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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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1 septembre 2018

P. GANNE parle de "résurrection du langage" et commente le récit des disciples d'Emmaüs (Lc 24) : trouver sa propre parole

« Dieu, à quoi ça sert ? » À cette question, dans son livre  Qui dites-vous que je suis ? Pierre Ganne[1] répond : « Précisément, Dieu ne sert à rien… » mais il dit aussi : « Le Christ ne sert à rien qu'à te rendre à toi-même. » La parole de Dieu n'est pas une chose dont on puisse se servir. Justement Dieu nous invite à trouver « une relation au monde qui ne soit pas utilitaire », et déjà cette invitation concerne le langage : passer du langage à la parole vivante, à "ma propre parole".

Cet extrait du livre de Pierre Ganne figure sur le blog des Voies d'Assise dédié à Jacques Breton et au centre Assise qu'il a créé (cf. Accueil du blog Voies d'Assise). En effet J. Breton disait souvent qu'il se référait en priorité aux livres de Pierre Ganne[2], et dans son livre Vers la lumière, il cite Pierre Ganne à propos du symbolisme.

Ce livre de P. Ganne date de 1982, l'extrait vient des pages 50-59. Pour publication sur le blog, du fait qu'il manque le contexte, quelques éléments ont été ajoutés et quelques rares phrases ont été modifiées. Tous les titres ont été ajoutés. L'expression "mort-résurrection" est utilisée ici par P. Ganne à propos du langage car chacun doit passer du langage reçu dans sa culture à sa propre parole, ce passage étant une pâque, c'est ce que montre le récit de Luc 24.

 

 
 

Résurrection du langage qui est lettre morte et meurtrière

 

Qui dites-vous que je suisLa parole poétique.

Actuellement des gens font une découverte touchante, comme sont touchants les amoureux qui découvrent la lune : ils disent – et c'est digne de réflexion – que le langage de la foi est un langage poétique. Je préférerais dire : une parole poétique. On n'ose pas trop le répéter quand on sait ce qu'est la poésie pour la plupart des gens,.. […] Cependant, malgré le danger d'être compris de travers, il y a là quelque chose de très sérieux, sans aucun doute, du point de vue de l'expérience même de la foi. D'ailleurs on pourrait remarquer que les grands langages religieux, y compris celui de la Bible, sont toujours des textes poétiques, toujours. Est-ce un hasard ? Pas du tout.

 

Trouver ma propre parole.

Seulement, cette poésie n'est pas le propre des poètes : elle est le propre de tout homme qui existe lui-même, qui a retrouvé sa propre parole. Quelquefois très humblement, mais très réellement.

Tout homme naît dans un langage : il apprend même une langue. Cette langue, je puis en faire un usage utilitaire, uniquement utilitaire : c'est alors un simple moyen de communication, et non pas de communion. Pas encore. Que se passe-t-il lorsque ce langage devient ma parole, comme toute poésie d'ailleurs ?

Regardons : les poètes, grands et moins grands, emploient le langage de tout le monde, mais ils en font une parole originale, une création originale. On le reconnaît tout de suite. Comme dit Claudel dans une grande Ode : « Les mots que j'emploie sont vos mots de tous les jours et vous dites que vous ne les reconnaissez pas ! »

Oh, comme c'est vrai ! Le vrai poète n'a pas un langage technique, c'est-à-dire particulier : il emploie les mots les plus communs… et puis voilà quelque chose d'original. C'est que le poète n'use pas du langage pour communiquer seulement, dans un but utilitaire, mais dans un but de communion, de partage ; de partage d'une joie créatrice.

La genèse de l'homme libre – qui sait enfin qui il est et qui le découvre dans une réponse au Christ – et cette création nouvelle dans le Christ, se traduisent inévitablement dans un langage poétique. On peut le constater à la lettre même.

Jésus, parole de Dieu faite chair, emploie le langage le plus commun. Il emploie vraiment les mots de tous les jours, les mots les plus terre à terre. Il parle de pain, de vie, de lumière, de semeur, de semence et même de vin… de tout ce qu'il y a de plus banal dans notre expérience humaine. Et puis… on ne les reconnaît pas ! Il pourrait nous dire aussi : « Les mots que j'emploie sont vos mots de tous les jours et vous dites que vous ne les reconnaissez pas ! » Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas dans la création qu'il est.

 

Résurrection du langage qui est lettre morte et meurtrière.

Tout ceci, je ne le rappelle que comme illustration du sujet. Il y a une résurrection du langage qui de lui-même est lettre morte et meurtrière. Nous pouvons le vérifier dans une des grandes expériences humaines, précisément l'expérience créatrice, poétique.

