Réflexions de Paulraj Rock en écho à un texte de Jacques Breton sur sa mission au Centre Assise
Le 19 février 2022, une messe d’action de grâce à eu lieu au centre Assise, à Saint-Gervais, cinq ans après le départ du père Jacques Breton, le fondateur du Centre Assise, vers la Maison du Père. Paulraj Rock présidait cette eucharistie. Voici l'intervention qu'il a faite en s'appuyant sur un extrait du livre de Jacques Breton, L’itinéraire singulier d’un prêtre catholique, la traversée de l’obscur[1], pages 137-138, Les phrases en gras sont celles que P. Rock commente.
Extrait du livre de Jacques Breton
« Ici-bas le Christ par l’Esprit rend présent le Père. En ce sens, il est notre initiateur jusqu’au moment où, à la fin de notre pèlerinage terrestre, il remettra tout au Père (Cf. Jean 13,2). Comme j’ai été ordonné prêtre pour rendre le Christ présent dans le don de la Parole de Dieu et des sacrements, j’ai reçu, comme Lui et avec Lui, une mission d’ordre paternel. Je dois être un père pour mes frères, un initiateur et exercer une autorité qui n’a rien d’un pouvoir car elle est essentiellement un service. Et je ne peux me l’attribuer car je la reçois sans cesse du Père par l’intermédiaire de l’Eglise. Pourtant, en tant que responsable spirituel, je suis appelé à la vivre au cœur d’Assise. Or, ma mission ne peut être seulement un garant de l’esprit du centre. Mon but essentiel est d’être un éveilleur afin que d’autres, vivant de cet esprit, prennent des responsabilités à Assise. Auparavant, j’avais tendance à être trop maternel, trop gentil et par contrecoup je développais un certain autoritarisme. Je découvre maintenant que l’amour que j’éprouve ne peut qu’être exigeant et fort. Même si je reste à l’écoute de l’autre, ce n’est plus pour le guider mais pour l’éveiller à ce qu’il est. Cette conversion est en train de se réaliser.
Le Chemin du Christ demande beaucoup de patience, de persévérance, mais je ne doute pas qu’il me mènera à la pleine réalisation de ma vie, grâce à l’Esprit qui m’amine. »
Intervention de Paulraj Rock
En ce jour anniversaire où nous faisons mémoire du « passage » du père Jacques Breton vers la maison du Père, j’ai choisi cet extrait qui fait écho à notre réflexion sur la mission du responsable spirituel d’Assise. Lors de son intervention Anya Ladyguina avait souligné la dimension paternelle et maternelle dans l’exercice de cette responsabilité, et Jacques lui-même en parle à sa façon.
● « Je dois être un père pour mes frères »
C'est une phrase poétique, mystique et paradoxale. Elle a une couleur franciscaine, on pourrait l’attribuer à saint François lui-même. Elle dit ce qui est inconcevable par la pensée et par une action purement humaine.
Nous pouvons nous demander pourquoi Jacques dit : « je dois être un père » et non « je suis un père » ?
- Soit cette réalité s’impose à l’intérieur de lui, et il la vit comme faisant partie intégrante de sa mission.
- Soit cette réalité ne s’est pas encore pleinement réalisée, et il souhaite la vivre comme une invitation intérieure.
- En aucun cas, je ne l’entends comme une obligation ou comme un devoir.
Ce qui est premier est la fraternité, un frère pour ses frères et au milieu de ses frères. La fraternité est une relation horizontale. C’est la paternité qui donne à la fraternité une verticalité. Cette dimension paternelle émerge progressivement dans la conscience de la personne qui vit au milieu d’une fraternité. La fraternité nous permet de nous reconnaitre comme venant d’une même origine. De nos jours, on met l’accent plus facilement sur nos différences et c’est important de ne pas les gommer. Mais qu’est ce qui nous aide à découvrir nos ressemblances ? Nos reliances ? C’est le travail d’un père.
Jacques puise dans la mission du Christ sa propre mission, c’est pourquoi il dit que le Christ est notre initiateur, il nous relie au Père. Celui qui révèle le visage du Père est aussi un frère et un père.
