Les sept pas de la prise de conscience du mystère, par Yves Raguin
Quand un chrétien s’engage dans le zen, il s’engage dans le vide et la plénitude dont Yves Raguin a parlé dans son livre posthume Vide et Plénitude (édit. Arfuyen). Yves Raguin (1912-1998) était jésuite, sinologue. Voici un article de lui paru dans la revue Christus n°96, Octobre 1977 où il décrit l'itinéraire spirituel en sept étapes, sept pas. C’est un chemin qui part du petit moi pour aller jusqu’au moi profond, "cet itinéraire a été élaboré plus spécialement pour répondre aux problèmes posés à une conscience chrétienne par la démarche du zen".
Les sept pas de la prise de conscience du mystère
Yves Raguin
Préambule.
L'expérience fondamentale du zen peut être définie comme une prise de conscience à une telle profondeur qu'elle explose aux dimensions de la réalité totale. Cette prise de conscience me révèle donc à moi-même dans une véritable transpersonnalité.
La démarche intérieure qui caractérise le zen, a précisément pour but de laisser le moi le plus profond à sa totale spontanéité. C'est ce moi ultime qui surgira, si les conditions sont favorables, et ce sera le "satori".
Pour comprendre dans quel sens sont employés ici les termes de "conscience" et de "prise de conscience", il faut se mettre dans les perspectives de la démarche du zen qui est un approfondissement progressif de la conscience de soi, jusqu'au satori qui est lui-même un état de surconscience. Le moi existe à différents niveaux. Il faut accéder peu à peu aux "moi" plus profonds et demeurer là dans l'attente de cette explosion de la conscience en super conscience universelle.
Cette prise de conscience fait ses premiers pas au niveau psychologique, puis s'enfonce dans les profondeurs de l'inconscient pour s'épanouir à une profondeur que la psychologie est impuissante à saisir. La psychologie peut bien localiser cette expérience extérieure, mais ne peut l'amener à la conscience claire. En effet celui qui atteint le satori devient lui-même, au-delà de toute détermination exprimable. Lui seul, dans un état indéfinissable de conscience, a conscience de ce qu'il est. Il n'est plus par rapport à lui-même objet de connaissance, mais s'épanouit en pure conscience par-delà la distinction de sujet-objet.
Tout cela constitue en quelque sorte l'arrière-plan de cet essai sur les sept pas de la prise de conscience du mystère. Cet itinéraire a été élaboré plus spécialement pour répondre aux problèmes posés à une conscience chrétienne par la démarche du zen. À la question de la place du Christ dans cette démarche, une réponse a surgi à mon esprit, que le Christ était en moi une conscience plus profonde que la mienne. Si par ailleurs tout ce qui existe s'unifie en moi, le Christ est plus que moi centre de conscience et d'unité. Sur ce point, saint Paul nous offre de merveilleux aperçus.
La démarche présentée ici me fait pénétrer dans ma propre conscience et laisse celle-ci s'ouvrir, dans le Christ, à une dimension qui la dépasse. Ainsi, il ne s'agit plus de m'appuyer sur un Christ perçu comme "extérieur" à moi. Le dépassement chrétien de la conscience se fait dans le Christ qui nous offre une participation à sa propre conscience, sans que cela nous dépossède de la nôtre. Le Christ, en nous ouvrant au mystère de sa propre conscience, nous révèle le Père qui en est la source. Ainsi se déroule cet itinéraire tout intérieur dont les étapes principales sont trois intériorités, la mienne, celle du Christ et celle du Père.
Ces sept pas conduisent donc à la prise de conscience d'un triple mystère, le mien, celui du Christ, celui de Dieu-même appelé ici le Père. C'est une voie de totale attention. La démarche est aussi simple que possible. Elle nous conduira d'une conscience superficielle à une conscience plus profonde. D'une conscience dont je serai le centre, je passerai à une super-conscience dans le Christ, pour atteindre une conscience encore plus profonde, dans le Père, source ultime de toute conscience.
Dans cet itinéraire, il est peu question du Saint Esprit, pour la raison très simple qu'il est partout le principe agissant de cette démarche. Il est la lumière qui éclaire les pas et la force qui permet de les faire. Il est celui qui éclaire le mystère et le met en lumière. Qu'on ne s'étonne pas de ne pas le voir paraître le long du chemin. Ce qu'il montre, c'est le Fils et le Père, mais lui-même demeure caché en moi, dans le Fils et dans le Père, car il est l'Esprit.