Je dis bien que la prière est de cet ordre-là, normalement. Elle emploie aussi les mots de tous les jours. Mais ce n'est pas d'une manière utilitaire : c'est pour communier dans une même expérience, dans une rencontre, une réciprocité. Il y faut beaucoup de détachement, de purification, parce que nous sommes, surtout dans notre siècle actuel, foncièrement utilitaires.

On entend la question : « Dieu, à quoi ça sert ? » Et si on disait : « Et toi, à quoi tu sers au fond ? J'aimerais bien savoir, moi… » Précisément, Dieu ne sert à rien, mais vraiment à rien ! C'est ce qui le distingue de tous les autres. Et quand tu auras compris cela un petit peu, tu découvriras un monde nouveau, celui de la création, qui n'est pas utilitaire.

 

Il en est de même pour le passage de la communauté à la communion : ce qui peut vicier une communauté, c'est précisément son caractère utilitaire. On s'en sert pour autre chose, sans trop s'en rendre compte. Et du même coup on vicie toute communion véritable. On se sert des autres. Le type d'adhésion qu'on peut donner à une communauté sur le plan du langage pose justement cette question, une question terrible. Tu peux adhérer à une communauté parce qu'elle te sécurise, par exemple : alors tu te sers des autres, sans t'en rendre compte, en te donnant des allures généreuses. S'il n'y a pas une critique, comment sortir de là ? Vous croyez qu'un groupe d'hommes et de femmes qui s'utilisent les uns les autres va engendrer la joie, la création, la liberté ? Pas du tout ! Cela va engendrer des complications et des querelles stupides, en attendant quelques excommunications mutuelles…

 

Le Christ ne sert à rien d'autre qu'à te rendre à toi-même.

Les lectures utilitaires de l'Évangile, c'est quelque chose de monstrueux ! Ce qui prouve bien qu'on est prisonnier d'un langage. Le Christ ne sert à rien qu'à te rendre à toi-même ; ce n'est pas pour lui, ce n'est pas un moyen, ce n'est pas un but visé : il t'aime pour toi-même, sans autre vue.

Mais les lectures utilitaires de l'Évangile sont légion. Certaines sont moralisantes : il faut que ça serve à des progrès moraux. On va chercher des morales dans l'Évangile. Ce qui évite d'ailleurs de les chercher courageusement dans sa vie, sous sa propre responsabilité : autant de gagné pour ma paresse et ma lâcheté…

Ou encore on va y chercher des utilités pour ma politique : on veut absolument trouver le socialisme dans l'Évangile. On y trouvera aussi facilement le capitalisme : il y en a dans les paraboles. Mais c'est aussi idiot dans un cas comme dans l'autre : parce qu'on se sert de la parole de Dieu. Alors qu'elle ne sert à rien qu'à te rendre à toi-même, idiot ! pour que tu puisses trouver ta propre morale et ta propre politique, sous ta responsabilité, sans en coiffer Dieu, qui n'a que faire de tes histoires.

D'autres feront de l'Évangile une utilisation psychologique…

Je remercie les poètes qui me disent : le langage devient ma parole lorsque je ne m'en sers plus. Lorsque ce n'est plus pour moi un instrument d'utilisation, mais un partage de communion, un partage de joie créatrice. […] Il faut bien reconnaître aussi qu'il y a le poids formidable d'un conditionnement : notre civilisation est profondément utilitaire. Il faut que ça rende, que ça profite, que ça serve à quelque chose. […]

C'est d'ailleurs pourquoi il y a dans la révélation toute une théologie du travail. Il est certain que la maîtrise du monde est le premier pas de la liberté de l'homme. Aucun doute là-dessus. C'est aux premières pages de la Bible. Mais ce n'est que le premier pas. Il faudrait pouvoir dépasser cette maîtrise du monde. Sinon elle se retourne contre l'homme, comme elle est en train de le faire. Et dépasser, c'est là aussi quelque chose comme le passage du langage à la parole : retrouver un usage du monde, une relation au monde qui ne soit pas utilitaire. Qui soit simplement communion, partage, réciprocité, alliance. Alors tu sentiras quelque chose de la liberté en toi. Et cette saveur tu ne l'oublieras plus. Non, tu ne l'oublieras plus, car elle est incomparable.

