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Voies d'Assise : vers l'Unité
Voies d'Assise : vers l'Unité
  • Blog dédié à Jacques Breton (prêtre, habilité à transmettre le zen, assistant de K.G. Dürckheim, instructeur de kinomichi) et au Centre Assise qu'il a créé en le reliant à l'abbaye de St-Benoît-sur-Loire (France) et au monastère zen du Ryutakuji (Japon).
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15 novembre 2022

HARA Centre vital de l'homme, livre de Graf Dürckheim. Extraits sur l'exercice de la posture juste

Dans ce livre, le mot japonais Hara désigne un endroit situé deux doigts sous le nombril. Lorsque les Japonais se faisaient Hara-kiri, c'est ce centre vital qu'ils visaient.

Pour K-G Dürckheim, « Le Hara n'est pas seulement une théorie doctrinale. C'est l'enseignement d'une pratique au service de l'essentiel. La pratique du Hara aide à la fois dans la maîtrise de la vie en ce monde et dans la progression sur la Voie. Il s'agit de la Voie qui redonne à l'homme ayant perdu ses racines, la conscience de son origine éternelle et qui le prépare à réaliser sa destination première, c'est-à-dire à révéler l'Être dans l'existence. Le retour en son centre originel de l'homme, devenu étranger à lui-même, a toujours joué un rôle décisif dans l'engagement sur la Voie. L'enseignement et la pratique du Hara, du centre vital de l'homme, aident à prendre conscience de ce processus.

Le livre de Graf Dürckheim n'a d'autre prétention que d'ouvrir une porte sur une sagesse née de l'expérience transcendantale, sagesse dont on n'a, jusqu'à présent, pas assez apprécié la valeur. Qu'il commence aujourd'hui à en être autrement ne signifie pas que l'on emprunte à une conception orientale, mais au contraire que l'on s'ouvre à une vérité propre à tous les hommes - vérité qui n'avait pas encore fait son chemin... »

HARA Centre vital de l'homme[1], Le Courrier du Livre, Paris, 1974, traduction de HARA, die Erdmitte des Menschen[2] : Sherz Verlag, Bern-München-Wien, 1967

En voici des extraits, la mise en page étant parfois légèrement modifiée.

Hara; Graf Dürckheim

 

 

HARA Centre vital de l'homme

 

Chapitre 4. L'EXERCICE DE L'ATTITUDE (ou POSTURE JUSTE)

Extraits p. 121-139

 

Une expérience très simple permet de se rendre facilement compte de l’importance physique que revêt l’attitude juste, c’est-à-dire celle de l’homme ancré dans le Hara. Celui qui, les jambes écartées, se tient dans sa posture habituelle, peut basculer en avant à la moindre poussée dans le dos, alors que la personne ancrée dans le Hara possède une stabilité étonnante. Dans cette attitude, il est même possible de résister à une forte secousse. La raison en est simple : le centre de gravité de l’homme est alors correctement situé. De même, il est pratiquement impossible de soulever une personne qui est ancrée dans le Hara.

L’expérience montre que l'exercice du centre de gravité "juste" commence par la position suivante : les jambes fermes, largement écartées, le buste ample et droit, les bras pendants, le regard à l’infini, c’est-à-dire dans l’attitude qui exprime ce que chacun de nous est, en fait, destiné à être : quelqu’un de droit, de libre et manifestant la lumière. Il est essentiel que celui qui s’exerce commence toujours par essayer de trouver cette attitude de base tout à fait naturelle dans laquelle il est ancré en lui-même tout en étant relié au monde, et qu’il ne pense pas tout de suite au ventre. Il ne devra travailler les différentes parties de son corps qu’après s’être mis dans cette attitude de base, non par une approche extérieure mais intérieure.

 

Dans l’exercice du chemin intérieur, il est déterminant de sentir « le corps intérieur ». Cela nécessite la formation, puis l’affinement d’un organe spécifique, l’organe de la perception intérieure.