Premier pas.
Le premier pas consiste à tourner mon attention vers l'intérieur de mon être. Il doit me conduire au cœur de moi-même, dans une prise de conscience totale de ce que je suis. Il me conduira du même coup au cœur des autres et au cœur de toute chose.
Tout ce qui existe a un extérieur et un intérieur, une face que je vois, une autre que je ne puis voir de mes yeux de chair, mais j'ai en moi une capacité de vision qui peut me faire percevoir l'intérieur des choses, c'est-à-dire leur mystère.
Dans ce premier pas, je mettrai toute mon attention à percevoir le mystère intérieur de tout ce qui existe. Dans toute chose, dans les fleurs, les plantes, les animaux, l'univers, et en moi surtout, je commencerai à percevoir une énergie, une vie, une conscience qui en sont la profondeur.
En moi, l'ultime profondeur, c'est ma conscience personnelle. Saint Paul me parle souvent de ce qui est à l'intérieur de moi-même, de mon moi intérieur, de mon moi caché (cf Ep 3, 16-17). Cet "homme intérieur" peut m'apparaître très lointain quand je me mets en marche. Si j'y suis attentif, il se manifestera à ma conscience .. et cette simple attention me portera vers l'origine de la conscience, de la vie, de l'énergie. Dès le début de ma démarche, j'aurai, dans la foi, le regard fixé sur la source ultime de toutes choses.
Je passerai progressivement d'une conscience encore tout "extérieure" à une conscience plus intérieure. Je dépasserai la zone périphérique de ma conscience pour accéder à une conscience plus profonde. Ce premier pas est donc tout en mouvement, en dépassement, en approfondissement, dans un détachement du sensible, pour accéder au spirituel.
Je suis encore loin du but, mais je sais où je vais. Pour ce premier pas, il me suffit d'être tout attentif au mystère des choses qui m'entourent, et surtout au mystère de mon être intérieur. Ainsi serais-je conduit à l'étape que j'appelle le deuxième pas.
Deuxième pas.
Le deuxième pas est le repos dans la perception du mystère des choses. Il est la prise de conscience de ce que je suis, dans un mouvement tout intérieur centré sur le cœur de mon être.
En ce second pas, apparemment tout de repos, j'avance sans fin dans la découverte de mon intériorité. Dans la profondeur de mon être et à partir de celle-ci, je saisis la profondeur de toutes choses et m'y repose.
Par la conscience que j'ai de moi-même, dans une grande clarté intérieure, j'arrive à une paix, qui est aussi plénitude de joie. Même sans penser positivement à Dieu qui vit en toutes choses, je puis me reposer dans cette conscience de moi-même à laquelle je suis arrivé. Je sais que Dieu y est présent au plus intime. Point n'est besoin de rendre cette pensée explicite en tout temps, mais il faut y revenir assez souvent pour écarter le danger de narcissisme spirituel.
Cette intériorité ne doit pas me fermer sur moi-même. D'ailleurs plus elle s'approfondit, plus elle s'ouvre sur les autres, car ce n'est que par mon intériorité que je communique avec eux. Ceci est évident dans la relation d'amitié et d'amour. Il en va de même pour ma contemplation, car plus elle me fait pénétrer au centre de mon être, plus grandit la perception mystérieuse de mon union avec toutes choses, et surtout avec ceux que j'aime.
Le danger est d'en rester à cette plénitude que je vis comme si elle était l'étape ultime. Tous les spirituels mettent en garde contre la complaisance en cette plénitude maintenant possédée. Dans la paix que j'éprouve, je puis simplement répéter un mot qui me tiendra en attention au mystère. Je puis, dans ma paix profonde, dire : « Dieu ! Dieu ! Dieu ! » ou « Seigneur Jésus » ou toute autre invocation, pour garder mon cœur et mon esprit attentifs à la présence divine, toute cachée qu'elle soit au cœur de mon être. Ainsi je goûterai en moi la paix et la plénitude, sans jamais m'y complaire.
En ce deuxième pas, je suis vraiment le centre de toutes choses. Je sais que Dieu est en moi, caché mais vivant. C'est là que je le perçois dans la foi. C'est aussi en moi, dans une merveilleuse consonance, que je saisis mon harmonie avec tout ce qui existe. Tout est en moi … C'est là le grand mystère de l'homme dont le cœur est le lieu de la présence divine.
