Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Visiteurs
Depuis la création 97 706
Archives
6 octobre 2020

La leçon d'aïkido de maître Noro en octobre 1978, article de Catherine Humblot

C'est en 1979 que maître Masamichi, alors maître d'Aikido, quitte officiellement l'aikikai japonais et crée le Kinomichi (littéralement "la voie de l’énergie"). Le cours auquel la journaliste a assisté est donc encore un cours d'aikido. Il a lieu au dojo situé rue des petits hôtels dans le 10e arrondissement de Paris, où les cours ont lieu de 1972 à 1983. Lors de l'entretien privé qui a eu lieu ensuite, maître Noro a parlé des cinq stades de l'évolution de la matière qui correspondent pour lui à l'évolution du pratiquant : glace, liquide, vapeur, atome, lumière (parfois il ne donne pas le stade de l'atome). Dommage que je n'aie pas le dessin qu'il a fait !

En créant le Kinomichi maître Noro s'éloignait de l'aspect martial de l'Aïkido tout en en conservant la tradition. En 1978 le changement était déjà présent. (Sur le kinomichi voir les articles du tag kinomichi)

Ce magnifique article a été écrit par Catherine Humblot, journaliste décédée à 77 ans le 21 avril 2020[1], donc assez récemment. C'est tout à fait par hasard qu'il est venu entre mes mains. Mon mari feuilletait un livre de yoga donné par une amie et y a trouvé la coupure de journal bien jaunie de l'article ! On m'a dit que Catherine Humblot avait écrit d'autres articles très intéressants, c'est donc l'occasion de lui rendre hommage ainsi qu'à maître Noro.

                                                                         Christiane Marmèche

 

 

La leçon d'aïkido

par Catherine Humblot

Le "Monde" du 16 octobre 1978

 

Maître Masamichi NoroDans la blancheur du dojo (la salle) qui ressemble à l'antichambre d'un petit palais avec son plafond orné qu'éclaire une verrière, la voix du maître froisse à peine le silence. Elle le signifie, au contraire, lui donne comme un développement. À genoux, dans un large hakama - pantalon plissé comme une jupe - avec ce sourire intérieur qui se transforme en rire quand vient la nécessité d'un plus long commentaire, maître Noro suit attentivement ce que font ses élèves.

D'un geste silencieux, il a fait venir l'un d'eux ; très vite, en posant sa main sur la sienne, il l'a invité (obligé ?) à courir autour de lui, course qui s'est transformée rapidement, par une pression exercée sur le bras et le coude renversé, en un redéploiement inversé du corps de l'élève, immobilisé.

 

Pour maître Noro, qui a été un élève du grand maître Ueshiba, le créateur de l'aïkido (mort il y a neuf ans) et qui vient de présenter au Vésinet une démonstration de son art, il ne s'agit pas d'apprendre à se battre, à lutter contre un adversaire, mais de prendre conscience de sa relation profonde avec l'existence.

« L'aïkido, dit-il, libère la forme de la force et la force de la forme. » Son enseignement n'a rien à voir avec l'aïkido de combat, enseigné un peu partout ailleurs.

 

Arrivé il y a dix-sept ans en Europe sur ordre du grand maître Ueshiba, qui dispersa alors ses élèves dans le monde pour qu'ils propagent cet exercice “bon pour l'homme”, maître Noro a créé son école à Paris en 1967. Elle compte aujourd'hui mille cinq cents élèves.

Peut-on parler d'art dans cette recherche sur soi-même, “dure comme toutes les initiations”, ou doit-on parler d'analyse, de cheminement philosophique ou spirituel ?

 

Maître Noro a parlé d'autre chose. Assis à son bureau, tout sourire, il a parlé de l'évolution de la matière.

Avec un crayon, il a dessiné un carré qu'il a irisé :

  • « H2O, dit-il, cristallisé comme glace
  •    Vous donnez une chaleur, cette masse devient liquide – il dessine une flèche et une spirale au-dessus du carré où il est inscrit le mot "liquide" – ;
  •    si vous donnez une énergie à ce liquide, vous obtenez de la vapeur, n'est-ce pas ? – flèche, autre spirale – ;
  •    encore une énergie et ce sera l'atome – flèche, autre spirale –
  •    encore une énergie, et ce sera la lumière – quatrième spirale.

1. Dans l'exercice, je considère tous les débutants comme blocs de glace, et la première énergie que je donne c'est une technique, côté respiratoire, mouvement. Il ne faut pas donner trop, sinon la glace explose, il faut contrôler (les articulations, le dos) ;

2. Quand la glace fond, on arrive au stade liquide qui est celui que vous avez vu tout à l'heure, beaucoup de gens se sentent très bien !

3. Avec de la technique encore, on peut apporter une énergie de plus dans le liquide, et commence une évolution.

Maître Noro s'interrompt sur la troisième spirale… il sépare d'un trait la quatrième étape des trois autres.

4. Le premier, le second et le troisième étage, dit-il, tout le monde peut y accéder, mais l'autre étape, qui est celle de l'homme spirituel, libre à chaque homme d'y accéder. Peut-être trois ou cinq sur quatre mille élèves en dix ans ont atteint la quatrième étape, celle de l'atome, ont connu cette sensation de l'élévation de soi. »

 

En Occident, dit encore maître Noro, le corps c'est le sport, et la spiritualité vient de l'immobilité. Quand on commence un exercice, beaucoup pensent sport parce que pour eux le geste est sport. Ici, le geste est développement de la spiritualité. C'est une grande différence, et c'est ce qui explique la misère du champion de boxe : quand sa carrière est finie, l'homme est fini ; nous, dès le départ, nous allons dans la profondeur de l'homme.



[1] (Cf.  La mort de Catherine Humblot, ancienne journaliste au "Monde", 23 avril 2020).

 

Commentaires