette voie depuis tant d'années. Je réponds que chaque nouvelle expérience est neuve, chaque nouveau contact est porteur de sens et de profondeur.
Comment se déroule une séance ? On se retrouve seul devant ce cadre de bois empli d'argile, posé sur une table. Les yeux fermés, le corps détendu, assis ou debout selon les préférences, on "laisse parler" ses mains, on se laisse guider par elles. Et c'est cela le plus étonnant. Car les mains ont l'intelligence de ce qui est juste à chaque instant, de ce qui doit être accompli.
Le mental n'agit pas, les représentations tombent d'elles-mêmes. On ne doit pas faire quelque chose, obtenir une quelconque représentation dans l'espace.
La présence attentive du thérapeute est indispensable. Ses mots rares mais toujours justes vous accompagnent tout au long du voyage intérieur. La séance dure 30 minutes à une heure. On ne sait pas à l'avance ce qui va se passer mais avec ma "longue" pratique, je peux affirmer que seul du bon sort de cette expérience si intime.
Lors des week-ends, chacun travaille tour de rôle devant les autres stagiaires. Pour moi, loin d'être pesante, leur présence est toujours réconfortante et empathique. À la fin d'un stage, on sait que chacun a travaillé non seulement pour lui-même mais aussi pour les autres. Une alchimie subtile opère d'inconscient à inconscient.
Au fil des séances individuelles ou des week-ends proposés au centre Assise, je me suis confrontée à mes peurs intérieures, à mes doutes, mes blocages. Certains remontent à l'enfance, d'autres s'invitent en cours de chemin. Mais chaque séance permet de dénouer les fils, de briser les murs que nous édifions et qui nous empêchent si souvent de vivre pleinement nos vies de femmes et d'hommes.
En fin de séance, je suis toujours émerveillée du voyage accompli. Je me sens plus vivante, plus libre dans mon corps et mon esprit, avec une énergie toute neuve. La vie nous réserve souvent de bonnes surprises mais glisse aussi sous nos pieds des cailloux qui blessent.
Grave à cette pratique du champ d'argile, j'ai désormais la capacité de mieux comprendre, intégrer et transformer des événements douloureux de la vie. J'y ai gagné une plus grande liberté intérieure et une plus grande confiance.
Je peux dire avec le recul que la rencontre du champ d'argile, tel qu'il est pratiqué au centre Assise, a été pour moi un des plus beaux cadeaux de la vie.
2) Deuxième témoignage.
Je suis là, assise face à Bénédicte qui m'accompagne régulièrement dans ce travail si particulier depuis un certain temps. La souffrance est là, lancinante, qui me tiraille et me brûle. Elle est devenue comme une seconde nature.
En ce 23 juin 2011, après m'être exprimée sur mon vécu récent, je m'installe donc le plus confortablement possible. Je prends le temps de m'asseoir dans mon bassin des yeux fermés, de sentir mes ischions et mes pieds au contact du sol, et la relation s'établit immédiatement avec le champ, contact délicieux, sensation comparable à deux amoureux qui s'approchent doucement, avec beaucoup de respect et un léger "titillement" au cœur. Je touche le contour du cadre en bois puis mes mains et mes avant-bras se posent sur l'argile fraîche et humide.
Bien qu'ayant un peu peur de ce qui va surgir, je suis toujours curieuse de découvrir comment va se manifester la Présence car c'est avec Elle que j'ai rendez-vous.
– Je commence par enfoncer chaque pouce en bas au centre, ils remontent ensemble jusqu'en haut et je commence à dégager le champ. De nombreuses phases s'enchaînent dont voici les principales :
– la formation d'une petite boule (composée d'argile de gauche et de droite à proportions égales) que je conserve précieusement au milieu de la bande centrale dégagée ;
– puis je décolle, aisément, de part et d'autre des masses lourdes que je soulève et claque au sol avec une grande force : c'est de la colère. Une, deux, trois fois.
– Je suis alors calmée. Toujours avec chaque main, je reprends de l'argile, je fais une boule, qui devient un anneau que je tords doucement et que mes mains séparent délicatement à parts égales en les déposant hors du champ sur le plateau à une certaine distance. C'est un bon vieux cordon qui s'est défait.
– Je fais une autre boule de taille moyenne, toujours en prenant l'argile de chaque côté à parts égales. Je la monte au-dessus de ma tête et la passe derrière ma nuque, sur ma gorge et enfin sur mon cœur avec un infini respect, en prière et dans un profond silence.
– Cette boule devient un cercle qui vient entourer la petite boule qui attend au centre du champ dégagé.
– Puis je fais respectivement trois paires de boules que je tapote joyeusement. Elles deviennent des lieux ou plutôt des pierres de fondement sur lesquelles je peux prendre un appui solide. Même si je n'ai pas été désirée ni aimée comme j'en avais besoin, ceux qui m'ont précédé m'ont donné de bonnes choses. C'est là, disposé de manière très équilibrée de chaque côté de moi.
– Pendant tout ce travail, je me sens adoubée, prise tout entière comme je suis avec ma souffrance d'enfant blessée par une grande présence enveloppante, rassurante, aimante.
– Je ne sens plus le besoin de modifier quoi que ce soit. Je reste là, en silence, les yeux toujours fermés, les mains en coupe sur mes cuisses, dans ma verticale, en méditation. Tout ce travail est méditation, prière silencieuse.
– Je goûte l'échange entre la forme qui s'est manifestée au moyen de l'argile et moi. Il n'y a plus rien à dire.
Lorsque je rouvre les yeux, je suis émerveillée de ce que j'ai fait, la beauté simple de la forme, forte et équilibrée.
Pour la première fois depuis que je pratique (cela fait plus de trois ans), j'ai travaillé rapidement, sans aucune hésitation dans le geste. Le mental n'a pas eu de place. J'étais bien en lien avec mon fond et quel bien cela fait !
Il faut continuer à creuser le puits pour que jaillisse la Source.
Amicalement à vous frères et sœurs du chemin.
[1] ASSISE est un Centre de cheminement intérieur se référant au Zen et à l’enseignement de K. Graf DÜRCKHEIM, enraciné dans la tradition mystique chrétienne et ouvert aux autres traditions spirituelles. C'est K. Graf DÜRCKHEIM, qui a développé des thérapies initiatiques. Dans les animatrices, en plus de Bénédicte de Nazelle, il y a Claire Graf, Christiane Bourget et Marie-Aleth Lagente (mais Marie-Aleth ne fait plus d'intervention dans le cadre du centre, elle ne fait plus que des accompagnements individuels : mariealethlagente@gmail.com)
[2] Le mot "haptique" vient du grec haptomaï qui signifie « je touche »