Mais bientôt au plus profond de la conscience que j'ai de mon mystère et de celui des choses, je m'ouvre à une conscience plus profonde encore et qui me dit : « viens ! » Le Christ me répète : « Tu me perçois en toi, dans ta demeure. Viens me voir chez moi et je te ferai part de mon mystère. »
Troisième pas.
Le troisième pas me tire de mon repos et me relance sur la route. Il me fait dépasser cette plénitude acquise en ma propre conscience pour me rendre attentif à une conscience plus profonde que la mienne.
Il apparaît dès maintenant que, dans cette démarche ou itinéraire - les pas impairs sont attention à un au-delà, mouvement vers un autre centre de conscience. Au contraire les pairs sont le repos de l'étape et la prise de conscience intérieure.
Ainsi, au second pas, je suis arrivé à une conscience assez profonde de moi-même et du mystère des choses. Le troisième pas me relance sur la route qui conduit à l'ultime mystère qui est absolue conscience.
En prenant conscience de moi-même, j'ai pris conscience que ma vie venait de plus loin. Cela est vrai dans l'ordre naturel, car ma vie vient de Dieu et encore plus dans l'ordre de la grâce, puisque ma vie d'intimité avec Dieu se réalise dans le Christ.
Ici, j'écoute le Christ qui me répète que le Père et l'Esprit habitent avec lui au plus intime de mon être. Dans l'allégorie de la vigne il me fait comprendre que sans lui je ne puis rien faire, car il est ma vie.
Me voici donc à nouveau en route. Arrivé au plus profond de la conscience de moi-même, je vois que cette conscience n'atteindra sa perfection que dans une autre conscience plus profonde, qui est le Christ. Je sors donc de la conscience que j'ai de moi-même et, guidé par la foi, j'avance vers le Christ lui-même. Ayant pris conscience de sa présence en moi, je cherche à l'atteindre dans la conscience qu'il a de lui-même.
Sur le chemin, quand je serai sorti de ma demeure tranquille, j'aurai peut-être le sentiment de m'être quitté, et de me perdre. Mais tout attentif à la voix qui m'appelle, dans la foi, sans crainte, j'avance, dans la lumière du Christ, vers le mystère de sa propre conscience.
Cette démarche ne se fait pas en un jour. Paul nous dit qu'il était tout tendu vers le but à atteindre, le Christ lui-même. C'est là que se placent la "métanoïa", la conversion à laquelle nous invite le Christ dans l'Évangile. C'est aussi sur cette section de l'itinéraire que se trouvent les déserts, les nuits, les grandes épreuves, les tentations, les doutes.
Cette étape ne peut être franchie que dans la foi, car personne ne connaît le Fils sinon le Père, et personne ne connaît le Père sinon le Fils. J'avance ici dans la lumière du Christ qui m'éclaire sur moi-même, sur lui-même et sur le Père.
Ce troisième pas ne peut se réaliser qu'à la lumière de l'Évangile. Il me faut dépasser ma propre science pour recevoir celle du Christ. Il faut laisser là bien des jugements humains pour faire miens ceux du Christ. Il me faut faire de la conscience du Christ le centre de ma vie.
Quatrième pas.
Le quatrième pas est l'éveil à la conscience que le Christ a de lui-même et le repos dans cette conscience.
J'ai quitté ma demeure et je suis maintenant dans celle du Christ. J'ai laissé ma propre vie pour vivre la sienne. Le Christ me parle de lui-même et m'ouvre à son propre mystère. Il ne le fait pas de l'extérieur, car je suis en lui et lui en moi. Il me fait part de la conscience qu'il a de lui-même et donne ainsi une nouvelle profondeur à la mienne. Dans toutes les directions il m'ouvre à l'immensité de son propre mystère et du mien.
Paul avait conscience d'avoir compris le mystère du Christ, et il osait écrire aux Ephésiens : « En lisant ce que je vous écris, vous aurez une idée de l'intelligence que j'ai du mystère du Christ » (Ep 3, 4). Cette intelligence, Paul la puise dans sa communion à la vie du Fils du Dieu. « Je vis, écrit Paul, mais ce n'est plus moi qui vis. Le Christ vit en moi » (Ga 2, 20).