À cette fin, il est recommandé au début de fermer les yeux, de garder le silence et d’essayer de sentir intérieurement le corps que l’on « est » intérieurement, sous la peau... Il faut ensuite progresser lentement du haut vers le bas et du bas vers le haut, sentir toutes les tensions et se relâcher ; il convient en particulier de prêter attention à la respiration, de reconnaître son mouvement de va et vient. On arrive ainsi peu à peu à prendre conscience de son corps intérieur.

 Alors, … sans s’affaisser sur soi-même, on doit se laisser légèrement glisser dans l’expiration, qui devient alors automatiquement plus longue que l’inspiration. …

L’on répète cet exercice jusqu’à ce que se produise le premier mouvementmenant à l’attitude juste : le lâcher-prise ; on se relâche dans les épaules au début de l’expiration. On ne pousse pas les épaules vers le bas mais on se relâche dans les épaules par ce mouvement de lâcher-prise.

Celui-ci s’accompagne automatiquement d’un deuxième mouvement : l’assise ; on s’installe, on s’assied pour ainsi dire dans son bassin à la fin de l’expiration.

Ces deux premiers mouvements ne sont en fait que les deux parties d’un seul et même mouvement de haut en bas. […]

La technique du Hara comporte encore un troisième mouvement qui est, en fait, le plus important : l’« acceptation » juste du bas-ventre. Elle doit survenir à la fin de l’expiration. […] Dans l’expiration pleine, le bas-ventre s’avance […] C’est dans ce mouvement par lequel le bas-ventre ainsi que la région lombaire prennent de l’ampleur que le Hara trouve son expression corporelle propre. Celui qui s’exerce a peu à peu l’impression de prendre la forme d’une poire ou d’une pyramide, ou bien il se sent comme soutenu par un socle large et solide ou encore ancré dans le sol par une puissante racine.

 

Mais il ne servirait à rien de laisser simplement tomber le ventre. Il serait également faux de le gonfler ou de le faire sortir.  Il suffit, en fait, de libérer le bas-ventre de toute tension et d’y mettre un peu de force. Le but recherché est de sentir cette force au niveau du bassin, autrement dit au niveau du bas-ventre, des reins et de tout le tronc. […] Même arrivé à ce stade, on peut encore commettre une erreur : durcir l’épigastre. Aussi faut-il détendre cette région tandis que le bas-ventre reste légèrement tendu. […]

En résumé, les fautes que le débutant risque de commettre sont :

  • laisser simplement tomber les épaules au lieu de se relâcher au niveau des épaules, autrement dit, pousser les épaules vers le bas au lieu de se détendre,
  • se relâcher seulement dans les épaules au lieu de « s’installer » dans le bassin,
  • faire sortir le bas-ventre au lieu de le laisser glisser naturellement vers le bas,
  • durcir l’épigastre au lieu de le laisser se détendre.

Par ailleurs, l’attitude juste va de pair avec une juste conscience de cette attitude. Ainsi, cela fait-il partie inté­grante de l’exercice de l’attitude juste que de se demander (dans son corps) l’on prend conscience de soi-même et de reconnaître ce que l’on ressent alors. La personne peureuse, craintive, tout comme celle qui est imbue d’elle-même, se sent « centrée en haut », la première étant raide et contrac­tée, la seconde gonflée de suffisance. En revanche, l’homme qui est parfaitement calme et serein ne se sent jamais « centré » en haut, mais solidement ancré dans son bassin, plein de force dans les reins et dans l’ensemble du tronc. Il apprend à ne pas considérer son centre de gravité comme un point, mais comme un espace intérieur rem pli de force, situé dans la région du bassin. Cette force qui s’éveille en lui, le portant, le libérant et l’animant à la fois, est la source de la « forme » (Gestalt : forme, aspect, manière de la « forme » tendue, crispée et de la « forme » de dissolution. Il est toutefois plus difficile et plus long qu’on ne le croit d’apprendre à déplacer son centre de gravité et de le main­ tenir à la juste place. On obtient un résultat d’autant plus rapide que l’on n’envisage pas cet exercice comme une simple recette de gymnastique, mais que l’on prend pleine­ment conscience de la relation existant entre la juste situa­tion de ce centre et la façon d’appréhender les rapports entre le Moi et le monde.