[…]

 

La pâque (passage) des disciples d'Emmaüs (Luc 24, 13-35 dont le texte figure à la fin)

disciples d'Emmaüs, codex EgbertLa pâque, c'est le passage. Dans un article intitulé Langages bibliques et parole de Dieu dans le Nouveau Testament[3], Maurice Carrez écrit :

« Le récit des deux hommes sur la route d'Emmaüs illustre dès l'Évangile même combien le langage ne peut être qu'au service de la parole vivante. Il commence par le silence du Christ, non nommé, mais présent… »

Le silence du Christ veut dire qu'il refuse d'être un langage utilitaire : il n'est que parole, et nous voudrions qu'il soit un langage, un langage utilitaire.

« Tout commence par le silence du Christ, non nommé mais présent, saisi par la lourde tristesse de ces deux disciples qui s'en retournent à ce qu'ils avaient quitté ; tout se poursuit par les interrogations de lui à eux et par leurs réponses ; tout se continue par la reprise de la parole biblique qu'il rend tout à coup parlante de sa présence à lui, qui vient donner chaleur, vie et réalité à des mots pourtant déjà existants, mais un peu morts sans lui. »

C'est très vrai. Que fait le Christ ? Ces deux disciples ne le reconnaissent pas, parce qu'ils le cherchent au plan d'un langage messianique, théologique : « Nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël » (v. 21). Mais impossible de rencontrer Dieu à ce seul plan. Alors : « Commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (v. 27). Les disciples connaissaient ce langage, mais c'était pour eux un langage mort. Comment va-t-il devenir parole, leur parole, celle où ils vont se reconnaître dans la joie, et reconnaître du même coup la communion de leurs frères qu'ils vont retrouver tout de suite ? Par la présence du cœur […] ce langage mort sans lui se remet à vivre comme une parole qui touche en plein cœur. Ils ne s'en aperçoivent qu'après coup d'ailleurs : il revient de si loin dans le royaume des morts qu'ils ne se reconnaissent pas vivants du premier coup ! Cela arrive : je suis tellement étourdi par un langage que, quand il devient "ma parole", j'en suis tout étonné… « N'est-il pas vrai que notre cœur – le cœur c'est  leur intelligence profonde, leur liberté, et non pas leur sensibilité émue – était tout brûlant quand il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures ? » (v. 32)

Eh oui, le Christ était en train de ressusciter le langage mort, celui de la Bible. Car même le langage de la Bible peut être mort, lettre qui tue. Ce n'est pas la Bible qui est la parole de Dieu, c'est Jésus-Christ. La Bible n'est que l'attestation écrite de la parole de Dieu, attestation normative, parce que celle des premiers témoins privilégiés. C'est tout. C'est tout et c'est beaucoup. Mais il faut que ce langage devienne "ma parole".

« Qu'à fait Jésus, sinon reprendre, lui, ce qui a déjà été dit, mais qui n'avait été qu'entendu et reçu sans lui. C'est lorsque sa présence commence à être ressentie, même s'il semble encore absent de leur conscience, que le langage est en train de devenir parole ; alors les mots se mettent à vivre et à signifier, et l'absent auquel ils se réfèrent s'affirme progressivement présent. Tout l'extraordinaire de ce récit est là : la parole prend vie après le silence, après l'écoute mutuelle, après les interrogations réciproques… Et pourtant, tout n'est pas terminé. Il faudra le geste de communion réalisée, les frères retrouvés, la confession commune de la foi proclamée. Cependant notons que la parole ne prend vie que parce que celui qui est d'abord ressenti comme absent est en fait déjà présent et qu'il donne vie aux mots jusqu'au moment où l'intelligence brûlante (le cœur en sémitique) des disciples a enfin compris que lui était là. [4] »

Là aussi il est question d'absence : il faut passer par le désert. L'accession du langage à la parole passe par un désert, ou disons : passe par la mort. Mort et résurrection. Passer de la communauté à la communion, c'est passer par un désert. Désert qui peut prendre la forme de la prière dans le secret. Cela suppose un certain courage. Surtout quand les adhésions communautaires sont de type infantile, quand on est comme des enfants dont la mère n'est pas là, quand on reste dans une pouponnière. Et qu'on appelle celle-ci l'Église n'y change rien du tout !

L'absence, le désert, la mort d'un langage : il faut mourir à un certain type de relation de langage. C'est cela la conversion, c'est ça la foi. Et c'est à cette condition que l'Évangile est parole de la vie. On comprend très bien que la prière en fasse partie.

En lisant l'Évangile, les gens se posent parfois la question : « Mais qu'est-ce qu'il veut dire, Jésus ? » Ils semblent supposer qu'il n'a pas su s'expliquer sur Dieu. Et c'est bien là notre culture : « C'est un primitif, un peu demeuré sur les bords, mais nous, nous allons le remplacer ; et là nous allons vraiment voir ce qu'est la parole de Dieu. » !