Si uni que je sois au Christ, si intime qu'il me soit, il demeure toujours pour moi un mystère. Plus que je le connais, plus il grandit à mes yeux. Je ne devrai donc jamais cesser d'être attentif au mystère de sa personnalité. Je n'en connaîtrai d'ailleurs la profondeur, la hauteur, la largeur et la longueur que dans le Père.
Il me faut tout faire pour contribuer dans ma vie à cette attention intérieure au mystère du Christ, tout ce que je suis, tout ce que je sais. Surtout il me faut prier le Père de me faire connaître le Fils, car lui seul le connaît.
En ce quatrième pas, le Père est vu dans son Fils. C'est dans le Fils que je connais le Père ; c'est dans la conscience que le Christ a de lui-même que j'entrevois son Père. Comme le dit Jésus à Philippe : « Qui me voit voit le Père » (Jn 14, 8-10). S'il en est ainsi, c'est que le Père est dans le Fils et le Fils dans le Père … Maintenant ils sont en moi et moi en eux.
Arrivé à cette étape, je saisis toutes choses dans le Christ, car il est la conscience de tout ce qui existe. Au deuxième pas, Dieu se laissait percevoir en moi. En ce quatrième pas, je vois tout dans le Christ, lui-même, le Père, moi et l'univers entier. J'accède à cette conscience par l'Esprit, qui est la puissance du Père active en toutes choses.
Au plus intime de ma conscience, et par-delà, le Christ m'a ouvert à la conscience qu'il a de lui-même et fait comprendre que je ne puis le connaître que dans la lumière du Père … C'est pourquoi il m'invite à me tourner avec lui, en lui, vers son Père qui est aussi le mien.
Cinquième pas.
Le cinquième pas est celui que le Christ me fait faire pour retourner au Père.
Le Verbe est l'expression de la conscience du Père. C'est pourquoi plus j'entre dans l'intime du Christ, plus je suis orienté vers le Père.
Le Christ ne peut pas plus s'expliquer lui-même par lui-même que je ne puis m'expliquer par moi-même. Le Christ m'ayant tout révélé de lui-même me redit : « Tu ne peux me comprendre sans le Père. Nous sommes un. » Le Christ commence donc par nous prendre en lui-même, et peu à peu nous fait comprendre qu'il vient du Père, car il "est" du Père.
Il a essayé de faire entendre cela à certains Juifs, mais n'a pas réussi. Il leur dit : « Vous scrutez les Ecritures, pensant que vous allez y trouver la vie éternelle ; maintenant, ces Ecritures me rendent témoignage et vous refusez encore de venir vers moi pour avoir la vie » (Jn 5, 39-40).
Alors que certains Juifs ne veulent pas recevoir le témoignage du Jésus quand il leur dit qu'il vient du Père (Jn 8), les Apôtres le reçoivent et essaient de le comprendre. C'est le grand thème du discours après la Cène. Au chapitre 17 de Jean, Jésus dit sa joie, car les Apôtres reconnaissent qu'il vient du Père.
En se retournant vers le Père et en retournant à lui, le Christ nous prend avec lui. Il nous prend avec lui dans son eucharistie, il le fait ensuite en nous associant à sa mort et sa résurrection. Jamais le Christ n'a cessé, tout au long de sa vie terrestre, de regarder vers son Père, de le prier, de l'aimer. Un mouvement incessant le porte vers lui. C'est dans ce mouvement que nous sommes pris, en ce cinquième pas.
À mesure que les sentiments du Christ deviennent les nôtres, la paix grandit en nous, dans une grande lumière. Nous approchons ainsi de la source de toute existence et de tout amour, le Père, notre Dieu.
Sixième pas.
Le sixième pas n'est autre que la vie dans l'intimité du Père.
Ce pas est un repos, le repos dans le Père par l'identification au Christ. J'ai atteint la source de ma vie et l'origine de mon être. Enfin je réalise que tout en Dieu est amour et commence à comprendre la parole du Christ : « Le Père et moi nous sommes un » (Jn 10, 30).
C'est dans le Fils que je connais le Père, car le Père lui-même ne se connaît que dans son Verbe. En se connaissant lui-même, le Fils connaît le Père et me le fait connaître. Me voici donc arrivé au point ultime de mon avance dans le mystère auquel j'ai cherché à être attentif depuis le début de ma démarche. Je suis au coeur du mystère. Je le vis, je le suis et, pourtant, il reste toujours pour moi mystère … Mon Dieu est insondable, mon Dieu est ineffable. Peut-être vaut-il mieux se taire, une fois arrivé à ce sixième pas, et laisser le Verbe être toute la parole du Père et aussi la mienne. Si le Père n'a rien d'autre à dire que son Verbe, moi non plus je n'ai pas d'autre parole.