On ne s'attribue pas un titre ou une mission, on ne cesse de la recevoir.
● « Je ne peux me l’attribuer car je la reçois sans cesse du Père par l’intermédiaire de l’Eglise »
C’est l’attitude par excellence du Fils et de tous ceux qui entrent dans cette filiation unique. Pour vivre pleinement cette vocation paternelle, il faut des frères et des sœurs qui sont prêts à recevoir. Il faut aussi des frères et des sœurs pour discerner ce qui vient du Père, c’est la mission de l’Eglise et de ce qui forme « la communauté. »
Il ne s’agit pas seulement de recevoir l’autorité mais de tout recevoir, y compris le don de recevoir. Jacques le dit admirablement dans d’autres passages de ce livre et parfois, il substitue le verbe recevoir par l’attitude de l’accueil.
● « L’initiateur… »
L’initiateur ouvre un chemin, il ouvre une porte et permet à l’autre de franchir et de s’affranchir. C’est ainsi que nous voyons le Christ comme initiateur. IL ouvre les yeux, les oreilles, la bouche, … met debout. Mais, à quoi Jacques a initié les uns les autres ? Il serait bon d’entendre les initiés car on ne peut pas parler de l’initiateur sans parler de l’initié, de ce qu’il a reçu.
- Initier à l’écoute de l’Esprit
- Initier à l’Amour du Père pour chaque personne
- Initier à ….
La relation initiateur-initié, éveilleur-éveillé est une relation de transmission, celle qui consolide et donne un avenir à une fondation. Jacques en parle peu mais rien n’empêche de concevoir et de partager cette relation.
● « … éveille l'autre à ce qu’il est »
Ce temps d’émergence, d’éveil demande patience et persévérance pour l’éveilleur comme pour l’éveillé.
« Éveiller chacun à ce qu’il est », je préfère traduire : éveiller chacun à ce qu'il porte en lui, au plus profond de lui ; l’éveiller au don que chacun porte en soi. Pour répondre à sa propre vocation, pour trouver sa propre voie, chacun cherche à être éveillé au don qu’il porte. Connaitre son don, le manifester et le laisser se déployer tout au long de sa vie est le but de la vie. Si le don d’une personne correspond au don d’Assise alors elle pourra discerner si elle a une vocation à servir Assise. Comment prendre des responsabilités au sein d’Assise quand on ne sait pas ce par quoi on est animé ?
On pourrait dire que la vocation d’Assise est en résonnance avec le cheminement propre de Jacques mais ne se résume pas à ce cheminement : Ne cesser de recevoir du Père le don d’Initier, le don d’éveiller l'autre à ce qu’il est, le don d’être un père pour ses frères, le don de faire « grandir » ce qui est donné à chacun, c'est le sens même de l’autorité.
L'extrait qui a été lu se trouve dans le dernier chapitre du livre, dans la première partie intitulée « Retour au Père ». Jacques dit à un moment donné : « Je découvre maintenant … que mon amour est exigeant et fort » … et Qu’est-ce qu’il découvre maintenant en 2022 dans la maison du Père concernant cet amour pour les autres – a-t-il réalisé pleinement sa vie ? a-t-il vraiment renoncé à être maternel ? – qu’il ne cesse de nous insuffler par l’Esprit qui habite chacun de nous.
Quelques questions pour prolonger la réflexion de Jacques :
- Dans cet extrait, tout en développant longuement la dimension paternelle et brièvement la dimension maternelle, Jacques met au centre la dimension filiale. L’attitude de recevoir est une attitude filiale qui nous place comme fils et fille. Comment chacune et chacun vivent cette filiation ?
- La paternité et la maternité ne sont pas exclusives à la mission du responsable spirituel. Comment chacune et chacun vivent cette double dimension ? Le responsable spirituel se nourrit aussi de l’expérience des uns des autres.
- Peut-on vivre une fraternité sans un père ? Une relation horizontale sans verticalité ?
- Est-ce que notre mort détruira le don que nous portons ? Comment notre don peut-il continuer de se déployer après notre mort ?