[…]

Dans la pratique du Hara, il convient tout d’abord de retrouver un mouvement de haut en bas qui libère l’homme du joug de son Moi. Mais, direz-vous, pourquoi cette libéra­tion ? Parce qu’à ce mouvement vers le bas correspond un mouvement vers le haut grâce auquel le premier prend tout son sens.

Ce mouvement vers le bas signifie l’abandon du carcan que l’homme s’est forgé pour se sentir en sécurité et se défendre, donc l’abandon d’une forme de vie dominée par l’insatiable désir de sécurité du Moi. Le mouvement qui le conduit à son centre vital le place en terrain sûr, terrain qui n’est pas le fruit de sa volonté, mais qui est préexistant en lui et qu’il trouve, à condition d’avoir confiance. Ainsi, le passage à l’attitude caractéristique du Hara signifie le passage d’un état de tension et de méfiance à un état de confiance sereine. C’est un terrain qui porte l’homme, sur lequel il peut s’appuyer. Et c’est pour cette raison qu’il lui est possible de se relâcher en haut. Ce support permet aux personnes qui l’utilisent de s’ouvrir à l’union avec la « Terre Mère », source de détente et de libération de tout ce qui est caché par le Moi, à la condition, toutefois, qu’elles lui fassent pleinement confiance et y trouvent leurs racines.

La juste position du centre de gravité au milieu du corps révèle à l’homme la présence d’une région de son corps où son existence a virtuellement ses racines. Il s’y attache une double signification. D’une part, cette région du corps est un support sur lequel on peut s’appuyer, se reposer, et qui donne le sentiment de posséder un point d’appui solide, à condition que l’on veuille bien se fier à lui. D’autre part, elle constitue le terrain à partir duquel l’homme peut « croître », se développer. Plus l’homme s’y enracine et plus il a la nette sensation que quelque chose croît natu­rellement en lui à partir de cette base. Si le mouvement vers le bas, c’est-à-dire le fait de « se » relâcher dans les épaules, de « s’installer » dans son bassin et de s’y enraciner, s’accomplit comme il faut, il est automatiquement suivi d’un autre mouvement : celui d’un développement, d’une croissance vers le haut. On sent la force qui vient du bassin monter dans le dos, puis dans tout le corps. Cela engendre une libération de la partie supérieure du corps et la per­ sonne tout entière a l’impression de se trouver « élevée ». Il semble que la colonne vertébrale se redresse d’elle-même et que la partie supérieure du corps oscille légèrement sur la base que forme le tronc, ce dernier étant dans un équi­libre "vivant". En fait, le corps tout entier se trouve dans cet équilibre vivant. La verticale ainsi obtenue est douée d’élasticité et de dynamisme. Nous voilà donc bien loin du dos rond qui fait rentrer la nuque dans les épaules et met tant à l’épreuve les disques lombaires, bien loin de la posi­tion dictée par le fameux « tiens-toi droit », désagréable souvenir de l’enfance qui résonne encore à l’oreille de beau­coup. Dans cette fausse attitude, l’homme, croyant se tenir droit, tire ses épaules exagérément en arrière, gonfle la poi­trine, rentre le ventre et creuse les reins, ce qui fait de la partie centrale de son corps un élément affaibli et comprimé (reins artificiellement cambrés). En outre, cela entraîne un raidissement de la nuque et donne l’impres­sion d’un « cou de taureau », la tête étant trop penchée vers l’avant et le menton exagérément souligné. Il en résulte un état de tension, une crispation. En revanche, la verticale juste qui est le fruit du Hara n’est pas le produit de la volonté, mais plutôt une conséquence toute naturelle. Il convient d’accorder une grande attention au lien qui existe entre la nuque et les reins.