Pourtant, il faut bien dire quelque chose pour se mettre soi-même en état de silencieuse adoration. C'est la parole qui appelle en silence. Il faut dire, ce me semble, que le Père n'a conscience de lui-même que dans son Verbe. Étrange conscience qui nous déroute, car le Père et le Fils sont tout un et tout autres à la fois. Extraordinaire conscience d'une identité tripersonnelle. S'ils n'étaient que deux, leur altérité serait irréconciliable. Étant autres, le Père et le Fils ne peuvent être ce qu'ils sont l'un pour l'autre que dans la communion de l'Esprit qui est Esprit des deux, sans être ni l'un ni l'autre. Cet Esprit est leur amour, car seul l'amour fait un ce qui était autre et manifeste l'altérité dans l'identité.
C'est en ce sixième pas que je suis appelé à la plus grande attention au mystère, le Mystère par excellence, Dieu lui-même. Nous ne pouvons plus nous appuyer ici sur notre raison raisonnante. Le Verbe de Dieu, Fils du Père, est notre lumière. Sans pouvoir comprendre, nous pouvons cependant nous reposer dans l'assurance que le Seigneur nous donne de connaître le Père et dans l'invitation qu'il nous fait de le suivre quand il retourne à son origine. Par le Christ, dans l'Esprit, nous sommes un avec le Père.
Septième pas.
Ce septième pas, le dernier, est celui du retour vers la création dans la participation à l'acte créateur.
Arrivé au repos dans la source de toute existence, il ne reste plus qu'un pas possible, celui du retour vers la création. Entré avec le Christ au cœur même de la vie divine, il est impossible de ne pas participer au mouvement qui porte Dieu vers le monde. Dieu est le Père de l'univers et de tous les hommes. En lui je deviens de plus en plus attentif à leur mystère.
Dans l'amour du Père je découvre sa paternité universelle et je la fais mienne. Là commence un cheminement qui me porte vers tous les hommes où qu'ils soient sur cette terre. Mon attention n'est plus désormais centrée sur la porte mystérieuse du monde divin, mais ouverte à l'infini sur la création entière.
Pourquoi ne pas évoquer ici le texte du Livre des Proverbes appliqué par l'Eglise à la Vierge Marie. C'est la Sagesse qui parle :
- « Yahveh m'a créée au début de ses desseins,
avant ses oeuvres les plus anciennes.
Dès l'éternité, je fus fondée,
dès le commencement, avant l'origine de la terre.
Quand l'abîme n'était pas, je suis enfantée …
Quand n'existaient pas les sources jaillissantes
j'étais à ses côtés comme maître d'œuvre … »
(Pv 8, 22-23 et 29-30).
Et, ajoute la Sagesse, « mes délices sont d'être parmi les enfants des hommes. »
C'est à cette expérience que nous sommes conviés. Mais il ne faut pas attendre d'avoir parcouru l'itinéraire proposé pour revenir prendre ses ébats parmi les hommes. C'est à chaque pas de la démarche qu'il faut se retourner vers eux. Point n'est besoin pour cela d'être arrivé à l'union parfaite avec la Source. L'attention à mon propre mystère et au mystère de Dieu ne doit pas me détourner de l'attention à mes frères. Ainsi vécut le Christ, ainsi vécut Marie et tous ceux qui ont compris qu'à chaque pas que nous faisions vraiment vers Dieu nous en faisions un vers nos frères.
Épilogue.
Ce qui a été dit ici peut l'être en quelques lignes.
1er pas - parti à la recherche de mon être intime,
2ème pas - j'atteins la parfaite conscience de moi-même.
3ème pas - Du fond de cette conscience je m'ouvre à celle du Christ.
4ème pas - et me repose en sa plénitude à la fois humaine divine.
5ème pas – Avec lui je m'élance vers le Père,
6ème pas - en qui je me perds comme en ma source …
7ème pas – Enfin, pris dans le jaillissement de son Esprit, je me retourne vers la création. Ayant découvert le chemin de la source, je le montre à tous ceux que je rencontre.