Or, il faudrait peut-être renverser le point de vue : le Christ a très bien su nous révéler Dieu, mais c'est nous qui ne le comprenons pas. Parce que nous le coinçons au niveau d'un langage et que nous voulons l'utiliser, comme on utilise tout langage. […]

 

Pour continuer la réflexion vous-mêmes, je pense qu'il est bon de reprendre l'Évangile et de commencer par où nous avons commencé ici. C'est un appel à votre expérience à vous : il faut se rendre compte que cette expérience qu'on appelle la foi, nous avons à la purifier, à la rectifier, à la recentrer.

Commencez donc pas regarder dans l'évangile ce que Jésus appelle la foi et la démarche que font ces hommes et ces femmes. Et aussi ce que cette démarche inclut de rupture avec un langage dans lequel ils étaient nés, qui les avait conditionnés, et qui ne leur avait pas apporté que du négatif, d'ailleurs.

Jésus leur dit : « Si tu veux vraiment progresser avec moi, il faut rompre : il faut que ce langage devienne ta parole. Ne sois plus un homme-récipient, mais l'homme-source ».

 

Réponses à des questions

 

La critique de la foi.

Il y a équivoque sur le mot "critique". Il y a les critiques au niveau du langage, qui peuvent d'ailleurs être des critiques scientifiques, mais qui ne sont pas comparables à la critique émanant à la foi. Ce qui ne veut pas du tout dire qu'elles soient contradictoires et ne doivent être harmonisées. La critique émanant de la foi n'est pas la critique qu'on peut adresser d'un langage à un autre, d'une idéologie à une autre, d'une philosophie à une autre… C'est autre chose. Mais le jour où les chrétiens ont perdu de vue que c'est la foi qui est une critique immanente, ils ont cherché la critique en dehors de la foi.

[…]

On a cru que la simple transmission d'un langage commun suffirait à entretenir la foi, à engendrer la foi. Mais non, pas du tout ! Ce langage peut engendrer une adhésion, très ambiguë, et qui sautera aux premières difficultés. Les gens disent qu'ils "perdent de la foi" mais ils ne la perdent pas : ils ne l'ont jamais eue. Ils perdent l'adhésion à un langage commun, parce qu'il ne colle plus aux nouvelles circonstances dans lesquelles ils se trouvent. Il n'y a pas de quoi en faire une histoire. […]

 

Les équivoques du pluralisme.

Aujourd'hui on est très sensible au "pluralisme" nécessaire. Le pluralisme, ce peut être la pagaille totale.

La foi n'est pas pluraliste : il n'y a qu'une foi, qu'un baptême, qu'un seul Dieu, qu'un créateur… Elle est unitaire, elle unit dans la liberté, précisément. Mais il y a une pluralité des langages : c'est l'évidence même.

Qu'est-il donc arrivé ? Eh bien ceci : on a confondu la parole, la parole de Dieu et la parole de l'homme dans la foi, avec le langage, dont la foi ne peut se passer puisqu'elle est humaine. Et puis on a essayé d'enfermer la parole dans un langage, c'est-à-dire dans une culture. Ce qui faisait dire à Jean XXIII… que la foi chrétienne n'était pas sortie de son berceau méditerranéen. C'est certain qu'elle est en train d'en sortir maintenant, bon gré mal gré, et cela ne va pas sans quelques pleurs et grincements de dents...

Quand on voit les dogmes christologiques du concile de Nicée, qu'ajoutent-ils à l'Évangile ? Rien du tout. Mais c'est la rencontre de la foi au Christ avec un certain langage, avec une certaine culture. Cette rencontre est inévitable.

Il faut donc voir comment la foi peut être vécue dans ce langage, cette culture qui est la mienne. Là, il est normal qu'on arrive à un langage commun dans l'Église mais il ne faudra jamais oublier la relativité à une culture, à un langage donné, du langage communautaire de la foi. Et il faudra recommencer ailleurs.

Aujourd'hui on dit que, dans un avenir plus ou moins lointain, il devrait y avoir une théologie hindoue. Il n'y a pas de doute, effectivement.

L'illusion des missions, ce fut de transporter avec la foi un langage tout fait. Alors que ce sont les intéressés qui auraient dû, dans la reconnaissance du Christ, l'exprimer dans leur langage à eux, leur culture à eux.