[…]

Les tensions et, par suite, les douleurs dans la nuque sont le fait d’une personne qui ne se tient pas bien, qui n’est pas « justement » centrée en bas, qui est mal enracinée et donc plus ou moins dépourvue de base. Dès qu’elle est correctement située dans son bassin, que ce soit debout ou assise, il y a comme une force secrète qui monte en elle et qui trouve sa pleine expression dans le libre port de la tête. Ainsi, à la concentration des forces dans le bassin, favorisée par le relâchement de la partie supérieure du corps, correspond la libération de la tête, qui trouve son contrepoids dans le bassin. L’homme met souvent beaucoup de temps à oser quitter le bastion du Moi tendu dans le haut du corps. S’il y par­vient un instant, c’est pour reprendre aussitôt son attitude première, tendue vers le haut. Et même lorsqu’il a appris à rester plus longtemps dans l’attitude du Hara, il la perd dès que quelque chose d’extérieur le sollicite, l’effraie ou sim­plement occupe son attention. Il n’en sera pas autrement tant qu’il n’aura pas vraiment fait sienne cette attitude. Il ne réussira à la maintenir que s’il exécute l’exercice non plus seulement dans un but physique, en cherchant unique­ment à libérer ses épaules, mais également en s’efforçant de se débarrasser du Moi crispé au niveau des épaules. C’est alors seulement que l’exercice prend un caractère personnel. Son apport ne se limite pas à renforcer la colonne vertébrale par un meilleur soutien du dos, ignoré jus­qu’alors. Cette attitude dote l’homme d’une ossature tant physique qu’intérieure, non seulement libératrice et pro­metteuse de bonheur, mais correspondant, de plus, à un impératif intérieur. Celui-ci est l’expression d’une nouvelle prise de conscience du corps qui apparaît spontanément dès que l’homme est bien enraciné dans son centre. Dès lors, les tensions situées « en haut », tout comme le relâ­chement, l’affaissement sur soi-même, sont ressenties comme un manquement à une loi intérieure à laquelle il doit obéir. Une fois solidement ancré dans le Hara, il voit se développer tout naturellement en lui la forme (Gestalt) correspondant à son être essentiel.

Le Hara délivre l’homme de l’image de sa « persona », c’est-à-dire de toutes les attitudes intérieures fausses qu’il a adoptées en fonction de son rôle dans la vie. Le Hara permet à chacun de développer une « forme » (Gestalt) qui est non seulement l’expression de son être essentiel, mais qui réalise peu à peu en même temps cet être essentiel.

[…]

Le premier don du Hara est une meilleure stabilité et une plus grande force de réalisation et d’affirmation et le deuxième la « forme vraie » propre à l’homme. Mais la pratique du Hara ne remplit son véritable but qu’avec le troisième don : une plus grande réceptivité à la transpa­rence. En effet, l’exercice vise en définitive à établir le contact avec le « tout autre », c’est-à-dire la réalité transcendante.

Celui qui pratique doit apprendre à « sentir » que l’atti­tude juste lui confère peu à peu le contact avec l’Etre. Il doit sentir s’éveiller en lui une nouvelle sorte de conscience qui le pousse à établir ce contact et qui, sans cesse, l’amène à rectifier spontanément son attitude, à se tenir d’une façon qui corresponde à son être essentiel — qu’il soit debout, assis, ou en train de marcher — à travailler à une forme qui soit transparente et à une transparence qui conserve une forme.

L’exercice de l’attitude « juste » est facilité par le senti­ment de libération qui naît de cette attitude. Il s’agit de la liberté de se débarrasser de tout ce qui barre le chemin à l’être essentiel, et de laisser venir tout ce qui est conforme à ce dernier, autrement dit de témoigner dans le monde, par le langage propre à son être, d’une réalité toute différente.

[…]

 

L’art d’être assis grâce au Hara

Celui qui a compris que l’exercice en tant qu’exercitium ne vise pas à l’apprentissage de quelque pratique extra­vagante, mais à faire retrouver les formes fondamentales du comportement, sait que les actions les plus simples, la façon de marcher, de se tenir debout ou assis, par exemple, consti­tuent un champ infini d’exploration et d’exercice. C’est l’exercice des postures les plus élémentaires qui lui fera prendre conscience de son attitude fausse et lui permettra d’exercer l’attitude « juste ». Pour celui qui s’est rendu compte que la valeur de toute progression sur la Voie intérieure se manifeste nécessairement à travers le comportement dans l’existence et que ce comportement ne saurait apparaître autrement que dans la façon dont l’homme se sent dans sa peau, c’est-à-dire dans le corps qu’il est, l’exercice de la posture juste — que ce soit dans la marche, l’assise ou la station debout — ne prend jamais fin. C’est dans ce domaine que l’homme, à chaque instant, reflète ce qu’il est, dans sa personne tout entière.

La connaissance et la maîtrise de la « technique », celle de l’assise par exemple, revêtent une importance d’autant plus capitale que ce terme est pris dans le sens que lui donne le Maître Zen qui dit : La technique, c’est le Tao, et le Tao, c’est la technique » et prend à cœur l’enseigne­ ment de l’art de la lutte transmis par le Chat merveilleux[3].

[…]

Mais voyons maintenant ce que signifie « la pratique de l’assise ». Il s’agit d’apprendre premièrement à se tenir correctement en position assise, deuxièmement à conserver cette position en tout lieu et à tout moment, et enfin à pratiquer l’assise comme exercitium.

S’il est assis correctement, l’homme se tient droit et est « ancré » dans le Hara. L’assise correcte n’est pas liée à des positions bien déterminées et encore moins à la nécessité d’adopter la position du lotus, comme certains le pensent.

  • Une seule chose est importante : les genoux doivent être situés plus bas que l’os iliaque. S’ils sont placés trop haut, la force du centre vital ne pourra pas pénétrer suffisam­ment dans le bassin.
  • Oreille, épaule et os iliaque doivent être dans le prolongement les uns des autres, de façon à former une verticale. Etant donné que l’homme est en général très éloigné de cette position optimale, il est recommandé au débutant de chercher à l’atteindre en exa­gérant, c’est-à-dire en cambrant artificiellement la taille pour un moment. Il peut ainsi faire l’expérience de sa véritable hauteur, qu’il devra essayer de garder.
  •  Il lui faut ensuite « se lâcher » un peu au niveau des reins, puis, pour rester dans la verticale, osciller légèrement de part et d’autre de cette dernière.
  • Mais cela ne suffit pas encore pour qu’il soit bien centré. Pour placer correctement son centre de gravité, il devra élargir son bassin et lui donner du poids sans pour autant se relâcher et quitter la verti­cale. L’assise correcte, tout comme la station debout cor­recte, dépend de l’existence d’un centre de gravité bien situé et ce dernier est, là encore, situé dans le bas-ventre. Il s’agit donc de libérer le bas-ventre et d’y mettre un peu de force. Le haut du corps est alors comme allégé, c’est-à-dire que l’on se sent plus léger et libre « en haut », mais en même temps on a l’impression agréable d’être plus lourd, plus large et plus enraciné au niveau du tronc et solidement ancré dans tout le bassin.
  • Les épaules doivent être déten­dues, les bras « se faire lourds » et, dans le bas-ventre, qui doit jouer librement, il faudra conserver une légère tension qui donnera à toute la région du tronc une certaine force et fera naître une chaleur croissante dans l’ensemble du corps.