[…]

Dans le langage méditerranéen, il est beaucoup question de "nature" par exemple. C'est même passé à tout l'Occident. Mais rien que l'histoire du mot "nature" est déjà toute une affaire : il a été mis à toutes les sauces, et ce même dans la culture occidentale. […]

Je peux d'ailleurs vivre la foi, moi, sans me soucier de ces questions-là, qui ne m'intéressent pas beaucoup, comme je peux vivre une amitié, un amour vrai, sans tenir compte de tout ce qu'on raconte sur l'amour. Seulement, je ne suis pas tout seul d'abord, et la question se pose sur le plan collectif, culturel : comment la foi peut-elle se réfracter sans se déformer dans un certain langage ? Comment peut-elle l'utiliser – je dis bien l'utiliser – sans s'y asservir ?

Ces questions se sont toujours posées. Mais aujourd'hui elles se posent à une échelle planétaire pleine de promesses. À condition que nous ne leur léguions pas un héritage trop lourd : on n'a que trop enfermé la foi chrétienne dans une culture occidentale. Il est temps de nous en apercevoir.

Mais ce qui se fait à l'échelle collective, tout le monde en est responsable, dans la mesure où chaque chrétien reste prisonnier, lui, de son propre langage et donne une adhésion qui n'est pas celle de la foi encore, mais celle, ambiguë, qu'il donne à son milieu, à son conditionnement, etc. Si bien que la conquête de ma parole, dans le Christ, sert à tout le monde et prépare, pour ma part, un héritage moins lourd pour ceux qui auront à répondre aux mêmes questions.

C'est ce qu'inclut le fameux passage du langage à ma parole.

 

ANNEXE. Lc 24, 13-34 (traduction de la TOB légèrement modifiée).

Luc 24, yeux ouverts, détail de Arcabas13Et voici que, ce même jour, deux d’entre eux se rendaient à un village du nom d’Emmaüs, distant de 60 stades de Jérusalem. 14Ils parlaient entre eux de tous ces événements. 15Or, comme ils parlaient et discutaient ensemble, Jésus lui-même qui s'était approché fit route avec eux ; 16mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître.
17Il leur dit : « Quels sont ces propos que vous échangez en marchant ? »
Alors ils s’arrêtèrent, l’air sombre. 18L’un d’eux, nommé Cléopas, lui répondit : « Tu es bien le seul à séjourner à Jérusalem qui n’ait pas appris ce qui s’y est passé ces jours-ci ! » 
19« Quoi donc ? » leur dit-il.
Ils lui dirent : « Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple : 20comment nos grands prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort et l’ont crucifié ; 21et nous, nous espérions qu’il était celui qui allait délivrer Israël. Mais, en plus de tout cela, voici le 3e jour que ces faits se sont passés.
22Toutefois, quelques femmes qui sont des nôtres nous ont stupéfiés : s’étant rendues de grand matin au tombeau 23et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire qu’elles ont même eu la vision d’anges qui disent qu'il est vivant.
24Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ce qu’ils ont trouvé était conforme à ce que les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. »
25Et lui leur dit : « Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu’ont déclaré les prophètes ! 26Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu’il entrât dans sa gloire ? »
27Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Ecritures ce qui le concernait.
28Ils s'approchèrent du village où ils se rendaient, et lui fit mine d’aller plus loin. 29Ils le pressèrent en disant : « Reste avec nous car c'est le soir et le jour a décliné. » Et il entra pour rester avec eux.
30Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, prononça la bénédiction, le rompit et le leur donna. 31Alors leurs yeux furent ouverts et ils le reconnurent, et il leur devint invisible. 32Et ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur ne brûlait-il pas en nous comme il nous parlait en chemin et comme il nous ouvrait les Ecritures ? »
33Et se levant[5] à l'heure même, ils s'en retournèrent à Jérusalem ; ils trouvèrent rassemblés les Onze et leurs compagnons, 34qui leur dirent : « C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité[6], et il est apparu à Simon. » 35Et eux racontèrent ce qui s’était passé sur la route et comment ils l’avaient reconnu à la fraction du pain.

 



[1] Pierre Ganne (1904-1979), jésuite, contemporain des Pères Congar, Chenu, Teilhard de Chardin, de Lubac, fut un homme épris de liberté, passionné par la recherche de la vérité.

[2] Le père Abbé de Saint-Benoît, ami de J. Breton et garant actuel du centre Assise (Le lien d'amitié entre l'abbaye de Fleury et le centre Assise : échos des deux côtés)  a parlé lui aussi de cette référence aux livres de P Ganne.

[3] Dans Les 4 fleuves, Cahiers de recherche et de réflexion religieuses, I, p. 36.

[4] Ibid.

[5] "Se lever" est un des deux verbes grecs qui signifie "ressusciter", celui qui est dans la symbolique spatiale

[6] Ici Luc emploie le verbe grec qui signifie "se réveiller", c'est l'autre verbe grec qui signifie "ressusciter".

 

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