Plus nettement encore que dans la station debout, l’homme peut sentir comment, peu à peu, sa personne « croît », se développant à partir du centre « juste » qui le soutient et élimine les tensions, et comment il est mis et maintenu en « forme » à partir de ce centre, sans qu’intervienne la volonté. Il n’est pas fixé de façon rigide à ce centre, mais oscille légèrement et continuellement autour d’un point central mystérieux. La verticale ainsi obtenue ne rappelle pas le bâton enfoncé dans le sol, mais plutôt le brin d’herbe qui vibre autour d’un axe secret alors qu’il n’y a pas le moindre souffle d’air. Cette vie secrète que l’on peut sentir à tout moment en position assise constitue, dans la pratique de l’assise, un critère extrêmement précis. Pour s’exercer à la position juste, il est un moyen simple : osciller de part et d’autre de la verticale afin de s’aligner sur le centre « juste ».

On croise les bras sur la poitrine et on se balance légère­ ment d’avant en arrière — ou vice versa — au rythme de la respiration. On a l’impression d’être un poussah que son gros ventre lesté de plomb ramène toujours à la verticale. On se laisse d’abord aller assez loin en avant et en arrière, puis on diminue peu à peu l’amplitude des oscillations — en faisant toujours attention à ne pas perdre la verticale — jusqu’à ce que l’on ait atteint le point où le mouvement cesse de lui-même. C’est le point qui est parfaitement « juste », ni trop en avant, ni trop en arrière. Celui qui a trouvé ce point ressent dans tout son corps une légère vibration mystérieuse et bienfaisante, une vie étrange. On ne sait bientôt plus si elle est en rapport avec la respiration ou avec le pouls. Cela n’a d’ailleurs aucune importance ; ce qui est capital, c’est d’avoir fait l’expérience du bonheur qui naît de cette vie toute vibrante.

[…]  p. 138

Venons-en enfin à la plus haute fonction de l’assise : l’exercice du silence en tant qu’exercitium, autrement dit l'assise en silence. Ici, la posture assise correcte devient la condition préalable à tout exercice de méditation pratiqué dans l’assise, exercice qui dépasse la phase de concentration. L’assise correcte constitue donc alors en elle-même l’exer­cice qui transforme l’homme.

[…]

L’assise en silence constitue depuis des siècles l’exercice fondamental de toutes les pratiques reli­gieuses de l’Extrême-Orient. Dans le bouddhisme Zen, elle forme le Zazen, c’est-à-dire la base même de la pratique conduisant au Satori (l’illumination). Mais ce n’est pas un exercice réservé aux Orientaux.

Dans la légende « Du bon matin »[4], un pauvre hère demande à Maître Eckhart : « Qui t’a sanctifié, frère ? » et celui-ci répond : « Cela est arrivé grâce à la pratique de l’assise en silence ainsi qu’à mes pensées élevées et à mon union avec Dieu. »



[1] De la version française, on trouve de nombreux extraits sur internet et parfois le fichier PDF ou un scan, par exemple https://idoc.pub/documents/hara-centre-vital-de-lhomme-par-karlfried-graf-durckheim-6klz91k0ry4g.

[2] Ce livre allemand est disponible en téléchargement : https://ia801004.us.archive.org/18/items/KarlfriedGrafDrckheim/Karlfried%20Graf%20D%C3%BCrckheim%20-%20Hara%20-%20Die%20Energetische%20Mitte%20des%20Menschen%20cs.pdf . Sur le même site, d'autres livres y sont disponibles, dont quelques-uns en français :  https://archive.org › download › KarlfriedGrafDrckheim

[4] On trouve par exemple ce texte de Maître Eckhart dans Voici Maître Eckhart, p.74-75, textes réunis par E Zum Brunn, Jérôme Million, 1994. Il est commenté par Jean-Marie Gueulette dans L'assise et la présence : La prière silencieuse dans la tradition chrétienne, Ed. Albin Michel, 2017. Il fait remarquer que« Comme souvent dans ces récits propagés sur Maître Eckhart, ce n'est pas le maître qui enseigne, mais bien au contraire il est mis en scène dans une posture qui le laisse bouche bée devant un laïc, ici un homme pauvre, ailleurs une jeune fille, qui lui font comprendre qu'ils en savent beaucoup plus long sur la vie mystique que les savants docteurs. »

 

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